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samedi 7 septembre 2024

Roman français - « L’hôtel du Rayon Vert » au cœur de la rentrée littéraire

Le mythique palace de Cerbère à la frontière entre France et Catalogne sert de décor au roman de Franck Pavloff. Des personnages forts et entiers y croisent les fantômes d’Antonio Machado et de Walter Benjamin. 

Difficile de ne pas tomber amoureux de ce paquebot immobile. L’hôtel du Rayon Vert continue de veiller sur Cerbère. Et les nombreux fantômes qui continuent à errer sur ses coursives. Un décor de choix pour le roman de Franck Pavloff, un des titres très attendus de cette rentrée littéraire.

Un voyage à plusieurs proposé par le romancier. Dans l’hôtel et la gare de triage en contrebas, il va minutieusement organiser la rencontre de quelques égarés. Trois humains qui doutent, mais croient en la force de la vie. Sous l’égide d’un libraire, spécialiste de Machado et d’un cheminot, syndicaliste, une photographe, un violoniste et une fugueuse vont partager quelques moments. « C’est la saison des rencontres imprévues » fait remarquer à la photographe le cheminot. « Aujourd’hui vous, hier une jeune inconnue en sweet à capuche avec qui j’ai partagé un café thermos, et le jour d’avant un violoniste qui connaît aussi bien les poésies de Machado que ses partitions. » Ils vont découvrir la ville frontière, endormie en cette arrière-saison.

La photographe va saisir des moments de vie et s’installer dans un des appartements du Rayon Vert. Le violoniste, hanté par ses origines, recherche la valise de Machado. Il voudrait y trouver la preuve que sa mère est la fille illégitime du poète mort à Collioure. La fugueuse refait le dernier trajet de Walter Benjamin, le philosophe juif allemand, recherché par les nazis. Il a traversé les Albères, épuisé, et s’est donné la mort dans un hôtel à Portbou, en Catalogne.

Les fantômes de ces deux grands hommes, morts chacun de part et d’autre de la frontière après une fuite effrénée, planent sur le roman. Et quand les personnages se retrouvent de l’autre côté des Albères, Franck Pavloff, avec une étonnante clairvoyance, constate que « la Catalogne est le pays des mémoires égarées. » La force du texte réside dans le parallèle fait entre le passé et notre présent.

La jeune fille suit le sentier Walter Benjamin car elle veut savoir par où est passée une réfugiée africaine aidée quelques semaines auparavant à Toulouse. Et le violoniste dort dans le même wagon abandonné en gare de Cerbère que celui où Machado a repris des forces avant son arrivée à Collioure.

Un roman de l’espoir d’aujourd’hui, nourri des souffrances du passé.

« L’hôtel du Rayon Vert » de Franck Pavloff, Albin Michel, 240 pages, 20,90 €

Franck Pavloff sera à Cerbère ce 7 septembre à 18 heures, rencontre suivie d’une séance de dédicaces à l’Hôtel Belvédère du Rayon Vert, en partenariat avec la librairie Oxymore de Port-Vendres.

mardi 13 août 2024

Roman historique - Oranges et frontière


Paru en 2005, Quai des oranges de Nicole Zimermann est un superbe portrait de femme. De celles qui n’acceptent pas de marcher droit dans les pas du patriarcat. Rose, le personnage principal du roman, est une jeune Catalane vivant à Cerbère. Nous sommes dans les années 20 et le village frontière est essentiel dans les échanges commerciaux entre Nord et Sud de l’Europe.

Rose est transbordeuse d’oranges. Dans la gare, elle vide les wagons espagnols de ces fruits très recherchés et remplit les trains français. Un travail harassant mais bien payé. Rose, trop romantique, cède aux avances d’un garçon du cru et se retrouve fille-mère. Une infamie à l’époque.

Elle va cependant aller contre sa famille et la communauté, s’imposer dans son métier et permettre aux autres femmes de s’imaginer un meilleur futur. Le roman, très documenté, raconte aussi comment Rose a été envoyée au Pays basque pour former les ouvrières locales à ce travail ingrat mais essentiel.

L’occasion de détailler une petite compétition régionale : « Dures à l’ouvrage, vives et concentrées, les Basques mettent tout leur amour-propre à apprendre vite et à ne pas se laisser distancer » par les Catalanes.

« Quai des oranges » de Nicole Zimermann, Privat, 295 pages, 21 €

mardi 4 avril 2023

BD - Beauté de la frontière

Parmi les nombreux romans graphiques parus en début d’année, Toute la beauté du monde de Thomas Azuélos sort du lot par son côté épuré du dessin et l’histoire, universelle, de la lutte entre la beauté et la guerre. 180 pages d’une rare intensité qui se déroulent entièrement à Cerbère dans les Pyrénées-Orientales, ville frontière si inspirante.

Peu de temps après la Retirada, alors que le trafic ferroviaire est toujours au point mort, la ville tente de survivre au chaos. Les « orangères », ces femmes dont le métier est de transborder les oranges, espèrent que le travail va revenir.

En attendant, elles doivent se contenter de vider des wagons remplis de fruits pourris. Parmi ces ouvrières, Montse. Belle, impertinente, libre et engagée, elle aide secrètement quelques Républicains réfugiés en France et persuadés que la défaite n’est pas définitive. Montse, la muse platonique de José de Villalobos, peintre officiel du Grand Hôtel.

Cet établissement de luxe, déserté depuis quelques années, est directement inspiré de l’Hôtel du Belvédère, paquebot immobile de la ville de Cerbère. L’auteur dessine ses balcons, façades et autres grandes salles de restauration ou de cinéma comme il est toujours actuellement : grandiose mais désert.

On croise aussi dans ce récit un exilé Catalan, excellent cuisinier et pêcheur occasionnel, un trio d’anarchistes et des espions russes. Ces derniers sont à la recherche de Walter Bermann, philosophe en fuite. Il a écrit un livre que Staline convoite. Le leader communiste est persuadé que ce texte lui permettra d’asseoir son pouvoir partout dans le monde. On reconnaît facilement Walter Benjamin dans le portrait de ce philosophe très amoindri par la maladie.

En croisant fiction et réalité historique, dans des lieux imaginaires ou existants, Thomas Azuélos parvient à convoquer dans les mêmes pages grande et petite histoire, récits amoureux et guerrier. Avec en permanence la volonté de montrer comment la beauté dans toutes ses formes (peinture, architecture, cuisine…) peut embellir la vie, la rendre supportable malgré son cortège de folie et de mort.
« Toute la beauté du monde » de Thomas Azuélos, Futuropolis, 25 €