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lundi 3 mars 2025

BD - Manteau maudit dans les Pyrénées

La montagne est souvent assimilée à la nature, la poésie et la beauté. On oublie par contre l'isolement et l'obscurantisme qui perdurent dans ces endroits coupés du monde moderne. Le roman graphique de Jaime Martin paru dans la collection Aire Libre explore ce versant des Pyrénées. 

L'action se situe au XIXe siècle. Pas encore la civilisation moderne. Dans ces vallées ou plateaux, entre les frontières françaises et catalanes, pour se soigner les plantes des guérisseuses sont souvent plus efficaces que les remèdes d'une médecine encore balbutiante. 

Mara est une vieille guérisseuse. Elle vit seule dans sa maison perdue dans la forêt. Quand une jeune femme, juste vêtue d'un sombre manteau débarque apeurée et déboussolée chez elle, elle décide de la protéger, de l'aider, de lui enseigner son savoir. 

Cet apprentissage va causer bien des soucis à Mara et à sa jeune protégée qui semble être recherchée par la police. Qu'a-t-elle fait dans la grande ville ? Mara ne veut pas le savoir. Par contre les villageois vont se mêler de l'affaire et le manteau, de sombre, va devenir définitivement maudit.

Un roman graphique d'une grande force, abordant des thèmes d'antan mais qui résonnent de nos jours : liberté des femmes, émancipation et médecine douce. 

"Un sombre manteau", Dupuis, 104 pages, 21,95 €

samedi 3 août 2024

Une étude historique - La Catalogne médiévale entre Orient et Occident

Pierre-Vincent Claverie propose dans ce nouvel ouvrage la compilation de plusieurs articles parus ces dernières années. Il se focalise sur cette période du Moyen Age au cours de laquelle la Catalogne joue un rôle essentiel de liaison entre l’Orient et l’Occident.
Des considérations générales mais également des exemples précis comme cette fameuse affaire dite du monastère d’Alexandrie. 

Des Juifs, en Egypte, auraient profané un monastère copte. Trois marchands juifs, à leur arrivée en Catalogne, furent dénoncés, emprisonnés et torturés. Sans la moindre preuve. Finalement, justice leur fut rendue grâce à une contre-enquête initiée par la municipalité de Barcelone.

« La Catalogne médiévale entre Orient et Occident », Trabucaire, 276 pages, 22 €

vendredi 15 décembre 2023

« Tirant le Blanc », un roman de chevalerie catalan à redécouvrir

Publié pour la première fois en 1490, le roman de chevalerie catalan a été traduit et édité en français dans son intégralité pour la première fois il y a 20 ans. Les éditions Anacharsis de Toulouse, proposent une réédition en cette fin d’année.

Jeune chevalier breton, Tirant le Blanc s’est illustré en combattant les envahisseurs avec l’empereur de Byzance. L’épopée de cette vie tumultueuse est décrite dans « Tirant le Blanc », roman de chevalerie paru en 1490 et signé Joanot Martorell.

Une épopée chevaleresque étonnamment moderne pour l’époque. Un texte majeur, le plus important de la littérature médiévale catalane, cité en exemple (« le meilleur livre du monde ») dans le Don Quichotte de Cervantes. Traduit un peu partout en Europe, il n’était disponible en France que sous forme de résumé. Jean-Marie Barberà, professeur de linguistique hispanique, a mis 20 ans à le traduire à partir de la première édition en catalan.

Un texte édité en 2003 par les toutes jeunes éditions Anacharsis, fondées par deux historiens à Toulouse. 20 ans plus tard, on retrouve Tirant dans cette réédition, devenue référence et agrémentée d’une préface de Marie Cosmay. L’occasion pour Claude Faber, libraire à Port-Vendres (Oxymore) de redécouvrir ce roman qui laisse « une place importante aux femmes fortes, des femmes de conseil. Il y a beaucoup d’érotisme et de scènes explicites pour l’époque. » 

dimanche 29 octobre 2023

Catalogne : un fait divers dans la montagne catalane, sujet du livre "Tor, treize maisons, trois morts"

Minuscule hameau de treize maisons dans les Pyrénées catalanes, à quelques kilomètres d'Andorre, Tor a été le théâtre de trois meurtres en moins de dix ans. Un journaliste barcelonais, Carles Porta, revient sur cette incroyable histoire non élucidée qui prend sa source dans un différend entre deux familles qui revendiquent une même partie de la montagne.  


Journaliste à TV3 à Barcelone, Carles Porta est envoyé par sa hiérarchie en 1997 pour faire un reportage sur les derniers soubresauts juridiques d'une affaire qui fait grand bruit depuis des années. Dans le petit hameau de Tor, perdu dans une vallée, les différends entre deux membres de la communauté, Sansa et Palanca ont dégénéré en fait divers sanglant. Il découvre l'affaire et va décider d'enquêter longuement. Cela lui donnera la matière pour écrire un livre sur cette incroyable affaire qui remonte à la fin du XIXe siècle.

Car tout débute en 1896 lors de la création d'une société de copropriétaires destinée à éviter que la montagne, très riche en bois et pâturages, devienne communale et passe à l'Etat. Mais en 1976, Sansa, un des copropriétaires, loue la montagne à Ruben Castaner, un Andorran. Palanca, autre copropriétaire, conteste cette décision et cède l'exploitation des bois à deux habitants de Vic. En 1980, ils seront abattus par les gardes du corps de Castaner. La suite est une bataille judiciaire pour déterminer qui est propriétaire de la région qui gagne au passage le titre de "montagne maudite".

Épilogue en 1995 avec la décision de justice donnant à Sansa l'entière propriété de la montagne. Mais quelques mois plus tard, il est retrouvé mort chez lui. "Il a été battu, étranglé et son crâne a été fracassé avec une bûche". Qui l'a tué ? Pourquoi ? Ce rebondissement n'est pas le dernier car un nouveau jugement, en appel, en 2005 du tribunal supérieur de justice de Catalogne confirme que la montagne est un bien communal.  Le livre, qui se lit comme un roman, entre clairement dans la catégorie du gonzo journalisme. Carles Porta n'hésite pas à se mettre en scène dans ses investigations. Il raconte comment il parvient, avec les pires difficultés, à questionner les habitants de Tor, hameau où l'omerta est de mise. 

Le million de pesetas et l'omerta

Il se met surtout à la recherche d'un témoin capital, Gil José, un ouvrier qui affirme avoir assisté au meurtre de Sansa. Ce seraient deux paumés et anciens contrebandiers qui l'auraient assassiné pour une dette d'un million de pesetas. Un témoignage rapidement remis en cause et écarté par les enquêteurs.

Le journaliste va retrouver ce témoin, longuement le rencontrer et douter de plus en plus. "Devant nous, les moutons paissent, et derrière eux, la Cerdagne s'étend à nos pieds. Un chien semble écouter comme moi la vie de cet homme qui dit avoir vu un assassinat, mais que personne ne croit. Pas même nous. Je ne sais pas pourquoi, mais cet homme pourtant si simple vous plonge dans l'incertitude. Plus j'en apprends sur sa vie, plus les doutes s'installent." Alors vous aussi tentez de vous faire une opinion en revivant ces décennies de convoitise, violence et batailles judiciaires en lisant ce récit paru initialement en catalan en 2005. 

"Tor, treize maisons et trois morts" de Carles Porta, Editions Marchialy, 345 pages, 22 €

mercredi 18 octobre 2023

BD - « Avant Gala », premier tome d’une trilogie en bande dessinée sur Dalí

Après Picasso, Julie Birmant et Clément Oubrerie s’attaquent à un autre géant de la peinture espagnole : Dalí. Le 1er tome de cette trilogie raconte sa vie « Avant Gala ».

Se lancer dans une biographie dessinée de Dalí est forcément synonyme de challenge graphique excitant pour l’illustrateur. Clément Oubrerie a relevé le défi et s’en tire avec plus que les honneurs, proposant quelques planches avec des visions « daliniennes » du plus bel effet. Il s’était déjà attaqué au monde du jeune Picasso (Pablo, quatre tomes chez Dargaud) avec la même complice, la scénariste, Julie Birmant.

Le premier tome de cette trilogie (tome 2 en avril 2024, tome 3 en octobre 2024) raconte la jeunesse de Dalí (Avant Gala). De Figuèras à Madrid en passant par Paris, les auteurs montrent un jeune homme très lunatique, parfois pleutre, souvent extravagant, perdu dans ses pensées, toujours original. Si son père accepte de l’envoyer faire les Beaux-Arts à Madrid, c’est pour honorer la mémoire de sa femme, la mère tant aimée de Dalí. C’est là qu’il rencontre ses premiers amis artistes, Federico Garcia Lorca et Luis Bunuel. Bunuel qui lui ouvrira les portes de Paris, capitale des surréalistes. 

Le jeune Dalí, encore sans moustache mais déjà très torturé par son image publique, va s’épanouir parmi ces fêtards dans limites. Même si son rigorisme, sa vénération pour certains anciens, va rapidement le détourner de la bande où un certain Picasso commence à se faire un nom.

L’album vaut aussi pour les nombreuses anecdotes de jeunesse, quand il était à Figueras, déjà obnubilé par quelques figures, des mantes religieuses aux horloges. Julie Birmant, sans véritablement donner les clés de la psyché de Dalí (mais qui oserait s’attaquer à un tel chantier), permet en plusieurs petites touches de définir l’Homme qui deviendra le grand peintre puis le parfait exploiteur de son engouement populaire pour devenir riche à millions. Mais ce sera le propos Des tomes suivants.

« Dalí » (tome 1), Dargaud, 88 pages, 19 €

dimanche 2 juillet 2023

Patrimoine - Sentinelles catalanes

 

Excellent connaisseur de la région et surtout de son histoire, Bernard Rieu vient de signer un petit livre didactique sur les tours à signaux des Pyrénées-Orientales aux éditions Trabucaire (150 pages, Editions Trabucaire, 15 €). Dans la collection « Découverte guidée du Pays Catalan », une première partie raconte pourquoi on a construit sur des pics et collines ces tours. Leur utilité au temps des invasions et attaques des pirates mais aussi leur abandon quand la technologie les a rendues obsolètes.

Sentinelles de la région, elles ont souvent subi les outrages du temps. Certaines ont carrément disparu, d’autres ne sont que ruines. Bernard Rieu raconte aussi la passion de ces amoureux du patrimoine qui ont tout fait pour reconstruire certaines tours emblématiques comme celle de la Massane. La seconde partie du livre, richement illustrée de photographies de Michel Castillo, fait l’inventaire exhaustif des tours par secteur géographique.

Particulièrement nombreuses dans les Albères, elles sont plus isolées et difficiles d’accès dans la vallée du Tech et de l’Aspre. Le meilleur exemple étant celle de Batère, isolée mais essentielle dans le maillage permettant de communiquer d’une vallée à l’autre.

Un livre érudit qui donne envie de faire un bout de chemin au grand air et de s’imaginer vivre en ces temps où les téléphones portables n’existaient pas.

jeudi 22 juin 2023

Polar - Javier Cercas délaisse en partie la Catalogne pour les Baléares

Melchor Martin, le héros de la trilogie Terra Alta de Javier Cercas, enquête à Palma sur les exactions d’un prédateur sexuel. Ce dernier a fait l’erreur de s’approcher de Cosette, la fille de Melchor.


Le troisième volet de Terra Alta, série policière imaginée par Javier Cercas, se déplace en grande partie aux Baléares. Les deux premières avaient pour cadre la Catalogne. La région de Terra Alta d’abord puis Barcelone. Le château de Barbe Bleue est implanté près de Pollença, petite ville touristique de Palma de Majorque. C’est là que disparaît, du jour au lendemain, Cosette, la fille de Melchor Martin. 

Les relations entre l’ancien policier, devenu simple bibliothécaire, et son adolescente ne sont pas au beau fixe. Cosette a récemment appris les circonstances exactes de la mort de sa mère. Un simple accident de la circulation selon son père. En réalité, Olga a été volontairement renversée pour faire peur à Melchor qui devenait trop pressant dans son enquête (lire le tome 1, Terra Alta chez Actes Sud et Babel en poche). Ce mensonge Cosette ne l’admet pas. Non seulement elle se sent trahie par son père, mais elle se persuade que c’est à cause de lui si sa mère est morte quand elle avait 3 ans. Durant les vacances de Pâques, avec une amie, elle va passer quelques jours de vacances aux Baléares. Mais le jour prévu, l’amie revient, pas Cosette. Fugue ou enlèvement ? Melchor se persuade rapidement que sa fille n’agit pas normalement. Il mobilise toutes ses anciennes connaissances policières pour retrouver la trace de Cosette. 

Un silence acheté

C’est l’essentiel de la première partie de ce roman où il est question, comme toujours, des Misérables, le roman de Victor Hugo qui conditionne en grande partie la vie du héros. Une partie assez technique, au cours de laquelle il va devoir se rendre sur place et se frotter à l’inertie (voire la corruption) de la Guardia Civil. 

C’est finalement une lettre anonyme qui va le conduire dans un mas perdu dans la montagne. Là, il rencontre Carasco, un ancien policier, persuadé que Cosette, comme des dizaines d’autres auparavant, a été enlevée (ou du moins appâtée) par les rabatteuses de Mattson, un milliardaire suédois. Tellement riche qu’il peut acheter toute l’île. Les terres mais aussi les consciences des policiers et des juges.  En se lançant dans la recherche de sa fille, Melchor se fait vite remarquer. 

Et à peine deux jours après, la jeune fille réapparaît, traumatisée mais vivante. En partie amnésique aussi. Une seule certitude, une fois de retour à Terra Alta, les médecins et psychiatres ont la certitude qu’elle a été abusée sexuellement à plusieurs reprises. 

La suite du roman est plus musclée. Comprenant qu’attaquer en justice Mattson est peine perdue, Melchor va s’allier à Carasco et retourner à Pollença pour tenter de mettre la main sur des preuves irréfutables des exactions du délinquant sexuel. 

Toujours féru de références littéraires, Javier Cercas explore cette fois Don Quichotte et le combat, qui semble vain, de Melchor contre les moulins personnifiés par Mattson. Un roman puissant, sur les relations compliquées entre père et fille, les secrets de famille et les choix que l’on fait dans l’urgence, pas toujours excellents mais jamais sans conséquence sur le futur.  

« Le château de Barbe Bleue » de Javier Cercas, Actes Sud, 23 €

lundi 24 avril 2023

BD - Pepe Carvalho vogue vers les mers du Sud

De tous les détectives privés de la littérature policière européenne, Pepe Carvalho de Manuel Vazquez Montalban occupe une place de choix. Si Nestor Burma est associé à Paris, Pepe est le héros à connaître pour palper la réalité de la Barcelone d’antan. Hernan Migoya adapte le roman « Les mers du Sud », toujours dessiné par Bartolomé Segui. En 1979, alors que l’Espagne et plus encore la Catalogne découvre les bienfaits de la démocratie après la disparition de Franco et la fin de la dictature, un cadavre est découvert dans une décharge sauvage de la périphérie de Barcelone. Un homme, mort poignardé.

Loin d’être un clochard abandonné là après une querelle d’ivrogne, c’est la dépouille d’un certain Stuart Pedrell, riche entrepreneur. Il a disparu depuis un an. Sa femme, qui a brillamment repris au débotté les rênes de l’entreprise, engage Pepe Carvalho pour retrouver ses meurtriers. Toujours aussi nonchalant et pessimiste, le privé amateur de bonne bouffe et de boissons alcoolisées plonge dans deux mondes très différents. D’un côté la grande bourgeoisie catalane, riche, réactionnaire et très catholique. De l’autre les artistes, intellectuels et militants de gauche, progressistes, avant-gardistes.

Le lien entre ces deux mondes : le mort. Car s’il savait faire fructifier sa fortune en bon capitaliste sans scrupules, Stuart Pedrell était aussi un ami de ce milieu interlope, achetant des œuvres, recevant chez lui des artistes sans le sou, aidant les partis les plus radicaux.

Le détective, dans ses investigations, se frottera à la fille du défunt (jeune femme perdue qui sautera littéralement sur Pepe chez qui elle retrouvera le père disparu et l’amant espéré), un avocat trouble, des maîtresses cupides et un associé sarcastique. Côté camp progressiste, il découvrira la seconde vie du disparu, devenu simple employé et compagnon d’une jeune gauchiste enceinte de ses œuvres.
L’intrigue du roman, considéré comme un des meilleurs de la série, progresse lentement. Normal, Pepe Carvalho aime prendre son temps. Cela permet aux auteurs d’utiliser les nombreuses digressions de Montalban sur la gastronomie, la politique, la littérature. Cela gonfle aussi la pagination de l’album qui fait 88 pages. Résultat le lecteur en a pour son argent et devrait envisager sans coup férir de prendre un billet pour la capitale catalane pour se glisser dans les pas du héros.

«Pepe Carvalho» (tome 3), Dargaud, 16 €

mardi 4 avril 2023

BD - Beauté de la frontière

Parmi les nombreux romans graphiques parus en début d’année, Toute la beauté du monde de Thomas Azuélos sort du lot par son côté épuré du dessin et l’histoire, universelle, de la lutte entre la beauté et la guerre. 180 pages d’une rare intensité qui se déroulent entièrement à Cerbère dans les Pyrénées-Orientales, ville frontière si inspirante.

Peu de temps après la Retirada, alors que le trafic ferroviaire est toujours au point mort, la ville tente de survivre au chaos. Les « orangères », ces femmes dont le métier est de transborder les oranges, espèrent que le travail va revenir.

En attendant, elles doivent se contenter de vider des wagons remplis de fruits pourris. Parmi ces ouvrières, Montse. Belle, impertinente, libre et engagée, elle aide secrètement quelques Républicains réfugiés en France et persuadés que la défaite n’est pas définitive. Montse, la muse platonique de José de Villalobos, peintre officiel du Grand Hôtel.

Cet établissement de luxe, déserté depuis quelques années, est directement inspiré de l’Hôtel du Belvédère, paquebot immobile de la ville de Cerbère. L’auteur dessine ses balcons, façades et autres grandes salles de restauration ou de cinéma comme il est toujours actuellement : grandiose mais désert.

On croise aussi dans ce récit un exilé Catalan, excellent cuisinier et pêcheur occasionnel, un trio d’anarchistes et des espions russes. Ces derniers sont à la recherche de Walter Bermann, philosophe en fuite. Il a écrit un livre que Staline convoite. Le leader communiste est persuadé que ce texte lui permettra d’asseoir son pouvoir partout dans le monde. On reconnaît facilement Walter Benjamin dans le portrait de ce philosophe très amoindri par la maladie.

En croisant fiction et réalité historique, dans des lieux imaginaires ou existants, Thomas Azuélos parvient à convoquer dans les mêmes pages grande et petite histoire, récits amoureux et guerrier. Avec en permanence la volonté de montrer comment la beauté dans toutes ses formes (peinture, architecture, cuisine…) peut embellir la vie, la rendre supportable malgré son cortège de folie et de mort.
« Toute la beauté du monde » de Thomas Azuélos, Futuropolis, 25 €

lundi 23 janvier 2023

Cinéma - “Nos soleils” brillent en Catalogne

Tourné en Catalogne dans la région d’Alcarràs, avec des comédiens amateurs, souvent eux-même paysans, Nos soleils, film  de Carla Simón est reparti de la dernière Berlinade avec l’Ours d’or. Une consécration internationale méritée  pour cette jeune cinéaste catalane à la tête d’une œuvre (même si ce n’est que son second long-métrage) marquée par un réalisme et un ancrage dans le présent. Nos soleils (Alcarràs pour son titre original) a des airs de documentaire. Pourtant c’est bien une fiction, avec scénario et comédiens. Mais pour avoir ce côté vérité vraie, la réalisatrice a planté ses caméras sur une véritable exploitation fruitière d’Alcarràs et a confié les différents rôles des membres de la famille Solé a des non professionnels, souvent paysans et donc au fait du travail de cette terre nourricière. 

En plein été, sous une chaleur écrasante, la petite équipe composée de quelques ouvriers immigrés et de la famille ramasse des pêches dans les vergers entourant la maison. Un travail dur, Quimet (Jordi Pujol Dolcet), le père, a le dos en compote, son épouse, Dolors, (Anna Otín) tente de l’obliger à se reposer, en vain. Le fils Roger (Albert Bosch) essaie de bien faire, mais subit toujours les foudres du père. Alors pour décompresser, avec son oncle, il fait pousser quatre pieds de cannabis bien cachés dans un champ de maïs. Reste les plus petits, à peine âgés de 6 ou 7 ans, une fille et deux jumeaux, cousins, profitant de cet immense terrain de jeu que sont les vergers, la ferme et la garrigue alentour. 

Panneaux solaires

Un monde qui est sur le point de s’écrouler, de disparaitre. La faute au grand-père, celui qui a repris l’exploitation de son père après la guerre d’Espagne. Les terres ne lui appartiennent pas. A l’époque, on ne signait pas de contrat, on donnait sa parole. Or le descendant du propriétaire a décidé de récupérer les terrains. Pas pour continuer l’exploitation agricole, trop coûteuse et peu rémunératrice. Il compte couper les arbres et les remplacer par des panneaux solaires. 

Lumineux de bout en bout, ce film passe de la chronique intimiste et locale (querelle de famille, fête de village avec Correfocs, repas dominical et cargolade) à l’universel avec la disparition programmée de cette agriculture qui pourtant depuis la nuit des temps nourrit la population. Une réflexion que Carla Simón mène avec brio, sans jugement à l’emporte-pièce. Juste la volonté de témoigner et de graver sur pellicule cette vie paysanne en train de disparaitre dans une indifférence la plus totale. Dans 30 ans, Nos soleils aura la même résonance que le Farrebique de Georges Rouquier.

Film de Carla Simón avec Jordi Pujol Dolcet, Anna Otín, Xenia Roset

vendredi 28 octobre 2022

Livre jeunesse - Train jaune en liberté


C’est l’histoire d’un train jaune, de sa conductrice et d’un bel hidalgo habitant à Bolquère. Cette histoire, comme un long poème, est aussi et surtout une belle histoire d’amour et de dépassement. Femke, aux Pays-Bas, est une jeune femme timide et souffrant de vertige. Tous les jours elle conduit un train jaune qui va de gare en gare, entre les canaux et les vertes prairies. Un parcours plat, très plat. Un train-train pour la conductrice du train, ce qui lui va très bien. 

Jusqu’au jour où elle découvre devant la porte de son appartement la carte d’identité d’un certain Julionito. Cet Espagnol habite à Bolquère. Il vient de passer quelques jours aux Pays-Bas. Alors Femke décide de changer sa routine et avec son train jaune de foncer vers les Pyrénées rendre la carte au si beau Julionito. 

Un texte de Guillaume Nail illustré par Qu Lan. On y trouve de nombreuses allusions au train jaune du Pays Catalan qui, contrairement au Néerlandais, va haut, très haut dans la montagne. Là où Femke risque l’apoplexie avec son vertige maladif. 

« La fin du train-train » de Guillaume Nail et Qu Lan, Glénat Jeunesse, 15,90 €

samedi 27 août 2022

Roman - Femme intransigeante

Nouvelle voix de la littérature catalane, Eva Baltasar propose pour cette rentrée littéraire la traduction en français de son second roman Boulder.

Après Permafrost, la romancière barcelonaise propose un nouveau voyage loin du soleil de la péninsule ibérique. La narratrice, cuisinière dans un navire de commerce qui longe indéfiniment la côte Pacifique de l’Amérique du sud, est farouchement attachée à son indépendance, sa solitude. Elle se contente de maîtresses éphémères rencontrées dans les petits ports.

Jusqu’à Samsa. Elle s’attache, se résigne à la suivre en Islande. Une vie commune, presque normale, puis apparaît chez Samsa une envie d’enfant. Dès lors l’amour va laisser place à une autre urgence dans laquelle la narratrice ne trouve plus sa place. « La vie est maintenant une pente descendante. Un souffle d’air qui me pousse vers elle, sitôt que je me lève. Je m’enfonce dans les jours comme un explorateur dans un territoire déjà arpenté, d’une manière apathique, sans prendre de précaution. »

Roman radical sur des thèmes peu consensuels - (homosexualité, refus de la maternité), Boulder est un texte minéral, comme ces roches isolées au milieu du paysage.

« Boulder » d’Eva Baltasar, Verdier, 18,50 €

vendredi 26 août 2022

Roman - Histoire andorrane

L’Andorre, principauté si proche et si différente. Pourtant les vallées ont toujours été très liées (voire dépendantes) de la France ou de l’Espagne. Dans Dernier été à Ordino, Joan Peruga retrace une partie de l’histoire de la principauté en racontant la courte vie de Sumpta d’Areny-Plandolit. Cette jeune fille de très bonne famille, née en 1960, morte 32 ans plus tard en 1892, a connu l’Andorre de la tradition mais aussi la principauté qui tente de tirer son épingle du jeu en créant station thermale et hôtels de luxe. Pour Sumpta, l’Andorre c’est avant tout des étés passés dans la grande maison d’Ordino, avec ses frères et sœurs. L’été, toute la famille se réfugiait à Barcelone.

Le roman, paru en 1998, véritable best-seller en Andorre, alterne descriptions d’une campagne sereine, manigances religieuses pour maintenir la région dans la tradition et vie agitée dans la Barcelone de plus en plus capitale européenne moderne.

Reste le portrait de cette femme, marquée par un amour impossible avec un séminariste et qui a vu le pouvoir de sa famille s’effriter au fil des ans. Un texte essentiel pour mieux connaître nos voisins montagnards.

« Dernier été à Ordino » de Joan Peruga, Éditions Trabucaire, 10 €

vendredi 1 juillet 2022

Roman. Javier Cercas règle son compte à l’« Indépendance » catalane

Écrivain reconnu en Espagne, Javier Cercas n’a pas dû se faire beaucoup d’amis en Catalogne lors de la parution du second tome de sa série Terra Alta retraçant les aventures du policier barcelonais Melchor Marin. Le titre Indépendance est trompeur. Car c’est en filigrane une dénonciation implacable du processus lancé par les indépendantistes qui est raconté dans ce roman brillant et passionnant. La classe politique est passée à la moulinette.

Les clés pour comprendre l’évolution de la province qui veut devenir un pays sont en réalité données au milieu du roman « La Catalogne a toujours été entre les mains d’une poignée de familles. Ce sont elles qui décidaient de tout avant le franquisme, qui ont décidé de tout pendant le franquisme, qui ont décidé de tout après le franquisme, et qui décideront de tout quand toi et moi on sera mort et enterrés… »

Melchor accepte de revenir à Barcelone pour aider des collègues qui travaillent sur une tentative de chantage à la sextape sur la maire de Barcelone. Il va croiser le chemin de trois de ces fils de famille qui ont tous les pouvoirs. Riches, ambitieux, sans morale, capables de tout pour conserver leurs prérogatives : ce sont des êtres malfaisants au plus haut point. Melchor va tenter de les faire tomber, mais comment ce fils de prostitué peut-il avoir le moindre pouvoir face à ces notables de pères en fils ?

La fin vous surprendra, car Javier Cercas n’a peur de rien et sait que souvent, ce sont les pires méthodes qui permettent les meilleurs résultats.

« Indépendance » de Javier Cercas, Actes Sud, 23 €  

vendredi 29 avril 2022

Roman - Lluis Llach en son royaume

Chanteur, militant politique pour l’indépendance de la Catalogne, élu… Lluis Llach multiplie les casquettes et en a rajouté une récemment sur son long CV : écrivain. Il quitte la Catalogne théâtre de ses précédents romans pour raconter les luttes de pouvoir au sein du royaume imaginaire de Magens. Échec au destin est un thriller médiéval dont l’intrigue pourrait tout à fait être transposée à notre époque.

Dans ce Moyen Âge qui sort très lentement d’une longue période de profond obscurantisme, certains monarques sont partagés entre leur volonté de progrès social et leur soumission à Rome et au Pape, arc-bouté pour maintenir ses prérogatives et avantages. Le roi de Magens, Ebrard, fidèle au pape, pense déjà à sa succession. Son fils aîné, Jan, fier guerrier, sera parfait. Son second fils, Inian, moins porté sur les choses de la guerre, est le préféré de la reine Bal. Un troisième larron va alors entrer en scène : Orenç. C’est le premier fils du roi, un bâtard car il a répudié la mère qui fut brièvement reine. Orenç revient à Magens après avoir suivi des études à Rome. Il a été nommé chanoine de la chapelle royale. Quelques jours après son arrivée, un drame rebat toutes les cartes : la reine Bal est retrouvée morte. Elle a chuté de la fenêtre de sa chambre, en pleine nuit. Meurtre ou suicide ? Le roi charge Orenç de répondre à la question. Exactement, il lui ordonne de prouver qu’elle a été assassinée car si le suicide est accrédité, elle sera excommuniée et de ce fait ses fils Jan et Inian perdront leur titre de Prince et tout espoir, un jour, de régner sur Magens. 

Une fois ce préambule mis en place, Lluis Llach laisse son imagination voguer au gré des événements et conspirations. Car à Magens, rares sont ceux qui n’ont pas quelque chose à cacher. Pour en apprendre un peu plus, rien de tel que la confession. Orenç va utiliser cette arme pour progresser dans son enquête. L’Église a « transformé la confession publique en confession privée sans en mesurer les avantages. Tout simplement parce que si la confession publique lui permettait juste de prononcer des pénitences, la confession privée, elle, lui donne un pouvoir de contrôle… qualité on ne peut plus fondamentale et intéressante. » Orenç va beaucoup en apprendre sur les complots du passé et ceux du futur. Et comme il est lui aussi un prince, il pourrait monter sur le trône un jour. 

Le roman de Lluis Llach, brillant, passionnant, plonge le lecteur dans ce Moyen Âge où les grands doivent aussi faire avec les petits. Car finalement, à Magens, Orenç comprendra rapidement que la meilleure arme pour résoudre l’énigme  reste la belle et aguichante Brilhéta, la servante de la reine, celle qui l’a découverte morte et qui sait tout des secrets de la cour. Et comme elle a une forte attirance pour le jeune curé, leur action conjointe a un côté fusionnel qui apporte un peu plus de piquant au roman.

« Échec au destin » de Lluis Llach (traduit du catalan par Serge Mestre), Actes Sud, 22,50 €

jeudi 7 avril 2022

Série télé - Vin et Catalogne au centre des « Héritiers de la terre »


Grosse production espagnole tournée en Catalogne, la série Les héritiers de la terre vient de débarquer sur Netflix. Huit épisodes qui sont une suite de La cathédrale de la mer. L’ensemble est tiré des romans d’Ildefonso Falcones. Dans cette seconde saison, on retrouve au début de l’histoire le personnage principal d’Arnau Estanyol. Mais rapidement l’intrigue va se concentrer sur le destin de Hugo Llor (Yon Gonzalez, photo ci-dessus). 

Hugo, orphelin, est protégé par Arnau. Mais ce dernier voit la vengeance de Puig le rattraper à l’occasion du changement de roi. C’est la fin dramatique de la première série. Hugo devient dès lors le personnage principal des Héritiers. Abandonné, recherché, il est caché par la communauté juive de Barcelone. Finalement il va aller s’occuper des vignes et deviendra un expert en vinification. C’est l’intérêt de la double intrigue de la série. D’un côté les déboires de Hugo, toujours persécuté par les Puig dont il cherche lui aussi à se venger, et son succès dans le monde du vin. 

Par certains côtés, Les héritiers de la terre fait office de documentaire sur la fabrication et l’amélioration du vin durant ce XIIIe siècle.  La série permet aussi faire à moindres frais un véritable voyage en Catalogne. Temporel et géographique.  La série est presque exclusivement tournée dans des décors naturels comme Peralada, Monells, Peratallada, Santa Coloma, Badalona, Tortosa… 

Sans oublier les vignobles et certaines rues de la capitale catalane qui ont servi de décor, de même que la plage.

 

mardi 22 février 2022

Cinéma - Un film catalan triomphe à la Berlinale


Le film catalan Alcarràs de Carla Simón a remporté l’Ours d’Or de la Berlinale, festival international qui a également vu la Française Claire Denis récompensée.

Alcarràs raconte la dernière saison de cueillette d’une famille d’agriculteurs catalans dans la région qui a donné son titre au film. Cela fait trois générations que les Sole vivent de la production de fruits. Mais les changements dans le commerce mondial condamnent leur exploitation.

La cinéaste, dont ce n’est que le second long-métrage, a emporté l’adhésion de tout le jury présidé par le cinéaste américain d’origine indienne M. Night Shyamalan. Pour l’instant, ce long-métrage n’est pas encore distribué en France. Le précédent film de Carla Simón, Eté 93, était sorti dans les salles françaises en 2017.

Extraits du film fournis par Cineuropa.

vendredi 4 février 2022

BD - Salvador Dali en guerre le "Jour J"


La collection Jour J qui propose de réécrire l’Histoire à la mode uchronie, se devait de s’intéresser un jour à la guerre d’Espagne. Il aura fallu attendre le 46e volume pour que Duval et Pécau, les scénaristes, se penchent sur cet épisode fondateur de l’Europe. 


Et comme ils sont joueurs, ils ont décidé de bombarder au centre de l’intrigue le formidable, l’incroyable, le totalement déjanté Dali

Dali qui clamait partout qu’il ne faisait pas de politique, décide dans l’album de revoir sa position quand il apprend que les Franquistes ont exécuté son grand ami Garcia Lorca. Il va mettre au point un plan démoniaque pour changer le cours de l’histoire. 

De la très grande BD d’aventure, surréaliste, dessinée par Arlem.

« Jour J » (tome 46), Delcourt, 14,95 €

jeudi 13 janvier 2022

Série Télé - Foodie Love sur Netflix passe par Montolieu dans l'Aude


Série télé. Isabelle Coixet fait partie des cinéastes espagnoles les plus brillantes. Elle s’est essayée à la série télé pour HBO. Cela donne Foodie Love, 10 épisodes qui sont disponibles gratuitement sur la plateforme Arte.fr. À Barcelone, deux célibataires cherchent l’âme sœur. 

Ils utilisent un site de rencontre qui joue sur leurs goûts culinaires. Le couple qui se forme partage plaisirs de la chair et bonne chère. 

L’épisode 8 les conduits à Montolieu dans l’Aude pour un week-end en amoureux qui, pour une fois, ne sera pas très gastronomique.

vendredi 17 décembre 2021

Cinéma- "Les lois de la frontière" d'après Javier Cercas


Streaming
. Adapté du roman de Javier Cercas, Les lois de la frontière, paru chez Actes Sud, prix Méditerranée étranger en 2014, ce film de Daniel Monzón, diffusé sur Netflix, se déroule, à Gérone, à la fin des années 70

Un jeune fils de fonctionnaire, souffre-douleur de ses camarades, s’encanaille avec des petits voyous des quartiers populaires. Il va abandonner ses lunettes (il est surnommé méchamment le Binoclard) et se révéler plus téméraire et aventureux. 

Un joli film sur la découverte de soi, doublée d’une histoire d’amour très compliquée, voire impossible. Saluons, à ce sujet, l’interprétation de Begoña Vargas, seule fille de la bande.