mercredi 28 mars 2018

Cinéma : Électrisante Isabelle Huppert dans « Madame Hyde »


De ce film iconoclaste de Serge Bozon, on retiendra cette phrase prononcée par l’héroïne avec véhémence devant des élèves chahuteurs : « Un prof n’a pas besoin d’être aimé mais d’être compris. » Et il y a du boulot dans le cas de Madame Géquil (Isabelle Huppert), professeur de physique en totale perdition dans ce lycée technique. Non seulement elle est malmenée par les garçons, mais elle subit également les foudres des deux seules filles de la classe, exaspérées de ne pouvoir apprendre dans de bonnes conditions.

Au début on se croit plongé dans un film purement social sur les difficiles conditions de travail des profs. Ou, au choix, de l’incroyable hiatus entre les intentions des uns et les désirs des autres. Comme si enseignants et élèves se trouvaient sur deux planètes diffé- rentes. Madame Géquil tente donc de faire passer son message. En vain. Trop naïve, trop académique... Le genre de personnalité qui offre un boulevard aux perturbateurs. Comme Malik, un élève décrocheur comme il y en a des centaines dans un lycée de banlieue. Pourtant Madame Hyde ne lui en veut pas. Souffrant d’une maladie dégénérative, il ne se déplace que grâce à un déambulateur. Une fois ces premiers personnages présentés, le film bascule dans le surréalisme avec l’apparition du proviseur (Romain Duris), sorte de vaniteux égocentrique et du mari de Madame Géquil (José Garcia), homme au foyer d’une platitude et banalité rédhibitoires.

Coup de foudre
La bascule a lieu un soir de lune rousse dans un bâtiment préfabriqué abritant le laboratoire secret et personnel de la prof de physique. Alors qu’elle branche des appareils électriques, la foudre tombe sur la machinerie et électrocute la chercheuse. La nuit suivante, elle se lève, marche dans la rue et se transforme en boule de feu. Madame Géquil devient Hyde. Attention, ça va faire mal !

Le film de Serge Bozon aurait pu tourner au pastiche de la série B. Mais loin de son pré- cédent long-métrage (Tip Top, déjà avec Isabelle Huppert et complètement barré), Madame Hyde explore peu le fantastique. La transformation est brûlante la nuit, mais la journée, la prof dépassée se transforme en excellente pé- dagogue capable de se faire comprendre voire même d’être aimée, à l’opposé de sa déclaration liminaire.

Le seul inconvénient reste que le film, de fantaisiste, devient limite barbant. Presque un pensum, par moment, sur le vivre ensemble, l’interaction et l’avenir de l’éducation nationale. Comme si le réalisateur s’était perdu en cours de route, ou plus exactement s’était remis dans le droit chemin, comme Malik, abandonnant sa nonchalance pour une soif de savoir inextinguible.

 ➤ « Madame Hyde », comédie fantastique de Serge Bozon (France, 1 h 35) avec Isabelle Huppert, Romain Duris, José Garcia.

mardi 27 mars 2018

BD : Un coucou franco-libanais


Impressionnante tranche de vie que ce « Monsieur Coucou ». On devine beaucoup de vécu dans l’histoire d’Abel, devenu Allan depuis qu’il vit en France. Allan qui ressemble à Joseph Safieddine, scénariste franco-libanais. Allan a renié sa famille. Il vit désormais en France avec sa femme et s’occupe de la mère de cette dernière, mourante. Mais pour elle il va accepter de retourner au pays et se retrouve confronté à cette histoire familiale violente et marquée par la religion. Tout ce qu’Allan rejette depuis des années. Une introspection quasi philosophique dessinée par Park, Coréen qui lui aussi connaît l’exil puisqu’il vit en France depuis des années.

➤ « Monsieur Coucou », Le Lombard, 17,95 €  

lundi 26 mars 2018

BD : Pepe Carvalho revient en images


Il parait que c’est dans les vieilles casseroles que l’on fait les meilleurs plats. Manuel Vazquez Montalban, grand amateur de bonne chère, ne démentirait pas s’il n’avait pas décidé de passer l’arme à gauche en plein succès. Le créateur de Pepe Carvalho, le privé de Barcelone, approuverait certainement que ses romans soient adaptés sous forme de BD. Hernan Mingoya s’est dévoué pour se confronter à ces romans noirs au style inimitable. Un scénariste qui était à peine né quand « Tatouage », première enquête de Carvalho était publiée. Le cadavre d’un jeune homme blond est retrouvé entre deux eaux au bord de la plage de Vilasar à Barcelone. Pepe est embauché par un coiffeur pour tout savoir sur ce mystérieux cadavre, le visage mangé par les poissons mais qui a un tatouage dans le dos : « Né pour révolutionner l’enfer ». L’enquête le propulse en Hollande. Nous sommes en 1974, la drogue circule librement. Dans un club Pepe goûte un space cake. Verdict : « Arabisant... Menthe, amandes, farine, et un goût étrange... Au choix, sueur de jument ou divine ambroisie. » L’esprit des romans originaux est conservé, notamment grâce aux dessins de Bartolomé Segui, classiques et un peu rétro.

➤ « Pepe Carvalho » (tome 1), Dargaud, 14,99 €

vendredi 23 mars 2018

DVD et blu-ray : La mort sans fin de "Happy birth dead"

Quitte à faire dans la référence, les distributeurs de ce film auraient dû pousser la logique jusqu’au bout et le renommer «Une mort dans fin». Genre « Un jour sans fin », mais en négatif inversé. Le principe de la journée qui se ré- pète à l’infinie est au centre de « Happy Birth Dead », film de genre malicieux et sans prétention. Le genre c’est l’horreur, le gore, le tueur en série sévissant sur un campus rempli de jolies étudiantes aussi mignonnes que bêtes.

La première d’entre elles c’est Tree (Jessica Rothe). Blonde superficielle, elle sort avec un de ses profs (marié par ailleurs), est odieuse avec sa colocataire et devient ingérable quand elle boit trop. Ce qu’elle a fait visiblement la veille quand son téléphone la réveille à 9 heures. Elle est dans la chambre d’un étudiant, Carter (Israël Broussard) mais ne se souvient plus du tout comment elle a atterri là. Carter la rassure : elle était simplement trop ivre pour rentrer seule, il l’a portée, puis a dormi chez un de ses amis. La tête comme un chaudron elle entame cette journée de cours exceptionnelle. Pour deux raisons. La première : c’est son anniversaire. La seconde : elle sera mortellement poignardée en soirée par un inconnu au visage masqué.

Tree est le prototype de la garce. Aussi quand elle est sur le point de se faire découper en morceau, on ne la regrette pas. Comme dans les films d’horreur, la fameuse méchante de service est toujours la première à mourir. Mais au premier coup de couteau, Tree se réveille de nouveau dans la chambre de Carter. Même jour même heure. Elle se souvient de tout. Et la voilà qui repart pour un tour. Une accumulation de morts violentes changeant parfois au gré de ses tentatives de démasquer le tueur.




Le film de Christopher Landon tient le spectateur en haleine, même si le nom du coupable, malgré pléthore de suspects, est vite éventé. On apprécie particulièrement le changement dans la personnalité de Tree. Cet anniversaire mortel sans fin lui permet de prendre conscience comment elle est nulle et dé- testable. Combien de morts violentes pour qu’elle s’amende ? Le DVD regorge de bonus. Quelques scènes coupées ainsi qu’une fin alternative, un peu gadget mais qui aurait retourné une nouvelle fois le public.

➤ « Happy Birth Dead », Universal, 14,99 € le DVD, 16,99 € le blu-ray

jeudi 22 mars 2018

Cinéma : Frissonnez avec les bonnes manières brésiliennes

Amateurs de films étranges et de mondes fantasmagoriques, ces « Bonnes manières » de Juliana Rojas et Marco Dutra sont pour vous. Un film brésilien entre critique sociale et fable fantastique. Une œuvre à part, qui marque par son ambiance unique. Clara postule au poste de nounou pour Ana. Clara est pauvre et noire. Ana, riche et blanche. Clara vit dans un petit meublé de la vieille ville, Ana dans un immense appartement d’une tour moderne. Deux jeunes femmes que tout oppose comme un résumé de la forte différence des classes de ce pays métissé qu’est le Brésil.

Pourtant les apparences sont trompeuses. Ana est abandonnée de sa famille. Promise à un fiancé, elle cède une nuit à un bel inconnu rencontré à une fête. Quand elle tombe enceinte, son père, riche proprié- taire terrien, l’envoie à la ville dans cet appartement froid et déshumanisé pour se faire avorter. Mais elle décide de garder l’enfant, coupant les ponts avec sa famille. A quelques semaines de l’accouchement, elle engage Clara comme femme à tout faire avant de lui confier le rôle de nounou.

La première heure du film raconte cette cohabitation. Clara, réservée et solitaire, a un secret : elle aime les femmes. Sa douceur et sa gentillesse séduisent Ana. Elles s’aiment, comme une évidence.

Les nuits de Joël
Mais quand Ana se met à faire des crises de somnambulisme, Clara s’inquiète. Surtout quand la future maman sort dans la rue pour chasser et dévorer des chats… Ana, terrorisée car elle ne se souvient de rien, lui révèle alors le secret de la conception de ce garçon qu’elle a décidé d’appeler Joël. La seconde partie du film se déroule sept ans après sa naissance. Clara a la garde de Joël. Dans tous les sens du terme car lui aussi, les soirs de pleine lune, change radicalement.

Difficile de déflorer les rebondissements du scénario. « Les bonnes manières » font partie de ces longs-métrages où il faut arriver vierge de tout préjugé. Se laisser embarquer par l’histoire, se faire happer par l’irruption du fantastique dans le récit. Une production à l’image soignée, dans une ville imaginaire, fantasmée, et qui béné-ficie de quelques séquences d’effets spéciaux dignes des blockbusters américains. Une bonne surprise dans la production souvent formatée à outrance des films de l’année.

➤ « Les bonnes manières », film fantastique de Juliana Rojas et Marco Dutra (Brésil, 2 h 15) avec Isabél Zuaa, Marjorie Estiano, Miguel Lobo...

mercredi 21 mars 2018

Cinéma : La prière plus forte que la drogue

LE FILM DE LA SEMAINE. Cédric Kahn raconte le parcours d’un toxicomane sauvé par la religion



Anthony Bajon, jeune acteur débutant, porte le personnage de Thomas, toxicomane en plein dé- crochage aux drogues dures. Une performance hors normes, physique et intérieure, récompensée justement par le prix d’interpré- tation masculine à la dernière Berlinade. Thomas est quasiment de tous les plans de ce film de Cédric Kahn. On ne sait pas d’où il vient, quel est son parcours. On se doute que cela n’a pas dû être rose tous les jours à voir la balafre qui orne sa pommette gauche. Dans une voiture, il regarde le paysage magnifique de la montagne à l’automne. Petites routes puis chemins de pierre et arrivée enfin à la communauté. Une ferme qui abrite en son sein une vingtaines d’anciens toxicomanes ou alcooliques, comme Thomas. Que des hommes. Ils cultivent un jardin, aident les paysans du coin et surtout prient. Ils prient Dieu ensemble, comme pour éloigner toute tentation ou pensée négative.

Le principe des premiers jours est simple. Jamais Thomas ne sera laissé seul. Son « ange gardien » Pierre (Damien Chapelle) l’accompagne partout. Plus qu’une surveillance, c’est une aide permanente qu’il lui offre. Une écoute aussi. Et surtout pas de jugement, principe de base de la communauté. Comme le rappelle, le chef Marco (Alex Brendemühl), ils sont tous passés par là avant lui. Ils ont connu la descente aux enfers, puis les crises de manque. Tous n’ont pas réussi à s’en sortir. Ils ont quitté la communauté. Mais tant que Thomas sera là, il devra se soumettre à ces règles.

 Fuite et retour
L’état d’hébétude du fougueux jeune homme ne lui permet pas de juger au début. Mais rapidement il reprend ses esprits. Son libre arbitre aussi. Car dans une scène violente et destructrice, il rejette ces hommes résignés, devenus membres d’une secte. Rage violente et fuite. En pleine nuit, il quitte la ferme, marche de longues heures dans le froid pour atteindre enfin un village. Mais sans argent ni point de chute, il va se réfugier dans la ferme où il a travaillé récemment. Il y a rencontré Louise, une jeune étudiante. Elle l’accueille, le raisonne et il retourne à la communauté. Pour se donner une seconde chance. De s’en sortir. De revoir Louise aussi.

En plaçant l’amour au même niveau que la prière, Cédric Kahn permet à son film de briser cet enfermement réducteur. Il n’y a pas que la religion pour sortir de l’enfer de la drogue. Thomas décroche, se sent même comme investi d’une mission pour servir Dieu. Une conversion superbement interprétée par Anthony Bajon. Performance d’autant plus réussie que l’on sent, en permanence, que tout reste fragile, comme joué. Le film aurait pu être primaire, c’est finalement une réflexion pleine de bienveillance et de doute.

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Paroles du réalisateur : "C’est l’histoire d’un type qui dit « Sauvez-moi ! »



Cédric Kahn s’explique sur le scénario, le tournage et le casting de « La Prière ». « A la base on avait un scénario classique. On racontait l’avant, d’où venait le gars. Finalement ça ne fonctionnait pas du tout. L’histoire n’a marché qu’à partir du moment où on a mis la thérapie et la prière au centre du récit. Le film commence au moment où il arrive et s’achève quand il part. Comme dans un western quand le type frappe à la porte du ranch et dit ‘Sauvez-moi !’. Bizarrement, tous les détails qu’on racontait sur le personnage principal affaiblissaient l’histoire ».
 « On n’a pas fait de casting spécifique pour le personnage d’Anthony. On a cherché le groupe en se disant que le protagoniste arriverait parmi eux. On leur faisait faire deux tests : une prière et un témoignage. En fait ceux qui priaient bien, ce n’était pas les croyants mais les bons acteurs. Pour le rôle principal, je cherchais un garçon avec beaucoup de présence, d’intensité, de violence, mais aussi une forme de candeur, un lien fort à l’enfance. »
« Je voulais de la montagne, du paysage, un sentiment d’isolement, mais aussi d’espace, d’éternité. On a cherché dans les Pyrénées, dans les Alpes. Et on est arrivé dans le Trièves, en Isère, un plateau large entouré de montagnes à 360°. Un lieu magique, préservé, mélange de beauté et de rudesse. L’endroit idéal pour raconter cette histoire. Ce paysage est devenu un personnage du film à part entière. »

 ➤ « La prière », comédie dramatique de Cédric Kahn (France, 1 h 47) avec Anthony Bajon, Damien Chapelle, etc.

lundi 19 mars 2018

BD : Laurent Bonneau se met à nu


30 ans. Pour beaucoup c’est encore la jeunesse et toute une vie devant soi. Mais pour les générations actuelles, cela semble la première bascule vers une existence plus sérieuse, impliquée, triste... Laurent Bonneau, auteur de BD installé à Narbonne, a voulu garder une trace de ce passage. Il raconte dans ce gros album de près de 120 pages les retrouvailles de cinq amis d’enfance. Ils ont fait les 400 coups au lycée. Ils ont 30 ans aujourd’hui et vont passer un week-end entre eux dans une maison au bord de l’océan.

L’album raconte ces deux jours mais aussi l’avant, comment Laurent Bonneau explique à ses potes que cela deviendra un album de BD. L’échange de points de vue de jeunes adultes sur leur vie. Question d’un des intervenants : « Est-ce qu’à la fin de ton histoire il y a quelqu’un qui meurt ? » Loin d’être incongrue, cette interrogation est légitime car on devine la fragilité de certains. Couples qui battent de l’aile, non reconnaissance de son travail ou accumulation de désillusions, il est parfois bien compliqué d’assumer trois décennies sans avoir le désir de définitivement tirer le rideau. Mais que l’on rassure les sensibles, personne ne meurt. C’est la vraie vie qui se retrouve dans cet album au graphisme particulier (dessins à la mine de plomb combinés à des aplats numériques).




Et Laurent Bonneau de s’interroger « S’agit-il d’une autobiographie ou d’une autofiction ? En rendant le réel plus souple, on peut se demander s’il ne devient pas fiction de toute façon, même s’il garde l’authenticité du vécu et de l’intime. » 

➤ « On sème la folie » de Laurent Bonneau, Bamboo Grand Angle, 21,90 €

dimanche 18 mars 2018

De choses et d'autres : Dormir en pleine journée


Dans la catégorie des journées internationales qui sont sujettes aux quolibets, celle d’hier a décroché le pompon. Il est vrai que décréter une journée consacrée au sommeil est paradoxal car, jusqu’à preuve du contraire, le fameux sommeil bénéficie déjà de toutes nos nuits. Alors pourquoi en plus rajouter une journée ? Personnellement je dors mes huit heures d’affilée, d’un sommeil de bébé comme la plupart du temps. A 6 heures, le réveil sonne (exactement la plus vieille de nos chattes se met à miauler comme une dé- mente de sa voix éraillée par 14 années de tabagisme passif pour réclamer (au choix et selon un roulement aussi compliqué qu’une grève à la SNCF) des croquettes, des câlins, qu’on lui ouvre la porte) et j’ouvre un œil. Mais, comme c’est la journée internationale du Sommeil, pour être dans le coup, je le referme et retourne dans mes rêves. Problème, la chatte n’est pas au point dans le calendrier des journées mondiales. Elle insiste et fatalement je me lève. Mais rien ne m’empêche de me recoucher.

Excepté mon contrat de travail m’imposant une présence ce vendredi selon le tableau de service imposé par... moi-même. Mince, j’ai oublié que je gère ça désormais. C’est d’ailleurs un des motifs récurrents de mes rares cauchemars (avec aussi le manque d’idée pour cette chronique quotidienne (mais cette fois c’est bon, je tourne en rond, mais j’ai l’idée)). Reste la solution du petit somme au bureau. Pratique dont certains ne se privaient pas il y a quelques années, avant la généralisation de l’open space, invention du diable.

Pourtant dormir au travail, est la preuve d’un gros investissement du salarié. Il faut beaucoup se dépenser pour être tellement fatigué qu’on s’endort au bureau. Ou avoir une chatte encore plus exigeante qui vous réveille toutes les heures en pleine nuit.

(Chronique parue le 17 mars 2018 en dernière page de l'Indépendant)

samedi 17 mars 2018

DVD et blu-ray : "Prendre le large" pour conserver son travail

Gaël Morel signe un film social sur les délocalisations avec Sandrine Bonnaire en vedette.




En quelques décennies, la France a perdu la majeure partie de son industrie textile. Les dernières usines ont fermé, délocalisées vers des pays à la main-d’œuvre moins coûteuse. « Prendre le large », film social de Gaël Morel, aborde cette problématique selon le point de vue d’Edith (Sandrine Bonnaire), ouvrière sur le point d’être licenciée.

Virée à moins qu’elle n’accepte la proposition, obligatoire, de reclassement dans la nouvelle unité basée au Maroc. Une aberration selon les ressources humaines, mais Edith, seule dans sa petite ville de province, éloignée de son fils qui vit en couple avec son compagnon à Paris, un peu déprimée et pas du tout prête à accepter de se retrouver au chômage pour de longues années, hésite. Pourquoi ne pas « prendre le large » ?

De cette décision improbable, le réalisateur, grâce aussi à la grâce et sérénité de Sandrine Bonnaire, tire un film sensible et intelligent. Edith arrive à Tanger avec un simple bagage cabine. Elle emménage dans une pension tenue par Mina (Mouna Fettou) et son fils Ali (Kamal El Amri). Au début personne ne comprend cette Française qui vient travailler dans l’usine. D’ordinaire, les jolies blondes de son genre viennent en vacances.

Edith est la seule occidentale dans l’atelier où des femmes travaillent à la dure pour un salaire de misère. Sans la moindre défense syndicale. Et il y a le problème religieux, la Française doit se voiler dans certains quartiers. Un calvaire qui se termine très mal. Sauf que durant cette période abominable, Edith va recommencer à s’ouvrir aux autres et notamment à Mina et Ali. Certes travailler c’est important, mais avoir des amis l’est beaucoup plus.

Outre un entretien du réalisateur en bonus, vous pourrez découvrir son premier court-métrage, « Une vie à rebours ».

➤ « Prendre le large », Blaq Out, 14,99 €

vendredi 16 mars 2018

Tempête planétaire sur votre écran avec "Geostorm"

Un film catastrophe sur le climat signé Dean Devlin. 



Il y a du Roland Emmerich derrière ce film catastrophe. Dean Devlin, le réalisateur, a collaboré aux scénarios de toutes les grandes productions du réalisateur d’Independance Day. Donc pour son premier film, pas de grosse introspection psychologique au programme. Non, il fait dans ce qu’il maîtrise le mieux : de l’action et des effets spéciaux à couper le souffle.

Dans un futur proche, face au dérèglement climatique, plusieurs nations se sont unies pour mettre en orbite un ré- seau de satellites capables de canaliser tous les événements météorologiques catastrophiques. Vagues de froid, tempê- tes ou canicules font partie du passé. Mais à quelques semaines de la passation du commandement de la station de commandement en orbite à la communauté internationale, des satellites se dérèglent. Tempête de glace en Afghanistan, raz-de-marée à Dubaï, pluies diluviennes sur Paris : rien ne va plus. On envoie dans l’espace le créateur de la station, Jake (Gerard Butler) pour tenter de trouver la cause du dysfonctionnement. Sur place, il constate que c’est un virus qui a déréglé la station. Au point de la transformer en arme de destruction massive capable de déclencher une tempête planétaire. Le compte à rebours est lancé.

Beaucoup d’action, dans l’espace et sur terre dans ce film manquant un peu d’humain mais qui au final a le mérite de nous ouvrir les yeux sur la catastrophe climatique à venir si on ne réagit pas rapidement. 

➤ « Geostorm », Warner Bros, 19,99 €

jeudi 15 mars 2018

BD : Thérapie de couple... à trois


Tout commence par une rencontre dans une patinoire. Un télescopage exactement entre la belle et virtuose Eloïse et Antoine, veuf. Un moyen comme un autre pour engager la conversation. Et la jolie blonde de constater qu’Antoine correspond en tout point à son homme parfait. A croire qu’il connait son mari, Marc. Tiré d’un scénario de film non tourné de Bernard Jeanjean, cette love story à trois est dessinée par Louis qui quitte pour l’occasion la SF et sa célèbre héroïne Tessa.
➤ « Mon homme (presque) parfait », Bamboo Grand Angle, 16,90 €

mercredi 14 mars 2018

"Chien" de Samuel Benchetrit ou comment devenir un bon toutou


Sa femme le quitte. Jacques Blanchot (Vincent Macaigne) se retrouve célibataire du jour au lendemain. Hélène (Vanessa Paradis) affirme souffrir d’une maladie rare. Qui a le nom de son mari car les symptômes sont des démangeaisons qui n’apparaissent qu’en sa présence. Elle lui demande donc d’aller vivre ailleurs, le plus loin d’elle.
Jacques accepte. Jacques n’est pas méchant. Il s’accommode de tout. Avant de partir, il voit son fils jouer avec le chien du voisin. Pourquoi ne pas lui offrir un animal de compagnie ? Sur le chemin de l’hôtel minable où il va désormais tenter de dormir la nuit, Jacques achète un minuscule roquet à Max (Bouli Lanners). Roquet qui ne survivra pas longtemps à sa rencontre impromptue avec un 18 tonnes. Il ne reste que la laisse et le coussin à Jacques…
Samuel Benchetrit a décidé de porter à l’écran son propre roman pour montrer l’évolution lente et inexorable du faible Jacques. Un homme soumis, obéissant, docile. Une proie facile pour Max. Le manque de personnalité de Jacques lui donne une occasion en or d’appliquer ses principes de dressage. Cela tombe bien, Jacques avait payé à l’avance dix cours. Il va donc les suivre. Mais comme il n’a plus de chien, c’est lui qui va prendre sa place.

Avec les autres chiens

Tourné dans des paysages urbains déserts ou des forêts et parcs lumineux mais tout aussi démunis de la moindre présence vivante, le film donne l’impression de se dé- rouler dans un futur sinistre et déshumanisé. La violence, la méchanceté, la suspicion sont les valeurs de base des rapports humains. Jacques, face à cette adversité, est trop naïf, pas du tout armé. Il ne réagira que pour protéger un autre chien subissant les foudres de Max.
Homme ou chien, il faut choisir. Avec un seul mot au final pour se dé- terminer: « Ouaf ! »
 ➤ « Chien », comédie dramatique de Samuel Benchetrit (France, 1 h 34) avec Vincent Macaigne, Bouli Lanners, Vanessa Paradis.

mardi 13 mars 2018

Bande dessinée : Enfants sauvages


Classique de la littérature jeunesse, « Deux ans de vacances » de Jules Verne est enfin adapté en bande dessinée. Chanoinat et Brrémaud ont remis le texte au goût du jour, Hamo se chargeant du dessin. Quatorze jeunes pensionnaires d’un pensionnat néo-zélandais se retrouvent seuls sur une goélette en plein Pacifique déchaîné. Ils s’échouent sur une île et vont devoir apprendre à survivre dans ce milieu sauvage et hostile. On apprécie le côté Robinson. Les jeunes s’adaptent avec facilité en fonction de leurs compétences. L’organisateur planifie, l’expert en armes à feu chasse et les intellos font classe aux plus jeunes. Un petit monde fragile, notamment quand une nuit, un être vivant attaque le camp et blesse le chien du groupe. Qui est-ce ? Qu’est ce que c’est ? Les vacances forcées vont devenir plus compliquées. La série est prévue en trois tomes qui paraîtront tous cette année.
➤ « Deux ans de vacances » (tome 1), Vents d’Ouest, 13,90 €

lundi 12 mars 2018

La sélection des poches du week-end

Mister Alabama


Mud Creek, Alabama, été 1979. Alvin, exMister Alabama, a 28 ans et un rêve : remporter le titre de Mister America, pour passer dans un talkshow et devenir acteur. Mais avec son problème de hanche, il devient pêcheur de moules dans les eaux boueuses de la Tennessee River. L’auteur, Philipp Quinn Morris, entraîne le lecteur dans ce Sud si particulier.
➤ « Mister Alabama », 10/18, 8,10 €

La guerre des encyclopédistes


Un soir d’été, Mickey Montauk et son meilleur ami Halifax Corderoy, deux hipsters de Seattle, organisent une de leurs fameuses soirées de débauche des «Encyclopédistes », pendant lesquelles tout est permis. Le temps passe : les deux complices se heurtent à la réalité de leurs nouvelles vies, si différentes. Roman d’apprentissage, radiographie de deux Amériques, « La guerre des Encyclopédistes » de Christophe Robinson et Gavin Kivite est un roman puissant sur la désillusion, l’engagement et la liberté.
➤ « La guerre des encyclopédistes », 10/18, 9,60 €

dimanche 11 mars 2018

Roman : Découvrir l’Histoire avec l’intrépide Max

Max est historienne. Son prénom c’est Madeleine, mais cette rousse, piquante trentenaire, est plus connue par son nom : Maxwell. D’où le sobriquet de Max qui lui va si bien. Au début du roman de Jodi Taylor, Max est contactée par son ancien professeur afin de rejoindre l’équipe de l’Institut St Mary. Au cours de son étrange entretien d’embauche, elle comprend vite les possibilités qui s’offrent à elle… Car St Mary, sous des airs d’université vieillotte, cache une autre réalité.

Les historiens acceptant d’y mener des recherches ont la possibilité de voir exactement comment vivaient nos ancêtres. Dans un hangar, des techniciens surdoués ont mis au point et entretiennent des capsules à voyager dans le temps. Max va pouvoir étudier l’Égypte ancienne... en immersion.

Capsules insoupçonnables
Quand Jodi Taylor a publié sur la toile les premiers chapitres de ce roman entre fantastique, érudition et aventure, elle ne se doutait certainement pas du succès des aventures de Max. Des dizaines de milliers de lectures numériques, puis un contrat avec un éditeur en Angleterre et voilà le premier tome des Chroniques de St Mary traduites en français. Il y en a déjà 9 autres, le succès devenant phénoménal dans la littérature anglo-saxonne.

L’apprentissage de Max sera dur. Très exigeant. Il y a une dizaine de candidats avec elle mais trois seulement, dont elle, seront retenus au final. Le premier choc pour l’héroïne sera de dé- couvrir les capsules, « des petites cabanes modestes, au toit plat et sans fenêtres ; le genre de structure que l’on pourrait retrouver n’importe où, que cela soit à Ur en Mésopotamie ou dans un lotissement urbain moderne. Posez une échelle branlante contre un mur, une roue cassée près de la porte et quelques poulets autour et elles passent inaperçues. »

Après la théorie, place à la mise en pratique du voyage temporel et l’art de rester incognito. Max va recevoir les conseils d’une costumière : « Oubliez l’idée de vous balader avec une robe qui traîne par terre. Rien ne ramasse aussi bien la poussière, la pluie, la saleté, les excré- ments et les occasionnels chiens morts qu’une robe qui traîne par terre. » Au contraire, Max va rapidement s’apercevoir que voyager dans le temps c’est surtout savoir courir pour fuir les problèmes.

Et des problèmes, elle va en rencontrer en quantité dans le premier tome de cette série prometteuse, aux multiples rebondissements et qui donne envie de retrouver Max et d’en savoir un peu plus sur les pays et époques qu’elle traverse.

➤ « Les chroniques de St-Mary - Un monde après l’autre », de Jodi Taylor, HC éditions, 14,50 €

samedi 10 mars 2018

Noël Herpe explore le cinéma français durant l’Occupation

Noël Herpe, historien du cinéma, réalise un catalogage du Fonds Max Douy déposé à l'Institut Jean Vigo de Perpignan.

Une lettre de Danielle Darrieux à la Continental ou le témoignage d’une ouvreuse de cinéma lors des séances d’interrogatoires menées à la Libération : les archives de Max Douy, léguées récemment à l’Institut Jean-Vigo, sont d’une richesse insoupçonnée. Noël Herpe, historien du cinéma, enseignant à Paris, écrivain et réalisateur, va les parcourir durant une semaine, faisant un premier travail de défrichage pour ensuite proposer dans un mémo un classement de ces pièces historiques.


L’idée de se plonger dans ces archives du cinéma français durant l’occupation vient de Ghislaine Gracieux. Cette productrice originaire de Perpignan a déjà travaillé avec Noël Herpe sur Clouzot. Ils ont en projet de réaliser un documentaire sur cette période si particulière dans le 7e art national. Or Max Douy, grand décorateur qui a notamment travaillé avec Claude Autant-Lara sur « La traversée de Paris », faisait partie du Comité de Libération du Cinéma Français et à ce titre a participé à de nombreux interrogatoires la Libération venue.

Une accusation ou une rumeur à vérifier, un rôle à préciser : beaucoup ont été inquiétés une fois l’envahisseur chassé. Souvent avec un non-lieu à la clé.

Le rôle de la Continental
Ce sont ces témoignages que Noël Herpe passe en revue. Un premier survol lui a permis de découvrir une lettre de Danielle Darrieux. « Elle y explique qu’elle veut bien tourner pour la Continental, la grande société de production française la plus collaborationniste, mais à la condition que le tournage se déroule en zone libre. »

« Les archives me permettent de replonger dans l’atmosphère de l’époque », explique Noël Herpe, lunettes rondes sur le nez pour défricher ces feuillets dactylographiés reliés par des trombones qui ont rouillé depuis des décennies. Une approche méthodique, avec mise en répertoire de toutes ses notes et photographies des documents les plus importants ou significatifs. Un travail qu’il compte prolonger avec d’autres documents, consultés ailleurs qu’à Perpignan, toujours avec ce projet de « Chroniques du cinéma français sous l’Occupation ». Avec sans doute la possibilité de « battre en brèche certaines légendes ».

vendredi 9 mars 2018

De choses et d'autres : la poule de l'Elysée

Je devine déjà les petites décharges d’adrénaline chez les quelques Français vouant une haine absolue à Brigitte Macron*. Qu’ils rabaissent leur caquet, il n’est nullement question de l’épouse du président dans ces quelques lignes, mais d’une certaine Agathe qui vient de pondre son premier œuf. Car la poule en question est de la race des gallinacées.
Donc Agathe a pondu. Pour la première fois depuis son arrivée à l’Elysée. À l’issue de sa visite marathon au salon de l’Agriculture, Emmanuel Macron n’est pas reparti les mains vides. En plus des mets et liquides ingurgités sur place, il a reçu en cadeau des mains du directeur général des Fermiers de Loué, Yves de la Fouchardière deux poules pondeuses. Agathe et Marianne vivent dans un petit enclos. Et rapidement elles se sont mises au travail. Agathe a été plus rapide que Marianne. Son œuf rejoindra les cuisines du palais pour y être incorporé aux préparations culinaires. Le circuit court par excellence. Jusqu’à présent, les œufs frais venaient du ministère de l’Intérieur où quatre pondeuses officient déjà depuis quelques années. Le service communication de l’Elysée a fait ses choux blancs de l’arrivée d’Agathe et de son premier œuf.
Futile ? Pas tant que cela. Car il y a quelques décennies, de très nombreuses familles avaient des poules à la maison. Et quelques municipalités tentent de faire revivre cette tradition. Pas pour les œufs, mais pour la propension des poules de manger les déchets verts. Des œufs en plus, des ordures en moins : qui peut s’opposer à ce genre de programme politique.
➤ Comme avant avec Carla Bruni ou Julie Gayet, certains opposants au président, au lieu de l’attaquer lui, préfèrent mettre tous les maux du pays sur le dos de son épouse ou compagne. Brigitte Macron n’échappe pas à leur vindicte injuste.

DVD et blu-ray : Aglaé se délocalise


India Hair est Aglaé. Aglaé est une employée modèle. Consciencieuse et travailleuse. Elle adore son métier de chercheuse en crash automobile. Aussi, quand l’usine doit être délocalisée en Inde, elle est la seule à demander sa mutation. Cette étrange comédie d’Eric Gravel a des airs de sketch du Groland. Aglaé, avec ses tics et ses tocs embarque dans sa folie deux collègues interprétées par Elisabeth Depardieu et Yolande Moreau. Et comme la direction refuse de leur payer un billet d’avion pour rejoindre la nouvelle usine, elles décident de s’y rendre en voiture. Passée la Pologne, seule Aglaé poursuit sa route. Au Kazakhstan elle trouve l’amour. Mais n’en démord pas : l’Inde l’attend. Si la critique sociale n’est pas violente, elle dénonce cependant les délocalisations et surtout la façon dont les patrons traitent les ouvriers. Quant à India Hair, sa bouille rêveuse et mutine illumine le film de bout en bout, des plaines kazakhs aux montagnes chinoises en passant par les quartiers rupins de Suisse. 

➤ « Crash Test Aglaé », Le Pacte Vidéo, 12,99 € le DVD, 19,99 € le blu-ray

jeudi 8 mars 2018

Livres de poche : la sélection du week-end

Les lois du ciel


Les enfants d’une classe de CP, partent pour deux jours d’excursion en forêt. Aucun n’en reviendra. Parents d’élèves et instituteurs sont à leurs côtés. Mais pour les enfants, le froid, la faim, l’obscurité, un simple grincement deviennent le terreau de l’imagination. Bientôt la terreur s’insinue au cœur de l’équipée. Les barrières entre le monde des contes et la réalité s’effritent, jusqu’à ce que l’impensable se produise. Un polar à la limite du fantastique signé Grégoire Courtois.
➤ «Les lois du ciel», Folio Policier, 6,60 €

Vostok

Vingt ans après la fermeture d’une base en Antarctique, un groupe d’hommes et de femmes y atterrit et vont réchauffer le corps gelé de Vostok, réveiller ses fantômes.
Situé dans le même futur qu’Anamnèse de Lady Star, Vostok de Laurent Kloetzer narre l’incroyable aventure d’une très jeune femme, Leonora, condamnée à laisser les derniers vestiges de son enfance dans le grand désert blanc.
➤ «Vostok", Folio SF, 8,30 €

mercredi 7 mars 2018

Cinéma : Eva", fantasme de roman

Benoît Jacquot met en vedette Isabelle Huppert dans le film "Eva"


À la base il y a la faute originelle. Bertrand, assistant de vie (ou gigolo, cela n’est pas clair volontairement), se rend chez un de ses clients, un vieil écrivain anglais tombé dans l’oubli. Il est hasbeen chez lui et trop dark en France. Presque grabataire, malade, il se morfond, attendant la visite du beau Bertrand. Contre une forte somme d’argent, il lui demande de le rejoindre dans son bain. Bertrand est sur le point de le faire quand l’homme a une crise cardiaque. Bertrand le regarde mourir, sans intervenir. L’argent en poche, Bertrand prend la fuite en volant la dernière œuvre encore inédite du mort, une pièce de théâtre. Quelques années plus tard, Bertrand savoure le succès de la pièce à l’affiche depuis plusieurs mois. Il a simplement posé sa signature au bas du manuscrit. Un triomphe aussi simple que cela.

Mais le succès aidant, le propriétaire du théâtre réclame une seconde pièce. Tournant en rond, Bertrand décide d’aller s’isoler dans le chalet de ses futurs beaux-parents en Savoie. Il arrive de nuit, en pleine tempête de neige et découvre dans la chambre un couple. Eva et son client se sont installés. Le client sirote un whisky, Eva se prélasse dans la baignoire. Bertrand vire l’importun et propose à la belle prostituée de luxe de remplacer son client évanoui. Fin de non-recevoir d’Eva qui brise un cendrier sur le crâne du jeune prétentieux.

■ Rayonnante Isabelle Huppert
Le film de Benoît Jacquot, remake d’un long-métrage de Losey avec Jeanne Moreau, toujours adapté d’un polar de James Hadley Chase paru dans la Série Noire, donne à Isabelle Huppert l’opportunité de camper une femme belle et vénéneuse, vénale et touchante. L’actrice française, très présente ces dernières années, multiplie ces rôles de femmes mûres et mystérieuses. Elle excelle dans le genre, passant de la femme sûre d’elle, vendant son corps avec aisance, à l’épouse aimante prête à tout pour son mari en situation difficile. Dans ce jeu, l’intrusion de Bertrand ne va pas la perturber. Simplement elle avoue une certaine sympathie pour ce jeune homme plein de ressource, prétentieux et trop malléable.


Gaspard Ulliel, pour son premier film sous la direction de Benoît Jacquot, signe une performance très intéressante. Entre la faute originelle (le vol de la pièce) et la fin du film, il doit montrer toute l’ambiguïté du personnage et passer de l’effacé au triomphant puis à l’homme acculé. Un thriller tourné en Savoie, en hiver, renforçant le sentiment d’enfermement, de piège inéluctable. La tension est permanente et paradoxalement, on se croit parfois dans un roman de… Philippe Djian.

➤ « Eva », drame de Benoît Jacquot (France, 1 h 40) avec Isabelle Huppert, Gaspard Ulliel, Julia Roy.

lundi 5 mars 2018

BD : Savoir dire les choses


Un dessin, stylisé de surcroit, vaut toujours mieux qu’un long texte. Elijah, illustrateur et journaliste, le sait bien puisque la formule des Top 5 lui ont permis de s’imposer dans un journal espagnol. Mais à trop vivre pour le travail, on se retrouve à faire un transfert sur sa vie privée. Quand il apprend que sa compagne attend un enfant, il imagine immédiatement un Top 5 lourd de conséquence sur «5 choses à ne jamais lui dire» quand il intègre, en 2e position, «Ne pas lui faire un enfant dans le dos». Canizales livre une histoire en noir et blanc d’une grande intelligence, son dessin délavé permettant de passer de la douceur à la violence. Cet auteur colombien, plutôt spécialisé dans l’illustration jeunesses, vit en Espagne depuis 20 ans. Il devrait vite devenir incontournable de ce côté des Pyrénées avec la traduction de ses romans graphiques. 
 ➤ «5 choses à ne jamais lui dire», Warum, 15 €

dimanche 4 mars 2018

Littérature : Jean Teulé nous entraîne dans une danse endiablée


Drôle de technoparade à laquelle nous convie Jean Teulé dans son nouveau roman. « Entrez dans la danse » est de la veine des précédents romans de l’ancien auteur de BD : court, imagé, intelligent et furieusement drôle par moments. Tout commence en 1519 à Strasbourg. En plein été, la situation de la ville est catastrophique. En plus de la crainte d’une invasion des Turcs, la ville meurt de faim. Les récoltes ont été mauvaises et si certains spéculateurs ont anticipé la crise, rares sont les Strasbourgeois qui ont les moyens de se payer un kilo de farine.

■ Manger le bébé

Les premières pages sont terribles. Dans un quartier d’artisans, une femme, son bébé dans les bras, rejoint un pont sur le Rhin. « Au milieu de cette passerelle, elle s’arrête et jette son enfant à la rivière ». Infanticide froid et délibéré. Paradoxalement, pour éviter le pire. Car au chapitre suivant on voit une autre mère indigne : la faim l’a poussée à cuire son nourrisson. Cela fait deux jours qu’avec le père ils se régalent. Voilà la situation dans Strasbourg la maudite quand les premiers signes de l’épidémie apparaissent. Une femme, suivie d’un couple puis de tout un groupe se met à danser dans la rue. Danser joyeusement, comme si plus rien de grave ne pouvait les toucher. Toute la subtilité du roman est dans cette danse éperdue. Face à une situation dramatique, sans solution, l’idée de faire la fête, de profiter de la vie, semble la pire des solutions. Mais pourquoi dansent-ils?



Une question lancinante et sans réponse pour les édiles (superbe portrait du maire) et responsables religieux (l’évêque en prend pour son grade). Dehors, la sarabande continue. Jean Teulé raconte, avec sa poésie habituelle. Les gargouilles sur la cathédrale n’en croient pas leurs yeux : « Sous les étoiles, dans Strasbourg hébétée d’une folie générale comme si la raison était en morte saison, les êtres hybrides, grotesques, et allégoriques de l’édifice regardent glisser sur le mur d’en face, des ombres semblables à celles de monstres effrayants, possédés et fantasmatiques. » Fantasmatique. Le mot idéal pour définir ce roman trépidant de Jean Teulé.

➤ « Entrez dans la danse » de Jean Teulé, Julliard, 18,50 €.

samedi 3 mars 2018

Images sudistes


300 ans. le bel âge. En 2018, la Nouvelle-Orleans a 300 ans. L’occasion de découvrir cet ville américaine atypique, ayant conservé de nombreux vestiges de son passé francophone. Vous pouvez vous rendre sur place ou plus simplement plonger dans le beau livre « New Orleans et le sud de la Louisiane » de Gabriel Vitaux, photographe installé dans l’Aude. Des centaines de clichés réalisés entre octobre 2015 et avril 2017, sélectionnés et mis en valeur dans ces 250 pages. Une première partie est entièrement consacrée à la ville, notamment ses clubs toujours aussi actifs. Dans la seconde, on entre dans l’Acadiana, le pays cadien, de Houma à Lafayette. 
➤ « New Orleans et le sud de la Louisiane », Gabriel Vitaux, éditions Label Odero, 35 €

jeudi 1 mars 2018

BD : Succession compliquée à la Cour des Miracles

Julien Maffre, passé par les Beaux-arts de Perpignan, se lance dans une nouvelle série avec Stéphane Piatzsek au scénario. En cinq tomes ils entreprennent de raconter les grandes heures de la Cour des Miracles. Le premier tome présente Anacréon, le roi des gueux. Il règne sur ces voleurs, infirmes et orphelins. Mais la retraite approche. Il compte passer le flambeau à son fils, trop jeune et imprudent, malgré la protection efficace de sa sœur, la Marquise. 
 ➤ « La Cour des Miracles » (tome 1), Soleil Quadrants, 15,50 €