samedi 17 février 2024

BD - Jungle Book : Une femme dans la meute



Il y a du Livre de la jungle dans ce Jungle book, premier album d’une jeune autrice, Anne Quenton. Après avoir travaillé dans l’animation, elle est revenue à sa première passion, la BD, et propose une version moderne et très modifiée du chef-d’œuvre de Kipling.

Dans un futur proche, une mutation a touché les animaux. Ils se sont humanisés. Désormais ils marchent debout, ont des mains, ont des sentiments et pensent. Une évolution sans doute due aux expériences ratées de quelques savants fous. Conséquence, loups, tigres, ours et autres animaux prédateurs ont compris combien les hommes étaient néfastes pour le monde. Une féroce chasse est enclenchée. Résultat, il n’en reste plus beaucoup sur la planète. Une nuit, une famille de loups sauve des griffes de la bande de Shere Khan, le tigre, un bébé humain de sexe féminin. Ils vont l’élever comme si elle faisait partie de leur portée.

La jeune Mowgli va vivre en sécurité, protégée par ses parents mais aussi ses deux frères. Certes ils la taquinent sur son absence de poils, mais feraient tout pour elle. Quand Shere Khan est de retour une quinzaine d’années plus tard, la vie de Mowgli bascule, la quiétude de son foyer explose. Un album remarquable, tant sur le fond que sur la forme. En inversant les rôles (les animaux sont devenus les dominants), Anne Quenton nous fait comprendre combien notre violence envers les bêtes, toutes les bêtes, est insupportable. Quant aux dessins, en couleurs directes, très doux à l’œil, ils donnent une force supplémentaire à cette histoire universelle entre chasseurs et potentielles proies.

« Jungle Book » (tome1), Dupuis, 64 pages, 14,50 €


vendredi 16 février 2024

BD - Loups affamés dans le 4e tome de World War Wolves



La fin du monde, du moins celui dans lequel on vit actuellement, pourrait prendre la forme décrite par le scénariste Jean-Luc Istin dans sa série World war wolves.

Dans un futur proche (encore une fois), aux USA, des humains se transforment en lycanthropes, plus connus sous le nom de loups-garous. Un phénomène qui se propage comme une épidémie car il suffit qu’être mordu une fois pour rejoindre la meute. Rapidement, l’anarchie et le chaos règnent dans les différents états. La police est contaminée, de même que le FBI. Il existe pourtant quelques poches de résistances comme la ville de Las Cruces. C’est là, derrière de solides remparts, que John Marshall, écrivain, a trouvé refuge en compagnie de sa famille.


Dans le 4e tome, désormais dessiné par Radivojevic, des milliers de loups affamés prennent la ville d’assaut. Les combats font rage. On suit aussi, en parallèle, le périple de Malcom Spoding, un bricoleur de génie qui survit avec une relative facilité dans ce monde en décomposition. Sauf quand il tombe sur une bande de cannibales…

Très violente, cette série, à la mode comics US, propose aussi son lot de fantastique optimiste avec un rêve récurrent aux différents protagonistes humains. Ils y voient un vieil Indien leur demandant de rejoindre un lieu mystique dans l’Arizona. Le bout du chemin et du combat ?

 « World war wolves » (tome 4), Soleil, 104 pages, 15,50 € 

jeudi 15 février 2024

Cinéma - “One love” : Bob Marley, l’amour et le reggae

Sa musique a fait vibrer la terre entière. Le film retraçant une partie de la vie de Bob Marley est une ode à l’amour et la paix. 


Un monument. Bob Marley fait partie de ces rares artistes connus par l’immense majorité des habitants de cette planète, quels que soient leur âge et leur origine. Le musicien jamaïcain, plus de 40 ans après sa mort, est le héros du biopic signé Reinaldo Marcus Green (La méthode Williams). Pour interpréter le roi du reggae, le choix s’est porté sur Kingsley Ben-Adir déjà remarqué pour son rôle de Malcom X dans le film multiprimé One Night in Miami de Regina King. Avec Bob Marley : One Love, le registre est tout autre. Même si la violence n’est pas exempte de sa courte existence.


Le réalisateur a voulu centrer son récit sur l’attentat du 3 décembre 1976. Alors qu’il répète avec son groupe les Wailers, des hommes armés font irruption dans le studio. Bob Marley est blessé au bras. Sa femme Rita à la tête. Un de ses musiciens est gravement touché. À l’époque, la Jamaïque était au bord de la guerre civile. Bob, en pacifiste convaincu, voulait organiser un concert pour la concorde. Une idée qui dérangeait. Face au danger, il met sa famille à l’abri aux USA et rejoint Londres pour se remettre au travail en studio. Quelques mois plus tard sort Exodus, disque phénomène qui bat des records de vente. La légende de Bob Marley débute véritablement.

Kingsley Ben-Adir dans les habits de la star

Loin du biopic linéaire et plat, le film de Reinaldo Marcus Green permet au spectateur de comprendre l’homme derrière la star. D’où il vient, son problème provoqué par l’absence de son père, sa jalousie presque maladive, sa foi immense, sa naïveté aussi parfois.

Toute une palette d’émotions confiée à Kingsley Ben-Adir, véritable révélation du film. Il a endossé le costume du rasta avec un naturel étonnant. Même démarche et surtout présence sur scène déconcertante. Car en reconstituant quelques sets d’anthologie, le réalisateur a donné l’occasion au jeune comédien anglo-marocain de littéralement faire revivre cette légende de la musique cool. Le voir en transe sur scène donne une folle envie de se replonger dans cet univers.

Le reggae est très présent à l’écran, des premiers morceaux, moins connus, aux titres les plus emblématiques dont le fameux One love qui donne son titre au film. Alors si vous aimez danser sur du Bob Marley, si vous voulez découvrir ce phénomène du XXe siècle ou si vous vous intéressez à cet apôtre de la paix qui manque tant en ces temps si violents, courrez voir Bob Marley : One Love.

Film de Reinaldo Marcus Green avec Kingsley Ben-Adir, Lashana Lynch

 

Quand les montagnes accordaient l'asile aux étrangers

 


André Houot aime sa Drôme natale. Un pays d'histoire, de montages et de monstres légendaires. Sa dernière BD publiée, Asile ! aux éditions Glénat, propose un grand saut dans le passé. 

En 1483, alors que la guerre entre Chrétiens et musulmans fait rage en terre sainte, Djem, le fils d'un prince ottoman est accueilli avec les honneurs au château de Rochechinard. En réalité, si le maître des lieux explique qu'il lui offre l'asile, dans les faits il est prisonnier, valeur marchande essentielle pour une guerre diplomatique parallèle aux batailles et tentatives de conquêtes. 

Dans cette forteresse perchée au sommet d'un pic rocheux, Djem déprime. Jusqu'au jour où il croise le regard de Philippine, la fille d'un seigneur voisin. Une impossible histoire d'amour dans cette France peu tolérante. 

Les dessins, hyper-réalistes, sont un exemple pour les illustrateurs désireux d'aborder la BD historique. Le fond de l'histoire est véridique et pour bonifier le tout, André Houot reprend la légende de géants monstrueux vivant au coeur des montagnes. L'ensemble est distrayant et dépaysant.

"Asile !" d'André Houot, Glénat, 48 pages, 14,50 €

mercredi 14 février 2024

Cinéma - Une seconde “Maison de retraite” tout aussi désopilante

 


Il n’est jamais facile d’imaginer une bonne suite à un film qui est plébiscité par le public. Sorti il y a deux ans, Maison de retraite avec Kev Adams a attiré plus de 2 millions de spectateurs. Une suite a donc rapidement été lancée. Avec toujours l’humoriste au scénario, mais un nouveau réalisateur, Claude Zidi Jr.

Côté casting, la palette s’agrandit. Arrivent dans la bande des « vieux » Jean Reno, Amanda Lear, Chantal Ladesou, Enrico Macias et Michel Jonasz. Les fans du premier volet retrouvent, en pleine forme, Daniel Prévost, Firmine Richard et Liliane Rovère. Manquent à l’appel Mylène Demongeot (décédée avant le tournage) et Marthe Villalonga (même si la doyenne des pieds-noirs fait une petite surprise en fin de film).

Il y a deux ans, tout se terminait bien pour les anciens et les orphelins réunis par Milann (Kev Adams). Dans la suite, le rêve vire au cauchemar quand l’administration inspecte les locaux. Rien n’est aux normes. Travaux obligatoires. Au lieu de fermer, Milann transfère tout le monde dans une autre maison de retraite, au bord de la Méditerranée, très classe. Problème, les premiers pensionnaires ne veulent pas de ces nouvelles têtes.

Loin de se contenter de cette petite guerre entre anciens, abondamment vendue dans la bande-annonce, le film, tout en restant très comique, joue sur plusieurs cordes. Un peu de romance, du social (avec dénonciation des grosses sociétés qui font du fric sur le dos de nos aînés) et quasiment du polar d’action pour un final explosif. Encore une excellente comédie pour le cinéma français qui reprend des couleurs en ce début d’année. 


"One love" au cinéma : l'interprète de Bob Marley vous livre son secret pour danser comme le roi du reggae

Remarquable interprète de Bob Marley dans le biopic qui sort le 14 février au cinéma, Kingsley Ben-Adir dévoile sa technique pour danser comme le chanteur de reggae sur scène. 



Sortie événement de ce début d'année au cinéma, le biopic de Bob Marley retrace une partie de sa carrière phénoménale. Le film de Reinaldo Marcus Green, Bob Marley : One love, raconte l'ascension du chanteur de reggae et reconstitue de nombreux concerts du grand de la musique jamaïcaine.

En visionnant le film, on est frappé par le mimétisme entre le jeune comédien et le chanteur mort en 1981. Il a avoué lors d'une rencontre avec la presse le lendemain de l'avant-première parisienne du film au Grand Rex qu'il a beaucoup travaillé pour danser comme Bob Marley.



"J'ai beaucoup regardé les enregistrements des concerts. Mais avant de comprendre comment Bob dansait, il fallait que je comprenne comment moi je bougeais." Avec un humour étonnant, il mime alors sa façon, très désordonnée de bouger en fonction du rythme. Et dans la foulée, ferme les yeux et danse quelques secondes comme Bob Marley, avec grâce et décontraction.


"J'ai compris qu’en fait Bob Marley commençait toujours par bouger comme s'il était dans une petite boite. Et puis d'un coup la boîte disparaît, il tend les bras vers le public. Et tout en faisant du surplace, il réintègre la boîte." Durant quelques secondes, les personnes présentes dans la salle ont pris conscience de toute la technique mise en œuvre par Kingsley Ben-Adir pour habiter le personnage. 

Et pour retrouver la danse, presque la transe, de Bob Marley, ainsi que son histoire mouvementée entre Jamaïque et Angleterre, c'est au cinéma à partir de ce mercredi 14 février.

 

mardi 13 février 2024

Une biographie en BD - Missak Manouchian

 


Le 21 février prochain, Missak Manouchian entrera au Panthéon en compagnie de son épouse, Mélinée. Ce grand résistant, oublié car étranger, était au centre de l’Affiche rouge. Arménien, engagé pour la France, sa vie est racontée dans une BD écrite par Didier Daeninckx et mise en images par Mako.

De l’assassinat de ses parents en 1915 par les Turcs à son exécution (fusillé par l’armée allemande au Mont-Valérien) le 21 février 1944, c’est la vie chaotique de tous ces immigrés, main-d’œuvre bienvenue dans un premier temps, puis ennemis de la France quand l’extrême-droite est arrivée au pouvoir.

Un dossier pédagogique permet de mieux appréhender le rôle prépondérant du gouvernement de Vichy dans la déportation des Juifs et la traque des résistants.

« Missak Manouchian, une vie héroïque », Les Arènes BD, 120 pages, 22 €

lundi 12 février 2024

Une biographie - Audrey Hepburn dessinée

 


Sous-titrée «Un ange aux yeux de faon», cette biographie dessinée d’Audrey Hepburn retrace toute la vie d’une actrice qui a marqué le XXe siècle.

Jean-Luc Cornette (scénario) et Agnese Innocente (dessin) retracent son parcours, de sa naissance en Belgique à ses actions humanitaires pour l’Unicef.

« Audrey Hepburn », Glénat, 168 pages, Glénat, 22 €

dimanche 11 février 2024

Un album jeunesse - L’ours qui n’aimait pas hiberner

 


Pauline Roland, la dessinatrice de Port-la Nouvelle, est de retour dans la collection qu’elle a lancé avec Séverine de la Croix. Elle nous présente Edgar, L’ours qui n’aimait pas hiberner. Un nouveau personnage adorable, bien grognon et à qui il arrive une quantité incroyable d’aventures.

Car Edgar n’aime pas hiberner. Alors pour rendre ce long sommeil plus agréable, il cherche la bonne tanière. Une grotte, un trou, au sommet d’un arbre ou dans un hôtel, il aura toutes les peines du monde pour trouver l’endroit qui lui convient.

Un album jeunesse à lire aux plus petits avant qu’ils n’hibernent eux aussi, mais juste pour la nuit.

« L’ours qui n’aimait pas hiberner », Jungle Splash, 40 pages, 8,95 €

samedi 10 février 2024

BD - Jean Van Hamme : dernières précisions sur XIII et nouvelles illustrées

Jean Van Hamme est un grand scénariste. Presque à la retraite, 85 ans, il signe pourtant un XIII Mystery très attendu par les fans et un recueil de nouvelles cruelles. Et ses personnages continuent d’exister comme Jones sous la plume de Yann et TaDuc. 


Traquenards et sentiments pour XIII


Jean Van Hamme a porté beaucoup de soin à tricoter avec cohérence la saga de XIII. Des albums aux multiples rebondissements qui ont permis à William Vance d’obtenir cette reconnaissance méritée. Les fans, par millions, se sont passionnés pour cette quête d’identité sur fond de complot mondial et d’espionnage. Et certains regrettaient les rares lacunes dans le récit. Des petits trous noirs qui sont désormais en partie comblés.


Jean Van Hamme a accepté de reprendre sa copie et d’imaginer des récits courts pour éclairer les zones d’ombre ou résoudre de petits mystères. Ce 14e album de la série XIII Mystery est l’œuvre de plusieurs dessinateurs. Un collectif au générique prestigieux. La séquence d’ouverture est de Jigounov, le repreneur de la série principale. On retrouve ensuite Joël Callède, Philippe Xavier (pour un retour au Costa Verde avec Maria et El Cascador), Henriet lève le voile sur la jeunesse de Lullaby et sa première rencontre avec Jones, Jones essentielle dans la survie de XIII, histoire dessinée par Gontran Toussaint.

Enfin Mikaël revient sur l’histoire d’amour entre Betty et le duc Armand de Préseau. L’ensemble ne vaut pas un véritable album de XIII mais donne furieusement envie de lire ou relire la saga.

En bonus, quelques auteurs donnent leur version de l’univers, de Boucq à Bertail en passant par Colin Wilson, Ayumu Minegishi, Guérineau ou le Catalan Jordi Lafebre.

Jean Van Hamme dans le texte


Avant d’être le scénariste connu, Jean Van Hamme a écrit des romans. C’est là qu’est né Largo Winch. Un écrivain prolifique qui aimait les nouvelles. Noires et cruelles. Ce sont quelques-uns de ces textes oubliés qu’il a proposé à quelques dessinateurs d’adapter en BD.

Un recueil donnant une autre image de Van Hamme. Moins épique et héroïque, plus malicieuse et intimiste. Comme cette première histoire dessinée par Aimée de Jongh. Un romancier, vit de sa plume depuis des années. Il fait dans le polar gore. Il écrit, donne le manuscrit à sa femme qui le tape à la machine. Il ne se relit jamais. Encore moins une fois imprimé. Une seule chose importe, la nouvelle histoire. Cela dure des années et puis un jour il découvre une vérité qui l’ébranle. Il faut toujours se méfier de son entourage.

Ce condensé du talent de Van Hamme est magnifié par Bazin, Bertail, Efa, Durieux, Munuera, et Djief. Des histoires à picorer au gré de ses humeurs.

Jones vole de ses propres ailes


De la saga de Jones, plusieurs personnages secondaires ont émergé au fil du temps. Cela a donné l’occasion à des auteurs d’imaginer la vie d’avant de ces figures imaginées par Van Hamme et Vance. On a eu droit à la Mangouste, au colonel Amos ou Betty Barnowsky dans la collection XIII Mystery.

Jones, la belle amoureuse de l’intrépide XIII a droit à une trilogie. Écrite par Yann (décidément roi de la reprise après Spirou et Thorgal) et dessinée par TaDuc, l’enfance de Jones la montre SDF dans le ghetto de Chicago, recrue de l’US Navy et surtout sœur de Marcus, militant pour les droits des minorités. Ce dernier, dénoncé par sa petite sœur alors qu’il fomentait un attentat, est prisonnier depuis une dizaine d’années. Il parvient à s’échapper avec deux militants de la cause indienne.

Avec eux, il va défier le gouvernement américain. Un sacré dilemme pour la jeune Jones, fougueuse, impétueuse, experte en maniement des armes à feu mais encore trop fleur bleue.

Le premier tome de cette trilogie, en plus de mettre en avant une des figures les plus appréciées de la série, permet à Yann d’aborder plusieurs sujets très politiques, de la lutte armée des minorités aux USA en passant par les dégâts psychiques chez les vétérans du Vietnam.

« XIII Mystery » (tome 14), Dargaud, 64 pages, 13,95 €

« Miséricorde », Dupuis, 96 pages, 16,95 €

« XIII trilogy, Jones » (tome 1), Dargaud, 48 pages, 13 €

vendredi 9 février 2024

Des lettres - Manie épistolaire de Cioran

 


Philosophe du désespoir, Cioran a marqué la pensée du XXe siècle. L’essentiel de son œuvre a té regroupé dans un volume de la pléiade, mais il manquait le volet épistolaire de ses écrits.

Nicolas Cavaillès s’est chargé de sélectionner quelques missives pour mieux comprendre l’évolution de la pensée de Cioran, entre ses 19 et 79 ans. On retrouve dans ces lettres envoyées à sa famille, Jean Paulhan, François Mauriac ou la « Tzigane », son dernier amour, ces fulgurances. Comme cette constatation à un compatriote qui désire rejoindre la France en 1989 : « Paris est l’endroit idéal pour rater sa vie. C’est ce que je fais avec succès depuis cinquante et un ans. »

« Manie épistolaire » de Cioran, Gallimard, 320 pages, 21 €

jeudi 8 février 2024

Roman noir - La chasse au « Chevreuil » vire au massacre avec Sébastien Gendron

 Saint-Piéjac, petit village français : ses chasseurs, sa boulangerie, sa majorité d’extrême-droite et… Connor Digby, son citoyen britannique. Avec Marceline, rousse volcanique et nymphomane, ils vont presque raser la localité. 




Sébastien Gendron a peut-être forcé le trait, mais les caricatures qui déambulent dans son roman Chevreuil sont pourtant très proches de la réalité. L’action a pour cadre Saint-Piéjac, bourgade de province, 2000 âmes, un vote majoritairement d’extrême-droite, une désertification rampante et des chasseurs.

Beaucoup de chasseurs. 99 % de la population mâle rêve de dézinguer Il Duce, un magnifique chevreuil, roi des forêts environnantes. Le 1 % restant c’est Connor Digby, citoyen britannique, propriétaire d’une jolie maison au centre du village. Cet écrivain est connu dans le monde entier grâce aux aventures de sa petite fourmi, Grant. Adulé dans le monde, détesté à Saint-Piéjac. Un vieux contentieux.

Connor, la cinquantaine, grand et célibataire, voit débouler dans sa vie Marceline, épouse battue en fuite. Une sacrée femme : « Elle n’est pas très grande. Elle a les cheveux frisés. Elle a des taches de rousseur partout où il peut y en avoir. […] Elle place la bouteille entre ses cuisses, ploie les genoux et tire comme une possédée. Dans cette position, on voit ses seins jusqu’aux bonnets. Ils sont serrés l’un contre l’autre et tremblent alors qu’elle force. » Comme il fait très chaud à Saint-Piéjac, ils se retrouvent rapidement en petite tenue et copulent sans trop se poser de questions. Car aussi improbable que cela soit, Connor et Marceline se sont trouvés.

Le roman peut continuer sa trajectoire sur les chapeaux de roues. Car la vie de Connor est plus compliquée qu’il n’y paraît. Pour Marceline c’est une évidence. Parmi les ennemis de l’Anglais, un marquis qui trafique dans les voitures d’importation, un ancien conseiller municipal présentement en prison après avoir été dénoncé par Connor… Même l’apprenti boulanger lui en veut.

Ils devront aussi affronter les foudres de Férignot, chasseur alcoolique. Marceline a fait fuir Il Duce en klaxonnant… « Férignot est rouge. On dirait que son gilet de sécurité se reflète sur son visage, mais non, c’est la rage. Il est en nage. Il a couru sur cinq cents mètres, dans sa tenue de combat, avec sa Remington de cinq kilos en bandoulière, sa besace pleine d’un faisan et d’un litre de floc de Gascogne, sans compter ses propres cent trente kilos de viande fortement persillée. » Ces personnages secondaires sont nombreux et tous très originaux.

A Saint-Piéjac, gravitent aussi dans l’entourage de Connor un retraité voyeur, délateur et admirateur de Zemmour, un éleveur de cochon paranoïaque, un directeur de cirque aux abois et même une employée municipale souffrant du syndrome de la Tourette et chargée de détruire les mauvaises herbes en les carbonisant avec son Manuflam.

Mais cette dernière est un peu spéciale. Pas vraiment malade et aussi narratrice du roman, théâtre d’un véritable massacre qui fera sensiblement chuter le poids démographique du gros bourg aux prochaines élections cantonales. Un roman noir et rural sans tabou ni limite.


« Chevreuil », Sébastien Gendron, La Noire, Gallimard, 342 pages, 20 €

Thriller - « L’araignée », tueuse aveuglée par la vengeance

 Les deux héros policiers imaginés par Lars Kepler, Saga Bauer et Joona Linna affrontent un serial killer insaisissable : une femme qui se prend pour une araignée. 


La littérature de genre nordique est souvent très explicite. La violence y est décrite sans fioritures. C’est un peu la marque de fabrique de Lars Kepler, pseudonyme d’un couple d’écrivains, Alexander et Alexandra Ahndoril. Cette nouvelle enquête de Saga Bauer et Joona Lima mettra à rude épreuve les nerfs des plus sensibles.

Les deux policiers, toujours sur la brèche, de plus en plus torturés, voient leur entourage littéralement décimé. Des policiers haut placés sont enlevés puis assassinés dans des conditions horribles. Voilà dans quel état ils retrouvent le corps de Margot Silverman, directrice de la police suédoise : dans un « long paquet posé à terre composé de draps et de plastique, entouré d’une ficelle. […] Après avoir fait une profonde incision dans la partie la plus épaisse, par l’ouverture, une bouillie grise striée d’un rouge marron s’écoule dans l’herbe. Une odeur chimique piquante les fait reculer. Lorsque la substance visqueuse s’est répandue sur le sol, un pied à moitié dissous apparaît dans l’herbe au milieu de la gelée brunâtre. » Plongé dans un cocon hermétique, le corps est dissous dans de l’acide. Exactement comme le font les araignées pour leurs proies.

Saga est au centre de l’affaire car le tueur, une tueuse qui se prend pour une araignée, lui envoie des indices avant les meurtres. La dernière victime sera Joona. Et seule Saga pourra le sauver. Une intrigue complexe, très variée, qui montre toutes les failles de ce duo depuis trop longtemps au plus proche des tueurs les plus démoniaques.

Et une figure revient régulièrement : le sinistre Jurek Walter (voir Le chasseur de lapins et Lazare), éliminé par Joona. L’araignée est-elle une disciple ? A moins que les raisons de ce déferlement de violence soient plus complexes et à base de vengeance. Un thriller qui vous emmène loin sur les rives d’un esprit torturé.

« L’araignée » de Lars Kepler, Actes Sud, 512 pages, 24,50 €

mercredi 7 février 2024

Cinéma - “Daaaaaalí”, cinq acteurs pour un artiste unique

 Comment rater un film sur Salvador Dalí ? Ce n’est pas une appréciation du long-métrage de Quentin Dupieux, mais le fil rouge de cette histoire très surréaliste. 


Un film sur Dalí ? Quasiment un rêve prémonitoire pour Quentin Dupieux. Réalisateur français prolifique qui multiplie les films comme Jésus les petits pains, il s’attaque au phénomène Dalí. Mais pas question de se lancer dans à un bête biopic linéaire. De toute manière, ce ne sont pas les toiles de Dalí qui intéressent le réalisateur mais sa personnalité.

Un film sur un film impossible à réaliser. Avec un parti pris, géniale intuition, de confier le rôle du génie catalan à plusieurs comédiens français. Ils sont cinq au total à endosser une chemise ridicule et les moustaches caractéristiques. Édouard Baer, Jonathan Cohen, Gilles Lellouche et Pio Marmaï se relaient, sans la moindre continuité. Se rajoute au quatuor Didier Flamand, interprète de Dalí âgé, cheveux blancs, baratine et chaise roulante. Cinq interprètes pour un génie du XXe siècle.

Pour expliquer le phénomène Dalí, Quentin Dupieux suit le parcours de Judith (Anaïs Demoustier), jeune journaliste, passée par la case pharmacienne (ou boulangère, on a un doute au final), si contente de décrocher un premier entretien d’une heure avec le maître. Mais ça ne se passe pas comme prévu. Sans caméra pour le filmer, Dalí interrompt l’interview au bout de 15 secondes.


Elle retente sa chance avec une équipe cinéma et un producteur prêt à gaspiller beaucoup d’argent. Elle se rend chez Dalí, à Portlligat, mais une nouvelle fois, tout foire. Un fil rouge doublé de scènes de la vie du peintre, au travail, chez lui avec Gala, ou en représentation chez des notables, dont un curé qui tente de lui vendre un rêve. Le film va alors se transformer en énigme temporelle, le rêve ne s’arrêtant jamais. Comme deux histoires qui se mordent la queue et empêchent toute logique narrative.

Dès lors, le spectateur se retrouve dans une multitude de réalités, toutes plus délirantes les unes que les autres. Judith se demande si elle arrivera un jour à commencer ce fichu film, Dalí se désespérant de ce rêve, le plus long et le plus ennuyeux du monde. Daaaaaalí !, film gigogne, ne donne pas de clés pour comprendre l’œuvre du peintre, mais offre aux amateurs de nombreux clins d’œil à une époque révolue : quand les artistes étaient adulés, reconnus. Même les plus fous.

Film de Quentin Dupieux avec Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, Édouard Baer, Jonathan Cohen, Pio Marmaï, Didier Flamand, Romain Duris

 

Cinéma - Ayez peur de “La bête”


Comment, à partir d’un roman datant du début du XXe siècle, aborder avec intelligence le phénomène des intelligences artificielles ? Un sacré challenge relevé par Bertrand Bonello dans La bête. Du texte original de Henry James, il n’a conservé que le sentiment diffus de peur. Et des dialogues de la partie se situant en 1910. Le reste navigue entre film d’anticipation, comment résister face à la déshumanisation de la société en 2044 face à l’omniprésence des intelligences artificielles et quasi reportage sur la vie d’une apprentie comédienne à Los Angeles en 2014.

Trois époques, trois films imbriqués les uns dans les autres, avec deux comédiens pour les mêmes personnages, Gabrielle (Léa Seydoux) et Louis (Georges McKay). L’idée principale du roman d’origine est l’attente par un couple d’une catastrophe imminente. L’attente. Dans la peur.

En 1910, elle intervient assez rapidement dans l’usine de fabrique de poupées du mari de Gabrielle alors que Paris est inondé après le débordement de la Seine. La partie la plus intrigante reste celle traitant de notre futur proche. Gabrielle tente de changer de travail. Mais elle a trop d’affect. Pour évoluer, elle doit être reformatée, que son ADN soit lissé, qu’elle oublie toutes ses vies d’avant.

La critique de l’émergence des intelligences artificielles est vigoureuse. Car la technique ne leur permet pas de devenir humaines. Par contre, une fois aux commandes, elles pourraient nous contraindre à gommer notre humanité. Et la perte de l’amour, de l’empathie, de toute sensibilité devient dès lors cette bête qui nous menace, tapie dans la jungle du futur.

Un film ambitieux, labyrinthique et angoissant. Un thriller d’anticipation, même si on a parfois l’impression d’avoir déjà les deux pieds dedans.

Film de Bertrand Bonello avec Léa Seydoux, George MacKay


mercredi 31 janvier 2024

Cinéma - « La zone d’intérêt » montre l’horreur bucolique

 A quelques mètres des fours d’Auschwitz, sollicités à outrance, une famille profite d’une existence bucolique. Jonathan Glazer filme un certain paradis aux portes de l’enfer. 



Au lendemain de la diffusion sur France 2 de Shoah (disponible en replay), film documentaire aux images édifiantes de Claude Lanzmann, la sortie en salles de La zone d’intérêt de Jonathan Glazer prouve qu’il existe plusieurs façons pour dénoncer l’abomination des crimes nazis. Présenté à Cannes en compétition officielle (récompensé du Grand Prix), ce film prend le parti de raconter le quotidien du camp d’extermination d’Auschwitz du point de vue des tortionnaires.

C’est l’été. Une famille bronze et se baigne dans un lac en Pologne. Petites filles blondes qui ramassent des mures, jeunes hommes musclés, épanouis. Quand ils rentrent chez eux, on devine au loin des miradors, des barbelés au sommet des murs et de grosses cheminées qui crachent de la fumée noire. La petite famille exemplaire est celle de Rudolf Höss (Christian Friedel), le commandant du camp d’Auschwitz.

Petit paradis aux portes de l’enfer

Avec sa femme Hedwig (Sandra Hüller), ils ont transformé leur maison en petit paradis. Chambres spacieuses, chauffage central, grand jardin avec piscine, potager et quantité de fleurs. Même de la vigne au fond du terrain. Mais surtout, pour cacher les premiers baraquements du camp. Un camp qu’on ne voit jamais à l’écran. Par contre, on entend tout ce qu’il s’y passe.

Comme l’a expliqué le réalisateur, la bande-son, sorte de parasite auditif à la limite du soutenable, est un film dans le film. Pendant que Hedwig se prélasse au soleil dans son jardin, des rafales d’armes automatiques font régner l’ordre de l’autre côté. Elle essaie un manteau de fourrure volé à une déportée qui, si ça se trouve, est cette femme qui hurle sous la torture. Certes la mère et ses enfants ne voient pas les horreurs à l’intérieur du camp, mais ils ne peuvent ignorer ce qui s’y trame. Comment dès lors arriver à vivre dans ces conditions ? Pourtant, jamais ils ne se rebelleront, ne feront le moindre geste vers les condamnés. Ils profitent du système, de la mort planifiée. A ces images ensoleillées, presque jolies et bucoliques, s’opposent les sons mais aussi la musique, omniprésente. Elle donne parfois l’impression que ce ne sont pas des instruments qui jouent mais que le compositeur, Mica Levi, a mixé les millions de hurlements des Juifs assassinés à Auschwitz.

On ne sort pas indemne de La zone d’intérêt. Mais c’est toujours le cas quand le cinéma raconte, montre ou dénonce, cette solution finale pourtant toujours remise en cause au XXIe siècle par des négationnistes.

Film de Jonathan Glazer avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Johann Karthaus
 

Bande dessinée - Lewis Trondheim ou Didier Tronchet : ils racontent leur vie sur du papier

L’autofiction peut aussi se décliner en BD. C’est plus rare et beaucoup plus marrant que du Christine Angot quand c’est Lewis Trondheim ou Didier Tronchet qui se racontent. 

Les chemins de traverse de Trondheim


Cela faisait quelques années que Lewis Trondheim n’avait pas publié de recueil de ses « Petits riens ». Des planches, souvent faites sur le vif, où il raconte des anecdotes tirées de sa vie, de ses voyages, de la Corse à la Californie en passant par le Japon ou le Golfe persique.

Dans cette 9e livraison, il explique ce que sont les chemins de désir, ces traces faites par les piétons qui prennent des raccourcis. Il en fait même le titre, comme pour nous persuader de faire attention à ces traces du quotidien que l’on a tendance à ignorer, trop occupés par d’autres futilités ou pire le nez collé à notre smartphone.

Le créateur de Lapinot, dans un salutaire exercice d’autodérision, ne cache rien de ses manies. Ses angoisses existentielles qui lui pourrissent la vie, partout et sans raison. On notera toute une série de gags autour des toilettes. Comme ce grand ratage, à la fin d’un vol long-courrier. Il laisse sa femme, Brigitte, attendre les valises alors qu’il va soulager sa vessie.

A son retour, persuadé qu’il va falloir encore attendre de longues minutes l’apparition des valises, il constate avec étonnement qu’elles sont déjà là. Sa femme explique : « C’était les deux premières à sortir. C’est la première fois que ça arrive. » Réaction de Lewis : « Rhâââââ… J’ai raté l’événement le plus fou du voyage… »

Autre exemple, il campe dans le désert en Arabie. Au petit matin, il se lève, s’éloigne un peu et urine sur une dune. Puis va se recoucher au lieu d’attendre une petite heure pour contempler le lever du soleil. Moralité par ce penseur souvent très clairvoyant : « Mince, j’ai résumé l’Humanité actuelle. Je pisse sur la planète et je n’apprécie pas la beauté du monde… »

Une BD à déguster lentement, pour ne pas rater ces petits riens qui forcément embellissent notre vie.

Dans le faux potager de Tronchet


Notre planète va mal. Pas la peine d’être un grand devin pour en avoir la certitude. De quoi se faire du mouron. Ou plonger dans l’éco-anxiété comme Didier Tronchet et sa femme. Un état d’esprit qu’il raconte, en s’en amusant, dans l’album Les Catastrophobes.

Suite logique, ils décident de quitter la ville pour se réfugier à la campagne. Avec la volonté, surtout chez madame, de « réinventer notre vie, être autosuffisant, en harmonie avec la nature… » Un beau programme qui fait pourtant encore plus flipper Tronchet qui se voit mal vivre sans pizza surgelée, WC modernes et encore moins de se priver de wifi et de réseaux sociaux. Cette succession de gags, qui racontent une année loin du bruit de la ville, fera rire les sceptiques, ceux qui sont persuadés que ce n’est qu’une lubie de privilégié, de bobo en manque de boue.

Les autres, ceux qui effectivement sont persuadés que le lombric est le meilleur protecteur de la vie et que les toilettes sèches sont un progrès pour l’Humanité, riront jaune. Voire pas du tout… Pas toujours facile de se moquer en conscience de ses propres dérives.

« Les petits riens de Lewis Trondheim » (tome 9), Delcourt, 128 pages, 13,50 €

« Tous à la campagne ! », Fluide Glacial, 56 pages, 13,90 €

Cinéma - « Argylle », parodie futée d’un film d’espionnage

 

On retrouve dans Argylle, nouveau film de Matthew Vauhn (Kick-Ass, la série des Kingsman), toute son originalité doublée d’une saine autodérision sur les poncifs du genre. Il s’attaque cette fois au film d’espionnage pur et dur. James Bond devrait trembler. S’il ne craint pas les méchants, il ferait mieux de se méfier des persifleurs. L’agent secret, l’espion en chef, se nomme Argylle.

Grand, baraqué, toujours avec un coup d’avance, il est interprété par un Henry Cavill décidément meilleur comédien que ne le laissent entrevoir Superman ou The Witcher. Un espion trop beau pour être vrai. Après une scène d’ouverture qui relègue Tom Cruise et ses Mission Impossible au rang de film français barbant, on découvre qu’Argylle est l’invention d’Ely Conway (Bryce Dallas Howard), romancière célibataire qui partage sa vie de perpétuelle stressée avec Artie, un chat « tromignon ».

Tout se complique quand elle est abordée dans un train par un véritable espion, Wilde (Sam Rockwell), qui lui révèle que les intrigues de ses romans improbables sont en réalité tout à fait vraies. Ely va alors mélanger dans des scènes d’action au fort potentiel comique Argylle et Wilde. La suite est rythmée par une dizaine de coups de théâtre, rebattant sans cesse les cartes sur les identités de tous les protagonistes de ce film d’espionnage qui dynamite joyeusement un genre se prenant trop souvent au sérieux.

Le duo Conway-Wilde fonctionne à merveille, les comédiens en font des tonnes mais à bon escient et au final, même si les ultimes péripéties sont un peu sirupeuses, Argylle permet enfin aux spectateurs critiques de rire aux déboires des gentils comme des méchants.

Film de Matthew Vaughn avec Henry Cavill, Bryce Dallas Howard, Sam Rockwell, John Cena, Bryan Cranston

 

mardi 30 janvier 2024

Roman - Le roman des ours pyrénéens

Sur plusieurs époques et avec différents points de vue, Clara Arnaud nous plonge au cœur du territoire des ours pyrénéens dans ce roman au titre énigmatique, « Et vous passerez comme des vents fous ». 


 


La montagne en général, les Pyrénées en particulier, restent des lieux uniques où la difficulté reste la règle principale. Vallée, forêt, prairies d’estive, éboulis, pic rocheux : les paysages sont multiples, entre ambiance bucolique et pure sauvagerie. Un décor de rêve pour le roman de Clara Arnaud, Et vous passerez comme des vents fous. Un livre sur les ours pyrénéens, du présent et du passé.

Pour parler de l’animal, l’autrice utilise plusieurs voix, plusieurs sensibilités, points de vue. Il y a Gaspard, le berger. Un homme originaire de la vallée, mais qui a décidé de la quitter, d’aller vivre en ville. Il s’est marié, a eu des enfants. Et a regretté son ancienne liberté. Avec l’accord de sa femme, il a tout plaqué, racheté une vieille ferme accrochée aux coteaux et a appris ce métier si particulier de berger pyrénéen, celui qui passe trois mois loin de la civilisation, en estive, à surveiller ses centaines de brebis ivres de liberté et d’herbe grasse. Dans la forêt, il croisera Alma, la scientifique.

Éthologue, chercheuse pour le centre national de la diversité, elle étudie les mœurs des ours réintroduits dans ce massif. Des ours qui ont longtemps cohabité avec les habitants de la région. Pour s’en persuader, il suffit de découvrir, un peu émerveillé, l’histoire de Jules, un gamin qui à la fin du XIXe siècle, a osé pénétrer dans la tanière d’une ourse pour lui dérober un bébé. Son ourse, son animal qu’il a domestiqué, dressé et qui lui permettra de changer de vie, allant jusqu’en Amérique pour devenir riche et montrer les prouesses de celle qu’il considère de plus en plus comme sa compagne.

La vie des sommets

Et puis il y a aussi les autres éleveurs, ceux qui sont contre la réintroduction, qui redoutent les attaques et n’ont qu’une obsession : tuer la bête sauvage. Notamment cette femelle solitaire, la Negra, qui semble de moins en moins effrayée par les patous protecteurs.

Une grande partie du roman se déroule l’été, quand les bergers sont à l’estive. Gaspard profite pleinement de cette parenthèse enchantée gorgée de nature. Une vie simple, rustique, authentique. « On ne s’embarrassait de rien, là-haut : de quoi manger, dormir au chaud, du sel pour les brebis, des croquettes pour les chiens et quelques produits vétérinaires. On y était vite ramené à sa place, un corps parmi les roches, les bêtes, les cieux, les champignons, les bactéries. La vie de cabane relevait presque d’un manifeste politique. […] La vie de berger était âpre, elle surmenait le corps. Mais elle réservait des moments de grâce qui justifiaient les angoisses et les doutes lorsque, embrassant l’horizon du regard, il ne faisait plus qu’un avec la montagne, les brebis. » Une plénitude que la présence de l’ours semble rendre très fragile.

Face à ce prédateur, Gaspard et Alma vont avoir des réactions différentes. Même si ces deux amoureux de la nature sauvage s’accordent pour admettre qu’il a toujours été à sa place sur ces parois abruptes, bois sombres et couloirs d’avalanche couverts de rocailles instables. L’ours est chez lui dans ces Pyrénées encore sauvages. Nous ne serons à jamais que des locataires temporaires. À moins que ces locataires n’arrivent, une seconde fois, à tous les exterminer.

« Et vous passerez comme des vents fous » de Clara Arnaud, Actes Sud, 384 pages, 22,50 €

lundi 29 janvier 2024

Roman - François Garde sur les traces de son vieil oncle d’Australie

À la mort de son père, François Garde décide d’élucider le mystère de l’oncle d’Australie. Marcel Garde, exilé en 1900 à l’autre bout du monde par sa famille. 



Dans toutes les familles, il existe des secrets plus honteux que d’autres. François Garde découvre tout à fait par hasard l’existence d’un oncle installé en 1900 en Australie. Exactement l’oncle de son père. C’est par son intermédiaire qu’il découvre Marcel Garde. Il a 20 ans quand il part pour l’Australie depuis Marseille. Depuis, plus aucunes nouvelles.

Quand François interroge son père sur cet aventurier, le seul de la lignée qui a osé quitter la France, il avoue ne rien savoir. Pour une bonne et simple raison : si Marcel est parti, c’est pour éviter un scandale qui aurait nui à la réputation des Garde, famille d’industriels de Provence. Voilà pourquoi François Garde a entamé, il y a près de dix ans, ce roman-récit-enquête. Sans témoignages directs, il va tenter d’imaginer les circonstances de ce départ et les premiers mois de la vie aux antipodes.

La fiction vient alors au secours de l’histoire familiale. Même si le résultat ne satisfait pas l’écrivain. « De ces vies préexistantes, écrit-il à propos de quelques-uns de ses parents, je ne suis que le scribe, et non le grand ordonnateur. […] Hélas, je ne peux écrire que sur des fragments. Des ruines de cette vie, extraire les morceaux épars d’un récit. Je suis un faussaire faisant négoce de vestiges qui ne lui appartiennent pas. » Cela donne pourtant des pages sublimes sur l’exil, la perte de la famille, la volonté de s’en sortir, malgré la difficulté de la langue et face à l’injustice. Marcel, n’est « plus le fils de son père, mais le fils de lui-même, créateur et créature à la fois. Non pas orphelin ou exilé, mais né à vingt ans à la descente du bateau. » Une histoire familiale doublée d’un récit à rebondissements.

Certaines archives permettent à François Garde de retrouver la trace de Marcel. Mais pas du tout en Australie. Son aller simple l’a bien conduit loin de la France et de sa famille, mais pour de tout autres raisons et une destination encore plus redoutable. Un roman aussi passionnant qu’un polar rondement mené.

« Mon oncle d’Australie » de François Garde, Grasset, 240 pages, 20 €
 

Cinéma - Toute la carrière de Bourvil en un livre

 




Un peu oublié, voire complètement ignoré des nouvelles générations, Bourvil a pourtant été durant de longues décennies,, un des comiques les plus apprécié des Français. Ce joli bouquin, richement illustré, retrace toute sa carrière. Car Bourvil, avant de remplir les salles de cinéma avec des films devenus culte comme La grande Vadrouille ou Le corniaud, a débuté à la radio, sur les planches des music-halls. Il a aussi été un chanteur renommé qui vendait des millions de disques. Pour ce qui est du cinéma, cette biographie par thème permet de découvrir de nombreuses anecdotes sur les tournages.

On découvre ainsi qu’il a tourné un western. Sérénade au Texas, avec Luis Mariano a en réalité été tourné en Provence et est en réalité une des dernières opérettes ou les airs romantiques sont plus nombreux que les coups de feu.

On retrouve aussi le comédien, en 1970, à Cerbère et sur la côte Vermeille, pour son dernier film sous la direction de Jean-Pierre Mocky. L’étalon a aussi pour vedette Francis Blanche et fait la part belle à la libération sexuelle des femmes. Les images ne sont pas choquantes (à part un Bourvil, déjà malade et le crâne rasé), mais le film, par son propos et ses idées, écope d’une interdiction aux moins de 18 ans pour… pornographie.

Enfin, petit clin d’œil, son dernier film, où il,ne fait qu’une petite apparition, n’est jamais sorti en salles. Clodo de Georges Clair a finalement été remonté, rallongé de quelques scènes pornographiques et est sorti en 1975 dans les salles spécialisées.

« Bourvil » par Luc Larriba, Hugo Images, 19,95 €

Une BD hommage : Thorgal Saga, 2e tome

 


Ils ont sauté sur la proposition. Corentin Rouge et Fred Duval ne se sont pas fait prier quand les éditions du Lombard leur ont proposé de signer un album hommage à Thorgal. Wendigo se déroule après le cycle du Pays Qâ. Le héros et sa famille échouent en Amérique.

Aaricia, blessée, ne pourra être soignée que si Thorgal tue avec une flèche magique le Wendigo qui terrorise la tribu d’Indiens qui l’accueille. Nouvelles légendes, nouveaux ennemis pour ce gros album qui explore la forêt sauvage de l’Amérique du Nord, ses peuplades et ses mythes. Une réussite qui plaira aux anciens comme aux nouveaux lecteurs de Thorgal.

« Thorgal Saga, Wendigo », Le Lombard, 128 pages, 24,50 €

Un album jeunesse : La coccinelle sans ses points

 


Catastrophe. La petite coccinelle Vibidia vient de perdre deux points sur son permis de voler. Des points, elle n’en a que 12. Pourtant, le petit insecte, tout occupé à aller manger sa gourmandise préférée, de « l’oïdium, une moisissure blanche » qui colonise les feuilles des arbres, ne marque pas un stop et vole à contresens.

Résultat, les 12 points blancs qui ornent ses petites ailes rouges sont effacés par la « Coccinelledarmerie nationale ». Mais comment se nourrir quand on ne peut plus voler ? Ce petit conte écrit par Pascal Parisot est illustré par Marc Boutavant, plus connu pour avoir imaginé le célèbre Chien Pourri.

« Vibidia, la coccinelle super inquiète », L’École des Loisirs, 64 pages, 7,50 €

dimanche 28 janvier 2024

BD – Dinosaures, animaux et douleur : vous avez dit pédagogie ?

 Longtemps honnie par le corps enseignant, la BD permet désormais d’apprendre facilement. Une pédagogie par l’image parfois très sérieuse, d’autres beaucoup moins…  


Fascinants dinosaures

Rares sont les dessinateurs de BD qui osent s’aventurer en dehors du cocon douillet de leur studio de création. Sédentaires, ils aiment s’évader par la pensée. Aussi quand un artiste décide de s’enfoncer dans la jungle hostile du Laos à la chasse aux restes de dinosaures, on se doute que l’aventure sera belle et palpitante. Ce parcours, c’est Mazan qui l’offre à ses lecteurs dans cette BD entre récit de voyage, séquence pédagogique et reportage dessiné.

Passionné par les dinosaures dès son plus jeune âge, Mazan, installé près d’Angoulême, a longtemps dessiné des récits historiques avec sa compagne Isabelle Dethan. La passion des dinos est revenue quand il découvre un chantier de fouilles près de chez lui. Il copine avec les paléontologues, devient bénévole, dessine leurs fouilles et finalement s’intègre à l’équipe de Ronan Allain qui s’envole pour le Laos en 2012.

Durant un mois et demi, Mazan va participer à l’expédition, manier la pioche et le pinceau. De toute beauté, ce roman graphique retrace la démarche du dessinateur, des chercheurs, raconte dans le détail le voyage en Asie, les déceptions et découvertes enthousiastes.

On apprend beaucoup sur les dinosaures (attention, c’est la partie la plus pédagogique mais aussi la plus complexe), mais surtout on rêve dans les pas de ces aventuriers du XXIe siècle et face à ces aquarelles parfois réalisées dans le feu de l’action, entre boue, attaques de moustiques et crainte de croiser un scorpion.

Kipling insolite

Grand écrivain britannique, Rudyard Kipling prix Nobel de littérature en 1907, a régulièrement séjourné à Vernet-les-Bains dans les Pyrénées-Orientales. C’est peut-être là, au calme d’un hôtel et d’une station thermale, qu’il a imaginé ces petits contes animaliers adaptés par le dessinateur espagnol vivant à Barcelone, Pedro Rodriguez.

Kipling, avec une malice redoutable, explique comment la peau du rhinocéros est devenue épaisse et fripée, pourquoi le léopard a un pelage tacheté, d’où vient la trompe de l’éléphant ou la bosse du chameau. On pourrait penser à première vue que c’est un album on ne peut plus sérieux traitant de l’évolution des espèces. C’est mal connaître ce conteur savant mais surtout très imaginatif.

Dans le premier conte, le rhinocéros, qui au début avait une peau douce et lisse, doit sa transformation à son comportement social « rustre et égoïste », à son amour des gâteaux et à la vengeance d’un Parsi, habitant de cette petite île de la Mer Rouge. On rit beaucoup de ces aventures loufoques, qui s’achèvent à chaque fois par un poème de Kipling.

Le dessin de Rodriguez, simple et expressif, renforce le côté ludique et comique de l’ensemble, très éloigné d’une simple BD pédagogique, mais le lecteur ne s’en plaindra pas.

Santé et douleur par l’humour

Quand un médecin rhumatologue, spécialiste de la douleur, s’associe à un dessinateur humoristique, cela donne cet album simplement intitulé « Aïe ! ». Patrick Sichère a écrit les scénarios de ces huit histoires complètes et les a confiés à Achdé, dessinateur repreneur de Lucky Luke.

Prépubliés dans Fluide Glacial, ces récits abordent entrer autres les problématiques des dents, du dos ou des pieds. L’occasion de revenir sur les débuts de la médecine, quand souffrir était un gage important pour se persuader qu’on était bien soigné. Et parfois cela marchait. L’arracheur de dent, ancêtre du dentiste, avait un truc infaillible pour faire oublier la douleur lancinante de l’abcès mal placé.

Avec presque un gag par dessin, cet album a le double avantage de faire sourire et de nous faire oublier que l’on est malade. Par contre, c’est une lecture à déconseiller aux hypocondriaques car ils pourraient découvrir de nouvelles maladies encore non envisagées.

« Les dinosaures du Paradis », Futuropolis, 224 pages, 26 €

« Les observations animalières de Rudyard Kipling », Aventuriers d’Ailleurs, 146 pages, 18,90 €

« Aïe ! La douleur se traite aussi avec humour », Fluide Glacial, 58 pages, 13,90 €

samedi 27 janvier 2024

Une BD hommage : Thorgal Saga, 2e tome

Ils ont sauté sur la proposition. Corentin Rouge et Fred Duval ne se sont pas fait prier quand les éditions du Lombard leur ont proposé de signer un album hommage à Thorgal. Wendigo se déroule après le cycle du Pays Qâ. Le héros et sa famille échouent en Amérique.

Aaricia, blessée, ne pourra être soignée que si Thorgal tue avec une flèche magique le Wendigo qui terrorise la tribu d’Indiens qui l’accueille. Nouvelles légendes, nouveaux ennemis pour ce gros album qui explore la forêt sauvage de l’Amérique du Nord, ses peuplades et ses mythes. Une réussite qui plaira aux anciens comme aux nouveaux lecteurs de Thorgal.

« Thorgal Saga, Wendigo », Le Lombard, 128 pages, 24,50 €