lundi 8 juillet 2024

BD - Les premiers « sans dents » à la mode Rabaté

Les héros de Pascal Rabaté viennent tous de classes sociales très populaires. Limite quart monde parfois. Pour certains ce sont ces fameux « sans dents » qui ont tant coûté à la popularité d’un Président de la République, pourtant de gauche… Des « sans dents » que Pascal Rabaté mettra en scène dans un de ses films. Il n’en était pourtant pas à son coup d’essai. Au début des années 90, il a décliné en trois albums chez Vents d’Ouest, la vie mouvementée de la famille Visons.

Une trilogie qui avait pour titre Les pieds dedans et qui vient de ressortir en format poche et en noir et blanc pour un prix minime. Seul regret, le dessin de Rabaté à ses débuts, précis et très travaillé, n’est pas idéalement mis en valeur dans ce format un peu trop réduit. Reste le fond, et là rien n’a changé. On découvre avec un plaisir non dissimulé l’histoire de cette famille qui cherche par tous les moyens à s’en sortir, tout en en faisant le moins possible.

Des escrocs à la petite semaine, obligés de trouver des combines pour nourrir leurs quatre enfants en attendant que la mère Chartier, leur viager, accepte de casser sa pipe. Dans la première histoire, un héritage inespéré leur tombe dessus. Encore va-t-il falloir écarter le cousin qui lui aussi aimerait emménager dans le pavillon de banlieue pompeusement nommé « Mon rêve ».

Les deux autres histoires sont à l’avenant, avec son lot de magouilles typiquement françaises, comme transvaser dans le supermarché, à l’abri des regards des vigiles, le contenu d’un baril de lessive à bas prix avec des mets luxueux. Des « sans dents » avant l’heure. Et qui sont sans doute encore plus nombreux 30 ans plus tard.

« Les pieds dedans » (édition poche en noir et blanc), Vents d’Ouest, 144 pages, 10 €

dimanche 7 juillet 2024

BD - Carla, taxi ou psy ?

Jacques Lob, scénariste à qui l’on doit le Transperceneige ou les aventures de SuperDupont, a écrit pour les meilleurs dessinateurs du XXe siècle. Futuropolis exhume les cinq récits courts de Carla, jeune femme taxi de nuit dans une ville sombre, très sombre, dessinée par Edmond Baudoin.

Du noir et blanc donc, avec quelques touches de couleurs dans une histoire, où Baudoin retranscrit parfaitement cette noire ambiance et sinistre. Un peu comme les clients que Carla amène d’un point A vers un point B, d’une dépression à un profond désespoir.

« Carla », Futuropolis, 80 pages, 18 €

samedi 6 juillet 2024

BD - Félix Mogo, voyageur rêveur

 

Christian Cailleaux est un dessinateur qui aime voyager et faire partager ses découvertes dans ses créations. On pourrait penser qu’il y a un peu de lui dans le personnage de Félix Mogo. Une sorte de dandy, attiré par les tropiques, les civilisations exotiques et les jolies femmes.

Félix est au centre de quatre histoires parues il y a quelques années et introuvables depuis trop longtemps. C’est donc dans une intégrale très raffinée que vous pourrez le suivre dans ses tribulations en Afrique, aux USA ou en Inde. Sans compter les passages se déroulant à Paris, dans ce milieu intellectuel qu’il aime tant.

Félix cherche donc des trésors qui parfois n’existent pas. Des aventures aux tons très différents. Très urbain dans la première (cela se passe en partie à New York), plus marquée par le passé colonialiste français dans la troisième, carrément ethnographique dans la dernière, sorte de découverte de l’Inde en train. Il se permet également de changer de style.

Avec cependant une constante, une ambiance entre aventure immobile, poésie de l’ailleurs et quête de rencontre. Des voyages rêvés qui n’ont rien perdu de leur pouvoir de dépaysement

« Les tribulations de Félix Mogo », Glénat, 616 pages, 35 €

vendredi 5 juillet 2024

Cinéma - “Juliette au printemps” retrouve sa famille

Film tout en finesse que ce « Juliette au printemps » de Blandine Lenoir. Le portrait d’une famille foutraque, celle de Juliette, de sa mère artiste à la sœur adultère et au père rongé par un deuil. 

Adapté d’une BD de Camille Jourdy parue chez Actes Sud BD, Juliette au printemps, film de Blandine Lenoir, est idéal pour retisser des liens avec votre famille s’ils se sont un peu délités au fil du temps. La famille de Juliette est spéciale. Comme elle d’ailleurs. Juliette (Izïa Higelin), est dessinatrice. Elle illustre des livres pour enfants. A quitté la région mais en ce printemps, elle reprend le train et revient chez son père passer quelques jours. Pour se remettre d’une dépression avoue-t-elle d’entrée.

Léonard (Jean-Pierre Darroussin), le père, est un peu démuni face au blues de sa fille. Lui-même n’est pas au mieux de sa forme. Aigri, vivant seul dans son appartement depuis le départ de Nathalie (Noémie Lvovsky), il demande à Juliette de l’aider pour vider la maison de sa mère, Nona (Liliane Rovère).

Juliette qui va aller voir sa sœur aînée, Marylou (Sophie Guillemin), puis assister au vernissage de la nouvelle exposition de sa mère.

Une fois tous les membres de la famille présentés, Blandine Lenoir peut dérouler son intrigue. Rien d’exceptionnel. Juste la vie quotidienne des millions de familles françaises. Mais c’est tellement bien écrit, filmé et joué que l’on prend un plaisir étonnamment simple mais fort à partager les doutes, étonnements ou espoirs de Juliette. Son rôle est central, mais ce sont les personnages secondaires qui apportent tout son seul au film.

Notamment la sœur qui confirme le talent sans limite de Sophie Guillemin. Cette coiffeuse à domicile, mariée et mère de deux enfants, vit dans un stress permament. Toujours rabaissée par sa mère, elle ne trouve son salut qu’en prenant pour amant un gros nounours, patron d’un magasin de farces et attrapes, venant à ses rendez-vous galants déguisés en perroquet ou en fantôme.

Noémie Lvovsky, en mère fofolle, collectionneuse d’amants depuis son divorce, est une incroyable tornade. Pourtant il suffit d’un mot, d’un seul, pour qu’elle tombe dans une profonde mélancolie, comme si elle passait son temps à faire semblant.

Comme Jean-Pierre Darroussin qui fait semblant de la haïr alors qu’il est toujours follement amoureux d’elle et de ses excès. Pour couronner le tout, Juliette croise le chemin de Pollux, le locataire de Nona, grand cœur sensible qui va lui redonner un peu d’espoir grâce à un… caneton. Un film choral sans la moindre fausse note. Un bijou de résilience et d’optimisme à ne pas rater.

Film de Blandine Lenoir avec Izïa Higelin, Sophie Guillemin, Jean-Pierre Darroussin, Noémie Lvovsky, Salif Cissé, Liliane Rovère

 

jeudi 4 juillet 2024

Littérature française - Alain Guyard vous fait visiter sa cabane dans les Cévennes

Faux ermite, anachorète de pacotille, Alain Guyard a décidé de vivre seul dans une cabane perdue dans les Cévennes. Il raconte avec humour et philosophie cette expérience, comme pour nous dégoûter d’en faire autant.

Face au désastre menaçant, l’effondrement puis l’apocalypse à venir et d’une façon plus générale l’impossibilité de vivre avec ses semblables, certains sont tentés de retourner au berceau originel : vivre seul au fond des bois. Alain Guyard, écrivain français plus iconoclaste qu’iconique, a franchi le pas.

Heureux propriétaire d’un mazet cévenol ou cabane de berger en forêt, décide de raconter sa nouvelle vie au plus près de la nature. Qui sait, rencontrera-t-il le même succès que Thoreau ou plus récemment Sylvain Tesson ? A la différence près qu’Alain Guyard est un écrivain très terre à terre.

Et dès le second chapitre, il aborde un sujet toujours délaissé par les grands auteurs : mais où faire caca quand on n’a pas de WC dans sa maison ? Cela donne quelques pages hilarantes car on y sent (presque olfactivement) le vécu. On comprend dès lors que cet ouvrage n’est pas destiné aux doux rêveurs qui espèrent, un jour, s’affranchir des relations sociales en se retirant dans une forêt enchantée au milieu de grands arbres majestueux peuplés d’oiseaux aux chants harmonieux et d’animaux tous plus beaux et gracieux les uns que les autres.

Dans la réalité il fait froid l’hiver, humide en automne, trop chaud en été, les insectes piquent, le plus proche débit de boissons se trouve à plus de quatre kilomètres et enfin le premier voisin, à 3 kilomètres, est un berger qui semble un peu trop aimer son troupeau de chèvres. Cela n’empêche pas l’auteur de signer quelques jolies réflexions sur ces arbres qui composent son quotidien. « Les arbres ne sont pas des animaux, explique-t-il. Car ce sont des humains, comme nous. Seulement, ils sont un peu lents. Ils ne se pressent pas. Notre année est équivalente à une de leurs journées. Ils ont la semaine de quatre cents ans. Ils ne croient pas à la valeur travail. » Toujours à propos des arbres et de ces hommes qui les abattent avec une tronçonneuse : « Couper un arbre consiste en un apprentissage de la masculinité toxique et se résume à une expédition punitive contre un phallus plus gros que le sien. » Cachez ces troncs que je ne saurais voir…

Ce petit récit, illustré d’une dizaine de linogravures signées Michéa Jacobi, ne cache pas les ambivalences de l’auteur. D’un côté, il espère un beau succès pour renflouer son compte en banque, mais redoute de devenir un exemple comme certains littérateurs de la survie en milieu hostile. Il va donc étudier leur style, pour tenter de ne pas tomber dans leurs travers.

Cela donne cette critique, parfaitement lucide et juste mais assez suicidaire pour ce qui est de la reconnaissance par ses pairs : « Des accents décadentistes doivent tintinnabuler, ici et là, de page en page à l’oreille du public. Mais dans le même temps, il ne suffit pas d’être conservateur, car vous perdez toute chance de conquérir votre public qui demande des gages de bonne conduite émancipatrice. La solution consiste à délayer vos grognonneries de défenseur de l’ordre et de l’Ancien Régime dans des références gauchisantes. » Mais il faut garder à l’esprit que la notion de solitude reste essentielle. « La cabane est solitaire, et qu’elle le reste !, car des fédérations de cabanes solitaires feraient une ZAD, ce qui n’est jamais bon quand on préfère le velours côtelé de gentleman farmer au sarouel de circassien ardéchois. »

« Ma cabane sans peine » d’Alain Guyard, Le Dilettante, 224 pages, 19 €

mercredi 3 juillet 2024

Science-fiction - Sportifs du futur et « Olympiades truquées »

Tous dopés ! Et en plus ce sont des clones qui participent aux Jeux Olympiques de ce futur proche imaginé par Joëlle Wintrebert.

Paru dans une première version en 1980, puis remanié en grande partie en 1988, Les Olympiades truquées, roman d’anticipation de Joëlle Wintrebert, ressort dans la jolie collection « Les Poches du Diable » des éditions gardoises Au Diable Vauvert.

Devenue depuis une des autrices majeures du genre en France, Joëlle Wintrebert aborde de nombreux sujets devenus depuis centraux dans l’actualité quotidienne, de la problématique du genre en passant par la surveillance à outrance des adolescents. Il y est aussi question de dérèglement climatique puisqu’une partie de l’intrigue se déroule à Narbonne Plage, station balnéaire devenue fantôme depuis que la Méditerranée s’est transformée une mer empoisonnée.

Le père de Sphyrène, nageuse qui va participer aux prochains Jeux Olympiques, est un ancien viticulteur de la Clape. Il s’est reconverti dans le sauvetage de la mer et la culture de posidonies. « Lorsque la mer était calme, on pouvait voir dans sa transparence retrouvée les mulets, rascasses, blades et jusqu’aux minuscules cabassons réensemencés à partir des fermes marines frétiller autour des grandes feuilles de posidonies. »

La partie purement sportive du roman raconte comment des entraîneurs, aidés d’apprentis chimistes, mettent au point des produits pour décupler les forces des athlètes. Et terminé la sélection naturelle. Les meilleurs sont tous des clones de clones. Qui signent de juteux contrats pour dupliquer leurs gènes. « Footballeurs massifs et basketteurs à la carte, deux mètres vingt garantis. »

Mais comment trouver sa place dans la société quand on sait que l’on n’est pas véritablement humain ? C’est aussi ce qui pousse Maël, fille d’un psychologue, à fuguer. Elle a été clonée à partir des gènes de sa mère. Et le père espère ainsi faire passer, dans quelques années, Maël de fille à nouvelle épouse. Joëlle Wintrebert démontre brillament les dérives d’une société où l’homme semble perdre les dernières miettes de son Humanité.

« Les Olympiades truquées » de Joëlle Wintrebert, Au Diable Vauvert, 352 pages, 9,50 €

mardi 2 juillet 2024

Thriller - Coup de foudre mortel dans cette « killer romance » de Brynne Weaver

 Les assassins peuvent-ils tomber amoureux ? Ce roman de Brynne Weaver, entre thriller, histoire d’amour et littérature érotique, répond par l’affirmative. 


 

Ils sont beaux, jeunes, Américains et vivent à mille à l’heure. Sloane et Rowan ont tout pour être heureux. Si l’on oublie ce petit défaut qui fait toujours un peu tâche sur un CV : ce sont des serial-killers. Exactement des serial-justiciers-killers. Chacun de leur côté, depuis des années, ils chassent les monstres qui humilient, torturent et tuent par plaisir. Une œuvre de salubrité publique.

Même s’ils avouent prendre beaucoup de plaisir en exterminant cette vermine. Rowan, surnommé Butcher, aime découper les chairs à vif. Sans doute à cause de sa couverture dans le civil : cuisinier d’un restaurant gastronomique.

Sloane répond au surnom de l’Orbitèle car elle signe ses forfaits en retirant proprement un des deux yeux de la victime. Meurtrière mais elle cache bien son jeu, Rowan constatant qu’« en une seconde, elle est passée de beauté sexy à tueuse à la volonté de fer, maléfique et implacable. »

Deux personnages hauts en couleur imaginés par Brynne Weaver, jeune autrice canadienne qui a fait ses débuts en autoédition sur le net. Son premier roman, Butcher et Blackbird, sort en France sous le label Verso, nouvelle collection des éditions du Seuil, consacrée aux littératures de genre. Un roman « pour public averti » car si le fil rouge est la naissance de ce bel amour entre Sloane et Rowan, les scènes sanglantes sont légion et les passages romantiques, deviennent érotiques au début avant de se transformer en textes très explicites. Chauds certes, mais beaucoup plus talentueux que les horreurs pondues dans certains romans de politiques en mal de dévergondage.

Les deux tueurs, avant de tester une myriade de positions, se la jouent très romantique : « Rowan croise mon regard. Ses mains réchauffent mes joues. Nous sommes à un souffle l’un de l’autre, et je sais que tout changera quand ses lèvres toucheront les miennes. » Un couple dont on tombe carrément amoureux si on n’est pas rebuté par quelques litres de sang, les tripes et autres tronçonneuses détournées de leur première utilité.

Une suite est annoncée en octobre, mais avec un autre couple dont Lark, chanteuse rock, meilleure amie de Sloane et elle aussi légèrement détraquée dans ses rapports avec les « méchants ».


« Butcher et Blackbird » de Brynne Weaver, Verso - Seuil, 384 pages, 19,90 €