lundi 16 avril 2012

La petite « boche » racontée par Nathalie Hug

Dans « La demoiselle des tic-tac », Nathalie Hug raconte le quotidien d'une famille allemande en Lorraine, avant, pendant et après la guerre.



Nathalie Hug, Calmann-Lévy, Lorraine, roman« Vivre à la cave, au début, c'était l'aventure, un déménagement de plus, une nouvelle vie. A présent, je n'ai qu'une hâte : que M. Hitler gagne enfin la guerre pour que nous sortions de ce trou ». Fin 1944 dans ce village français de Moselle, la jeune Rosy est encore pleine d'illusions. Allemande, élevée dans le culte du Führer, elle croit encore qu'il va renverser la situation, redevenir l'homme fort qu'on lui a appris à vénérer. Rosy est Allemande, mais une partie de sa famille est restée en Moselle, redevenue française après 14 – 18. Dans le village, avec sa mère, la vie est dure. Ce sont « les sales boches » et mieux vaut qu'elles rasent les murs. Pendant l'occupation, elles goûteront cette nouvelle atmosphère mais ce sera de courte durée. En 1944, l'armée américaine progresse et les bombardements sont incessants. C'est aussi pour cela qu'elle vit avec sa mère Mutti dans la cave. Il existe bien des abris, mais en tant que « boches », elles sont personna non grata.

Dans cette cave, qu'elle ne quittent plus que la nuit, elles doivent cohabiter avec des rats et les araignées. Ce sont ces dernières qui terrorisent le plus Rosy. Notamment celles qui ont de très grandes pattes. Les tic-tac comme les surnommait son oncle.

Ensevelie

Second roman en solo de Nathalie Hug, « La demoiselle des tic-tac » est l'histoire poignante d'une jeunesse volée. Martyrisée par sa mère, détestée de sa grand-mère, sans père, Rosy ne trouve du réconfort qu'en compagnie d'Andy, un gamin, son seul ami.

Le roman alterne retours en arrière et scènes actuelles. Rosy et Mutti étaient dans la cave quand un obus frappe la maison de plein fouet. Tout s'écroule. Rosy est seule dans le noir, blessée. Bientôt sans eau. Pour tenir, elle se souvient des rares bons moments et les fait partager au lecteur. Le présent est impitoyable mais elle veut encore y croire. « Je m'autorise un sourire, histoire de profiter de ce bonheur minuscule avant de le ranger dans mes autres jardins pour le revivre, quand le soleil de ma rue fera éclore les fleurs au lieu d'abîmer les morts et que les herbes folles combleront les cratères. Ça ne peut pas être la guerre tout le temps. » Rosy va passer de longs jours enfermée dans la cave effondrée. Mais elle ne sera pas seule, le lecteur sera à ses côtés, vivant avec elle son affaiblissement inéluctable.

C'est dans cette partie, celle de l'enfermement inexorable, que l'on retrouve le style de Nathalie Hug, habituée à écrire des thrillers avec Jérôme Camut. Mais pour tout le reste du roman, on se croirait parfois dans ces romans de terroir historiques fleurant bon la tradition. Heureusement, le personnage de Rosy a quand même beaucoup plus d'épaisseur qu'une petite héroïne avec accent. Son récit vous émouvra car les victimes de la guerre ne choisissent jamais leur camp.



« La demoiselle des tic-tac » de Nathalie Hug, Calmann-Lévy, 15 €


vendredi 13 avril 2012

Art à déguster par Cornette, Frisen et Witko


Cornette, Frisen, Witko, Alexandre Pompidou, art moderne, lombard
Dans le genre déjanté, « Lard moderne », premier tome des aventures d'Alexandre Pompidou, écrase tous ses concurrents. Les deux scénaristes, Jean-Luc Cornette et Jerry Frisen semblent s'être renvoyé la balle pour compliquer des situations déjà sévèrement alambiquées. Alexandre Pompidou, fils de boucher, est très fier d'avoir obtenu son diplôme des Beaux-Arts. Il est un artiste et veut le prouver immédiatement au monde entier en exposant dans la célèbre galerie Aurochs-Lascaux. Mais il va multiplier les maladresses, vexant la fille du richissime galiériste et manquant de tuer sa femme en la faisant poser nue dans la chambre froide de la boucherie transformée en atelier. Les péripéties se poursuivent en Tunisie, dans les piscines des hôtels de luxe et les souks. Witko, le dessinateur, est moderne et classique dans son trait, juste ce qu'il faut pour servir l'histoire sans trop la rendre banale. Souvent absurde, il y a quand même une réelle réflexion sur l'art contemporain et l'ego surdimensionné d'artistes ayant encore tout à prouver.

« Alexandre Pompidou » (tome 1), Le Lombard, 12 €


jeudi 12 avril 2012

"Insane" de Le Galli et Besse : lignée de psychopathes


Le Galli, Besse, Insane, Casterman, Tueur en série
Ambiance lourde et sanglante tout au long des 48 pages de « Insane », récit complet écrit par Michaël Le Galli et dessiné par Xavier Besse. Beaucoup de meurtres et de cadavres parsèment cette histoire se déroulant en Louisiane entre les deux guerres. Betty, une fillette internée dans une clinique psychiatrique, s'évade grâce à Clarence, un dandy obèse. Ce drôle de couple part à la rencontre du père de Betty. John Kettenbach est un meurtrier. Il vient de sortir de prison. Betty, petite fille candide, aux prises à des crises de délires, est très impatiente de rencontrer cet homme qui a abandonné sa mère dès qu'il a su qu'elle était enceinte. Clarence de son côté joue un jeu plus trouble. Il a déjà croisé la route de John. C'est lui qui a égorgé ses parents. Mais il ne lui en veut pas. Assistant aux crimes, il y a pris du plaisir et est même devenu un tueur lui aussi... Que va-t-il se passer quand les trois vont de retrouver ? C'est tout l'intérêt de cette BD aussi affûtée qu'une lame de rasoir.

« Insane », Casterman, 13,95 €


mercredi 11 avril 2012

Un Dieu parasite règne dans "Le livre de Skell" de Mangin et Servain


Skell, Mangin, Servain, Soleil, Quadrants,
Skell est une exécutrice. Elle est chargée de tuer les hérétiques qui refusent de se dévouer au dieu Steh-Vah. Entre fantastique et science-fiction, cette BD écrite par Valérie Mangin et dessinée par Servain, plonge le lecteur dans un monde totalement dominé par la religion. Un culte aliénant, passant par la greffe à l'arrière du crâne, d'une sorte de parasite censé faire partie du dieu. Les hérétiques, pour abolir son influence, boivent une drogue permettant de retrouver son libre contrôle. Skell vient de remporter une bataille contre Azolah et ramène le coffre maudit contenant des livres que les prêtres ont condamné. Mais les cauchemars de Skell sont de plus en plus fréquents. Elle va sans même s'en apercevoir basculer du côté des hérétiques et faire une découverte sidérante. Une série permettant à Servain de développer un monde nouveau et cohérent. Son imagination alliée à son trait font des merveilles.

« Le livre de Skell » (tome 1), Soleil Quadrants, 13,95 €

mardi 10 avril 2012

Lutte de magiciens dans Black Stone de Corbeyran et Chabbert


Corbeyran, Chabbert, Black Stone, Glénat, Magiciens
Fin du 19e siècle à Paris. Dans une roulotte misérable, trois amis tentent de survivre grâce à l'habileté de leurs mains. Nelson et Jacques sont des magiciens. De ces tricheurs qui font disparaître les pièces ou mélangent les cartes à leur convenance. Nelson, désespéré de ne pas rencontrer le succès qu'il estime mériter, abandonne Jacques et part à Londres avec sa fiancée, Jenny. C'est sur scène qu'un événement va faire basculer leurs vies. Nelson fait véritablement disparaître un enfant. A la place il trouve une pierre noire aux pouvoirs magiques. Presque lynché par le public, il parvient à s'enfuir et recommence à zéro en Amérique. Mais seul car Jenny est restée aux mains des policiers et est condamnée. Corbeyran signe une nouvelle histoire très originale, totalement différente de ses scénarios précédents. Au dessin on retrouve Chabbert, un complice habituel avec qui il a déjà signé une partie de Uchronie(s).

« Black Stone » (tome 1), Glénat, 13,90 €

lundi 9 avril 2012

Le choix de l'enfer expliqué par Olivier Grenson au Lombard

Olivier Grenson, La douceur de l'enfer, Lombard, Guerre de Corée, marines américain
La guerre de Corée a laissé beaucoup moins de traces dans l'Histoire des USA que celle du Vietnam. Pourtant elle a elle aussi profondément blessé des familles. Olivier Grenson a placé cette guerre oubliée au centre de ce diptyque où il assure pour la première fois, scénario et dessin. Dans cette seconde partie, on retrouve Billy Summer, un jeune Américain, parti en Corée du Sud récupérer les restes de son grand-père disparu au cours des combats durant les années 50. Mais Billy va découvrir que le récit officiel n'est que mensonge. Un mystérieux vieillard lui donne rendez-vous dans la zone tampon entre les deux Corée. C'est là qu'il va apprendre la trahison du soldat américain, devenu un cacique du pouvoir dictatorial après s'être remarié avec une jeune Coréenne.
Ce roman graphique, alternant moments de tension en tête à tête et grand espaces de la fuite, est une passionnante réflexion sur le souvenir, la fidélité et le renoncement. Une belle parabole sur la deuxième chance.
« La douceur de l'enfer » (tome2), Le Lombard, 16,45 €

lundi 2 avril 2012

Les maladies de l'Afrique dans "Les fantômes du delta" d'Aurélien Molas

Plongée dans l'Afrique contemporaine, celle des famines, des réfugiés, des politiques corrompus et des humanitaires avec « Les fantômes du delta ».



Aurélien Molas, Les fantômes du delta, albin michel, nigéria, médecins sans frontièresUne catastrophe écologique et humanitaire est en cours en Afrique. De tous les pays à l'agonie, le Nigeria a pourtant nombre d'atouts. Mais l'exploitation à outrance de ses richesses, naturelles et humaines, condamne ce géant. Ce cauchemar est au centre du second roman d'Aurélien Molas, jeune écrivain français. « Les fantômes du delta » plonge le lecteur dans cette Afrique où vivre est parfois si compliqué que la mort fait figure de délivrance, presque de chance. Remarquablement documenté, ce thriller suit le parcours de Benjamin, médecin français et Megan, infirmière américaine. Après des vies chaotiques dans leurs pays respectifs, ils ont fait le choix de l'humanitaire. Pour Médecins sans frontières, ils tentent de parer au plus pressé face à une catastrophe humanitaire sourde et implacable.



Pollution et misère

Le Nigeria souffre de sa richesse en pétrole. Le delta du Niger est surexploité. Des dizaines de plateformes pour extraire cet or noir pouvant se transformer en cauchemar. Les fuites incessantes ont transformé cette zone humide en véritable bouillon de culture invivable. C'est dans ce delta, là où les pêcheurs ne peuvent plus attraper que des cadavres de poissons, que la rébellion a pris naissance. Le MEND (Mouvement d'émancipation du delta) réclame une meilleure répartition des richesses. Et pour se battre efficacement, il faut des fonds.

Le roman débute par une opération commando dans un hôpital. Alors que Benjamin est en train de faire une inspection des conditions de vie des enfants, des hommes armés investissent les lieux. Ils sont à la recherche d'une petite fille, Naïs, supposée leur rapporter des millions de dollars.

Une fillette que Benjamin avait rencontré quelques minutes plus tôt, dans une chambre à l'écart. « Ses yeux noirs le fixaient avec une intensité peu commune chez une enfant de cet âge ». « Il remarqua la perfusion dans son bras et l'appareil à dialyse rangé dans un coin de la chambre ». Benjamin est intrigué par cette enfant qui a épinglé sur le mur ses dessins. « Quelque chose de malsain suppurait de ces gribouillis, comme si les émotions emprisonnées sous les traits figés de la fillette avaient jailli pêle-mêle sur le papier avec une brusquerie hystérique. » Durant quelques semaines, Benjamin va vivre près de Naïs car il est enlevé avec elle par les révolutionnaires. C'est un des attraits de ce roman, sans temps mort, mais se permettant quand même d'approfondir les profils psychologiques des différents personnages.

Camp de réfugiés

Megan, intervient en cours de roman. Elle a quitté son confort américain pour tenter de donner un sens à son métier d'infirmière. Pour oublier ses plaies aussi. Quand elle débarque dans ce camp de réfugiés, le décor est encore plus abominable qu'elle ne le redoutait. « Le choc fut violent, bien plus intense que ce qu'elle avait imaginé. Et durant les dix premières minutes, Megan se demanda si sa venue en Afrique n'était pas sa plus grande erreur. » Mais la demande et l'attente des populations locales sont tellement grandes que le temps du doute ne dure pas longtemps. Et Megan aussi va croiser la route de Naïs, clé de voute de ce roman. Son secret la transforme en gibier pourchassé par plusieurs équipes de mercenaires prêts à tout pour la « vendre » au plus offrant.

Ce thriller est de la veine de ceux qui vous captive du début à la fin. Une fois ouvert, vous ne pouvez plus quitter ce delta, cette lutte pour la vie. Naïs et ses secrets vous fascinent. Benjamin et Megan, écorchés de la vie vous touchent. Et même les « méchants » aux parcours si complexes sont une raison supplémentaire de dévorer ces 500 pages d'une traite.


« Les fantômes du delta », Aurélien Molas, Albin Michel, 22 euros