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samedi 1 mars 2025

BD - Quand le train devient l'unique espoir d'un territoire

D'un côté il y a le TGV, rapide, centralisé, fierté de la technologie made in France. De l'autre les petits TER sur des lignes vieilles, très vieilles. Une bataille qui semble perdue d'avance. Mais qui pourtant va donner le ton des prochaines décennies. Le pays va-t-il se recentrer sur les grandes agglomérations pour abandonner les territoires ruraux, de plus en plus vides et isolés ? 

Exemple avec cette ligne en déshérence qui relie Neussargues dans le Cantal à Béziers dans l'Hérault. Une transversale, à travers les sud du Massif Central, Aveyron et Lozère. Des départements peu habités, en voie de désertification, sans grosses industries. Forcément, les lignes ont perdu leur rentabilité. Même pour le fret depuis l'ouverture d'une autoroute gratuite. 


Pourtant sur ces quais devenus trop silencieux, des milliers d'habitants se battent depuis des décennies pour sauver la ligne, la rénover, la moderniser, lui donner une seconde chance. A eux aussi par la même occasion. 

Alain Bujak est allé sur place pour enquêter, rencontrer ces irréductibles du chemin de fer. Il raconte aussi la beauté des paysages traversés, des ouvrages d'art exceptionnels comme le viaduc de Gabarit, de cette France éternelle que l'on ne peut qu'apprécier à vitesse modérée. Il a confié le scénario à Elliot Royer, jeune dessinateur visiblement très enthousiaste à reproduire ces décors, véritables cartes postales de toujours. On comprend, en lisant ce reportage graphique, combien il est important pour certains de pouvoir se déplacer en toute sécurité et par tous les temps. Et rien de mieux que le rail, véritable lien entre les territoires, les communautés, les régions. 

Aujourd'hui, les premiers travaux de modernisation ont commencé, le combat semble avoir payé. Mais il faudra quand même attendre encore de nombreuses années avant que la ligne redevienne le fleuron qu'elle était au début du XXe siècle.

"Silence sur le quai", Futuropolis, 112 pages, 19 €

jeudi 16 janvier 2025

BD - Aurel signe un manifeste pour le dessin de presse


Il y a dix ans, les frères Kouachi, terroristes islamistes, ont assassiné une partie de la rédaction de Charlie Hebdo. Alors que de nombreuses voix s’élèvent pour la liberté d’expression à l’occasion de ce triste anniversaire, Aurel (Le Canard Enchaîné) signe un manifeste très personnel sur la situation de ces trublions que sont les dessinateurs de presse. Une profession en danger, paradoxalement. Car l’esprit Charlie n’a pas eu que du bon pour ces observateurs de la société, rarement tendres, empêcheurs de tourner en rond, poil à gratter de nos consciences.


Un album souple, de 32 pages percutantes, soulignant le paradoxe de ces dix ans : « Charlie quand ça leur chante ». Après un aperçu de la situation économique des journaux (fragile) et de la volonté des patrons de précariser les dessinateurs, Aurel s’attaque au fond du sujet. Il explique notamment comment les « néo-réacs », ces anciens gauchistes, souvent aux manettes des rédactions, grands manitous de l’opinion sur les plateaux télé, se sont autoproclamés gardiens de l’esprit Charlie.

Il leur oppose le nouveau public, plus jeune, plus critique, refusant les clichés et second degré trop facile et de plus en plus daté. Ceux que les néo-réacs mettent, en vrac, dans le mouvement « woke ». Aurel, à titre personnel, explique qu’il entend continuer à vouloir faire rire et réfléchir avec ses dessins. Tout en en prenant compte des remarques de la nouvelle génération, s’éloignant de ceux qui n’aiment Charlie que quand il faut dézinguer l’Islam ou les féministes.

Et de conclure en espérant pouvoir continuer à faire son travail, comme il l’entend, en s’améliorant, refusant toute leçon de ce ceux qui sont « Charlie quand ça leur chante ».
« Charlie quand ça leur chante », Futuropolis, 32 pages, 6,90 € (parution le 8 janvier)

lundi 5 août 2024

BD - Pluies dévastatrices sur la vallée de la Roya

 

Du reportage dessiné subjectif. Alain Bujak et Laurent Bonneau ont passé quelques jours dans la vallée de La Roya. Une zone montagneuse des Hautes-Alpes, ravagée en octobre 2020 par les trombes de pluie de la tempête Alex. Des ponts, des routes, des maisons emportées par les flots en furie.

Des villages coupés du monde. Quelques années plus tard, les blessures sont toujours visibles, il ne reste plus que Le bruit de l’eau qui donne son titre à la BD. Les deux bédéastes ont rencontré les témoins et victimes de l’époque. Ce gros album, entre reportage dessiné précis et planches sublimes, comme des tableaux gavés de couleurs de cette nature hallucinée.

Alain Bujak, photographe, assure le scénario. Laurent Bonneau, carnet de dessins en main, multiplie les croquis, des personnes interrogées, mais aussi des deux auteurs dans la nature, sur des routes sinueuses, perdus dans le lit d’un torrent ou en train de siroter un café avec un berger isolé dans les sommets. Il y est question de dérèglement climatique, d’attaques de loups, d’abandon des zones rurales par l’Etat, de chômage et de survie de plus en plus compliquée dans cette région de France.

Loin de vouloir imposer leurs réponses, leur vérité, les auteurs écoutent, laissent parler. C’est factuel et beau.

« Le bruit de l’eau », Futuropolis, 144 pages, 21 €

dimanche 7 juillet 2024

BD - Carla, taxi ou psy ?

Jacques Lob, scénariste à qui l’on doit le Transperceneige ou les aventures de SuperDupont, a écrit pour les meilleurs dessinateurs du XXe siècle. Futuropolis exhume les cinq récits courts de Carla, jeune femme taxi de nuit dans une ville sombre, très sombre, dessinée par Edmond Baudoin.

Du noir et blanc donc, avec quelques touches de couleurs dans une histoire, où Baudoin retranscrit parfaitement cette noire ambiance et sinistre. Un peu comme les clients que Carla amène d’un point A vers un point B, d’une dépression à un profond désespoir.

« Carla », Futuropolis, 80 pages, 18 €

mardi 25 juin 2024

BD - Jesse Owens, fuite victorieuse

Dans quelques jours ils seront des dizaines à rêver de victoire sur la piste d'athlétisme du Stade de France. Les Jeux Olympiques font de belles histoires. Gradimir Smudja l'a bien compris, lui qui vient de sortir un roman graphique sur la vie de Jesse Owens.

Le dessinateur d'origine serbe, réfugié en Italie depuis le début des années 80, est surtout connu pour des récits très poétiques et oniriques. Comment dès lors se frotter à la pure biographie ? Pour lui il suffit de donner le rôle de narrateur à un chat noir, Essej, musicien de jazz de son état, meilleur ami du petit Jesse Owens.

Car avant de faire fouler au géant de l'athlétisme la piste de Berlin en 1936, quand il remporte quatre médailles d'or sous les yeux horrifiés d'un Hitler vert de rage, Gradimir Smudja va raconter ce qui a donne des ailes à Jesse Owens. Et ses rêves de gloire sont directement issus de ses pires cauchemars.

Jesse a toujours eu l'impression d'être au mauvais endroit, au mauvais moment. Enfant, il court pour échapper à un jars agressif ou un bouc caractériel. Ensuite, il galopera pour échapper aux tueurs du Ku Klux Klan, aux policiers, aux milices blanches... Une fuite qui le conduira directement à la victoire. Un grand du sport mondial, mais qui sera rejeté par une partie de cette Amérique encore profondément raciste et ségrégationniste.

A son retour, après le triomphe de Berlin, Roosevelt, président, ne le recevra pas à la Maison Blanche. Il faudra attendre les années 70 pour que Gérald Ford lui remette la Médaille de la Liberté, plus haute décoration des USA.

Cette belle vie, remplie de gloire, passage très symbolique d'esclave à champion pour toute une partie de la population américaine, donne l'occasion à l'artiste d'origine serbe de signer des planches d'une incroyable beauté. Certaines, pleine page, voire sur des double pages, devraient faire saliver des galeristes en mal de peintures de qualité et bourrées de personnalité.

« Jesse Owens, des miles et des miles », Futuropolis, 128 pages, 24 €
 

jeudi 20 juin 2024

BD - Stars en croisière


 
Passionné de cinéma, le scénariste Jean-Luc Cornette s’offre un casting exceptionnel pour son nouvel album, Le feu et la glace. Il réunit sur un plateau de tournage dirigé par Georg Wilhelm Pabst deux grandes stars du cinéma mondial, Marlène Dietrich et Louise Brooks, une chanteuse et danseuse de jazz américaine, Adelaïde Hall, le comédien français Charles Vanel et le compositeur Kurt Weil.

Une équipe de rêve pour le premier film parlant européen en cet été 1929. Un film entièrement tourné sur un paquebot qui fait la traversée entre Cherbourg et New York. Un film imaginaire, sorte de fantasme absolu du scénariste confié au dessinateur Jürg.

En plus de plonger le lecteur au cœur de ce cinéma allemand qui rayonne sur les arts depuis une dizaine d’années, l’album montre combien les mœurs étaient libres et sans tabou à l’époque. Notamment dans le milieu des actrices. Ainsi Louise Brooks comme Marlène Dietrich, si elles ont un amoureux officiel, multiplient les aventures et rencontres éphémères.

Au début de la traversée, bien qu’elles soient toutes les deux présentes pour travailler, elles se lancent un défi : « Celle qui se tape le plus de gaillards durant la traversée est la reine de l’Atlantique. » et de rajouter (car elles ont passé quelques nuits ensemble) « Et les filles, ça compte aussi ! ».

Le côté gaudriole est très présent mais n’est pas le nœud de l’histoire. Car en fond se joue aussi la montée du fascisme et la mise au ban de cet « art dégénéré » comme le classeront officiellement quelques années plus tard les nazis arrivés au pouvoir. Le film sera perdu, Marlène Dietrich ne tournera jamais avec Pabst et Louise Brooks ne percera pas dans le cinéma parlant.

Reste cette BD, aux dessins délicieusement rétros, qui permet au cinéaste de rêver sur ces icônes du 7e art.
« Le feu et la glace », Futuropolis, 88 pages, 20 €

mardi 4 juin 2024

BD - Le meunier dans les bois

 


Tiré du roman d'Arto Paasilinna, Le Meunier hurlant, nouvelle création de Nicolas Dumontheuil se déroule dans le Nord de la Finlande. Après le succès de la transcription en BD de La forêt des renards perdus, l'auteur de L'Idiot (récemment réédité chez Futuropolis) se plonge avec délectation dans ce monde où la nature occupe une place centrale. La guerre vient de se terminer.

L'armée finlandaise a vaincu les nazis et les communistes. Dans ce petit village entouré de forêt, un moulin est sur le point de sombrer dans la rivière. Quand arrive Gunnar Huttunen, surnommé aussi Nanar. Cet échalas, très habile de ses mains, retape la bâtisse, remet la roue en service et recommence à moudre le grain produit localement. Ce serait parfait si Gunnar, parfois, se prend pour des animaux. Il imite les poules, les cochons, parfois des Humains mais surtout, la nuit, hurle comme des loups en chaleur.

Une folie qui n'est pas au goût des notables qui voudraient dormir en paix. Le roman raconte comment un original se retrouve rapidement ostracisé, rejeté et pourchassé par la masse. Seule la belle et compréhensive conseillère rurale Sanelma Käytämö trouve un certain charme au Meunier hurlant. Un charme certain même quand ils passent une nuit en amoureux sur une île isolée dans la nature pas si sauvage que ça.

On apprécie particulièrement les descriptions de Nanar quand il imite les animaux, mais aussi ses longues vadrouilles dans la forêt, loin des hommes agressifs, au plus près des animaux qu'il comprend tellement mieux.  

«Le meunier hurlant», Futuropolis, 152 pages, 24 €


jeudi 16 mai 2024

BD - Le cadeau de Frédéric Bihel


Même démarche vers l’autofiction que Gwen de Bonneval pour Frédéric Bihel. Il a cependant privilégié la forme sur le fond. Les dessins de cet album intitulé Les crayons sont d’une étonnante beauté et sérénité.

Étonnante car c’est d’un violent traumatisme dont il est question dans ces pages alternant dessins gris au crayon à papier et jolies compositions en couleurs.

Frédéric Bihel, avec sa mère, a voulu retrouver les lieux de son enfance. Première étape dans un petit village de Dordogne. Il se souvient de sa rentrée à la maternelle, son premier copain, fils de paysan qui lui a fait découvrir les joies des découvertes de la nature encore sauvage par endroits. Ou ses premiers tours de roue à vélo, sans les petites roues stabilisatrices.

Puis il s’installe à Limoges dans un appartement. C’est là qu’il va découvrir l’école buissonnière. Un matin, au lieu de descendre et rejoindre l’école (sa mère est déjà au travail), il monte au grenier et y passe la journée. Il le fera une semaine.

Quelques jours qu’il raconte selon ses souvenirs, notamment de cette fameuse boîte de crayons de couleur, puis y reviendra, adulte, toujours avec sa mère. Ce passage, nœud de l’album et de la vie du jeune Frédéric Bihel transforme cet album nostalgique en boule d’émotion.

La fin est rayonnante, comme si l’auteur, en dessinant ces planches, en mettant ses souvenirs sur le papier, se libérait d’une charge émotionnelle qui était devenue trop lourde à porter.

« Les crayons », Futuropolis, 120 pages, 23 €


samedi 2 mars 2024

BD - Parcours de migrant dans "Ce que je sais de Rokia"

 


Trop souvent la crise des migrants se résume à une litanie de chiffres. Combien meurent en traversant la Méditerranée, combien parviennent à rejoindre la France, combien sont renvoyés sans ménagement dans leur pays… Ce que je sais de Rokia, témoignage de Quitterie Simon dessiné par Francesca Vartuli aborde la problématique en ne parlant qu’un cas, celui de Rokia.

A La Rochelle, Marion veut s’engager pour aider les migrants mineurs en situation irrégulière. Avec son mari et ses enfants, elle veut accueillir un jeune isolé et sans abri. Ce sera Rokia. Elle serait originaire du Liberia, à 19 ans, est arrivée il y a un peu plus d’un an en Italie après une traversée de la Méditerranée au départ de la Libye. Elle va de famille d’accueil en famille d’accueil, apprenant le français, attendant une éclaircie côté papiers. Marion, autrice, va tenter de fendre la carapace de Rokia. Mais c’est compliqué. La jeune fille est très repliée sur elle-même, souvent mutique.

Première victoire, Rokia décide de rester chez Marion. Et cette dernière va lui trouver un objectif : devenir chocolatière. Quelques mois de bonheur et tout s’écroule. Une convocation à la gendarmerie. L’expulsion, vers l’Italie, est de plus en plus probable.

Le récit, dessiné dans de superbes couleurs par une jeune artiste italienne, montre le côté implacable de l’administration française. Police et gendarmerie appliquent les lois à la lettre, sans se poser de question ni examiner le statut particulier de la jeune femme. Marion recevra par chance beaucoup de soutien dans son combat pour permettre à Rokia de rester en France dans un premier temps puis de bifurquer vers une autre solution.

De La Rochelle à Menton en passant par les vallées protégées du piémont pyrénéen, c’est à une belle épopée que le lecteur est convié, avec son lot de déceptions de rebondissements et aussi d’élan d’humanité.

« Ce que je sais de Rokia », Futuropolis, 176 pages, 23 €


dimanche 28 janvier 2024

BD – Dinosaures, animaux et douleur : vous avez dit pédagogie ?

 Longtemps honnie par le corps enseignant, la BD permet désormais d’apprendre facilement. Une pédagogie par l’image parfois très sérieuse, d’autres beaucoup moins…  


Fascinants dinosaures

Rares sont les dessinateurs de BD qui osent s’aventurer en dehors du cocon douillet de leur studio de création. Sédentaires, ils aiment s’évader par la pensée. Aussi quand un artiste décide de s’enfoncer dans la jungle hostile du Laos à la chasse aux restes de dinosaures, on se doute que l’aventure sera belle et palpitante. Ce parcours, c’est Mazan qui l’offre à ses lecteurs dans cette BD entre récit de voyage, séquence pédagogique et reportage dessiné.

Passionné par les dinosaures dès son plus jeune âge, Mazan, installé près d’Angoulême, a longtemps dessiné des récits historiques avec sa compagne Isabelle Dethan. La passion des dinos est revenue quand il découvre un chantier de fouilles près de chez lui. Il copine avec les paléontologues, devient bénévole, dessine leurs fouilles et finalement s’intègre à l’équipe de Ronan Allain qui s’envole pour le Laos en 2012.

Durant un mois et demi, Mazan va participer à l’expédition, manier la pioche et le pinceau. De toute beauté, ce roman graphique retrace la démarche du dessinateur, des chercheurs, raconte dans le détail le voyage en Asie, les déceptions et découvertes enthousiastes.

On apprend beaucoup sur les dinosaures (attention, c’est la partie la plus pédagogique mais aussi la plus complexe), mais surtout on rêve dans les pas de ces aventuriers du XXIe siècle et face à ces aquarelles parfois réalisées dans le feu de l’action, entre boue, attaques de moustiques et crainte de croiser un scorpion.

Kipling insolite

Grand écrivain britannique, Rudyard Kipling prix Nobel de littérature en 1907, a régulièrement séjourné à Vernet-les-Bains dans les Pyrénées-Orientales. C’est peut-être là, au calme d’un hôtel et d’une station thermale, qu’il a imaginé ces petits contes animaliers adaptés par le dessinateur espagnol vivant à Barcelone, Pedro Rodriguez.

Kipling, avec une malice redoutable, explique comment la peau du rhinocéros est devenue épaisse et fripée, pourquoi le léopard a un pelage tacheté, d’où vient la trompe de l’éléphant ou la bosse du chameau. On pourrait penser à première vue que c’est un album on ne peut plus sérieux traitant de l’évolution des espèces. C’est mal connaître ce conteur savant mais surtout très imaginatif.

Dans le premier conte, le rhinocéros, qui au début avait une peau douce et lisse, doit sa transformation à son comportement social « rustre et égoïste », à son amour des gâteaux et à la vengeance d’un Parsi, habitant de cette petite île de la Mer Rouge. On rit beaucoup de ces aventures loufoques, qui s’achèvent à chaque fois par un poème de Kipling.

Le dessin de Rodriguez, simple et expressif, renforce le côté ludique et comique de l’ensemble, très éloigné d’une simple BD pédagogique, mais le lecteur ne s’en plaindra pas.

Santé et douleur par l’humour

Quand un médecin rhumatologue, spécialiste de la douleur, s’associe à un dessinateur humoristique, cela donne cet album simplement intitulé « Aïe ! ». Patrick Sichère a écrit les scénarios de ces huit histoires complètes et les a confiés à Achdé, dessinateur repreneur de Lucky Luke.

Prépubliés dans Fluide Glacial, ces récits abordent entrer autres les problématiques des dents, du dos ou des pieds. L’occasion de revenir sur les débuts de la médecine, quand souffrir était un gage important pour se persuader qu’on était bien soigné. Et parfois cela marchait. L’arracheur de dent, ancêtre du dentiste, avait un truc infaillible pour faire oublier la douleur lancinante de l’abcès mal placé.

Avec presque un gag par dessin, cet album a le double avantage de faire sourire et de nous faire oublier que l’on est malade. Par contre, c’est une lecture à déconseiller aux hypocondriaques car ils pourraient découvrir de nouvelles maladies encore non envisagées.

« Les dinosaures du Paradis », Futuropolis, 224 pages, 26 €

« Les observations animalières de Rudyard Kipling », Aventuriers d’Ailleurs, 146 pages, 18,90 €

« Aïe ! La douleur se traite aussi avec humour », Fluide Glacial, 58 pages, 13,90 €

samedi 10 juin 2023

BD - Un témoignage dans le "Journal d’une invasion"


Igort, dessinateur italien, a déjà signé deux ouvrages sur la Russie et l’Ukraine. Quand il apprend l’attaque russe contre Kiev, il décide de raconter cette invasion sous forme de BD.

Marié à une Ukrainienne, il connaît parfaitement les lieux. Il ne peut pas s’y rendre mais recueille de nombreux témoignages au téléphone.


Dans ces 168 pages, on découvre le quotidien de simples civils, de militaires ukrainiens mais aussi de jeunes Russes, embarqués avec leur unité dans une guerre qui semble partie pour durer encore de trop longues années. Des témoignages essentiels alors que cela fait plus d’un an que le pays est pris en tenaille par les forces russes, qu’il résiste et envisage même de lancer une contre-offensive.

« Journal d’une invasion », Futuropolis, 24 €

mardi 4 avril 2023

BD - Beauté de la frontière

Parmi les nombreux romans graphiques parus en début d’année, Toute la beauté du monde de Thomas Azuélos sort du lot par son côté épuré du dessin et l’histoire, universelle, de la lutte entre la beauté et la guerre. 180 pages d’une rare intensité qui se déroulent entièrement à Cerbère dans les Pyrénées-Orientales, ville frontière si inspirante.

Peu de temps après la Retirada, alors que le trafic ferroviaire est toujours au point mort, la ville tente de survivre au chaos. Les « orangères », ces femmes dont le métier est de transborder les oranges, espèrent que le travail va revenir.

En attendant, elles doivent se contenter de vider des wagons remplis de fruits pourris. Parmi ces ouvrières, Montse. Belle, impertinente, libre et engagée, elle aide secrètement quelques Républicains réfugiés en France et persuadés que la défaite n’est pas définitive. Montse, la muse platonique de José de Villalobos, peintre officiel du Grand Hôtel.

Cet établissement de luxe, déserté depuis quelques années, est directement inspiré de l’Hôtel du Belvédère, paquebot immobile de la ville de Cerbère. L’auteur dessine ses balcons, façades et autres grandes salles de restauration ou de cinéma comme il est toujours actuellement : grandiose mais désert.

On croise aussi dans ce récit un exilé Catalan, excellent cuisinier et pêcheur occasionnel, un trio d’anarchistes et des espions russes. Ces derniers sont à la recherche de Walter Bermann, philosophe en fuite. Il a écrit un livre que Staline convoite. Le leader communiste est persuadé que ce texte lui permettra d’asseoir son pouvoir partout dans le monde. On reconnaît facilement Walter Benjamin dans le portrait de ce philosophe très amoindri par la maladie.

En croisant fiction et réalité historique, dans des lieux imaginaires ou existants, Thomas Azuélos parvient à convoquer dans les mêmes pages grande et petite histoire, récits amoureux et guerrier. Avec en permanence la volonté de montrer comment la beauté dans toutes ses formes (peinture, architecture, cuisine…) peut embellir la vie, la rendre supportable malgré son cortège de folie et de mort.
« Toute la beauté du monde » de Thomas Azuélos, Futuropolis, 25 €

vendredi 10 février 2023

BD - Entendez-vous la meute dans les bois ?

Un loup dans les bois du Limousin ? Un danger pour la population ? Ou un danger pour le loup ? La meute, remarquable roman graphique écrit par Cyril Herry et illustré par Aude Samama se garde bien de donner une réponse claire et nette. Les auteurs se contentent de raconter les faits.

150 pages en couleurs directes où différents points de vue s’expriment. Certains sont effectivement au cœur de l’intrigue. D’autres ne savent rien mais amplifient la machine à rumeurs.

Et puis il y a les innocents comme Amandine. Une petite fille malheureuse. Elle vit seule avec sa mère depuis que son papa est parti avec une autre maman. Elle aimerait avoir une nouvelle poupée, mais elle est trop chère. Elle pleure et se fait gronder par la maîtresse car sa mère est en retard. Elle voudrait partir. Loin. Et quand la fillette entend les grands parler de la mort, elle se demande si ce n’est pas la solution : « Amandine songe à mourir. Ce serait sûrement moins compliqué que de s’en aller toute seule, elle ne sait où. Elle se demande malgré tout si ça fait mal. Il faudrait essayer. Il n’y a que de cette façon qu’Amandine saurait. »

Au centre de l’intrigue, il y a la fugue de deux adolescents. Un garçon et une fille, qui ont d’excellentes raisons de quitter le foyer familial pour trouver refuge au cœur de la forêt. Dans ces bois où des loups seraient à l’affût. Des moutons sont retrouvés morts. Les deux jeunes vont-ils eux aussi périr sous les crocs. À moins qu’ils ne soient finalement plus en sécurité près de la meute animale que de celle formée par les humains.

Un livre et une histoire qui ne laissent personne indifférent. Car en plus d’Amandine et des fugueurs, les auteurs mettent en scène quantité d’hommes et de femmes tout ce qu’il y a de plus banals, de l’infirmière au tenancier de café en passant par l’agriculteur ou la retraitée acariâtre. Une galerie de personnages dans laquelle on ne peut qu’un peu se reconnaître en partie.

«La meute», Futuropolis, 22 €


samedi 17 décembre 2022

BD - Vélasquez peint

Splendide album que ce Vénus à son miroir signé par Cornette (scénario) et Matteo (dessin). Il est vrai que le sujet est propice aux belles images : un épisode d ela vie du grand peintre espagnol Vélasquez. 

Envoyé par le roi d’Espagne en Italie pour acquérir des toiles et sculptures italiennes, il est hébergé chez un ami peintre. Là, il croise la route de la sœur, Flaminia. Vélasquez a 50 ans, Flaminia à peine 20. Elle peint mais surtout accepte de poser pour lui, nue. Pour la première fois le prude espagnol ose peindre une femme nue. Ce sera la toile Vénus à son miroir. 

En plus de l’intrigue sentimentale, aussi belle que libre, l’album raconte comment Vélasquez accorde la liberté à son esclave Maure, Juan de Parela, autre peintre talentueux.

« Vénus à son miroir », Futuropolis, 17 €  

samedi 19 novembre 2022

BD - Un père en perdition dans "Le labyrinthe inachevé"


Jeff Lemire est l’auteur complet nord américain le plus étonnant de ces dix dernières années. Il peut passer du monde des super-héros à des récits intimistes avec un fond de fantastique. Le labyrinthe inachevé est un long cauchemar de 250 pages. 

Le mauvais rêve de Will, père brisé depuis la mort d’un cancer de sa petite fille. Une nuit, son téléphone sonne. C’est sa petite chérie qui lui demande de la retrouver au centre. Au centre de ces labyrinthes qu’elle affectionnait tant de résoudre. 

Armé du plan de Toronto, il va déambuler dans ces rues, croiser un chien qui parle, une voisine pleine d’empathie et un Minotaure effrayant. Un roman graphique un peu hypnotique, la faute aux cercles concentriques des labyrinthes. 

« Le labyrinthe inachevé », Futuropolis, 27 €


vendredi 29 avril 2022

BD - Dessins au fil du fleuve


Certains dessinateurs de BD aiment les festivals. Pas Angoulême, mais les endroits insolites, chargés de sens. Comme le Mapa Buku Festi qui se déroule sur une semaine le long du fleuve Maroni en Guyane française. Une dizaine d’auteurs sont partis à l’aventure et ont raconté ce qu’ils ont vu ou appris de cette région reculée de la France, aux confins du département français, entre Brésil et Suriname. 


Près de 200 pages où alternent petite histoires (Aude Mermilliod, Joub, Thierry Martin), simples carnets (Tripp, Lepage) ou planches plus explicatives (Joub, Nicoby). Une plongée dans l’enfer vert qui en réalité est de toutes les couleurs comme les superbes planches d’Éric Sagot.

« Maroni, les gens du fleuve », Futuropolis, 23 €


dimanche 24 novembre 2019

BD - Mattéo et Jean-Pierre Gibrat sont de retour à Collioure




Entre la Catalogne et Jean-Pierre Gibrat, la belle histoire se prolonge. Dans sa série historique Mattéo, il a propulsé son héros en pleine guerre civile. Le cinquième tome vient de paraître, couvrant la période entre septembre 1936 et janvier 1939.
Dans la région, tout le monde sait ce qui s’est passé début 39. La Retirada a jeté sur les routes de l’exil des milliers de Républicains. Mattéo, à la fin de l’album, lui aussi devra fuir vers la France pour éviter le peloton d’exécution. Il arrivera à Collioure et découvrira « le fort, mais de l’intérieur. Pauvres perdants que nous étions ». 
Avant cet épilogue qui marque en fait le début d’un nouveau cycle pour une 6e époque, Mattéo va vivre la guerre de l’intérieur. Avec ses camarades anarchistes il occupe un village de Catalogne sud.



Les phalangistes sont à quelques kilomètres. Une sorte de guerre de position marquée par des escarmouches et des nouvelles, bonnes ou mauvaises en provenance du véritable front. Mattéo qui habite dans la grande maison du curé, vieil homme impotent qui n’aime pas les révolutionnaires, sans pour autant approuver les Franquistes. Avec Mattéo ils vont longuement discuter, donnant à l’album un ton plus philosophique. 

Amélie change

Reste que les fusils parlent souvent. Notamment lors de l’échange d’un jeune moine fasciste avec la belle Amélie. Amélie qui est en couverture de l’album, infirmière révolutionnaire qui décide d’apprendre à se servir d’un fusil. 


Longtemps captive, elle ne dira jamais rien sur son séjour en prison. Mais elle a changé, décidée de rendre coup pour coup. Avec Mattéo la relation est toujours aussi compliquée. Ils s’apprécient, mais sans aller plus loin.
Mattéo préfère passer ses nuits dans les bras de la blonde et fougueuse Aneshka. Même si Amélie reste pour notre héros « la femme d’à côté de ma vie ».
Ce nouvel album de Gibrat était très attendu. Il clôt le cycle espagnol de son personnage écorché vif et donne l’occasion au dessinateur de croquer en couleurs directes cette montagne catalane, ensoleillée en été, froide et recouverte de neige en hiver. Autant d’ambiances pour un album qui confirme l’extraordinaire talent de ce dessinateur, amoureux de Collioure et de la région. 



« Mattéo » (tome 5) Futuropolis, 17 €. Un tirage de tête grand format, numéroté et signé par l’auteur, sera mis en vente 160 € le 27 novembre.

jeudi 8 novembre 2018

BD - Guerre et folie avec "Les oubliés de Prémontré"



La guerre, quelle folie ! Mais que deviennent les fous durant les guerres ? Cette question est au centre de l’album « Les oubliés de Prémontré » de Stéphane Piatzszek et Jean-Denis Pendanx. Cet immense asile d’aliénés tout proche de Soisson dans l’Aisne abrite 1 300 malades au début de l’intrique. Nous sommes en août 1914. La guerre est imminente. Un jeune garçon de ferme vient chercher du travail dans l’hôpital. 200 francs par mois, nourri et logé, c’est mieux que dans la ferme des parents. 
Comme en plus il sait conduire une automobile, il se révèle très utile à l’économe. Mais quand les troupes prussiennes s’approchent, le personnel médical fuit. Il ne reste plus que quelques administratifs demandant sans cesse l’évacuation des malades. Sans succès. Durant trois ans Prémontré sera abandonné. Occupé par les Allemands qui pillent les réserves, les malades meurent de faim ou de froid. Au loin les bombardements font rage. Ce roman graphique de plus de 100 pages, tout en couleurs directes de Pendanx, raconte le quotidien de ces hommes et femmes à charge d’âmes, même si ces dernières sont égarées. Une intrigue vient renforcer la dramaturgie de l’ensemble, basé sur une histoire authentique
« Les oubliés de Prémontré », Futuropolis, 21 €

mardi 16 octobre 2018

BD - Violette Morris, une femme trop forte

 

 

En pleine période de #metoo, cet éclairage sur la vie de Violette Morris a le mérite de montrer que le féminisme n’est pas une invention du siècle. Kris et Bertrand Galic ont exhumé les heures de gloire de cette femme forte. Ou forte femme. Un biopic romancé, car c’est une de ses plus anciennes amies, Lucie Blumenthal, qui raconte le destin atypique de Violette. Lucie, avocate avant guerre, a été rayée du barreau en 1941 car d’origine juive. Après une période très active dans la Résistance, elle est devenue enquêtrice privée pour retrouver les milliers de disparus de cette période sombre de l’Histoire de France. En Normandie, on l’appelle car des corps sont découverts enterrés près d’une ferme. Des collabos, exécutés à la Libération. Parmi les cadavres, une femme dont les seins ont été coupés. Lucie a la certitude qu’il s’agit de Violette. Le premier tome de la série prévue en quatre raconte les jeunes années de Violette, quand elle est interne chez les sœurs (avec Lucie justement), puis jeune adulte se défoulant dans le sport. Elle nage, court, lance le javelot ou le poids. Elle s’essaye même à la boxe. Sa particularité : elle se mesure toujours à des hommes. Car elle se sent homme. Mariée de force, elle s’émancipe et ne garde de son mari que sa garde-robe : des costumes trois pièces et des cravates. Dessiné par le Barcelonais Javi Rey, la vie de Violette est passionnante, même si le personnage est souvent dans la provocation et l’excès.
« Violette Morris » (tome 1/4), Futuropolis, 16 € 

samedi 1 septembre 2018

BD - L’amour est à la ferme


La misère sexuelle des agriculteurs. On a beaucoup écrit sur le sujet et une chaîne de télévision en a même fait une émission très rentable. Mais dans « Didier, la 5e roue du tracteur », Rabaté (scénario) et Ravard (dessin) racontent surtout l’amour à la ferme. Ces coups de foudre improbables entre traite matinale des vaches et soirée télé soporifique. Didier, 45 ans, en net surpoids, adepte de la bibine et souffrant de cruelles crises d’hémorroïdes (la poésie de la campagne) exploite sa ferme avec sa sœur, Soizic, un peu plus jeune, responsable et active. Deux cœurs solitaires. Si elle se contente de travailler tentant d’oublier sa vie sexuelle mise sous l’éteignoir, lui voudrait absolument tenir une femme dans ses bras. Pour la vie. Ou au moins une fois... 

Avec l’aide d’un voisin ruiné qui a trouvé refuge dans leur ferme, il s’inscrit sur un site de rencontre. « Coquinette » répond. Le début des ennuis. On pourrait se moquer de ces paysans, l’obèse, le moche aux oreilles décollées et la vilaine au gros nez. Mais rapidement on se prend d’affection pour eux, on découvre qu’ils ont beaucoup de cœur et de tendresse. Et pas que pour leurs vaches. Un petit bijou de sensibilité qui sent bon le foin coupé, le lait fraîchement tiré et le purin. La vie, quoi ! 
« Didier, la 5e roue du tracteur », Futuropolis, 17 €