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vendredi 12 septembre 2025

Thriller - Une vengeance vieille et implacable

A chaque cadavre son indice. Puzzle macabre pour le profileur suédois  Sebastian Bergman dans « Le fardeau du passé » de Hjorth et Rosenfeldt.

Débutées en 2011, les aventures de Sebastian Bergman comptent désormais 8 titres. Tous réédités ou édités par Actes Sud et Babel Noir. Le nouvel opus, « Le fardeau du passé », arrive dans les librairies pour cette rentrée littéraire. On peut tout à fait le lire sans avoir découvert les sept précédents, mais on y « divulgache » forcément les intrigues des précédents romans tant les deux auteurs, Michael Hjorth et Hans Rosenfeldt, manient avec brio les ressorts du feuilleton. Pas étonnant quand on sait qu'ils ont débuté dans la production de séries télé policières en Suède, pays qui s'est imposé dans ce genre. 

On retrouve au centre du thriller le fameux psychologue et profileur Sebastian Bergman. Un peu plus de 60 ans, toujours aussi séducteur et amateur de jolies femmes. Il a cependant un peu levé le pied sur son « addiction au sexe » depuis qu'il est grand-père. Une petite fille qu'il va parfois chercher à la sortie de l'école maternelle, quand sa mère, Vanja Lithner, chef de la brigade criminelle de Stockholm, le lui demande. 

Sa relation avec Vanja s'apaise depuis qu'il a décidé de ne plus travailler pour son service. Pas pour longtemps cependant. La policière d'élite, dont le service est sur la sellette, récupère une affaire complexe. Une femme assassinée est découverte dans une ferme porcine. Sur les murs cette phrase inscrite en peinture rouge « Résous ça Sebastian Bergman ». Sebastian et Vanja vont donc de nouveau enquêter de concert. Rapidement, un second meurtre, avec une nouvelle énigme à la clé, les oblige à aller très vite. Quitte à s'affranchir de quelques règles légales. La tempête reprend de plus belle dans le service et ils ont fort à faire pour rester à leur poste tout en traquant un meurtrier vicieux et très retors, comme seuls les grands de la littérature nordique savent les imaginer. 

Enquête mouvementée sur laquelle se greffe plusieurs intrigues annexes, explications des romans précédents ou pierres posées pour les prochains épisodes. Il y est question de ce « maudit Billy », ancien collègue de Vanja mais aussi tueur en série attendant son procès, d'une jeune Australienne à l'identité incertaine ou de l'arrivée d'une nouvelle enquêtrice, belle et effrontée : tout pour plaire à Sebastian.   

« Le fardeau du passé » de  Hjorth et Rosenfeldt, Actes Sud, 400 pages, 23,50 €

dimanche 16 mars 2025

Romans policiers - Des employées envahissantes dans "La Nounou" et "Dream Girl"

Une nounou dans le roman d'Evelyn Piper et une infirmière dans celui de Laura Lippman: quand les employées de maison deviennent de véritables cauchemars.


Bien que parus à plus de 60 ans d'écart, ces deux polars américains ont quelques points en commun. Dans La nounou d'Evelyn Piper (paru aux USA en 1966), la femme chargée d'éduquer l'enfant d'un riche couple semble exemplaire dans sa mission. Mais alors pourquoi le jeune Joey a-t-il si peur d'elle ? De la même façon, l'infirmière de nuit chargée de veiller sur Gerry, célèbre écrivain riche à millions grâce au succès de son roman Dream Girl, immobilisé après une chute, semble moins bête qu'elle s'échine à le faire croire. Deux employées qui vivent chez leur patron, devenues intimes, indispensables. Mais quel est leur but exactement ? Des relations complexes devenant au fil des chapitres de plus en plus anxiogènes.

La nounou fait partie de ces romans noirs ciselés comme un bijou de luxe. Evelyn Piper signe un polar où la paranoïa est en permanence sous-jacente. La faute à cette nounou anglaise au service de la famille depuis des décennies. Elle se charge de l'éducation de Joey. Un petit garçon de 6 ans qui redoute revenir à la maison après un séjour dans une clinique psychiatrique. Accidentellement, il a tué son petit frère. Quand il prétend que la nounou lui en veut, ses parents, son médecin et les voisins n'y croient pas. Le lecteur, lui, se doute que l'enfant n'est pas fou et qu'au contraire la vieille fille est bizarre. Joey va-t-il convaincre quelqu'un, a-t-il une chance de s'en sortir ? Le roman, sous une forme très classique (un peu démodée même), amène le chaud dans une ambiance glaciale. 

Paranoïa aussi pour Gerry Andersen, l'écrivain au centre du roman Dream Girl de Laura Lippman se déroulant dans un appartement au sommet d'une tour à Baltimore. Gerry est romancier. Un vieil intellectuel qui regrette ces années 80 et 90 quand tout semblait permis. Il vient de chuter dans l'escalier. Jambe cassée, le voilà immobilisé pour plusieurs semaines. 

Gerry va devoir remettre son quotidien entre les mains de son assistante, une jeune étudiante fan de ses écrits et une infirmière de nuit, qui passe son temps à regarder des niaiseries à la télé. Gerry, marié trois fois, récemment séparé et qui vient d'enterrer sa mère. Un homme amorphe, ayant perdu l'inspiration, étonné quand il reçoit un coup de fil d'une certaine Aubrey. Elle prétend être la femme qui lui a inspiré le personnage de son best seller. Et lui réclame la moitié de sa fortune. Qui est cette Aubrey ? Ne devient-il pas sénile et un peu fou, comme sa mère ? Ni son assistante, ni l'infirmière ne se souviennent de ces appels. 

Ce thriller, à l'intrigue particulièrement tordue, se transforme parfois en jeu de piste littéraire. L'occasion de découvrir les dessous d'un milieu pas toujours très net. C'est un des atouts de ce thriller écrit dans un style fluide et savant, comme quoi l'intelligence, parfois, devient contagieuse.

« Dream Girl », Laura Lippman, Actes Sud, 368 pages, 22,80 €

« La nounou », Evelyn Piper, Denoël, 280 pages, 22,50 €

dimanche 15 décembre 2024

Cinéma - "Leurs enfants après eux", l’histoire ordinaire d’un amour impossible

“Leurs enfants après eux”, film des frères Boukherma, raconte l’amour destructeur de deux adolescents dans la France des années 90.

Tiré du roman de Nicolas Mathieu, prix Goncourt en 2018, ce film, sans doute un poil trop long, restera dans les mémoires pour quelques scènes d’une formidable virtuosité. Celle de la piscine, de la moto en feu ou du slow durant le bal du 14 juillet 1998 sur la chanson iconique de Francis Cabrel, Un samedi soir sur terre où il parle d’une « histoire d’enfant, une histoire ordinaire ». C’est le résumé très succinct de Leurs enfants après eux, nouveau film des toujours inattendus frères Boukherma.

Après avoir tâté de l’horreur pure avec Teddy (entièrement tourné en Vallespir dans les Pyrénées-Orientales et sorti en 2020), puis de la comédie sanguinolente avec L’année du requin, ils osent la grande saga familiale romantique et sociale.

Est de la France, dans ce bassin sidérurgique sinistré après la fermeture de toutes les aciéries, Anthony (Paul Kircher), 14 ans au début des années 90, s’ennuie comme un rat mort. Le grand ado, aux cheveux longs et rebelles, un peu lunaire et rêveur, sous un blouson de cuir, cache un romantique à la recherche du premier amour. Il est persuadé de le croiser au bord d’un lac.

Steph (Angelina Woreth) bronze avec une amie. Elles invitent Anthony et son cousin à une soirée. Pour s’y rendre, ils empruntent la moto du père, Patrick (Gilles Lellouche). Au petit matin, en plus d’avoir été repoussé par la jeune fille, Anthony découvre que la moto a été volée. Sa vie va alors basculer vers la violence et la vengeance.

Radiographie rigoureuse d’un milieu social gangrené par la crise, le film conserve une grâce innée en suivant la relation, compliquée mais si belle, entre Anthony et Steph. En contrepoint, on retrouve la montée du racisme, la délinquance (Raphaël Quenard au top dans un petit rôle de fou furieux cultissime) et la parenthèse enchantée de 1998 et de l’épopée de l’équipe de France Black blanc beur.

Côté distribution, les jeunes comédiens sont touchants de sincérité, alors que Ludivine Sagnier et Gilles Lellouche apportent plus de complexité en interprétant ces parents dépassés par les événements mais prêts à toutes les compromissions pour aider leur fils unique. Notamment le père, alcoolique, violent, colérique, incapable de trouver les bons mots pour expliquer combien il aime sa famille. Gilles Lellouche propose une prestation haut de gamme qui ne peut laisser personne de marbre.

Film de Ludovic et Zoran Boukherma avec Paul Kircher, Angelina Woreth, Sayyid El Alami, Gilles Lellouche, Ludivine Sagnier

 

dimanche 24 novembre 2024

Thriller - N’oubliez pas « Phase 3 »

Nombre de chercheurs tentent de trouver un médicament pour vaincre Alzheimer. Dans ce roman d’Asa Ericsdotter, la solution est en vue. Mais à quel prix ? 

Genre à part, le thriller médical et scientifique connaît un regain d’intérêt depuis la pandémie mondiale. Asa Ericsdotter, romancière suédoise, s’engouffre dans la brèche en signant Phase 3, un thriller d’une incroyable efficacité et d’un réalisme qui risque de vous glacer d’effroi si vous avez plus de 60 ans.

La molécule mise au point par deux équipes de chercheurs américains agit directement sur les cellules du cerveau. Comme une sorte de détergent, qui nettoie les terminaisons nerveuses facilitant la communication entre neurones. Conséquence immédiate : les patients atteints par la maladie d’Alzheimer retrouvent la mémoire et une parfaite perception de leur réalité. Des recherches qui débouchent sur la mise au point d’un médicament, baptisé Re-cognize. Après de longues études théoriques, un essai clinique est réalisé sur des souris de laboratoire. Puis des malades, volontaires.

Re-cognize en est à la phase 3, la dernière, celle qui devrait, dans la foulée, permettre d’obtenir l’autorisation de la mise sur le marché. Cela semble un miracle. Presque trop beau pour Celia, Adam ou David, les trois personnages principaux du roman. Première alerte, quand une souris guérie tue les autres cobayes de sa cage. Puis des tueries de masse dans une maison de retraite et dans un centre commercial alertent les chercheurs. Car les tueurs sont des personnes âgées, des volontaires pour tester Re-cognize.

Phase 3 raconte comment certains scientifiques jouent avec le feu. Alors que d’autres sont excessivement prudents. Difficile de trouver un juste milieu quand il faut combattre ce mal horrible : « La grand-mère de Celia était la plus forte, la plus avisée. Puis la maladie d’Alzheimer avait commencé à la vider de toute sa sagesse. […] Elle était devenue quelqu’un d’autre. Puis elle était devenue personne. C’était une maladie diabolique. » En alternant les points de vue (chercheur, malades, cobayes), la romancière parvient à faire monter la tension dans une intrigue aux multiples rebondissements. Une réflexion très lucide sur la recherche médicale, ses conséquences, ses errements et les espoirs qu’elle suscite souvent.

Mais cela ne reste que de la fiction et malheureusement, tous les jours, des centaines de mémoires et de vies disparaissent de la surface de la terre.

« Phase 3 », Asa Ericsdotter, Actes Sud, 480 pages, 24 €

jeudi 8 février 2024

Thriller - « L’araignée », tueuse aveuglée par la vengeance

 Les deux héros policiers imaginés par Lars Kepler, Saga Bauer et Joona Linna affrontent un serial killer insaisissable : une femme qui se prend pour une araignée. 


La littérature de genre nordique est souvent très explicite. La violence y est décrite sans fioritures. C’est un peu la marque de fabrique de Lars Kepler, pseudonyme d’un couple d’écrivains, Alexander et Alexandra Ahndoril. Cette nouvelle enquête de Saga Bauer et Joona Lima mettra à rude épreuve les nerfs des plus sensibles.

Les deux policiers, toujours sur la brèche, de plus en plus torturés, voient leur entourage littéralement décimé. Des policiers haut placés sont enlevés puis assassinés dans des conditions horribles. Voilà dans quel état ils retrouvent le corps de Margot Silverman, directrice de la police suédoise : dans un « long paquet posé à terre composé de draps et de plastique, entouré d’une ficelle. […] Après avoir fait une profonde incision dans la partie la plus épaisse, par l’ouverture, une bouillie grise striée d’un rouge marron s’écoule dans l’herbe. Une odeur chimique piquante les fait reculer. Lorsque la substance visqueuse s’est répandue sur le sol, un pied à moitié dissous apparaît dans l’herbe au milieu de la gelée brunâtre. » Plongé dans un cocon hermétique, le corps est dissous dans de l’acide. Exactement comme le font les araignées pour leurs proies.

Saga est au centre de l’affaire car le tueur, une tueuse qui se prend pour une araignée, lui envoie des indices avant les meurtres. La dernière victime sera Joona. Et seule Saga pourra le sauver. Une intrigue complexe, très variée, qui montre toutes les failles de ce duo depuis trop longtemps au plus proche des tueurs les plus démoniaques.

Et une figure revient régulièrement : le sinistre Jurek Walter (voir Le chasseur de lapins et Lazare), éliminé par Joona. L’araignée est-elle une disciple ? A moins que les raisons de ce déferlement de violence soient plus complexes et à base de vengeance. Un thriller qui vous emmène loin sur les rives d’un esprit torturé.

« L’araignée » de Lars Kepler, Actes Sud, 512 pages, 24,50 €

mardi 30 janvier 2024

Roman - Le roman des ours pyrénéens

Sur plusieurs époques et avec différents points de vue, Clara Arnaud nous plonge au cœur du territoire des ours pyrénéens dans ce roman au titre énigmatique, « Et vous passerez comme des vents fous ». 


 


La montagne en général, les Pyrénées en particulier, restent des lieux uniques où la difficulté reste la règle principale. Vallée, forêt, prairies d’estive, éboulis, pic rocheux : les paysages sont multiples, entre ambiance bucolique et pure sauvagerie. Un décor de rêve pour le roman de Clara Arnaud, Et vous passerez comme des vents fous. Un livre sur les ours pyrénéens, du présent et du passé.

Pour parler de l’animal, l’autrice utilise plusieurs voix, plusieurs sensibilités, points de vue. Il y a Gaspard, le berger. Un homme originaire de la vallée, mais qui a décidé de la quitter, d’aller vivre en ville. Il s’est marié, a eu des enfants. Et a regretté son ancienne liberté. Avec l’accord de sa femme, il a tout plaqué, racheté une vieille ferme accrochée aux coteaux et a appris ce métier si particulier de berger pyrénéen, celui qui passe trois mois loin de la civilisation, en estive, à surveiller ses centaines de brebis ivres de liberté et d’herbe grasse. Dans la forêt, il croisera Alma, la scientifique.

Éthologue, chercheuse pour le centre national de la diversité, elle étudie les mœurs des ours réintroduits dans ce massif. Des ours qui ont longtemps cohabité avec les habitants de la région. Pour s’en persuader, il suffit de découvrir, un peu émerveillé, l’histoire de Jules, un gamin qui à la fin du XIXe siècle, a osé pénétrer dans la tanière d’une ourse pour lui dérober un bébé. Son ourse, son animal qu’il a domestiqué, dressé et qui lui permettra de changer de vie, allant jusqu’en Amérique pour devenir riche et montrer les prouesses de celle qu’il considère de plus en plus comme sa compagne.

La vie des sommets

Et puis il y a aussi les autres éleveurs, ceux qui sont contre la réintroduction, qui redoutent les attaques et n’ont qu’une obsession : tuer la bête sauvage. Notamment cette femelle solitaire, la Negra, qui semble de moins en moins effrayée par les patous protecteurs.

Une grande partie du roman se déroule l’été, quand les bergers sont à l’estive. Gaspard profite pleinement de cette parenthèse enchantée gorgée de nature. Une vie simple, rustique, authentique. « On ne s’embarrassait de rien, là-haut : de quoi manger, dormir au chaud, du sel pour les brebis, des croquettes pour les chiens et quelques produits vétérinaires. On y était vite ramené à sa place, un corps parmi les roches, les bêtes, les cieux, les champignons, les bactéries. La vie de cabane relevait presque d’un manifeste politique. […] La vie de berger était âpre, elle surmenait le corps. Mais elle réservait des moments de grâce qui justifiaient les angoisses et les doutes lorsque, embrassant l’horizon du regard, il ne faisait plus qu’un avec la montagne, les brebis. » Une plénitude que la présence de l’ours semble rendre très fragile.

Face à ce prédateur, Gaspard et Alma vont avoir des réactions différentes. Même si ces deux amoureux de la nature sauvage s’accordent pour admettre qu’il a toujours été à sa place sur ces parois abruptes, bois sombres et couloirs d’avalanche couverts de rocailles instables. L’ours est chez lui dans ces Pyrénées encore sauvages. Nous ne serons à jamais que des locataires temporaires. À moins que ces locataires n’arrivent, une seconde fois, à tous les exterminer.

« Et vous passerez comme des vents fous » de Clara Arnaud, Actes Sud, 384 pages, 22,50 €

dimanche 22 octobre 2023

Thriller - Des crimes islandais dans l’entourage de « La poupée », roman paru chez Actes Sud

La découverte d’une poupée dans la mer en Islande relance de vieilles enquêtes. Des affaires pour la psychologue Freyja et le policier Huldar, imaginés par Yrsa Sigurdardottir.


Une bonne série policière nordique passe souvent par l’invention de héros récurrents attachants. Yrsa Sigurdardottir maîtrise parfaitement le sujet quand elle lance son duo composé d’une psychologue, Freyja et d’un policier, Huldar. ADN, paru en 2018 en France, rencontre un succès immédiat. Résultat, le cinquième titre de la série vient de paraître.

Au centre de l’intrigue, une poupée. Elle est repêchée au large des côtes islandaises par un pêcheur amateur lors d’une sortie dominicale en compagnie d’une collègue et de sa fille, Rosa. Prise dans le filet, la poupée est assez effrayante : « La bouche était à peine entrouverte, les lèvres de plastique ne se touchaient pas. On aurait dit que le visage était resté figé pour l’éternité à l’instant où le bébé allait poser une question. […] Autour du cou, la poupée portait une fine chaîne dont le médaillon disparaissait sous une carapace de crustacés. »

Quelques mois plus tard, la mère de Rosa trouve la mort chez elle. Une nuit, alors que la poupée disparaît. La fillette va aller de foyer en famille d’accueil, persuadée que la poupée maléfique a tué sa mère. Le roman commence véritablement quand, de nos jours, Huldar et Freyja se retrouvent pour enquêter sur une possible affaire d’abus sexuels dans un foyer pour jeunes en difficulté. Foyer qui aurait accueilli récemment Rosa. Mais cette dernière a disparu depuis quelques semaines.

Où est-elle ? Quel rapport avec l’enquête ? Qui détient aujourd’hui a poupée ? Une multitude de questions que le duo, toujours aussi complice mais n’osant pas aller trop vite dans leur relation personnelle, va devoir résoudre. Non sans découvrir d’autres affaires suspectes comme l’assassinat d’un SDF ou la mort de deux touristes retrouvés en mer, exactement là où la poupée est apparue des années auparavant.

Un thriller tentaculaire, dressant un instantané criant de vérité d’une certaine Islande gangrenée par la drogue et les problèmes psychologiques de la jeunesse.

« La poupée » d’Yrsa Sigurdardottir, Actes Sud, 400 pages, 23,50 €

dimanche 27 août 2023

Roman français - L’âne et le déserteur


Mathias Enard a déjà remporté le Goncourt en 2015 pour son roman Boussole. C’est regrettable car il aurait mérité aussi le prix suprême de la littérature française avec son nouveau roman, Déserter (Actes Sud, 254 pages, 21,80 €). Mais on ne peut pas remporter deux fois le Goncourt ! Une règle immuable…

Composé de deux récits parallèles, le roman explore deux facettes de l’âme humaine. L’intelligence et la bestialité. L’intelligence avec la vie de Paul Heudeber, mathématicien allemand, rescapé des camps de la mort (Buchenwald exactement). Sa vie est racontée par sa fille qui se souvient de l’hommage avorté au génie de son père le 11 septembre 2001 à Berlin. La bestialité c’est celle qui a longtemps habité ce soldat déserteur. Il erre, sale, puant, fourbu dans la montagne. Il se dirige vers le nord, la frontière, pour fuir son passé, ses exactions. Sans que cela soit dit explicitement, on comprend que le soldat était un Franquiste. Qu’il a tué et violé.
Quand il croise le chemin d’une jeune femme, elle aussi en fuite accompagnée d’un âne, il va enfin renaître et résister à sa violence intrinsèque. Sans doute la meilleure partir du roman, offrant les plus belles descriptions de la nature sauvage méditerranéenne de la littérature française. Sans oublier l’âne, symbole de cette bestialité que le déserteur veut effacer de sa nouvelle humanité.

jeudi 22 juin 2023

Polar - Javier Cercas délaisse en partie la Catalogne pour les Baléares

Melchor Martin, le héros de la trilogie Terra Alta de Javier Cercas, enquête à Palma sur les exactions d’un prédateur sexuel. Ce dernier a fait l’erreur de s’approcher de Cosette, la fille de Melchor.


Le troisième volet de Terra Alta, série policière imaginée par Javier Cercas, se déplace en grande partie aux Baléares. Les deux premières avaient pour cadre la Catalogne. La région de Terra Alta d’abord puis Barcelone. Le château de Barbe Bleue est implanté près de Pollença, petite ville touristique de Palma de Majorque. C’est là que disparaît, du jour au lendemain, Cosette, la fille de Melchor Martin. 

Les relations entre l’ancien policier, devenu simple bibliothécaire, et son adolescente ne sont pas au beau fixe. Cosette a récemment appris les circonstances exactes de la mort de sa mère. Un simple accident de la circulation selon son père. En réalité, Olga a été volontairement renversée pour faire peur à Melchor qui devenait trop pressant dans son enquête (lire le tome 1, Terra Alta chez Actes Sud et Babel en poche). Ce mensonge Cosette ne l’admet pas. Non seulement elle se sent trahie par son père, mais elle se persuade que c’est à cause de lui si sa mère est morte quand elle avait 3 ans. Durant les vacances de Pâques, avec une amie, elle va passer quelques jours de vacances aux Baléares. Mais le jour prévu, l’amie revient, pas Cosette. Fugue ou enlèvement ? Melchor se persuade rapidement que sa fille n’agit pas normalement. Il mobilise toutes ses anciennes connaissances policières pour retrouver la trace de Cosette. 

Un silence acheté

C’est l’essentiel de la première partie de ce roman où il est question, comme toujours, des Misérables, le roman de Victor Hugo qui conditionne en grande partie la vie du héros. Une partie assez technique, au cours de laquelle il va devoir se rendre sur place et se frotter à l’inertie (voire la corruption) de la Guardia Civil. 

C’est finalement une lettre anonyme qui va le conduire dans un mas perdu dans la montagne. Là, il rencontre Carasco, un ancien policier, persuadé que Cosette, comme des dizaines d’autres auparavant, a été enlevée (ou du moins appâtée) par les rabatteuses de Mattson, un milliardaire suédois. Tellement riche qu’il peut acheter toute l’île. Les terres mais aussi les consciences des policiers et des juges.  En se lançant dans la recherche de sa fille, Melchor se fait vite remarquer. 

Et à peine deux jours après, la jeune fille réapparaît, traumatisée mais vivante. En partie amnésique aussi. Une seule certitude, une fois de retour à Terra Alta, les médecins et psychiatres ont la certitude qu’elle a été abusée sexuellement à plusieurs reprises. 

La suite du roman est plus musclée. Comprenant qu’attaquer en justice Mattson est peine perdue, Melchor va s’allier à Carasco et retourner à Pollença pour tenter de mettre la main sur des preuves irréfutables des exactions du délinquant sexuel. 

Toujours féru de références littéraires, Javier Cercas explore cette fois Don Quichotte et le combat, qui semble vain, de Melchor contre les moulins personnifiés par Mattson. Un roman puissant, sur les relations compliquées entre père et fille, les secrets de famille et les choix que l’on fait dans l’urgence, pas toujours excellents mais jamais sans conséquence sur le futur.  

« Le château de Barbe Bleue » de Javier Cercas, Actes Sud, 23 €

vendredi 1 juillet 2022

Roman. Javier Cercas règle son compte à l’« Indépendance » catalane

Écrivain reconnu en Espagne, Javier Cercas n’a pas dû se faire beaucoup d’amis en Catalogne lors de la parution du second tome de sa série Terra Alta retraçant les aventures du policier barcelonais Melchor Marin. Le titre Indépendance est trompeur. Car c’est en filigrane une dénonciation implacable du processus lancé par les indépendantistes qui est raconté dans ce roman brillant et passionnant. La classe politique est passée à la moulinette.

Les clés pour comprendre l’évolution de la province qui veut devenir un pays sont en réalité données au milieu du roman « La Catalogne a toujours été entre les mains d’une poignée de familles. Ce sont elles qui décidaient de tout avant le franquisme, qui ont décidé de tout pendant le franquisme, qui ont décidé de tout après le franquisme, et qui décideront de tout quand toi et moi on sera mort et enterrés… »

Melchor accepte de revenir à Barcelone pour aider des collègues qui travaillent sur une tentative de chantage à la sextape sur la maire de Barcelone. Il va croiser le chemin de trois de ces fils de famille qui ont tous les pouvoirs. Riches, ambitieux, sans morale, capables de tout pour conserver leurs prérogatives : ce sont des êtres malfaisants au plus haut point. Melchor va tenter de les faire tomber, mais comment ce fils de prostitué peut-il avoir le moindre pouvoir face à ces notables de pères en fils ?

La fin vous surprendra, car Javier Cercas n’a peur de rien et sait que souvent, ce sont les pires méthodes qui permettent les meilleurs résultats.

« Indépendance » de Javier Cercas, Actes Sud, 23 €  

vendredi 29 avril 2022

Roman - Lluis Llach en son royaume

Chanteur, militant politique pour l’indépendance de la Catalogne, élu… Lluis Llach multiplie les casquettes et en a rajouté une récemment sur son long CV : écrivain. Il quitte la Catalogne théâtre de ses précédents romans pour raconter les luttes de pouvoir au sein du royaume imaginaire de Magens. Échec au destin est un thriller médiéval dont l’intrigue pourrait tout à fait être transposée à notre époque.

Dans ce Moyen Âge qui sort très lentement d’une longue période de profond obscurantisme, certains monarques sont partagés entre leur volonté de progrès social et leur soumission à Rome et au Pape, arc-bouté pour maintenir ses prérogatives et avantages. Le roi de Magens, Ebrard, fidèle au pape, pense déjà à sa succession. Son fils aîné, Jan, fier guerrier, sera parfait. Son second fils, Inian, moins porté sur les choses de la guerre, est le préféré de la reine Bal. Un troisième larron va alors entrer en scène : Orenç. C’est le premier fils du roi, un bâtard car il a répudié la mère qui fut brièvement reine. Orenç revient à Magens après avoir suivi des études à Rome. Il a été nommé chanoine de la chapelle royale. Quelques jours après son arrivée, un drame rebat toutes les cartes : la reine Bal est retrouvée morte. Elle a chuté de la fenêtre de sa chambre, en pleine nuit. Meurtre ou suicide ? Le roi charge Orenç de répondre à la question. Exactement, il lui ordonne de prouver qu’elle a été assassinée car si le suicide est accrédité, elle sera excommuniée et de ce fait ses fils Jan et Inian perdront leur titre de Prince et tout espoir, un jour, de régner sur Magens. 

Une fois ce préambule mis en place, Lluis Llach laisse son imagination voguer au gré des événements et conspirations. Car à Magens, rares sont ceux qui n’ont pas quelque chose à cacher. Pour en apprendre un peu plus, rien de tel que la confession. Orenç va utiliser cette arme pour progresser dans son enquête. L’Église a « transformé la confession publique en confession privée sans en mesurer les avantages. Tout simplement parce que si la confession publique lui permettait juste de prononcer des pénitences, la confession privée, elle, lui donne un pouvoir de contrôle… qualité on ne peut plus fondamentale et intéressante. » Orenç va beaucoup en apprendre sur les complots du passé et ceux du futur. Et comme il est lui aussi un prince, il pourrait monter sur le trône un jour. 

Le roman de Lluis Llach, brillant, passionnant, plonge le lecteur dans ce Moyen Âge où les grands doivent aussi faire avec les petits. Car finalement, à Magens, Orenç comprendra rapidement que la meilleure arme pour résoudre l’énigme  reste la belle et aguichante Brilhéta, la servante de la reine, celle qui l’a découverte morte et qui sait tout des secrets de la cour. Et comme elle a une forte attirance pour le jeune curé, leur action conjointe a un côté fusionnel qui apporte un peu plus de piquant au roman.

« Échec au destin » de Lluis Llach (traduit du catalan par Serge Mestre), Actes Sud, 22,50 €

samedi 26 mars 2022

Thriller - La secte danoise

Nombre d’horreurs sont commises au nom de Dieu. La preuve une nouvelle fois dans ce thriller nordique de Michael Katz Krefeld. L’auteur danois propose un 3e roman autour de son personnage récurant de flic déchu. Ravn a basculé dans la presque folie quand un cambriolage a mal tourné. Sa compagne a été tuée. Depuis il a quitté la police de Copenhague et vivote sur son bateau à mener de petites enquêtes pour un ami avocat. 

Quand un grand patron le contacte pour qu’il retrouve son fils, il voudrait décliner mais les problèmes financiers le poussent à accepter. Il va se retrouver plongé dans un monde abominable. Car le fils du millionnaire est devenu grand maître d’une secte particulièrement sordide.

« La secte » de Michael Katz Krefeld, Actes Sud, 23 €

jeudi 15 novembre 2018

Thriller - Le meurtrier et la fillette


Avouons-le, parfois on se sent un peu trop perdu dans ce genre de production, même si elle est de très grande qualité. Un bon suspense, des personnages torturés et un « méchant » intrigant ne suffisent pas pour faire un bon thriller. Il faut ce petit plus, qui permet d’imaginer sans donner à voir. On ne le retrouve qu’à la marge de ce polar de Hjorth et Rosenfeldt. Reste que c’est d’un excellent niveau comme les précédents titres de la série.
 Et logiquement ces romans ont été adaptés pour la télévision…

Massacre d’une famille paisible  

« La fille muette » c’est Nicole. Dix ans. Elle était chez ses cousins ce matin en train de regarder la télévision quand un inconnu a sonné à la porte. La mère, sœur de sa maman, est allée ouvrir. Un premier coup de feu. Puis le tueur, froidement, a abattu le père et les deux garçons de la famille. Nicole s’est cachée.

Et comme le tueur ne savait pas qu’elle était là, il est parti comme il est arrivé, sans dire un mot. Paniquée, la fillette s’échappe et va se cacher dans la forêt de cette petite ville suédoise. Quatre morts c’est suffisant pour mobiliser l’équipe de la brigade criminelle de Torkel. Un peu les « Esprits criminels » des pays nordiques. Le roman devient passionnant quand Sebastian, le psychologue et séducteur de l’équipe, retrouve Nicole. Mais elle ne dit pas un mot. Une énigme de plus alors que d’autres crimes transforment cette enquête en affaire hors normes.

Un père plein d’interrogations Sebastian qui travaille en duo avec Vanja, la plus jeune de l’équipe. Elle a de qui tenir puisque ce dernier est son père. Mais elle ne le sait pas. Le moment est-il venu pour Sebastian de lui révéler ? Pas évident car dans le même temps, coureur de jupons invétéré, il séduit la procureure en charge de l’affaire, menaçant l’entente dans l’équipe.

On suit les hésitations de Sebastian, l’impatience de Vanja, l’énervement de la maire de la ville, le retour à la sécurité de Nicole, les manigances du tueur… De quoi passer quelques nuits blanches passionnantes.

« La fille muette », Hjorth & Rosenfeldt, Actes Sud, 23 €

vendredi 24 août 2018

Rentrée littéraire - Casablanca, ville de passage


Ichrak, la belle de Casa, est retrouvée morte au petit matin dans la rue du quartier populaire de Cuba. Sese, jeune Congolais bloqué au Maroc dans sa fuite vers l’Occident, est le premier à prévenir le commissaire Moktar Daoudi. Elle est découverte exsangue, « une balafre lui barrait la poitrine et avait découpé son vêtement, une gandoura noire, brodée de fils d’or. » Une plongée immédiatement dans le nœud du drame. Car toute l’enquête qui suivra sera centrée sur la recherche du coupable. Le ré- cit signé In Koli Jean Bofane, auteur d’origine congolaise et vivant à Bruxelles, est surtout prétexte à raconter la vie quotidienne de ce petit peuple marocain. Entre passé et futur, des générations tentent de trouver un équilibre, toujours avec le Chergui, ce redoutable vent du désert pour déstabiliser, énerver. Une sorte de tramontane, mais chaude et étouffante.

Ce roman est aussi l’occasion de comprendre comment toute une population de réfugiés d’Afrique noire fait du Maroc la dernière étape vers cette Europe. On l’a encore vu hier avec le passage massif de dizaines d’hommes dans l’enclave espagnole de Ceuta.

Et pour la petite histoire, dernier clin d’œil à l’actualité, découvrez l’homme de confiance de Daoudi, un certain Choukri, « inspecteur bodybuildé, affublé d’une casquette et d’une lourde chaîne (...), celui qui ressemble au chanteur Booba ».

➤ « La belle de Casa », In Koli Jean Bofane, Actes Sud, 19 €

mercredi 1 août 2018

Polar : La famille suédoise selon Roslund & Thunberg


Marre de cuire sur la plage par 32° à l’ombre du parasol, beaucoup plus en plein soleil ? Envie de fraîcheur ? Et si vous vous plongiez dans un bon polar nordique ? Vous avez le choix des destinations et des températures. Très froid en Islande, un peu plus supportable en Suède.

Attention par contre si vous choisissez « Made in Sweden » de Roslund et Thunberg, les 650 pages denses et prenantes risquent de vous conduire à l’insolation si vous le lisez d’une traite. Pour la première fois Roslund quitte son compagnon de plume habituel (Hellström) pour s’associer à un scénariste, Thunberg. Ce polar, inspiré de faits réels, raconte le périple violent de trois frères dans les années 90. Ils font le casse du siècle en dérobant des armes dans une base secrète  militaire. Suffisamment pour équiper une petite armée. Ils vont utiliser leur arsenal pour multiplier les braquages et même tenter de faire chanter le gouvernement.

Vous voulez du frais ? « Ivan tenait l’enveloppe avec les billets dans une main et s’appuyait contre la porte close avec l’autre, balançant son corps gelé. Alors que dehors il faisait deux degrés, il portait une veste fine par-dessus une chemisette. »

Trois frères soudés, un enquêteur têtu et opiniâtre : ce polar est doublement réel car Thunberg est le quatrième frère des braqueurs ayant inspiré le roman.

➤ « Made in Sweden », Actes Sud, 23,80 €

mercredi 11 juillet 2018

Polar - Surveillance abusive


Un lieu clos, une dizaine de personnages, une angoisse allant crescendo : « Sécurité » de Gina Wohlsdorf marque par son économie de moyen. Cette histoire de massacre dans un grand hôtel sur la côte américaine à trois jours de son ouverture officielle est racontée au présent, dans un style direct, percutant. Un peu comme si l’on assistait à un film réalisé avec les images issues des centaines de caméras de vidéo surveillance voulues par le milliardaire à l’origine du projet.

Pour organiser cette réception majestueuse, Tessa est aux manettes. «Tessa est jolie mais pas d’une séduction évidente». «Tessa est le genre de personne qui se jette sur les critiques avec reconnaissance et considère les compliments comme une insulte. C’est exaspérant.» Longtemps on ne sait pas qui est le narrateur. Seule certitude, il est dans le poste de contrôle de la sécurité à scruter les membres du personnel. Un chef français (caricatural mais hilarant, il faut l’admettre), un couple chargé de la décoration et quelques femmes de ménage.

Et puis l’élément extérieur, Brian, le presque frère de Tessa, cascadeur à moto, si protecteur pour celle qui comme lui a vécu une dizaine d’années dans la même famille d’accueil. Tout bascule quand un tueur entre en jeu. Un pro, méthodique. Sadique aussi. Un excellent thriller qui vous dégoûtera des grands hôtels et des labyrinthes végétaux. 

« Sécurité » de Gina Wohlsdorf, Actes Sud, 21,80 €

mercredi 18 mai 2016

DE CHOSES ET D'AUTRES : Le Goncourt ? Non, merci !

goncourt, actes sud, andras
Les rebelles et autres énervés qui vilipendent notre société mercantile ont peut-être trouvé leur nouveau héraut. Âgé de 31 ans et vivant en Normandie, Joseph Andras vient de publier chez Actes Sud « De nos frères blessés », l'histoire vraie du militant communiste Fernand Iveton, seul Européen condamné à mort par la justice française durant la guerre d'Algérie. A peine sorti, le livre est immédiatement apprécié, notamment par le jury Goncourt qui lui décerne le prix du premier roman.
Cela n'a pas l'heur de plaire à Joseph Andras. Il publie un communiqué pour refuser son prix. Explication : « La compétition, la concurrence et la rivalité sont à mes yeux des notions étrangères à l'écriture et à la création. » Boum, prends ça dans les dents Goncourt ! Une posture pour attirer encore plus les regards vers lui, pensez-vous. Grave erreur. Joseph Andras, qui refuse toute sollicitation des médias (pas une interview et encore moins de détails sur sa vie privée) se place bien au-dessus de la société de consommation classique : « Seulement le désir profond de s'en tenir au texte, aux mots, aux idéaux portés » précise-t-il dans le communiqué pour justifier son refus du pourtant très renommé (et encore plus rémunérateur) prix Goncourt.
Il ne risque pas de se faire d'amis dans le milieu parisien de l'édition. Par contre, chez les militants de gauche et autres idéalistes qui passent leur « Nuit Debout », sa cote va monter en flèche. Même si cet écrivain, vu ses débuts tonitruants, ne semble pas du tout « récupérable » par quelque bord que ce soit.

lundi 10 mars 2014

"La princesse des glaces", un polar culte en BD


Si les éditions Dupuis adaptent en BD Millénium, les éditions Casterman on jeté leur dévolu sur l'autre best-seller du polar suédois : « La princesse des glaces » de Camilla Läckberg. En un seul gros volume de 130 pages, Olivier Bocquet (scénario) et Léonie Bischoff (dessin) reprennent à leur compte cette histoire de famille complexe et violente. Erica, biographe, découvre dans sa maison de vacances, le cadavre de son amie d'enfance. Nue dans la baignoire, les veines coupées, la mort remonte à plusieurs jours, l'eau s'est transformée en glace. 
Nous sommes dans une petite ville côtière de Suède. La police ne croit pas au suicide. Et rapidement, un peintre alcoolique, amant de la morte, fait figure de principal suspect. Mais Erica va mener l'enquête de son côté et comprendre que cette mort est beaucoup plus énigmatique qu'il n'y paraît. Elle devra remonter dans ses souvenirs d'enfance pour mettre à jour les véritables motivations. 
Il y a un peu d'ambiance à la Simenon, un peu de romance et beaucoup de non-dits. Plus une ville est petite, plus tout se sait, mais personne ne parle....

« La princesse des glaces », Casterman, 19 €


vendredi 7 août 2009

Roman - Une "Résolution" à méditer


 Exercice périlleux que celui de Pierre Mari. Dans ce premier roman, il tente de raconter la restructuration, vue de l'intérieur, d'une grande entreprise. Le héros et narrateur, jeune cadre dynamique aimant relever les challenges, se retrouve propulsé dans le service des ressources humaines. Il a en charge une cellule d'évaluation du personnel pour proposer formation et reclassement en fonction des compétences de chacun. Tâche exaltante dans les premiers temps - elle permet de donner une seconde chance à certains employés enfermés dans une routine- elle devient de plus en plus ingrate en fonction des mauvaises nouvelles distillées par la direction sur la santé de l'entreprise.  Des investissements non maîtrisés mettent la trésorerie en difficulté. Les entretiens d'évaluation se transforment rapidement en antichambre, au mieux d'une retraite anticipée, au pire d'un reclassement non souhaité.

L'ambiance se détériore, les collègues parlent de plus en dans son dos, les règlements de compte laissent quelques cadavres au cours de réunions houleuses. Lui-même se pose de plus en plus de questions et sombre dans un profond découragement face au gâchis évident à mettre à l'actif de la direction.

Roman social, parfois ardu en raison des thèmes assez pointus, "Résolution" de Pierre Mari montre que personne n'est à l'abri des conséquences d'un accident industriel.

"Résolution", Actes Sud, 15 € 

mardi 21 novembre 2006

Roman - Vivre de l’art ou art de vivre ?

Dans New York en effervescence culturelle permanente, Siri Hustvedt raconte l’évolution de deux couples des années 70 à nos jours dans « Tout ce que j’aimais ».


L’un est critique d’art, l’autre peintre. Leo est marié à Erica, Bill vit avec Lucille. Les deux couples viennent de se former et le courant passe entre eux. Leo est impressionné par les peintures de Bill, artiste exigeant, mettant de longues années avant de concrétiser une série de toiles. L’amitié et le parcours en parallèle de ces deux hommes sont au cœur du roman de Siri Hustvedt.

C’est Leo qui raconte ces petites anecdotes qui, au fil des ans, tisseront des liens d’une grande force entre deux familles aux vies entièrement consacrées à l’art sous toutes ses formes. L’art est leur raison de vivre tout en étant un art de vivre…

Violet, la muse.

Erica et Lucille tombent enceinte presque au même moment et les deux garçons qui naîtront à quelques jours d’écart seront amis tout au long de leur enfance. Mais autant cet enfant consolide le couple de Leo, autant Lucille est totalement déboussolée par cette nouvelle bouche à nourrir. Bill, de plus en plus dans sa peinture, s’éloigne de sa femme qui préfère la séparation à l’affrontement. Deux appartements dans New York puis le départ vers le Texas pour Lucille, avec l’enfant. Bill perd son fils mais gagne un véritable amour. Il succombe au charme de Violet, le modèle de ses œuvres de jeunesse. Violet Blom, belle et extravagante muse d’un peintre de plus en plus côté sur le marché de l’art contemporain. A l’abri du besoin, Bill met encore plus de temps pour finaliser ses projets. Mais ce n’est pas par fainéantise, il passe des heures et des heures à créer, dessiner, faire des études et des croquis, commencer des toiles qu’il met ensuite de côté, ne se sentant pas encore prêt pour y apporter la touche finale. Finalement, pour une dizaine d’œuvres exposées, il accumule des centaines et des centaines de brouillons et études. La vente de quelques bribes de son art suffit largement à subvenir aux besoins du couple. Une situation rêvée pour cet artiste hors norme.

Hystérie et anorexie.

Libérés des contraintes matérielles de la vie quotidienne, ces purs esprits vont pouvoir s’interroger sur des sujets pointus, futiles pour certains, essentiels pour d’autres. Violet va ainsi faire de longues recherches sur l’hystérie avant de diriger ses travaux vers l’anorexie, le mal des femmes de la fin du siècle dernier. Bill trouvera dans les écrits de Violet matière à création. Simples tableaux ou constructions plus élaborées en trois dimensions, l’auteur décrit longuement ces œuvres, leur interprétation et sens caché. Erica aura cette réflexion pour décrire une des premières compositions de Bill, une représentation hyper réaliste de Violet intitulé « Autoportrait » : « C’est comme si on regardait le rêve de quelqu’un d’autre ».

Mais ces vies ne sont pas que art et création. Il y a également ces coups du sort qui font que même les génies, parfois, souffrent et en veulent à toute la planète. Alors que Leo est en train de perdre la vue, il explique comment ce handicap peut se transformer en atout. Il suffit de savoir faire fonctionner sa mémoire. Il redécouvre alors des détails qui lui avaient échappé lors des premiers examens.

Tout en traitant essentiellement de considérations cérébrales, ce roman de Siri Hustvedt est ancré dans une réalité très forte. Ainsi on se reconnaîtra forcément dans un des personnages : maris, femmes ou enfants, on n’a que l’embarras du choix.

« Tout ce que j’aimais » de Siri Hustvedt (traduction de Christine Le Bœuf), Actes Sud, 23 € (également en poche chez Babel)