mercredi 31 janvier 2024

Cinéma - « La zone d’intérêt » montre l’horreur bucolique

 A quelques mètres des fours d’Auschwitz, sollicités à outrance, une famille profite d’une existence bucolique. Jonathan Glazer filme un certain paradis aux portes de l’enfer. 



Au lendemain de la diffusion sur France 2 de Shoah (disponible en replay), film documentaire aux images édifiantes de Claude Lanzmann, la sortie en salles de La zone d’intérêt de Jonathan Glazer prouve qu’il existe plusieurs façons pour dénoncer l’abomination des crimes nazis. Présenté à Cannes en compétition officielle (récompensé du Grand Prix), ce film prend le parti de raconter le quotidien du camp d’extermination d’Auschwitz du point de vue des tortionnaires.

C’est l’été. Une famille bronze et se baigne dans un lac en Pologne. Petites filles blondes qui ramassent des mures, jeunes hommes musclés, épanouis. Quand ils rentrent chez eux, on devine au loin des miradors, des barbelés au sommet des murs et de grosses cheminées qui crachent de la fumée noire. La petite famille exemplaire est celle de Rudolf Höss (Christian Friedel), le commandant du camp d’Auschwitz.

Petit paradis aux portes de l’enfer

Avec sa femme Hedwig (Sandra Hüller), ils ont transformé leur maison en petit paradis. Chambres spacieuses, chauffage central, grand jardin avec piscine, potager et quantité de fleurs. Même de la vigne au fond du terrain. Mais surtout, pour cacher les premiers baraquements du camp. Un camp qu’on ne voit jamais à l’écran. Par contre, on entend tout ce qu’il s’y passe.

Comme l’a expliqué le réalisateur, la bande-son, sorte de parasite auditif à la limite du soutenable, est un film dans le film. Pendant que Hedwig se prélasse au soleil dans son jardin, des rafales d’armes automatiques font régner l’ordre de l’autre côté. Elle essaie un manteau de fourrure volé à une déportée qui, si ça se trouve, est cette femme qui hurle sous la torture. Certes la mère et ses enfants ne voient pas les horreurs à l’intérieur du camp, mais ils ne peuvent ignorer ce qui s’y trame. Comment dès lors arriver à vivre dans ces conditions ? Pourtant, jamais ils ne se rebelleront, ne feront le moindre geste vers les condamnés. Ils profitent du système, de la mort planifiée. A ces images ensoleillées, presque jolies et bucoliques, s’opposent les sons mais aussi la musique, omniprésente. Elle donne parfois l’impression que ce ne sont pas des instruments qui jouent mais que le compositeur, Mica Levi, a mixé les millions de hurlements des Juifs assassinés à Auschwitz.

On ne sort pas indemne de La zone d’intérêt. Mais c’est toujours le cas quand le cinéma raconte, montre ou dénonce, cette solution finale pourtant toujours remise en cause au XXIe siècle par des négationnistes.

Film de Jonathan Glazer avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Johann Karthaus
 

Bande dessinée - Lewis Trondheim ou Didier Tronchet : ils racontent leur vie sur du papier

L’autofiction peut aussi se décliner en BD. C’est plus rare et beaucoup plus marrant que du Christine Angot quand c’est Lewis Trondheim ou Didier Tronchet qui se racontent. 

Les chemins de traverse de Trondheim


Cela faisait quelques années que Lewis Trondheim n’avait pas publié de recueil de ses « Petits riens ». Des planches, souvent faites sur le vif, où il raconte des anecdotes tirées de sa vie, de ses voyages, de la Corse à la Californie en passant par le Japon ou le Golfe persique.

Dans cette 9e livraison, il explique ce que sont les chemins de désir, ces traces faites par les piétons qui prennent des raccourcis. Il en fait même le titre, comme pour nous persuader de faire attention à ces traces du quotidien que l’on a tendance à ignorer, trop occupés par d’autres futilités ou pire le nez collé à notre smartphone.

Le créateur de Lapinot, dans un salutaire exercice d’autodérision, ne cache rien de ses manies. Ses angoisses existentielles qui lui pourrissent la vie, partout et sans raison. On notera toute une série de gags autour des toilettes. Comme ce grand ratage, à la fin d’un vol long-courrier. Il laisse sa femme, Brigitte, attendre les valises alors qu’il va soulager sa vessie.

A son retour, persuadé qu’il va falloir encore attendre de longues minutes l’apparition des valises, il constate avec étonnement qu’elles sont déjà là. Sa femme explique : « C’était les deux premières à sortir. C’est la première fois que ça arrive. » Réaction de Lewis : « Rhâââââ… J’ai raté l’événement le plus fou du voyage… »

Autre exemple, il campe dans le désert en Arabie. Au petit matin, il se lève, s’éloigne un peu et urine sur une dune. Puis va se recoucher au lieu d’attendre une petite heure pour contempler le lever du soleil. Moralité par ce penseur souvent très clairvoyant : « Mince, j’ai résumé l’Humanité actuelle. Je pisse sur la planète et je n’apprécie pas la beauté du monde… »

Une BD à déguster lentement, pour ne pas rater ces petits riens qui forcément embellissent notre vie.

Dans le faux potager de Tronchet


Notre planète va mal. Pas la peine d’être un grand devin pour en avoir la certitude. De quoi se faire du mouron. Ou plonger dans l’éco-anxiété comme Didier Tronchet et sa femme. Un état d’esprit qu’il raconte, en s’en amusant, dans l’album Les Catastrophobes.

Suite logique, ils décident de quitter la ville pour se réfugier à la campagne. Avec la volonté, surtout chez madame, de « réinventer notre vie, être autosuffisant, en harmonie avec la nature… » Un beau programme qui fait pourtant encore plus flipper Tronchet qui se voit mal vivre sans pizza surgelée, WC modernes et encore moins de se priver de wifi et de réseaux sociaux. Cette succession de gags, qui racontent une année loin du bruit de la ville, fera rire les sceptiques, ceux qui sont persuadés que ce n’est qu’une lubie de privilégié, de bobo en manque de boue.

Les autres, ceux qui effectivement sont persuadés que le lombric est le meilleur protecteur de la vie et que les toilettes sèches sont un progrès pour l’Humanité, riront jaune. Voire pas du tout… Pas toujours facile de se moquer en conscience de ses propres dérives.

« Les petits riens de Lewis Trondheim » (tome 9), Delcourt, 128 pages, 13,50 €

« Tous à la campagne ! », Fluide Glacial, 56 pages, 13,90 €

Cinéma - « Argylle », parodie futée d’un film d’espionnage

 

On retrouve dans Argylle, nouveau film de Matthew Vauhn (Kick-Ass, la série des Kingsman), toute son originalité doublée d’une saine autodérision sur les poncifs du genre. Il s’attaque cette fois au film d’espionnage pur et dur. James Bond devrait trembler. S’il ne craint pas les méchants, il ferait mieux de se méfier des persifleurs. L’agent secret, l’espion en chef, se nomme Argylle.

Grand, baraqué, toujours avec un coup d’avance, il est interprété par un Henry Cavill décidément meilleur comédien que ne le laissent entrevoir Superman ou The Witcher. Un espion trop beau pour être vrai. Après une scène d’ouverture qui relègue Tom Cruise et ses Mission Impossible au rang de film français barbant, on découvre qu’Argylle est l’invention d’Ely Conway (Bryce Dallas Howard), romancière célibataire qui partage sa vie de perpétuelle stressée avec Artie, un chat « tromignon ».

Tout se complique quand elle est abordée dans un train par un véritable espion, Wilde (Sam Rockwell), qui lui révèle que les intrigues de ses romans improbables sont en réalité tout à fait vraies. Ely va alors mélanger dans des scènes d’action au fort potentiel comique Argylle et Wilde. La suite est rythmée par une dizaine de coups de théâtre, rebattant sans cesse les cartes sur les identités de tous les protagonistes de ce film d’espionnage qui dynamite joyeusement un genre se prenant trop souvent au sérieux.

Le duo Conway-Wilde fonctionne à merveille, les comédiens en font des tonnes mais à bon escient et au final, même si les ultimes péripéties sont un peu sirupeuses, Argylle permet enfin aux spectateurs critiques de rire aux déboires des gentils comme des méchants.

Film de Matthew Vaughn avec Henry Cavill, Bryce Dallas Howard, Sam Rockwell, John Cena, Bryan Cranston

 

mardi 30 janvier 2024

Roman - Le roman des ours pyrénéens

Sur plusieurs époques et avec différents points de vue, Clara Arnaud nous plonge au cœur du territoire des ours pyrénéens dans ce roman au titre énigmatique, « Et vous passerez comme des vents fous ». 


 


La montagne en général, les Pyrénées en particulier, restent des lieux uniques où la difficulté reste la règle principale. Vallée, forêt, prairies d’estive, éboulis, pic rocheux : les paysages sont multiples, entre ambiance bucolique et pure sauvagerie. Un décor de rêve pour le roman de Clara Arnaud, Et vous passerez comme des vents fous. Un livre sur les ours pyrénéens, du présent et du passé.

Pour parler de l’animal, l’autrice utilise plusieurs voix, plusieurs sensibilités, points de vue. Il y a Gaspard, le berger. Un homme originaire de la vallée, mais qui a décidé de la quitter, d’aller vivre en ville. Il s’est marié, a eu des enfants. Et a regretté son ancienne liberté. Avec l’accord de sa femme, il a tout plaqué, racheté une vieille ferme accrochée aux coteaux et a appris ce métier si particulier de berger pyrénéen, celui qui passe trois mois loin de la civilisation, en estive, à surveiller ses centaines de brebis ivres de liberté et d’herbe grasse. Dans la forêt, il croisera Alma, la scientifique.

Éthologue, chercheuse pour le centre national de la diversité, elle étudie les mœurs des ours réintroduits dans ce massif. Des ours qui ont longtemps cohabité avec les habitants de la région. Pour s’en persuader, il suffit de découvrir, un peu émerveillé, l’histoire de Jules, un gamin qui à la fin du XIXe siècle, a osé pénétrer dans la tanière d’une ourse pour lui dérober un bébé. Son ourse, son animal qu’il a domestiqué, dressé et qui lui permettra de changer de vie, allant jusqu’en Amérique pour devenir riche et montrer les prouesses de celle qu’il considère de plus en plus comme sa compagne.

La vie des sommets

Et puis il y a aussi les autres éleveurs, ceux qui sont contre la réintroduction, qui redoutent les attaques et n’ont qu’une obsession : tuer la bête sauvage. Notamment cette femelle solitaire, la Negra, qui semble de moins en moins effrayée par les patous protecteurs.

Une grande partie du roman se déroule l’été, quand les bergers sont à l’estive. Gaspard profite pleinement de cette parenthèse enchantée gorgée de nature. Une vie simple, rustique, authentique. « On ne s’embarrassait de rien, là-haut : de quoi manger, dormir au chaud, du sel pour les brebis, des croquettes pour les chiens et quelques produits vétérinaires. On y était vite ramené à sa place, un corps parmi les roches, les bêtes, les cieux, les champignons, les bactéries. La vie de cabane relevait presque d’un manifeste politique. […] La vie de berger était âpre, elle surmenait le corps. Mais elle réservait des moments de grâce qui justifiaient les angoisses et les doutes lorsque, embrassant l’horizon du regard, il ne faisait plus qu’un avec la montagne, les brebis. » Une plénitude que la présence de l’ours semble rendre très fragile.

Face à ce prédateur, Gaspard et Alma vont avoir des réactions différentes. Même si ces deux amoureux de la nature sauvage s’accordent pour admettre qu’il a toujours été à sa place sur ces parois abruptes, bois sombres et couloirs d’avalanche couverts de rocailles instables. L’ours est chez lui dans ces Pyrénées encore sauvages. Nous ne serons à jamais que des locataires temporaires. À moins que ces locataires n’arrivent, une seconde fois, à tous les exterminer.

« Et vous passerez comme des vents fous » de Clara Arnaud, Actes Sud, 384 pages, 22,50 €

lundi 29 janvier 2024

Roman - François Garde sur les traces de son vieil oncle d’Australie

À la mort de son père, François Garde décide d’élucider le mystère de l’oncle d’Australie. Marcel Garde, exilé en 1900 à l’autre bout du monde par sa famille. 



Dans toutes les familles, il existe des secrets plus honteux que d’autres. François Garde découvre tout à fait par hasard l’existence d’un oncle installé en 1900 en Australie. Exactement l’oncle de son père. C’est par son intermédiaire qu’il découvre Marcel Garde. Il a 20 ans quand il part pour l’Australie depuis Marseille. Depuis, plus aucunes nouvelles.

Quand François interroge son père sur cet aventurier, le seul de la lignée qui a osé quitter la France, il avoue ne rien savoir. Pour une bonne et simple raison : si Marcel est parti, c’est pour éviter un scandale qui aurait nui à la réputation des Garde, famille d’industriels de Provence. Voilà pourquoi François Garde a entamé, il y a près de dix ans, ce roman-récit-enquête. Sans témoignages directs, il va tenter d’imaginer les circonstances de ce départ et les premiers mois de la vie aux antipodes.

La fiction vient alors au secours de l’histoire familiale. Même si le résultat ne satisfait pas l’écrivain. « De ces vies préexistantes, écrit-il à propos de quelques-uns de ses parents, je ne suis que le scribe, et non le grand ordonnateur. […] Hélas, je ne peux écrire que sur des fragments. Des ruines de cette vie, extraire les morceaux épars d’un récit. Je suis un faussaire faisant négoce de vestiges qui ne lui appartiennent pas. » Cela donne pourtant des pages sublimes sur l’exil, la perte de la famille, la volonté de s’en sortir, malgré la difficulté de la langue et face à l’injustice. Marcel, n’est « plus le fils de son père, mais le fils de lui-même, créateur et créature à la fois. Non pas orphelin ou exilé, mais né à vingt ans à la descente du bateau. » Une histoire familiale doublée d’un récit à rebondissements.

Certaines archives permettent à François Garde de retrouver la trace de Marcel. Mais pas du tout en Australie. Son aller simple l’a bien conduit loin de la France et de sa famille, mais pour de tout autres raisons et une destination encore plus redoutable. Un roman aussi passionnant qu’un polar rondement mené.

« Mon oncle d’Australie » de François Garde, Grasset, 240 pages, 20 €
 

Cinéma - Toute la carrière de Bourvil en un livre

 




Un peu oublié, voire complètement ignoré des nouvelles générations, Bourvil a pourtant été durant de longues décennies,, un des comiques les plus apprécié des Français. Ce joli bouquin, richement illustré, retrace toute sa carrière. Car Bourvil, avant de remplir les salles de cinéma avec des films devenus culte comme La grande Vadrouille ou Le corniaud, a débuté à la radio, sur les planches des music-halls. Il a aussi été un chanteur renommé qui vendait des millions de disques. Pour ce qui est du cinéma, cette biographie par thème permet de découvrir de nombreuses anecdotes sur les tournages.

On découvre ainsi qu’il a tourné un western. Sérénade au Texas, avec Luis Mariano a en réalité été tourné en Provence et est en réalité une des dernières opérettes ou les airs romantiques sont plus nombreux que les coups de feu.

On retrouve aussi le comédien, en 1970, à Cerbère et sur la côte Vermeille, pour son dernier film sous la direction de Jean-Pierre Mocky. L’étalon a aussi pour vedette Francis Blanche et fait la part belle à la libération sexuelle des femmes. Les images ne sont pas choquantes (à part un Bourvil, déjà malade et le crâne rasé), mais le film, par son propos et ses idées, écope d’une interdiction aux moins de 18 ans pour… pornographie.

Enfin, petit clin d’œil, son dernier film, où il,ne fait qu’une petite apparition, n’est jamais sorti en salles. Clodo de Georges Clair a finalement été remonté, rallongé de quelques scènes pornographiques et est sorti en 1975 dans les salles spécialisées.

« Bourvil » par Luc Larriba, Hugo Images, 19,95 €

Une BD hommage : Thorgal Saga, 2e tome

 


Ils ont sauté sur la proposition. Corentin Rouge et Fred Duval ne se sont pas fait prier quand les éditions du Lombard leur ont proposé de signer un album hommage à Thorgal. Wendigo se déroule après le cycle du Pays Qâ. Le héros et sa famille échouent en Amérique.

Aaricia, blessée, ne pourra être soignée que si Thorgal tue avec une flèche magique le Wendigo qui terrorise la tribu d’Indiens qui l’accueille. Nouvelles légendes, nouveaux ennemis pour ce gros album qui explore la forêt sauvage de l’Amérique du Nord, ses peuplades et ses mythes. Une réussite qui plaira aux anciens comme aux nouveaux lecteurs de Thorgal.

« Thorgal Saga, Wendigo », Le Lombard, 128 pages, 24,50 €

Un album jeunesse : La coccinelle sans ses points

 


Catastrophe. La petite coccinelle Vibidia vient de perdre deux points sur son permis de voler. Des points, elle n’en a que 12. Pourtant, le petit insecte, tout occupé à aller manger sa gourmandise préférée, de « l’oïdium, une moisissure blanche » qui colonise les feuilles des arbres, ne marque pas un stop et vole à contresens.

Résultat, les 12 points blancs qui ornent ses petites ailes rouges sont effacés par la « Coccinelledarmerie nationale ». Mais comment se nourrir quand on ne peut plus voler ? Ce petit conte écrit par Pascal Parisot est illustré par Marc Boutavant, plus connu pour avoir imaginé le célèbre Chien Pourri.

« Vibidia, la coccinelle super inquiète », L’École des Loisirs, 64 pages, 7,50 €

dimanche 28 janvier 2024

BD – Dinosaures, animaux et douleur : vous avez dit pédagogie ?

 Longtemps honnie par le corps enseignant, la BD permet désormais d’apprendre facilement. Une pédagogie par l’image parfois très sérieuse, d’autres beaucoup moins…  


Fascinants dinosaures

Rares sont les dessinateurs de BD qui osent s’aventurer en dehors du cocon douillet de leur studio de création. Sédentaires, ils aiment s’évader par la pensée. Aussi quand un artiste décide de s’enfoncer dans la jungle hostile du Laos à la chasse aux restes de dinosaures, on se doute que l’aventure sera belle et palpitante. Ce parcours, c’est Mazan qui l’offre à ses lecteurs dans cette BD entre récit de voyage, séquence pédagogique et reportage dessiné.

Passionné par les dinosaures dès son plus jeune âge, Mazan, installé près d’Angoulême, a longtemps dessiné des récits historiques avec sa compagne Isabelle Dethan. La passion des dinos est revenue quand il découvre un chantier de fouilles près de chez lui. Il copine avec les paléontologues, devient bénévole, dessine leurs fouilles et finalement s’intègre à l’équipe de Ronan Allain qui s’envole pour le Laos en 2012.

Durant un mois et demi, Mazan va participer à l’expédition, manier la pioche et le pinceau. De toute beauté, ce roman graphique retrace la démarche du dessinateur, des chercheurs, raconte dans le détail le voyage en Asie, les déceptions et découvertes enthousiastes.

On apprend beaucoup sur les dinosaures (attention, c’est la partie la plus pédagogique mais aussi la plus complexe), mais surtout on rêve dans les pas de ces aventuriers du XXIe siècle et face à ces aquarelles parfois réalisées dans le feu de l’action, entre boue, attaques de moustiques et crainte de croiser un scorpion.

Kipling insolite

Grand écrivain britannique, Rudyard Kipling prix Nobel de littérature en 1907, a régulièrement séjourné à Vernet-les-Bains dans les Pyrénées-Orientales. C’est peut-être là, au calme d’un hôtel et d’une station thermale, qu’il a imaginé ces petits contes animaliers adaptés par le dessinateur espagnol vivant à Barcelone, Pedro Rodriguez.

Kipling, avec une malice redoutable, explique comment la peau du rhinocéros est devenue épaisse et fripée, pourquoi le léopard a un pelage tacheté, d’où vient la trompe de l’éléphant ou la bosse du chameau. On pourrait penser à première vue que c’est un album on ne peut plus sérieux traitant de l’évolution des espèces. C’est mal connaître ce conteur savant mais surtout très imaginatif.

Dans le premier conte, le rhinocéros, qui au début avait une peau douce et lisse, doit sa transformation à son comportement social « rustre et égoïste », à son amour des gâteaux et à la vengeance d’un Parsi, habitant de cette petite île de la Mer Rouge. On rit beaucoup de ces aventures loufoques, qui s’achèvent à chaque fois par un poème de Kipling.

Le dessin de Rodriguez, simple et expressif, renforce le côté ludique et comique de l’ensemble, très éloigné d’une simple BD pédagogique, mais le lecteur ne s’en plaindra pas.

Santé et douleur par l’humour

Quand un médecin rhumatologue, spécialiste de la douleur, s’associe à un dessinateur humoristique, cela donne cet album simplement intitulé « Aïe ! ». Patrick Sichère a écrit les scénarios de ces huit histoires complètes et les a confiés à Achdé, dessinateur repreneur de Lucky Luke.

Prépubliés dans Fluide Glacial, ces récits abordent entrer autres les problématiques des dents, du dos ou des pieds. L’occasion de revenir sur les débuts de la médecine, quand souffrir était un gage important pour se persuader qu’on était bien soigné. Et parfois cela marchait. L’arracheur de dent, ancêtre du dentiste, avait un truc infaillible pour faire oublier la douleur lancinante de l’abcès mal placé.

Avec presque un gag par dessin, cet album a le double avantage de faire sourire et de nous faire oublier que l’on est malade. Par contre, c’est une lecture à déconseiller aux hypocondriaques car ils pourraient découvrir de nouvelles maladies encore non envisagées.

« Les dinosaures du Paradis », Futuropolis, 224 pages, 26 €

« Les observations animalières de Rudyard Kipling », Aventuriers d’Ailleurs, 146 pages, 18,90 €

« Aïe ! La douleur se traite aussi avec humour », Fluide Glacial, 58 pages, 13,90 €

samedi 27 janvier 2024

Une BD hommage : Thorgal Saga, 2e tome

Ils ont sauté sur la proposition. Corentin Rouge et Fred Duval ne se sont pas fait prier quand les éditions du Lombard leur ont proposé de signer un album hommage à Thorgal. Wendigo se déroule après le cycle du Pays Qâ. Le héros et sa famille échouent en Amérique.

Aaricia, blessée, ne pourra être soignée que si Thorgal tue avec une flèche magique le Wendigo qui terrorise la tribu d’Indiens qui l’accueille. Nouvelles légendes, nouveaux ennemis pour ce gros album qui explore la forêt sauvage de l’Amérique du Nord, ses peuplades et ses mythes. Une réussite qui plaira aux anciens comme aux nouveaux lecteurs de Thorgal.

« Thorgal Saga, Wendigo », Le Lombard, 128 pages, 24,50 €

vendredi 26 janvier 2024

Un album jeunesse : La coccinelle sans ses points

Catastrophe. La petite coccinelle Vibidia vient de perdre deux points sur son permis de voler. Des points, elle n’en a que 12. Pourtant, le petit insecte, tout occupé à aller manger sa gourmandise préférée, de « l’oïdium, une moisissure blanche » qui colonise les feuilles des arbres, ne marque pas un stop et vole à contresens.

Résultat, les 12 points blancs qui ornent ses petites ailes rouges sont effacés par la « Coccinelledarmerie nationale ». Mais comment se nourrir quand on ne peut plus voler ? Ce petit conte écrit par Pascal Parisot est illustré par Marc Boutavant, plus connu pour avoir imaginé le célèbre Chien Pourri.

« Vibidia, la coccinelle super inquiète », L’École des Loisirs, 64 pages, 7,50 €

jeudi 25 janvier 2024

Cinéma - Portraits de femmes “Captives” et humiliées

À la fin du XIXe siècle, la Salpêtrière servait de prison pour de présumées « folles ». Le film d’Arnaud des Pallières raconte le douloureux séjour de Fanni, interprétée par Mélanie Thierry.


La superbe distribution que voilà ! Mélanie Thierry, Marina Foïs, Josiane Balasko, Carole Bouquet et Yolande Moreau. Ne cherchez pas une vedette mâle dans Captives, film d’Arnaud des Pallières. Il en a fait le tour avec son premier gros succès, Michael Kohlhaas, tourné dans les Cévennes. Après Orpheline qui mettait une nouvelle génération de comédiennes en valeur (Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot), il offre des rôles en or à des légendes du cinéma français dans Captives.

À la fin du XIXe siècle, Fanni (Mélanie Thierry) est internée à la Salpêtrière, hôpital psychiatrique de sinistre renommée. À sa demande. Femme mariée, elle se fait passer pour femme de ménage célibataire. Fanni cherche en réalité à retrouver sa mère, internée il y a près de 30 ans. Une démarche à la limite du suicidaire car rapidement Fanni découvre l’enfer sur terre. Même dans un service où les femmes internées ne sont pas délirantes, la discipline ressemble à une suite d’humiliations quotidiennes. Pour faire régner l’ordre : La Douane (Marina Foïs), garde-chiourme sans cœur, limite sadique. Elle agit sous la responsabilité de Bobotte (Josiane Balasko), vieille surveillante qui se veut humaine mais ne fait que reproduire le schéma de domination masculine qui a conduit nombre de ces femmes dans une prison qui ne dit pas son nom.

Car si quelques pensionnaires sont effectivement asociales, d’autres ne sont derrière ces barreaux que par la volonté de leur mari ou père. C’est le cas d’Hersilie (Carole Bouquet). Grande bourgeoise, écartée par sa famille, elle tente de conserver une vie digne. Et essaie d’alerter les autorités sur son cas particulier, et plus généralement les brimades des « folles ». Hersilie qui est la cheville ouvrière du Bal des folles, soirée fastueuse où l’élite parisienne vient reluquer ces « anormales » déguisées en grandes dames. Un bal qui pourrait permettre à Fanni, qui a retrouvé sa maman, de s’enfuir.

Le plus étonnant dans ce film à l’atmosphère étouffante, oppressante, reste l’absence presque totale d’hommes dans un film très féminin. Loin d’être dérangeante, cette entorse à la parité permet à ces comédiennes de prouver qu’une œuvre n’a pas nécessairement besoin d’une star homme pour être remarquable. Et de toute manière, star est féminin.

Film d’Arnaud des Pallières avec Mélanie Thierry, Josiane Balasko, Marina Foïs, Carole Bouquet, Yolande Moreau...

 

mercredi 24 janvier 2024

Un livre de Bob Garcia pour comprendre le génie de Franquin

Bob Garcia a beaucoup écrit sur Hergé. Mais en cette année 2024 qui marque son centième anniversaire, c’est sur André Franquin que cet exégète de la bande dessinée s’est penché. Un essai très documenté sur « Les secrets d’œuvre ».

Après une rapide biographie, il décortique tous les albums et série du génial créateur de Gaston, du Marsupilami et animateur hors pair des aventures de Spirou et Fantasio. Un livre référence, agrémenté de dessin des Sternic, pour comprendre d’où vient le sous-marin du Repaire de la murène, ou l’origine du prénom Gaston, inspiré d’un véritable gaffeur qu’a bien connu Yvan Delporte, le rédacteur en chef du journal Spirou.

Un essai à déguster en relisant les œuvres de Franquin.

« Franquin, les secrets d’une œuvre », Éditions du Rocher, 348 pages, 19,90 €

Un roman jeunesse : Black Cloud 2

Suite de l’excellente série de Vincent Villeminot, Black Cloud. Des romans pour adolescents dans un univers de fin du monde. Un nuage noir apparu on ne sait d’où cache le soleil. La terre plonge dans l’obscurité et lentement vers la mort. Dans une ferme isolée, une famille survit.

On retrouve au début de Créatures, les deux garçons et une fillette, arrivée en cours de route. Ils sont seuls pour faire face aux dangers. Après des chiens méchants, ce sont des insectes géants qui attaquent. Palpitant, dramatique, teinté d’un fantastique mâtiné de survivalisme, cette histoire passionnera les enfants imaginatifs.

« Black Cloud » (tome 2), PKJ, 320 pages, 12,90 €

Un album jeunesse : Variations sur le temps

On a parfois l’impression que la vie en famille est une perpétuelle course contre la montre. On est toujours en retard. Comment faire comprendre aux jeunes enfants que parfois il faut se presser ? Ce petit album, aux illustrations touchantes et très ancrées dans le réel, permet de donner quelques réponses.

Ou du moins de faire comprendre aux plus petits que l’école débute toujours à la même heure, qu’il ne faut pas rater le début. Et que par ailleurs, le soir, le temps n’est toujours pas extensible et que les histoires avant de dormir doivent être… courtes.

Un album complété par un texte très instructif de Déborah d’Hostingue, psychologue et thérapeute.

« Allez, on y va », Amélie Graux, Les Arènes Jeunesse, 44 pages, 13,90 €

Une fable (brésilienne) sur les effets du confinement


Quand la Covid 19 chamboulait nos vies, nous faisait paniquer, à quoi aurait ressemblé La dernière joie du monde, titre de ce roman brésilien de Bernardo Carvalho ? Presque une fable, ce court texte qui débute lors du premier confinement. Un homme annonce à son épouse qu’il la quitte. Immédiatement. Et la femme de se retrouver seule dans l’appartement. Pas totalement seule car quelques jours avant le début de la pandémie, l’épouse, prof d’université, a trompé son mari avec un étudiant. Un inconnu. Une seule fois.

Neuf mois plus tard, alors que le pays a radicalement changé, elle met au monde un garçon. Elle tente de retrouver le père en allant voir un devin. Cet homme, touché par la maladie, est longtemps resté dans le coma. À son réveil il n’a plus de souvenirs. Mais il peut prédire l’avenir.

« La dernière joie du monde » Bernardo Carvalho, Métailié, 128 pages, 18 €

mardi 23 janvier 2024

Littérature - Romain Puértolas, aux basques de Xavier Dupont de Ligonnès, invente le « roman-quête »

Ancien policier devenu romancier à succès, Romain Puértolas raconte comment il a retrouvé l’homme le plus recherché de France : Xavier Dupont de Ligonnès. Une fantaisie littéraire parfois plus sérieuse qu’il n’y paraît.


Un matin de 2023, Romain Puértolas, romancier vivant seul dans sa maison ariégeoise, découvre avec stupeur sur la terrasse d’à côté son voisin en robe de chambre en train de siroter un café. Sans doute un locataire Airbnb car il ne l’a jamais vu auparavant. Il le connaît pourtant. Parfaitement. Ce ne peut être que Xavier Dupont de Ligonnès, l’homme suspecté d’avoir tué sa femme et ses quatre enfants à Nantes en 2011.

Pas de chance pour le présumé tueur d’avoir loué pile à côté de l’homme qui a passé des années à tenter de résoudre ce mystère criminel. La suite de ce premier contact mène le romancier tout droit face à la cour d’Assises de Toulouse. Accusé de meurtre. Du meurtre de Xavier Dupont de Ligonnès avec un couteau à dessert.

Passés par Carcassonne

On retrouve dans les premières pages de ce roman truculent tout le brio de Romain Puértolas, écrivain qui sait faire rire son lecteur. L’étonner aussi. Jusqu’au dernier chapitre. Cette affaire est racontée à la première personne par le romancier, mais aussi par Xavier Dupont de Ligonnès (ou du moins ce que le romancier pense avoir découvert du fuyard durant sa cavale). On découvre aussi les différentes phases du procès avec le combat de coqs entre un procureur chipoteur et un avocat grandiloquent. Un quatrième segment du roman intéressera les addicts aux documentaires sur les criminels célèbres, l’enquête menée par Romain Puértolas durant près de 20 ans, quand il était simple flic, puis romancier à succès.

Ceux qui n’aiment pas rire des faits divers tragiques apprécieront ces pages où on découvre comment il a préparé les assassinats, couvert sa fuite, pourquoi il s’est délibérément laissé repérer à Roquebrune-sur-Argens, ce qu’il y est allé chercher. Pures spéculations d’un flic déjà titillé par la fiction, mais crédible de bout en bout. On serait presque tenté de compatir avec lui à ses rares erreurs, être rassuré quand il parvient enfin à quitter la France et refaire sa vie (et faire le bien), loin de la sinistre terrasse de la maison nantaise.

Sauf que Dupont de Ligonnès, en 2023, est toujours en France, à quelques mètres de Romain Puértolas. Dans cette maison ariégeoise « découverte au cours d’une excursion bucolique, après une rencontre dans un Cultura de Carcassonne. » Carcassonne, ville par où est passée Dupont de Ligonnès qui l’avoue sous la pression : « Je suis tombé sur cette baraque paumée au fond de l’Ariège alors que je cherchais une planque. J’ai eu un accident à Carcassonne, il y a quelques semaines, vraiment pas de bol. » Plus que pas de bol puisque c’est aussi la fin de sa cavale.

En mêlant parties romancées et véritable enquête sur le terrain, Romain Puértolas semble inventer le « roman-quête », forme de narration hybride qui mélange à tire-larigot pure invention parfois rocambolesque et faits vérifiés, établis, garantis 100 % authentiques.

On pourrait s’offusquer de ce subterfuge destiné à séduire deux publics aux goûts différents. Mais avec Romain Puértolas, qui retrouve dans ce roman le foisonnement imaginatif qui l’a propulsé au sommet avec son Fakir, il faut toujours s’attendre à être séduit, amusé et essentiellement surpris.

« Comment j’ai retrouvé Xavier Dupont de Ligonnès » de Romain Puértolas, Albin Michel, 288 pages, 19,90 €

lundi 22 janvier 2024

Polar - Traque canadienne « À la lisière du monde »

 Dans le Nord canadien, au début du XXe siècle, un policier tente de retrouver un trappeur suspecté d’avoir assassiné femme et enfant. Avec la nature comme principale ennemie.


Avant de se rêver survivaliste dans une nature vierge, certains idéalistes devraient lire ce roman de Ronald Lavallée. Ou mieux, tenter de rester vivant une journée et une nuit dans ce grand nord canadien. A la lisière du monde débute alors qu’en Europe les premières rumeurs de guerre mondiale font les gros titres des journaux québécois, même dans cette mission, perdue dans l’extrême nord de l’État, entre forêts d’épinettes, rivières, marécages et baie d’Hudson.

Une région glaciale en hiver, infestée de moustiques en été. Quelques baraques occupées par des Indiens et des trappeurs, un poste de police et première affectation pour le jeune Matthew Callwood. Fils de bonne famille, il a choisi ce bout du monde pour oublier un chagrin d’amour. Plein de bonne volonté au début, il va découvrir la réalité de sa mission : ne pas faire de vagues, attendre la fin des deux années d’engagement et s’ennuyer. Il va changer d’attitude quand il apprend qu’un certain Moïse Corneau serait dans la région. Une légende.

Ce trappeur a été condamné à mort pour le meurtre de sa femme et de son bébé. Il s’est évadé la veille de l’exécution. Depuis, il survivrait tel un sauvage dans la forêt boréale. Le romancier va transformer ce duel à distance en passionnante chasse à l’homme dans un environnement inhospitalier. Le policier doute souvent : « Chercher un homme dans cette immensité est absurde. Parce qu’on vit toute l’année dans des clapiers de quelques mètres carrés, parce qu’on remplit sa chemise, qu’on touche des orteils le bout de la baignoire, on finit par croire que l’être humain prend de la place sur Terre. C’est faux. Dans la forêt boréale, l’homme est un microbe. »

Accompagné de guides locaux et de deux autres policiers, Matthew va passer tout un été sur les traces de Corneau. L’occasion pour Ronald Lavallée de décrire cette nature violente et fascinante : « La rivière est en travail. La glace craque, grince et couine. De lourdes échardes s’élèvent hors de l’eau, exposent des fanons de cristal qui scintillent au soleil. » C’est d’une beauté renversante. Très dangereux aussi. Et cela donne une furieuse envie d’aller voir par nous-même. Mais pas plus d’une journée et une nuit…

« À la lisière du monde », Ronald Lavallée, Presses de la Cité, 368 pages, 23 €

dimanche 21 janvier 2024

BD - A la découverte de nouveaux mondes oniriques avec Seuls, Max Pérac et la Vallée des Lucioles

Dans le sillage des héros de ces albums, partez à la découverte de nouveaux mondes comme les Limbes de « Seuls », l'Ile où le roi n'existe pas imaginée par Raphaël Drommelschlager ou la Vallée des Lucioles du jeune Milo.


Les Protecteurs des Limbes



Dans la bande dessinée aussi il existe une sorte de mercato. La série à succès attise les convoitises. Seuls, de Vehlmann et Gazzotti change de maison d'éditions. Le 14e titre intitulé les Protecteurs, premier d'un nouveau cycle, trouve refuge aux éditions Rue de Sèvres. Les 13 premiers titres restent chez Dupuis. Pas de modification de maquette ni de format, les collectionneurs apprécieront.

Les auteurs ont cependant voulu faire en début d'album un rapide résumé en trois pages des précédentes péripéties de ces cinq enfants, tous morts la même nuit et retenus depuis dans les Limbes. Ils se retrouvent au centre d'une lutte entre clans, familles et sortes de dieux dans un univers fantastique d'une extraordinaire richesse.

Et ce n'est pas terminé car en fin de volume, un arbre généalogique des Limbes précise les rôles de certains (protecteurs, cerbères, éclaireurs, magister) et signale l'existence d'autres qui ne sont pas encore intervenus comme les Charbonneux, les Cauquemaures ou les Archanges. Des « bonus » offerts aux lecteurs qui apprécient ces précisions.

Dans ce 14e titre, la bande est de nouveau au complet, Camille est redevenue gentille et entre Dodji et Leïla, l'amitié se transforme de plus en plus en amour. Quant à Terry, le plus jeune et facétieux, il permet d'insuffler un peu d'insouciance et d'humour dans cette aventure où les « méchants » lancent aux trousses des enfants un protecteur, immense statue de métal animée qui semble indestructible.

Et au final, un renversement d'alliance va rebattre les cartes. Scénario au cordeau de Vehlmann qui distille au compte-gouttes les révélations et surtout dessin toujours aussi épanoui d'un Gazzotti qui semble retrouver le plaisir à animer une série qui continue à remporter un beau succès en librairie.

Abandonner son enfance



Présenté comme une suite indirecte (et totalement indépendante) de La craie des étoiles du même Raphaël Drommelschlager, le roman graphique L'île où le roi n'existe pas a pour personnage principal Max Pérac. Mais ce n'est plus un enfant qui pouvait, avec une simple craie, ouvrir des portes sur des mondes imaginaires. Il est adulte et survit en tenant une librairie spécialisée dans les ouvrages portant sur les voyages, lui qui a peur de l'avion et refuse de quitter la ville.

Il va avoir 30 ans. Un cap. Une crise. Solitaire, mal dans sa peau, il est affolé en voyant toutes les injustices du quotidien. Il a trois amis, deux filles (dont une qui est amoureuse du beau et taciturne Max) et un garçon. Ils l'invitent au restaurant pour son anniversaire, mais face à tant de sollicitude, il fait un scandale, comme s'il ne méritait pas cette amitié.

La suite de la nuit va être mouvementée mais elle lui donne surtout l'opportunité de fuir loin de ce monde qui ne le satisfait pas. Il va partir sous une autre identité vers cette île perdue en Méditerranée. Un monde onirique qui permet à l'auteur de signer quelques planches d'une extrême beauté. Nouveau départ ou simple pause ? Max ne comprend pas véritablement ce qui lui arrive. Il va devoir aussi régler quelques comptes avec d'anciennes connaissances et tenter de trouver un terrain d'entente avec le jeune Max, le rêveur de la craie des étoiles.

Une histoire merveilleuse dans tous les sens du terme.

L'enfant et l'ours



Paru en 2023, cet album de Boris Sabatier s'adresse aux plus jeunes. Un dessin stylisé, épuré, donne toute sa force à cette histoire de nature sauvage dans une montagne qui ressemble étrangement à nos Pyrénées.

Tout commence par la folie meurtrière d'un chasseur. Il tire sur les loups, abat une ourse et s'apprête à achever son ourson. Mais le grand-père de Milo intervient. C'est un guérisseur, presque sorcier dans cette époque pas véritablement identifiée mais où la science est encore balbutiante. Le petit orphelin de la forêt est adopté et deviendra le meilleur ami de l'enfant, lui aussi sans père ni mère.

Quelques années plus tard, Milo court dans les bois en confiance avec son ami à ses côtés, une énorme bête constituée de poils de muscles, de dents et de griffes. C'est Welles, l'ourson devenu force de la nature et fauve redoutable pour qui oserait s'attaquer à son ami Milo. Tout change quand le grand-père de Milo meurt. L'enfant va être placé, l'ours sera vendu à un zoo.

Pas question. Milo et Welles vont donc fuir, en pleine nuit, à la recherche de la Vallée des Lucioles, ce lieu magique qui, d'après le grand-père, serait l'écrin d'un trésor précieux. Une belle histoire d'amitié, de courage et de quête personnelle pour comprendre ce qui est essentiel dans nos vies.

« Seuls » (tome 14), Rue de Sèvres, 56 pages, 12,95 €
« L'île où le roi n'existe pas », Bamboo Grand Angle, 96 pages, 18,90 €
« La vallée des lucioles », Michel Lafon, 64 pages, 20 €

 

samedi 20 janvier 2024

Poches. Destinations Outreterres


Publié une première fois à la fin des années 50, ce roman de science-fiction de Robert Heinlein est le prototype du récit d’aventure. Le jeune Rod, pour obtenir le droit de coloniser les planètes d’Outreterre, doit passer un examen de survie. Plongé dans un monde hostile, il va se révéler, face à la faune locale mais surtout aux autres humains. 

Tant et si bien que rapidement « L’examen de survie ne l’intéressait plus, seule la survie importait. » Un texte à redécouvrir dans une version plus adulte, remaniée dans les années 80 par cet auteur américain à qui l’on doit les fameux Starship troopers.

« Destination Outreterres », Le Livre de Poche, 352 pages, 9,20 €

vendredi 19 janvier 2024

Bande dessinée - Les armes sont de sortie

Seconde sélection des westerns dessinés parus en cette fin 2023. Avec sans doute les trois meilleurs albums du moment : The Bouncer, Undertaker et Gunmen of the West.


Bouncer à l’épreuve

À la fin du précédent album, le lecteur a laissé le Bouncer, ce manchot taciturne, presque heureux et apaisé. Il riche, a des amis, une femme qu’il aime et une affaire prospère à Barro City. Mais c’est mal connaître Jodorowski, le scénariste, qui va rapidement apporter du noir dans ce tableau enchanté. Cela arrange Boucq, le dessinateur, qui excelle quand la tension est au maximum.

Les problèmes arriveront par l’intermédiaire de l’or ramené du Mexique. L’armée américaine vient le récupérer. Un détachement commandé par le colonel Carter, héros de la guerre, reconnaissable grâce à son œil de verre. Ensuite tout s’enchaîne rapidement. La fièvre de l’or… Bouncer va voir la mort frapper tout ce qu’il aime.

Le titre de ce 12e album, Hécatombe, est tout sauf mensonger. Une histoire au long cours, de 144 pages, planches d’une grande beauté et expressivité signée par un François Boucq qui est depuis quelque temps au niveau des plus grands, de Giraud à Hermann.


Undertaker retrouve Rose

Autre dessinateur de western qui vaut largement ses grands anciens : Ralph Meyer. Installé à Barcelone depuis quelques années, il poursuit les aventures graphiques de Jonas Crow, l’Undertaker ambulant, un croque-mort qui se déplace de ville en ville avec son corbillard et son animal de compagnie si symbolique : un vautour.

Jonas qui déprime sérieusement. Il a perdu la trace de la femme qu’il aime, Rose Prairie. Quand il reçoit une lettre de la petite d’Eden City au Texas, signée de sa belle, il reprend espoir. Patatras, si Rose a disparu, c’est pour retrouver… son mari, Mister Prairie, médecin. Et si elle a besoin de Jonas, c’est pour une sépulture particulière : celle du bébé d’une femme qui veut avorter.

La première partie de ce nouveau cycle toujours écrit par Xavier Dorison plante le décor : Texans arriérés, folie religieuse, envie de lynchage. L’Ouest sauvage légendaire, celui où les armes font office de code civil.


Haut les flingues !

Nouvelle livraison d’histoires courtes peaufinées par Tiburce Oger et illustrées par de grands dessinateurs. Cette fois il raconte le destin de quelques gunmen, ces hors-la-loi qui ont fait parler la poudre.

Certains très connus comme Billy The Kid (illustré par Bertail), d’autres plus anonymes comme la redoutable Black Evil (dessins de Vatine) à l’improbable Mary, vedette d’un cirque, pendue en place publique pour meurtre bien qu’elle soit… un éléphant.

« Bouncer » (tome 12), Glénat, 144 pages, 24,95 €

« Undertaker » (tome 7), Dargaud, 64 pages, 16,95 €

« Gunmen of the West », Bamboo Grand Angle, 112 pages, 19,90 €. Il existe une édition luxe en noir et blanc de 120 pages à 29,90 €


jeudi 18 janvier 2024

Bande dessinée - Histoires indiennes et de l’Ouest américain

Géronimo avec Christian Rossi, Chef Joseph par Corteggiani et Andrade : l’histoire indienne est une mine d’or pour la bande dessinée. Mais l'Ouest sauvage américain est aussi un terrain propice pour voir naître de belles histoires d'amour comme "Western Love" d'Augustin Lebon.


Géronimo le chaman

Très attendu, le nouvel album de Christian Rossi ne déçoit pas. Il a mis des années à finaliser cette somme colossale (plus de 170 pages !) racontant une partie de la vie du chef indien Géronimo. Un roman graphique grand format, tout en couleur, qui mêle fiction et Histoire.

Le chef Apache prend sous son aile un jeune Indien rejeté par sa tribu. Ensemble ils vont sillonner cette région aride située le long de la frontière mexicaine. Une quête initiatique qui se termine mal, au cours de laquelle Christian Rossi met en lumière les talents de chaman du rebelle.

C’est assez mystique parfois, un peu dans le style des Jean Giraud, le maître absolu du western dessiné, celui avec qui Christian Rossi a longtemps collaboré pour signer les aventures de Jim Cutlass. Une série qui ressort dans une superbe intégrale, cadeau parfait pour les fêtes de fin d'année.


L’errance de Chef Joseph

Autre figure de la résistance indienne face aux soldats américains : chef Joseph. À la tête des Nez-Percés, il espère vivre en paix et en harmonie dans la vallée de la Wallowa, terre de ses ancêtres. Mais des colons convoitent les terres et quand de l’or est trouvé, c’est la ruée.

Il est décidé de transférer la tribu dans une réserve au nord. Refus des jeunes guerriers et c’est la guerre. Chef Joseph fera tout pour trouver un point de chute à son peuple.

Une longue errance durant l’été 1877 racontée avec minutie par François Corteggiani (son ultime scénario, il est mort subitement l'été 2022) et dessiné par Gabriel Andrade. De plus, on retrouve en fin de volume une partie pédagogique avec documents d’époque renforçant encore la légende de ce grand chef indien, poussé à la guerre par les circonstances.


Amour, bonne bouffe et... pistoleros

Ils sont adorables ces deux héros imaginés par Augustin Lebon. Pas forcément fréquentables, mais touchants dans leur façon de ne pas vouloir admettre que malgré les circonstances, ils ont succombé au fameux coup de foudre. Une histoire d'amour dans un cadre particulier puisqu'il frappe en plein Ouest sauvage.

Molly, rousse surnommée à juste titre « La Teigne », est une excellente cuisinière. Elle vit de ce talent dans une petite ville du Nouveau-Mexique. On est en pleine conquête de l'Ouest et les outlaws sont légion. Justement arrive en ville le dénommé Gentil, également connu sous le sobriquet moins reluisant de « Crevard ». Il remarque immédiatement Molly. Pourtant il ne doit pas oublier sa mission. Il doit faire les repérages avant le braquage de la banque locale. Un western humoristique et romantique, avec son lot d'action. Car Gentil va décider de trahir sa bande pour sauver Molly.

Une Teigne qui au passage retrouve les traces de sa mère, partie alors qu'elle était encore un bébé et, c'est plus problématique, une demi-sœur presque chef de la bande de Gentil. La suite de la série sera d'ailleurs axée sur ce trio avec des relents de vaudeville...

« Golden West », Casterman, 176 pages, 34,90 €.

« Jim Cutlass » (intégrale), Casterman, 448 pages, 59 €

« Chef Joseph », Glénat, 56 pages, 14,95 €

« Western Love (tome 1), Soleil, 56 pages, 15,50 €