mercredi 31 juillet 2024

Cinéma - “Le moine et le fusil”, fable du Bhoutan sur la démocratie

Il paraît qu’on vote en France ce dimanche. Une habitude très récente au Bhoutan. Ce petit pays enclavé entre Inde et Chine a demandé pour la première fois à son peuple de se prononcer sur son avenir en… 2008. Le film Le moine et le fusil de Pawo Choyning Dorji raconte cette transition démocratique peu évidente. Car dans les campagnes, au fond des vallées coincées entre les sommets de l’Himalaya, le mot même d’élection est inconnu de la grande majorité de la population.

Alors pour lui expliquer, l’administration organise des élections blanches avec faux candidats. Une fonctionnaire est envoyée dans un petit village pour superviser cette répétition. Une localité qui recèle un véritable trésor, un fusil datant de la guerre de Sécession. Pendant que les villageois s’amusent à faire semblant de détester le camp adverse (en France, pas la peine d’entraînement, on atteint des sommets depuis quelques semaines) comme dans toute démocratie qui se respecte, un moine bouddhiste veut absolument ce fusil pour son supérieur, un lama, décidé à remettre le pays sur le bon chemin.

Arme également désirée par un riche Américain, collectionneur, fanatique des armes, riche à millions, déboussolé dans un pays qui ne mesure pas sa bonne santé démocratique aux indices économiques du produit intérieur brut mais à celui, plus poétique, de bonheur national brut. Un film malicieux, qui a le grand avantage d’ouvrir les yeux des Occidentaux que nous sommes.

Non, notre modèle de société n’est pas forcément le meilleur du monde. Oui, James Bond fait parfois rêver, mais cela reste un banal tueur. Oui, vous verrez un phallus de plus d’un mètre de long dans Le moine et le fusil et vous éclaterez de rire. Oui, au Bhoutan aussi, les gendres ont des problèmes avec leurs belles-mères. Non, contrairement à tout film américain, les armes à feu ne sont pas glorifiées, bien au contraire.

Et franchement, ça fait du bien un film apaisé, pacifiste et positif alors que partout ailleurs, même en France, on explique doctement que la solution est le réarmement…

Film de Pawo Choyning Dorji avec Tandin Wangchuk, Kelsang Choejay

mardi 30 juillet 2024

Cinéma - “Les pistolets en plastique”, rire caustique

Pire que Mocky dans le genre anarcho-sarcastique, Jean-Christophe Meurisse sort la sulfateuse dans « Les pistolets en plastique » pour massacrer la mode médiatique autour des faits divers.

L’affaire Dupont de Ligonnès, après avoir fait vendre beaucoup de journaux ou de magazines et assuré des audiences records aux émissions de faits divers, a beaucoup inspiré les romanciers. Voilà que le cinéma s’y met. Mais pas dans le genre à faire froid dans le dos. Normal, c’est Jean-Christophe Meurisse qui s’y risque, cinéaste iconoclaste qui a déjà offusqué quelques censeurs après son Oranges sanguines, brûlot à l’opposé du politiquement correct.

Le fil rouge du film est la traque d’un tueur en série, Paul Bernardin (Laurent Stocker), disparu après avoir assassiné sa femme, ses quatre enfants et le chien. Zavatta, le « ninja de la police française » croit le reconnaître à Roissy à l’embarquement d’un vol pour le Danemark. Le début du cauchemar pour Michel Uzès (Gaëtan Peau), danseur amateur de country, transformé en quelques heures en ennemi public numéro 1.

Léa (Delphine Baril) et Christine (Charlotte Laemmel), enquêtrices Facebook, sont elles aussi sur les traces de Bernardin. Deux ménagères de moins de 50 ans, fascinées par le personnage, capables de casser la porte de la villa de Bernardin pour aller inspecter la cave et critiquer la décoration intérieure. Le film, forcément un peu foutraque par manque de budget, a ce côté amateur avec effets spéciaux gore à la petite semaine qui le transforme en farce à la Grand Guignol. On a parfois l’impression d’une succession de sketches, quelques humoristes invités s’en donnant à cœur joie dans l’improvisation.

La scène d’ouverture avec Jonathan Cohen en médecin légiste donne le ton. Il se surpasse dans la surenchère quand il fait le panégyrique de Zavatta. Nora Hamzawi, femme enceinte obnubilée par ses accouchements (et sa dernière épisiotomie dont elle donne tous les détails) est irrésistible. Le meilleur restant les dialogues, totalement surréalistes, entre les deux enquêtrices, sorte de concentré de toutes les inepties lues sur Facebook. Quant au tueur, on ne dira pas où il se cache. Mais ce n’est pas demain la veille que Léa et Christine risquent de lui mettre la main dessus…

Film de Jean-Christophe Meurisse avec Laurent Stocker, Delphine Baril, Charlotte Laemmel, Gaëtan Peau, Jonathan Cohen, Nora Hamzawi

lundi 29 juillet 2024

En vidéo - “Les chèvres”, Boon et Commandeur, duo comique du XXIe siècle

 

La comédie est certainement le genre cinématographique le plus compliqué. Difficile de trouver la bonne formule, celle qui va faire rire des millions de spectateurs.

Sur le papier, Les chèvres de Fred Cavayé avait tout pour faire un carton. Un sujet iconoclaste (le procès au Moyen Âge d’un animal), deux comédiens talentueux (Dany Boon et Jérôme Commandeur), des décors somptueux et un budget conséquent.

Pourtant le public a boudé cette histoire en partie tirée de faits réels. Sa sortie en DVD chez Pathé devrait permettre de mieux apprécier cette farce en costumes. Les seconds rôles sont savoureux et Claire Chust en bergère progressiste et féministe fait forte impression.

Quant au duel oratoire entre les deux stars, les deux avocats, il fait des étincelles et même s’il y a un peu trop de cabotinage, reste un must dans le genre.

dimanche 28 juillet 2024

BD - Terriers de lapins au centre de la Terre

Les animaux à toutes les sauces. Ils sont même utilisés pour cette adaptation en BD du roman de Jules Verne, Voyage au centre de la Terre. Sur une adaptation de Rodolphe, Patrice Le Sourd a décidé que les héros seraient des... lapins. Rien de plus logique tant ce roman est en réalité une longue divagation dans d'interminables terriers.

Dans le second tome, on retrouve le trio perdu sous les volcans d'Islande. Le professeur Lidenbrock, théoricien de cette exploration, sa nièce Axelle (déguisée en garçon et répondant au prénom d'Axel) et Hans, l'homme fort de l'expédition, l'aventurier. Axelle est séparée de ses deux compagnons et se retrouve dans le noir. Grosse angoisse et finalement chute dans un trou. Elle se réveille sur une plage...

Elle vient de découvrir la mer intérieure qui transforme ces gigantesques grottes en nouveau continent. Dès lors le trio va progresser, découvrant des animaux monstrueux, d'autres qui semblaient disparus (mammouths).

Le récit de Jules Verne a un peu perdu de sa magie, mais l'ensemble reste très spectaculaire et devrait faire rêver les nouvelles générations autant que les précédentes, saisies par ces textes novateurs, premières incursions de la littérature vers une science-fiction encore embryonnaire.
« Voyage au centre de la Terre » (tome 2), Delcourt, 48 pages, 11,50 €

samedi 27 juillet 2024

BD - Demeus Lor, l'ocelot patriote des 5 Terres

Lancée il y a à peine cinq ans, la série Les 5 Terres a déjà bouclé deux cycles de six albums. Et pour faire patienter les lecteurs fans avant le début du 3e cycle, les auteurs proposent un spin-of, histoire complète centrée sur un des personnages. Découvrez donc sous le pinceau de Guinebaud, nouveau dans l'aventure, un passage important de la vie de Demeus Lor, un ocelot, maître d'armes de la petite île d'Etyrna.

Demeus, après les événements contés dans le premier cycle, est revenu sur son île natale auréolé de ses exploits sur Angleon. Mais la guerre continue et une nuit, une bande d'ours attaque l'île paisible. Les gardes sont massacrés. Quelques nobles prennent la fuite, Demeus parvenant à tuer un ours.

Les rescapés doivent décider : se rendre ou résister. Comme dans les autres albums de la série, le scénario de Lewelyn (ils sont trois derrière ce pseudonyme : Chauvel, Andoryss et Wong) explore toutes les solutions autour de la lutte pour gagner ou conserver le pouvoir. Les ours sont moins rustiques qu'on ne le croit, les résistants parfois trop bravaches. Demeus Lor va devoir trouver sa voie, le juste milieu, pour sauver la population de l'île. Et sa liberté.

Une nouvelle fois c'est remarquable, tant au niveau de la narration que du dessin. Sylvain Guinebaud se coule dans le style de Lereculey sans la moindre fausse note.

« Les 5 Terres, Demeus Lor », Delcourt, 64 pages, 15,95 €
 

vendredi 26 juillet 2024

BD - Animaux courageux dans les Terres de Ruines

Un renard, un cochon, une reinette et un écureuil forment le quatuor intrépide qui va tenter de retrouver le trésor de Rygone le pirate. Un roman graphique du Canadien Derek Laufman au trait proche des dessins animés actuels.

Rex et le chef de la bande. Un petit renard, orphelin, élevé par la maman de Pô son meilleur copain, cochon très rose et très trouillard. Rex rêve de combats, de conquêtes et trésor à découvrir dans de sombres cavernes.

Voilà pourquoi il est très content que Pô découvre la carte du trésor d'un pirate légendaire. Reste à retrouver cette île perdue et affronter les mille dangers sur la route. Pour se donner toutes les chances, Rex et Pô demandent l'aide de Kayle, une écureuil, experte en tir à l'arc. Le trio sera complété par Lilah, princesse rainette lasse de rester au palais et prête à tout pour découvrir le monde.

Une histoire très fluide, avec quantité de péripéties, quelques méchants et batailles mémorables et un final digne des plus grands films de pirates. Une jolie surprise dans la collection « Aventuriers d'ailleurs » intégrée aux éditions Bamboo depuis peu.

« Le trésor des Terres de Ruines », Aventuriers d’Ailleurs - Bamboo, 144 pages, 18,90 €

jeudi 25 juillet 2024

BD - Dans la forêt gourmande du Chant des grenouilles

La série Au chant des grenouilles, imaginée par Barbara Canepa est sans doute la plus fidèle à l'esprit Macherot, créarteur de Sybiline dans Spirou. Seule différence, le dessin, loin d'être de style franco-belge, simple et très ligne claire, il donne l'occasion à plusieurs dessinateurs talentueux de s'essayer à la fresque animalière.

Le premier tome, « Uriana, la sorcière », est co-scénarisé par Anaïs Halard et dessiné par Florent Sacré. Barbara Canepa donne une ultime touche personnelle en aidant le dessinateur aux couleurs.

Dans une forêt où la plupart des animaux vivent en harmonie, les plus jeunes forment une bande intrépide. On trouve dans cette équipe qui n'a pas froid aux yeux, deux lapins, un renard végétarien, une chauve-souris, une chouette, un grillon et une araignée. Après avoir écouté une histoire qui fait peur, ils partent dans la forêt ramasser des légumes. Ils ont l'intention de remporter le concours de cuisine.

Une petite aventure pleine d'humour, parfaite occasion de placer des pages encyclopédiques. On apprend ainsi les vertus médicinales de l'ail, comment les araignées fabriquent leur fil ou pourquoi la betterave est un excellent légume quand elle est bien cuisinée. Un volet éducatif très ludique.

Reste les petits héros. Tous très différents, attachants. On a hâte de savoir si leur préparation saura convaincre le jury. Réponse fin novembre avec le second tome, dessiné par Jérémie Almanza.

« Au chant des grenouilles » (tome 1), Métamorphoses, 48 pages, 14,95 €

mercredi 24 juillet 2024

Premier roman - « Une fille du Sud » et de Perpignan

Portraits de femmes du Pays Catalan dans ce premier roman de Juliette Granier. Une jeune fille sauvage, sa mère soumise et la terrible grand-mère qui règne en maître sur le domaine viticole.  

Juliette Granier fait partie des femmes surdouées. Pianiste de renom, compositrice, elle est également animatrice radio en Suisse, originaire des Pyrénées-Orientales, elle vient de publier son premier roman. Directement chez Gallimard. Une surdouée on vous dit. Impression confirmée à la lecture de ces pages brûlées par le soleil du Sud ou figées dans le froid glacial de la tramontane. Le parcours d’une jeune femme, ballottée entre une mère éteinte et une grand-mère autoritaire avec en arrière-plan de sinistres secrets de famille et la vie d’une propriété viticole dans le Pays Catalan.

Comme dans tout premier roman qui se respecte, Juliette Granier a mis un peu de son propre parcours de vie dans Une fille du Sud. On devine beaucoup de sincérité quand elle décrit la vie étudiante à Perpignan. Également quand son héroïne, Catalina Magne, atomise la ville. « J’avais d’abord appris à abhorrer cette ville. Tour à tour, son nom me semblait fantastiquement ridicule, cocasse, les sonorités même, Perpignan, nasillardes et puériles. On ne pouvait pas prendre un « perpignan » au sérieux. » Et de regretter un peu plus loin « Notre accent devenait ridicule quand nous tentions d’être empathiques ; pour créer notre légende nous n’étions pas crédibles. »

Si l’autrice semble avoir fait sa vie d’adulte ailleurs, le personnage du roman nuance quand même son jugement excessivement sévère : « D’autres fois, cependant, le soleil soulevait des vapeurs désirables, odeur de café torréfié, vent lointain chargé des senteurs de la mer, essences aromatiques de la Méditerranée. Il me semblait que l’avenir y était possible. » Pour compléter décor, le traditionnel passage, assez poétique, sur le vent « qui me rend folle » : « Les pins sifflent, les rafales battent l’herbe, tout n’est que vert, ou brun sourd. Le vent vide la nature de ses habitants, menus oiseaux, légers insectes. »

On retrouve dans le roman ce Pays Catalan, rude, authentique, si différent des autres régions de France et même du sud méditerranéen. Reste l’intrigue. Elle est déclinée chronologiquement. Catalina, encore enfant, se souvient du mariage de Ferran, son cousin et d’Olivia. Ferran, le chasseur, le mâle alpha de la famille. Outrageusement favorisé par Avia, la grand-mère, la propriétaire du mas, au détriment de sa fille, la mère de Catalina. Un chasseur, harceleur, macho… violeur. Catalina aime cette vie au grand air, dans les vignes.

Mais elle apprécie encore plus de lire, au calme. Premières amours au lycée, amitiés fortes à la fac : Une fille du Sud prend des airs de roman d’apprentissage. Catalina découvre d’autres milieux, des façons différentes de penser, comprend mieux sa mère, déteste de plus en plus la grand-mère, craint Ferran, toujours à préparer un mauvais coup. Un pur roman dans sa dernière partie, car si Juliette Granier a puisé dans ses souvenirs pour donner des accents de vérité à son texte, elle boucle son récit de façon tout à fait inattendue.


« Une fille du Sud » de Juliette Granier, Gallimard, 192 pages, 19 €

mardi 23 juillet 2024

Polar - Révisez vos romans policiers jusqu’à la « Fin de l’histoire »

Hommage aux grands du roman policier dans cette enquête signée A. J. Finn. Nicky Hunter, fan d’un écrivain, doit écrire sa biographie. Et résoudre un mystère insoluble.

Les amateurs de romans policiers vont se délecter de ce gros bouquin. Fin de l’histoire a tout pour leur plaire, de la jeune enquêtrice qui n’a pas froid aux yeux en passant par le vieux suspect qui semble manipuler tout le monde, les références à des romans cultes et le décor, une vieille maison à San Francisco recelant nombre de secrets dont une pièce cachée avec ouverture secrète dissimulée… dans la bibliothèque. Reste à découvrir le coupable. Et là, comme dans les excellents romans d’Agatha Christie ou de Conan Doyle, difficile de deviner la solution finale imaginée par l’auteur.

Sebastian Trapp est un romancier devenu célèbre (et riche à millions) avec son personnage de détective décalé Simon St John. Une vingtaine de titres, jusqu’en 1999 et un drame affreux. Le soir du réveillon, sa femme Hope et son jeune fils, Cole, disparaissent. Enlèvements, fugues, assassinats ? La police n’a jamais bouclé l’affaire. Plus de 20 ans après, Sebastian, malade, sait qu’il va mourir et demande à une de ses fans, Nicky Hunter, de venir chez lui pour rédiger sa biographie.

La jeune new-yorkaise découvre très excitée cet univers qui la fascine. Et cherche de plus de résoudre l’affaire des deux disparitions. Tout se complique quand un cadavre est découvert chez Sebastian, « Dans le bassin flotte une femme, sur le ventre, les cheveux déployés autour de sa tête, les bras et le dos nus. […] Les yeux gris sans vie, les lèvres teintées de bleu, la profonde plaie sur la tempe. » Deux disparitions, un mort : le temps est venu des révélations pour le romancier, sa fille Madeleine et le reste de sa famille.

Des coups de théâtre et une vérité à écrire pour la jeune Nicky, de plus en plus impliquée dans cette histoire de famille tragique. Un roman qui se dévore, avec une première partie intrigante mais surtout plaisante voire loufoque, suivie d’un changement d’ambiance, plus ténébreuse, dramatique et sombre. Une prouesse littéraire exemplaire.

« Fin de l’histoire » de A. J. Finn, Presses de la Cité, 608 pages, 21,50 €

lundi 22 juillet 2024

Une intégrale - Tout Madeline Miller

 


Il fallait oser cette réécriture de mythologie. Madeline Miller s’est emparée de ces récits anciens mais y a cherché d’autres significations. Cela donne des romans dans lesquels la jeunesse actuelle s’est reconnue.

À propos d’Achille, l’autrice y voit une superbe histoire d’amour entre le guerrier et Patrocle, ami et amant. Ce Chant d’Achille, premier texte de la trilogie est précédé par la nouvelle Galatée et se termine avec le roman Circé, portrait revisité de la sorcière libre et puissante.
Une somme littéraire dans une superbe présentation, couverture cartonnée et tranche imprimée en jaune et noir.

« Galatée » suivi du « Chant d’Achille » et de « Circé », Pocket, 936 pages, 18 €

dimanche 21 juillet 2024

Un album jeunesse - La souris sorcière

 

Ce n’est pas parce qu’on est une petite souris grise que l’on ne peut pas devenir sorcière. Sophie vient de brillamment décrocher son diplôme avec mention Assez Bien. Elle va donc s’installer à son compte dans une forêt mystérieuse.

Ce parcours professionnel atypique est raconté et dessiné par Rudy Spiessert. à cause de sa taille, Sophie ne peut lancer que des petits sorts. Mais alors comment se débarrasser d’un couple d’ogres qui terrorise des enfants ? Cette aventure mouvementée est bourrée d’humour décalé.
Comme l’animal de compagnie de Sophie, pas un chat noir comme le veut la tradition, mais une araignée. Araignée qui miaule…

« La souris sorcière », École des Loisirs, 60 pages, 15 €

samedi 20 juillet 2024

Un manga (français) - Live Memorium

 

Dans un futur proche, Tomasu, 30 ans, vit toujours chez sa mère. Il est comptable dans une société qui fabrique des poupées sexuelles. Harcelé depuis son plus jeune âge, il est toujours malmené par ses collègues et son patron. Déboussolé après la mort brutale de sa mère, il décide de tester le Live Memorium, une machine qui vous replonge dans vos souvenirs.

Pour retrouver sa mère. Mais ce sont d’autres souvenirs qui vont remonter à la surface, transformant Tomasu.
Un manga en noir et blanc écrit part Miki Makasu et dessiné par Benoît Bourget au style cassant, parfait pour l’ambiance paranoïaque et violente de cette histoire qui fait frémir.

« Live Memorium », Glénat, 208 pages, 18,95 €

vendredi 19 juillet 2024

Un collector - Double dose Agnès Martin-Lugand

Il y a dix ans, Agnès Martin-Lugand faisait une entrée remarquée sur la scène littéraire française. Son roman Les gens heureux lisent et boivent du café, sorti en autoédition, est repéré par Michel Lafon.
Des millions d’exemplaires plus tard, il est réédité chez Pocket dans cette version collector (couverture cartonnée) avec la suite des aventures de Diane, La vie est facile, ne t’inquiète pas. Ce summum de la résilience et de l’espoir (une femme perd son mari et sa petite fille, comment continuer à trouver de l’intérêt à la vie ?) bénéficie d’une préface et surtout d’une postface inédites.
L’autrice révèle pourquoi elle a voulu écrire ce roman et d’où lui sont venues ces idées.

« Les gens heureux lisent et boivent du café » et « La vie est facile, ne t’inquiète pas », Pocket, 464 pages, 12 €

jeudi 18 juillet 2024

Un album jeunesse - « Tout est bon dans le loup », des coussinets aux moustaches…

Le loup, dans la littérature enfantine, n’a pas bonne presse. Il fait peur aux plus jeunes, dévoreur de grands-mères et autres petites filles. Le problème est pris à l’envers dans cet album écrit malicieusement par Didier Lévy et illustré par Irène Bonacina.

Le loup est très fier de lui. Il aime tout dans son corps, de son pelage à ses griffes. Sans oublier ses dents à qui il a donné des petits noms, de Mata Hari à Marilyn en passant par Marie Curie. Un loup un peu prétentieux, qui aime faire des claquettes la nuit et regrette que les autres animaux de la forêt n’acceptent pas ses propositions de câlins gratuits.
Le livre parfait pour votre plus jeune s’il est encore traumatisé par la lecture du Petit chaperon rouge.

« Tout est bon dans le loup », École des Loisirs, 44 pages, 14 €

mercredi 17 juillet 2024

BD - Le passé de Kosmograd


Le temps, c’est aussi de l’histoire. Bonaventure, créateur de la série de SF Kosmograd, a décidé d’appuyer sur la touche retour arrière pour expliquer comment ce monde futuriste est apparu. Et d’où viennent les trois amies au centre du premier album paru l’an dernier.

Donc avant de savoir ce qu’elles vont devenir, l’auteur propose de plonger dans leur passé, comment elles sont arrivées à Kosmograd. Cette immense ville, une des dernières où la société ne s’est pas écroulée face au dérèglement climatique, a une solution : construire une cité en orbite. Pour cela tous les citoyens doivent travailler pour mettre au point un ascenseur orbital et récupérer des matières premières pour construire ce nouvel Eden.

Dans la série « avant la chute », on suit la vie de trois jeunes filles avant qu’elles ne se connaissent. Zoya est une réfugiée climatique. Elle sera nourrie et logée durant de longs mois en échange d’un travail ingrat de récupération des composants électroniques sur des appareils cassés. Mana est une étudiante. Comme son frère, elle est experte en codage. Citoyenne de Kosmograd, elle subit le racisme des plus riches au quotidien.

Enfin Ev’ est une nomade, passionnée de rock. Elle vit en marge de la société et c’est elle le lien avec les autres. Sur plus de 80 pages, l’auteur développe son monde, son totalitarisme, ses mensonges. Et le lecteur devine, avec un plaisir non feint, l’envie de liberté qui va bouleverser les vies de ces trois jeunes femmes attachantes. Pour que leur avenir soit plus beau que leur passé.
« Kosmograd, avant la chute » (tome 1), Casterman, 88 pages, 20 €

mardi 16 juillet 2024

BD - Prisonnier politique encombrant

La France, pays des droits de l’Homme, a parmi ses prisonniers un homme qui est derrière les verrous depuis 1984. 40 années derrière les barreaux, 40 années Dans les oubliettes de la République, comme le titre de cet album de BD signé Pierre Carles et Malo Kerfriden. Cet oublié de la justice, c’est Georges Ibrahim Abdallah, Libanais, militant communiste condamné à la perpétuité pour complicité à des attentats terroristes.

Le cas du plus vieux prisonnier politique français intéresse Pierre Carles, réalisateur de documentaires très engagés, après une enquête sur Action Directe. Georges Ibrahim Abdallah est membre des Fractions armées révolutionnaires libanaises. Un groupe communiste qui combat « l’impérialisme américain et israélien ».

Deux représentants diplomatiques de ces deux pays (peut-être des espions sous couverture) sont abattus dans la rue en 1982. Les autorités françaises sont persuadées que ce sont les FARL qui sont à la manœuvre. Deux années plus tard, Abdallah est arrêté. Selon Pierre Carles, c’est à la demande expresse des USA qu’il est lourdement condamné. Perpétuité.

Mais une fois sa peine incompressible effectuée, son avocat Jacques Vergès fait une première demande de remise en liberté. Refusée. Les suivantes aussi. Systématiquement. Jusqu’à aujourd’hui et par tous les gouvernements, de droite comme de gauche. La BD revient sur les faits, démonte la manipulation de l’époque (en réalité ce sont des intérêts iraniens qui ont abattu les supposés espions) et explique que si Abdallah est toujours en prison, c’est à la demande expresse des USA.

Une enquête fouillée, très étayée, mise en images par Malo Kerfriden dans un style très réaliste. Mais cela ne rendra jamais ces 40 années (ou du moins les 15 après qu’il aurait pu être libéré) à Georges Ibrahim Abdallah.

« Dans les oubliettes de la République », Delcourt, 128 pages, 17,95 €

lundi 15 juillet 2024

BD - Une vie à revivre différemment

 

La relation père fils est au centre de ce récit graphique entre science-fiction, fantastique et philosophie. Un scénario de Philippe Pelaez, peut-être le plus ambitieux de ce scénariste qui multiplie les sorties ces dernières années. Une histoire de conquête de l’espace.

Le petit Johnny a neuf ans quand il voit son père décoller aux commandes d’une navette. Quelques secondes plus tard, elle explose. Malgré ce traumatisme, le petit garçon va tenir sa promesse, devenir lui aussi astronaute pour conquérir les étoiles. Des années ont passé et il est aux commandes d’un vaisseau qui va se poser sur la neuvième planète du système solaire.

Un dysfonctionnement et comme son père, le vaisseau explose et se retrouve propulsé dans le passé. Il a 19 ans et l’occasion de refaire sa vie, modifier les erreurs avec in fine, l’espoir de sauver son père. Cette histoire de paradoxe temporel, d’allers-retours dans les époques (à 9, 19 ou 29 ans) est parfois compliquée à suivre. Mais grâce au remarquable travail graphique de Guénaël Grabowsky, ce qui aurait pu devenir confus évolue sur une évidence et clarté absolue.

On se retrouve alors dans la position du jeune Johnny, à se demander, si l’occasion nous était donnée, ce que l’on désirerait changer dans le cours de notre vie. Attention, la question peut plonger dans un abîme sans fin, encore plus vertigineux que l’espace qui sert de décor à cet album.

« Neuf », Dargaud, 88 pages, 18 €

dimanche 14 juillet 2024

Cinéma - Le confinement nous a placés “Hors du temps”

Souvenez-vous : c’était il y a à peine quatre ans, un virus, le confinement. Nous sommes très loin, aujourd’hui, de ces contraintes sanitaires. En fait, toute cette partie de notre vie est quasiment oubliée. Pourtant cet arrêt brutal de la vie dans le pays a bouleversé des existences. Fait réfléchir.

Olivier Assayas, cinéaste, raconte dans Hors du temps, son confinement. Avant la décision, il rejoint la maison familiale en banlieue parisienne. Mieux que l’appartement parisien : il y a un jardin et un immense parc, le théâtre des jeux enfantins avec son frère. Un frère qu’il retrouve. Ils se sont perdus de vue, ont oublié leur complicité et doivent réapprendre à se supporter.

Le film alterne vues fixes sur les lieux (maison, chambres, forêt, parc…) avec voix off du réalisateur racontant son enfance et les rapports avec ses parents, et pure comédie avec dans le rôle du cinéaste Vincent Macaigne et Micha Lescot dans celui du frère. Ils sont confinés avec leurs compagnes du moment. Le cinéaste, tous projets à l’arrêt, va découvrir les charmes du printemps tout en devenant paranoïaque, multipliant les précautions pour ne pas être exposé au virus.

Le frère, animateur radio, obligé de télétravailler, n’a qu’une envie : retrouver sa liberté. Hors du temps est parfois loufoque tant la caricature de cinéaste est ridicule dans sa manière de se protéger ; lumineux par ses tirades sur la nature ou l’amour ; intellectuel avec nombre de références savantes sur la peinture, la littérature ou certaines utopies oubliées comme L’an 01 de Gébé ; très réaliste avec les contraintes matérielles, de la garde alternée (avec rendez-vous sur un parking de supermarché) ou l’explosion des achats compulsifs par internet.

Un très bon résumé de cette période peu glorieuse que l’on a sans doute trop vite oubliée sans en tirer les bons enseignements.

Film d’Olivier Assayas avec Vincent Macaigne, Micha Lescot, Nora Hamzawi, Nine d’Urso.


samedi 13 juillet 2024

En vidéo - “Daaaaaalí !” de Quentin Dupieux

 

Quentin Dupieux doit être un fan du jeu des 7 familles. Il s’en crée régulièrement de nouveaux. « Dans la famille de mes films sortis en 2024, je voudrais le 2e ». C’est Daaaaaalí ! qui vient de sortir en DVD et blu-ray chez Diaphana.

« Dans la famille des Dalí, je voudrais le 4e ». C’est Édouard Baer, après Jonathan Cohen, Gilles Lellouche, Pio Marmaï et avant Didier Flamand.

Cette comédie, aussi absurde que loufoque, voit plusieurs comédiens interpréter le peintre catalan. L’édition en vidéo est agrémentée de nombreux bonus comme un entretien avec Quentin Dupieux, Jonathan Cohen et Édouard Baer, Daaaaaalí à la plage, un extrait du documentaire Filmer fait penser réalisé par Charles Bosson, ainsi qu’une rencontre avec Salvador Dalí, reportage réalisé par Pierre Jourdan en 1971 et extrait des archives de l’INA.

vendredi 12 juillet 2024

Roman de science-fiction - Vénus, porte des étoiles

 Seconde partie de la grande saga vénusienne signée Derek Künsken. Les « coureurs », découvreurs de la porte des étoiles, veulent une société plus juste. 

Rien de tel qu’un roman de science-fiction pour s’évader d’un quotidien trop terre à terre. Sur près de 600 pages, vous allez abandonner l’horizon terrien de moins en moins enthousiasmant pour explorer Les profondeurs de Vénus. Derek Künsken, écrivain canadien, signe La maison des Saints, suite de sa saga se déroulant dans l’atmosphère hostile de Vénus.

Dans deux siècles, quelques inconscients ont décidé de coloniser la « planète déesse ». Impossible de vivre en surface. C’est dans l’atmosphère, chargée d’acide et de tempêtes violentes que quelques « coureurs » vivent dans des habitats précaires constitués de gros champignons domestiqués qui flottent et produisent un peu d’oxygène. Les « coureurs » récupèrent un peu de métal dans les cendres qui flottent depuis des millénaires.

Juste de quoi faire un peu de troc avec les flottilles, plus modernes, où l’État tente de gérer la planète tout en étant sous la coupe d’une puissante banque terrienne.

Une société injuste, qui pousse la famille d’Aquillon, « coureurs », descendants d’immigrés québécois, à tenter de changer la société, la rendre plus juste.

Pascale, une des filles du patriarche, a trouvé le moyen de toucher la surface. Et a découvert dans une grotte un trou de ver permettant de communiquer avec l’espace infini. Avec son amant Gabriel-Antoine, ils débouchent sur « un système solaire mort ». « L’esprit humain a du mal à imaginer une planète entière. Ne parlons même pas de comprendre vraiment la taille d’une étoile. Et une étoile a explosé ici, ce qui a réduit en poussière et petits cailloux la moindre planète, la moindre lune. » Un véritable trésor pour les « coureurs », experts en récupération, géniaux ferrailleurs de l’espace.

L’intrigue se déroule sur plusieurs niveaux. En surface avec l’exploration du trou de ver. Dans les nuages avec le patriarche qui tente de protéger ses enfants, tout en haut, avec les manigances de la banque, prête à tout pour préserver son pouvoir. Même à tuer.

Des morts qui vont déchaîner la colère de la famille d’Aquillon. Un space opéra réaliste, crédible, quasi scientifique, avec l’éternelle lutte du petit contre le gros, des opprimés contre la dictature. Après la lecture de ce roman, vous ne regarderez jamais plus les étoiles de la même façon.


« La maison des Saints » de Derek Künsken, Albin Michel, 592 pages, 25,90 €

jeudi 11 juillet 2024

Thriller - Quand Europol veut sauver « L’ombre des innocents »

René Manzor, ancien cinéaste, signe un roman policier très visuel qui prend la forme d’une course-poursuite à travers l’Europe. 


Le nouveau thriller de René Manzor est un exercice de grand écart redoutable pour le lecteur. D’un côté une violence sans limite est décrite sans fioritures. De l’autre on voit le quotidien très cool d’une famille française parisienne.

Côté violence cela commence par un attentat en pleine jungle colombienne. Des dizaines de mort dans le déraillement d’un train. Puis sur le plateau du Vercors, des gendarmes retrouvent le cadavre d’un enfant : « Enchaîné au mur par le collier de chien qu’il portait autour du cou, gisait un petit garçon de sept ans à moitié nu, dans une posture improbable. […] Du sang coulait de sa bouche et de son nez. » C’est la troisième victime d’un tueur en série insaisissable.

Europol s’empare de l’affaire et charge Wim Haag de la traque. À l’opposé, on découvre les petits soucis de Marion Scriba, romancière française, mère de trois enfants, récemment divorcée. Elle doit gérer ses trois garnements (dont une adolescente…) alors qu’elle bute depuis trop longtemps sur le dernier chapitre de son prochain polar. Une vie tranquille et sereine.

Alors pourquoi retrouve-t-on sur les trois scènes de crime l’ADN de l’écrivaine ? Ces exécutions ont-elles un lien avec son passé d’activiste en Colombie ? Devenue suspect numéro 1, elle parvient à s’évader du bureau du juge d’instruction et débute une cavale à travers toute l’Europe pour tenter de sauver les autres petits innocents.

Paris, Marseille, Gênes, La Haye, Lausanne, le Luxembourg, René Manzor ne compte pas les kilomètres et les rebondissements dans ce polar aussi mouvementé qu’une course-poursuite dans un blockbuster américain. Un sens de la mise en scène pour un écrivain qui n’a visiblement pas oublié qu’il a débuté en réalisant des films, dont le réputé Le passage avec Alain Delon.

« L’ombre des innocents » de René Manzor, Calmann-Lévy, 368 pages, 21,50 €

mercredi 10 juillet 2024

Cinéma - « Love Lies Bleeding » ou l’amour tout en muscles


Écrit et réalisé par Rose Glass, cinéaste anglaise qui signe son premier film américain, Love Lies Bleeding est une belle et impossible histoire d’amour. Un coup de foudre fatal, de ceux qui frappent aveuglément, et pas toujours dans les deux sens.

Lou (Kristen Stewart) gère une salle de musculation dans une petite ville de province perdue dans le désert. En plein dans les années 80, les bodybuilders transpirent sang et eau au son d’un disco très daté. Lou, chétive, timide, solitaire, fait son job sans passion. Sans doute car la salle appartient à son père Lou Sr (Ed Harris), magouilleur qui possède les trois-quart du bled. Quand Jackie (Katy O’Brian) débarque dans la salle pour s’entraîner, Lou flashe immédiatement pour cette fille tout en muscles, sourire ravageur, désespoir à fleur de peau. Jackie espère remporter un concours de culturisme à Las Vegas.

De simple amourette lesbienne dans des USA caricaturaux (normal, la réalisatrice est anglaise), le film va lentement dériver vers le thriller et le fantastique. Thriller car Jackie va céder à sa violence contenue contre le beau-frère violent de Lou, fantastique avec l’absorption de produits dopants, pour gonfler les muscles mais aussi décupler les sensations. Dans une obscurité très travaillée au niveau de la lumière, Love Lies Bleeding va confirmer toutes les certitudes de Lou. Les hommes sont des porcs, violents et malsains, Jackie est un peu folle, mais l’aime sincèrement, quitte à agir à la frontière de la légalité pour « arranger » les choses.

Un film militant, où chacun (chacune exactement) conserve son rôle. Lou subit les événements, Jackie les précipite. Un résumé valable pour tous les couples, hétéros comme homos.

Film de Rose Glass avec Kristen Stewart, Katy O’Brian, Jena Malone, Ed Harris

mardi 9 juillet 2024

En vidéo – “Cocorico”, franchouillard mais pas trop

 

Succès au cinéma (2 millions d’entrées), Cocorico, film de Julien Hervé qui vient de sortir en vidéo chez M6, est une comédie que les mauvaises langues pourraient qualifier de franchouillarde. En réalité elle parle de la France, son passé, son prestige… et ses origines métissées.

Alice et François vont se marier. La première est issue d’une riche famille aristocrate propriétaire d’un château et d’un vignoble dans le Bordelais, « un grand cru classé » fanfaronne le père, Christian Clavier. Le second est fils de concessionnaire auto. « Peugeot » précise son père (Didier Bourdon).

L’affrontement entre les deux pères apporte tout son sel à ce film qui joue avec les clichés. Car l’un comme l’autre ne sont pas si « français de souche » que cela. On rit sans difficulté et on espère même une suite.

lundi 8 juillet 2024

BD - Les premiers « sans dents » à la mode Rabaté

Les héros de Pascal Rabaté viennent tous de classes sociales très populaires. Limite quart monde parfois. Pour certains ce sont ces fameux « sans dents » qui ont tant coûté à la popularité d’un Président de la République, pourtant de gauche… Des « sans dents » que Pascal Rabaté mettra en scène dans un de ses films. Il n’en était pourtant pas à son coup d’essai. Au début des années 90, il a décliné en trois albums chez Vents d’Ouest, la vie mouvementée de la famille Visons.

Une trilogie qui avait pour titre Les pieds dedans et qui vient de ressortir en format poche et en noir et blanc pour un prix minime. Seul regret, le dessin de Rabaté à ses débuts, précis et très travaillé, n’est pas idéalement mis en valeur dans ce format un peu trop réduit. Reste le fond, et là rien n’a changé. On découvre avec un plaisir non dissimulé l’histoire de cette famille qui cherche par tous les moyens à s’en sortir, tout en en faisant le moins possible.

Des escrocs à la petite semaine, obligés de trouver des combines pour nourrir leurs quatre enfants en attendant que la mère Chartier, leur viager, accepte de casser sa pipe. Dans la première histoire, un héritage inespéré leur tombe dessus. Encore va-t-il falloir écarter le cousin qui lui aussi aimerait emménager dans le pavillon de banlieue pompeusement nommé « Mon rêve ».

Les deux autres histoires sont à l’avenant, avec son lot de magouilles typiquement françaises, comme transvaser dans le supermarché, à l’abri des regards des vigiles, le contenu d’un baril de lessive à bas prix avec des mets luxueux. Des « sans dents » avant l’heure. Et qui sont sans doute encore plus nombreux 30 ans plus tard.

« Les pieds dedans » (édition poche en noir et blanc), Vents d’Ouest, 144 pages, 10 €

dimanche 7 juillet 2024

BD - Carla, taxi ou psy ?

Jacques Lob, scénariste à qui l’on doit le Transperceneige ou les aventures de SuperDupont, a écrit pour les meilleurs dessinateurs du XXe siècle. Futuropolis exhume les cinq récits courts de Carla, jeune femme taxi de nuit dans une ville sombre, très sombre, dessinée par Edmond Baudoin.

Du noir et blanc donc, avec quelques touches de couleurs dans une histoire, où Baudoin retranscrit parfaitement cette noire ambiance et sinistre. Un peu comme les clients que Carla amène d’un point A vers un point B, d’une dépression à un profond désespoir.

« Carla », Futuropolis, 80 pages, 18 €

samedi 6 juillet 2024

BD - Félix Mogo, voyageur rêveur

 

Christian Cailleaux est un dessinateur qui aime voyager et faire partager ses découvertes dans ses créations. On pourrait penser qu’il y a un peu de lui dans le personnage de Félix Mogo. Une sorte de dandy, attiré par les tropiques, les civilisations exotiques et les jolies femmes.

Félix est au centre de quatre histoires parues il y a quelques années et introuvables depuis trop longtemps. C’est donc dans une intégrale très raffinée que vous pourrez le suivre dans ses tribulations en Afrique, aux USA ou en Inde. Sans compter les passages se déroulant à Paris, dans ce milieu intellectuel qu’il aime tant.

Félix cherche donc des trésors qui parfois n’existent pas. Des aventures aux tons très différents. Très urbain dans la première (cela se passe en partie à New York), plus marquée par le passé colonialiste français dans la troisième, carrément ethnographique dans la dernière, sorte de découverte de l’Inde en train. Il se permet également de changer de style.

Avec cependant une constante, une ambiance entre aventure immobile, poésie de l’ailleurs et quête de rencontre. Des voyages rêvés qui n’ont rien perdu de leur pouvoir de dépaysement

« Les tribulations de Félix Mogo », Glénat, 616 pages, 35 €

vendredi 5 juillet 2024

Cinéma - “Juliette au printemps” retrouve sa famille

Film tout en finesse que ce « Juliette au printemps » de Blandine Lenoir. Le portrait d’une famille foutraque, celle de Juliette, de sa mère artiste à la sœur adultère et au père rongé par un deuil. 

Adapté d’une BD de Camille Jourdy parue chez Actes Sud BD, Juliette au printemps, film de Blandine Lenoir, est idéal pour retisser des liens avec votre famille s’ils se sont un peu délités au fil du temps. La famille de Juliette est spéciale. Comme elle d’ailleurs. Juliette (Izïa Higelin), est dessinatrice. Elle illustre des livres pour enfants. A quitté la région mais en ce printemps, elle reprend le train et revient chez son père passer quelques jours. Pour se remettre d’une dépression avoue-t-elle d’entrée.

Léonard (Jean-Pierre Darroussin), le père, est un peu démuni face au blues de sa fille. Lui-même n’est pas au mieux de sa forme. Aigri, vivant seul dans son appartement depuis le départ de Nathalie (Noémie Lvovsky), il demande à Juliette de l’aider pour vider la maison de sa mère, Nona (Liliane Rovère).

Juliette qui va aller voir sa sœur aînée, Marylou (Sophie Guillemin), puis assister au vernissage de la nouvelle exposition de sa mère.

Une fois tous les membres de la famille présentés, Blandine Lenoir peut dérouler son intrigue. Rien d’exceptionnel. Juste la vie quotidienne des millions de familles françaises. Mais c’est tellement bien écrit, filmé et joué que l’on prend un plaisir étonnamment simple mais fort à partager les doutes, étonnements ou espoirs de Juliette. Son rôle est central, mais ce sont les personnages secondaires qui apportent tout son seul au film.

Notamment la sœur qui confirme le talent sans limite de Sophie Guillemin. Cette coiffeuse à domicile, mariée et mère de deux enfants, vit dans un stress permament. Toujours rabaissée par sa mère, elle ne trouve son salut qu’en prenant pour amant un gros nounours, patron d’un magasin de farces et attrapes, venant à ses rendez-vous galants déguisés en perroquet ou en fantôme.

Noémie Lvovsky, en mère fofolle, collectionneuse d’amants depuis son divorce, est une incroyable tornade. Pourtant il suffit d’un mot, d’un seul, pour qu’elle tombe dans une profonde mélancolie, comme si elle passait son temps à faire semblant.

Comme Jean-Pierre Darroussin qui fait semblant de la haïr alors qu’il est toujours follement amoureux d’elle et de ses excès. Pour couronner le tout, Juliette croise le chemin de Pollux, le locataire de Nona, grand cœur sensible qui va lui redonner un peu d’espoir grâce à un… caneton. Un film choral sans la moindre fausse note. Un bijou de résilience et d’optimisme à ne pas rater.

Film de Blandine Lenoir avec Izïa Higelin, Sophie Guillemin, Jean-Pierre Darroussin, Noémie Lvovsky, Salif Cissé, Liliane Rovère

 

jeudi 4 juillet 2024

Littérature française - Alain Guyard vous fait visiter sa cabane dans les Cévennes

Faux ermite, anachorète de pacotille, Alain Guyard a décidé de vivre seul dans une cabane perdue dans les Cévennes. Il raconte avec humour et philosophie cette expérience, comme pour nous dégoûter d’en faire autant.

Face au désastre menaçant, l’effondrement puis l’apocalypse à venir et d’une façon plus générale l’impossibilité de vivre avec ses semblables, certains sont tentés de retourner au berceau originel : vivre seul au fond des bois. Alain Guyard, écrivain français plus iconoclaste qu’iconique, a franchi le pas.

Heureux propriétaire d’un mazet cévenol ou cabane de berger en forêt, décide de raconter sa nouvelle vie au plus près de la nature. Qui sait, rencontrera-t-il le même succès que Thoreau ou plus récemment Sylvain Tesson ? A la différence près qu’Alain Guyard est un écrivain très terre à terre.

Et dès le second chapitre, il aborde un sujet toujours délaissé par les grands auteurs : mais où faire caca quand on n’a pas de WC dans sa maison ? Cela donne quelques pages hilarantes car on y sent (presque olfactivement) le vécu. On comprend dès lors que cet ouvrage n’est pas destiné aux doux rêveurs qui espèrent, un jour, s’affranchir des relations sociales en se retirant dans une forêt enchantée au milieu de grands arbres majestueux peuplés d’oiseaux aux chants harmonieux et d’animaux tous plus beaux et gracieux les uns que les autres.

Dans la réalité il fait froid l’hiver, humide en automne, trop chaud en été, les insectes piquent, le plus proche débit de boissons se trouve à plus de quatre kilomètres et enfin le premier voisin, à 3 kilomètres, est un berger qui semble un peu trop aimer son troupeau de chèvres. Cela n’empêche pas l’auteur de signer quelques jolies réflexions sur ces arbres qui composent son quotidien. « Les arbres ne sont pas des animaux, explique-t-il. Car ce sont des humains, comme nous. Seulement, ils sont un peu lents. Ils ne se pressent pas. Notre année est équivalente à une de leurs journées. Ils ont la semaine de quatre cents ans. Ils ne croient pas à la valeur travail. » Toujours à propos des arbres et de ces hommes qui les abattent avec une tronçonneuse : « Couper un arbre consiste en un apprentissage de la masculinité toxique et se résume à une expédition punitive contre un phallus plus gros que le sien. » Cachez ces troncs que je ne saurais voir…

Ce petit récit, illustré d’une dizaine de linogravures signées Michéa Jacobi, ne cache pas les ambivalences de l’auteur. D’un côté, il espère un beau succès pour renflouer son compte en banque, mais redoute de devenir un exemple comme certains littérateurs de la survie en milieu hostile. Il va donc étudier leur style, pour tenter de ne pas tomber dans leurs travers.

Cela donne cette critique, parfaitement lucide et juste mais assez suicidaire pour ce qui est de la reconnaissance par ses pairs : « Des accents décadentistes doivent tintinnabuler, ici et là, de page en page à l’oreille du public. Mais dans le même temps, il ne suffit pas d’être conservateur, car vous perdez toute chance de conquérir votre public qui demande des gages de bonne conduite émancipatrice. La solution consiste à délayer vos grognonneries de défenseur de l’ordre et de l’Ancien Régime dans des références gauchisantes. » Mais il faut garder à l’esprit que la notion de solitude reste essentielle. « La cabane est solitaire, et qu’elle le reste !, car des fédérations de cabanes solitaires feraient une ZAD, ce qui n’est jamais bon quand on préfère le velours côtelé de gentleman farmer au sarouel de circassien ardéchois. »

« Ma cabane sans peine » d’Alain Guyard, Le Dilettante, 224 pages, 19 €

mercredi 3 juillet 2024

Science-fiction - Sportifs du futur et « Olympiades truquées »

Tous dopés ! Et en plus ce sont des clones qui participent aux Jeux Olympiques de ce futur proche imaginé par Joëlle Wintrebert.

Paru dans une première version en 1980, puis remanié en grande partie en 1988, Les Olympiades truquées, roman d’anticipation de Joëlle Wintrebert, ressort dans la jolie collection « Les Poches du Diable » des éditions gardoises Au Diable Vauvert.

Devenue depuis une des autrices majeures du genre en France, Joëlle Wintrebert aborde de nombreux sujets devenus depuis centraux dans l’actualité quotidienne, de la problématique du genre en passant par la surveillance à outrance des adolescents. Il y est aussi question de dérèglement climatique puisqu’une partie de l’intrigue se déroule à Narbonne Plage, station balnéaire devenue fantôme depuis que la Méditerranée s’est transformée une mer empoisonnée.

Le père de Sphyrène, nageuse qui va participer aux prochains Jeux Olympiques, est un ancien viticulteur de la Clape. Il s’est reconverti dans le sauvetage de la mer et la culture de posidonies. « Lorsque la mer était calme, on pouvait voir dans sa transparence retrouvée les mulets, rascasses, blades et jusqu’aux minuscules cabassons réensemencés à partir des fermes marines frétiller autour des grandes feuilles de posidonies. »

La partie purement sportive du roman raconte comment des entraîneurs, aidés d’apprentis chimistes, mettent au point des produits pour décupler les forces des athlètes. Et terminé la sélection naturelle. Les meilleurs sont tous des clones de clones. Qui signent de juteux contrats pour dupliquer leurs gènes. « Footballeurs massifs et basketteurs à la carte, deux mètres vingt garantis. »

Mais comment trouver sa place dans la société quand on sait que l’on n’est pas véritablement humain ? C’est aussi ce qui pousse Maël, fille d’un psychologue, à fuguer. Elle a été clonée à partir des gènes de sa mère. Et le père espère ainsi faire passer, dans quelques années, Maël de fille à nouvelle épouse. Joëlle Wintrebert démontre brillament les dérives d’une société où l’homme semble perdre les dernières miettes de son Humanité.

« Les Olympiades truquées » de Joëlle Wintrebert, Au Diable Vauvert, 352 pages, 9,50 €

mardi 2 juillet 2024

Thriller - Coup de foudre mortel dans cette « killer romance » de Brynne Weaver

 Les assassins peuvent-ils tomber amoureux ? Ce roman de Brynne Weaver, entre thriller, histoire d’amour et littérature érotique, répond par l’affirmative. 


 

Ils sont beaux, jeunes, Américains et vivent à mille à l’heure. Sloane et Rowan ont tout pour être heureux. Si l’on oublie ce petit défaut qui fait toujours un peu tâche sur un CV : ce sont des serial-killers. Exactement des serial-justiciers-killers. Chacun de leur côté, depuis des années, ils chassent les monstres qui humilient, torturent et tuent par plaisir. Une œuvre de salubrité publique.

Même s’ils avouent prendre beaucoup de plaisir en exterminant cette vermine. Rowan, surnommé Butcher, aime découper les chairs à vif. Sans doute à cause de sa couverture dans le civil : cuisinier d’un restaurant gastronomique.

Sloane répond au surnom de l’Orbitèle car elle signe ses forfaits en retirant proprement un des deux yeux de la victime. Meurtrière mais elle cache bien son jeu, Rowan constatant qu’« en une seconde, elle est passée de beauté sexy à tueuse à la volonté de fer, maléfique et implacable. »

Deux personnages hauts en couleur imaginés par Brynne Weaver, jeune autrice canadienne qui a fait ses débuts en autoédition sur le net. Son premier roman, Butcher et Blackbird, sort en France sous le label Verso, nouvelle collection des éditions du Seuil, consacrée aux littératures de genre. Un roman « pour public averti » car si le fil rouge est la naissance de ce bel amour entre Sloane et Rowan, les scènes sanglantes sont légion et les passages romantiques, deviennent érotiques au début avant de se transformer en textes très explicites. Chauds certes, mais beaucoup plus talentueux que les horreurs pondues dans certains romans de politiques en mal de dévergondage.

Les deux tueurs, avant de tester une myriade de positions, se la jouent très romantique : « Rowan croise mon regard. Ses mains réchauffent mes joues. Nous sommes à un souffle l’un de l’autre, et je sais que tout changera quand ses lèvres toucheront les miennes. » Un couple dont on tombe carrément amoureux si on n’est pas rebuté par quelques litres de sang, les tripes et autres tronçonneuses détournées de leur première utilité.

Une suite est annoncée en octobre, mais avec un autre couple dont Lark, chanteuse rock, meilleure amie de Sloane et elle aussi légèrement détraquée dans ses rapports avec les « méchants ».


« Butcher et Blackbird » de Brynne Weaver, Verso - Seuil, 384 pages, 19,90 €

lundi 1 juillet 2024

Un roman jeunesse : L’homme aux cerfs-volants

 

Nouvelle aventure un peu particulière du petit voleur d’ombres, personnage imaginé par Marc Levy et dessiné par Fred Bernard. Le petit garçon, à la demande des ombres, va devoir retrouver un souvenir. Celui qui l’a perdu est commerçant.

Dans cette station balnéaire où il passe ses vacances en compagnie de sa maman, le jeune garçon va aller à la rencontre de ce vendeur de cerfs-volants. Mais quel est ce souvenir ? Et à quoi ça ressemble ? Aidé de Cléa, sa nouvelle meilleure amie, sourde et muette, le petit héros va mener l’enquête.

Un petit roman plein de tendresse et d’émotion pour ceux qui savent encore s’émerveiller des petits bonheurs simples.

« L’homme aux cerfs-volants », Robert Laffont, 88 pages, 8,90 €