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vendredi 29 août 2025

Roman - Survol du Brésil en famille

A bord d'un avion bimoteur, un père et son fils traversent le Brésil, survolant cet immense pays, trésor écologique déjà malmené au cours de la seconde partie du 20e siècle, période durant laquelle se déroule ce périple raconté par Bernardo Carvalho. 

Ce sont les souvenirs de l'enfant de 11 ans qui permettent au lecteur de découvrir ce père peu banal. « Quand je rentre dans les églises, les saints sortent en courant » aime-il répéter. Profitant de la dictature militaire, cet entrepreneur fait fortune. Il récupère des forêts, les rase pour les transformer en prairies. L'enfant, son radical opposé, aime lire et rester silencieux. Ce roman, sans doute abreuvé de souvenirs personnels, aborde nombre de problématiques. La plus forte restant la relation père-fils, forcément compliquée, jamais idéale. 

Même si la complicité reste forte comme cette fois où le père, pris d'une violente crise de paludisme, confie les commandes de l'appareil à son fils de 11 ans qui n'avait jamais piloté un avion avant.   

« Le remplaçants », Bernardo Carvalho, Métailié, 208 pages, 21 €


jeudi 7 novembre 2024

Polar - « Le premier renne », âme de la toundra

Découverte de terres rares, élevage de rennes et attaques de loups : trois facteurs qui risquent de mettre le feu à la région où patrouillent Klemet et Nina, membres de la police des rennes. 


On pourrait penser que dans la toundra, au cœur de ce grand nord, terres froides entre Suède, Norvège et Finlande, la nature a encore tous ses droits. En lisant le nouveau polar d’Olivier Truc, journaliste français vivant à Stockholm, on comprend que là-bas aussi l’environnement est en grand danger.

On retrouve avec un réel plaisir ses deux héros récurrents de la police des rennes : Nina Nansen et Klemet Nango. Le second est à moitié Sami, cette ethnie qui peuple la toundra depuis des siècles et des siècles. Une société en harmonie avec l’énergie vitale du lieu : les rennes. Ces mammifères vivent en harmonie avec leurs éleveurs, broutant le lichen, circulant librement de prairie en pâturage en été.

Un mode de vie qui perdure. Mais pour combien de temps encore ? C’est l’interrogation, l’inquiétude, qui reste en filigrane de ce texte. Les nomades éleveurs ont d’abord dû céder du terrain quand du fer a été découvert à Kiruna en Suède. Une mine toujours en exploitation, qui charrie des milliers de tonnes de minerai vers la côte, en train. Convois qui traversent les chemins de transhumance des troupeaux de rennes.

Nina et Klemet sont sollicités quand un train tue plusieurs dizaines de bêtes arrêtées sur les voies. Les éleveurs sont furieux. Le lendemain une bombe fait exploser le chemin de fer. La tension est forte. D’autant que l’été est là, avec un ensoleillement dépassant les 23 heures, et beaucoup de travail pour les éleveurs qui doivent marquer les faons. Une pratique ancestrale.

Chaque famille Sami a une marque propre, faite sur les oreilles des jeunes animaux. On découvre cette pratique avec Anja, fille d’éleveur, une rebelle. « Jamais Anja n’avait marqué un faon avec tant de difficulté. […] Elle reposa un instant sa main droite qui tenait le petit couteau à la lame effilée. […] Le cœur du faon battait, résonnait dans son propre crâne. Elle prit à nouveau la fine oreille entre ses doigts, retins sa respiration, l’œil démesuré du faon figé sur elle, trancha la pointe de biais. Pour sa marque, il fallait encore cinq coups de couteau. » Le texte d’Olivier Truc nous permet de plonger dans ce mode de vie si particulier ; ancestral tout en étant moderne, les jeunes Sami utilisant des drones pour localiser et guider les rennes de la toundra vers la zone de marquage.

Anja est au centre de l’intrigue. Spoliée de ses droits, elle veut avoir sa place dans le groupement d’éleveurs, le sameby. Mais en secret, elle a une autre utilité : c’est elle, tireuse d’élite, qui est chargée d’éliminer les loups et autres gloutons, prédateurs des rennes.

L’occasion pour l’auteur de faire se rencontrer Anja et un vieux berger français, Joseph, ayant perdu son troupeau dans les Alpes. Il veut se venger. Se rend à Kiruna pour se faire un loup. Anja va le guider, passer un marché avec lui, tout en expliquant, « J’en ai abattu trois des loups. Et quelques gloutons aussi. C’est pas pour ça que je me sens mieux. Ça Fait longtemps que j’ai compris que c’est pas ça qui m’apaiserait. » Cette plongée littéraire dans la nature sauvage est contrebalancée par les manœuvres des hommes, les ambitieux, investisseurs qui rêvent de gagner beaucoup d’argent.

Des gisements de terres rares ont été découverts. Le nouveau pétrole de la transition écologique. Mais encore une fois, cela risque se faire au détriment des rennes et des Samis.

« Le premier renne », Olivier Truc, Métailié, 528 pages, 22 €

mercredi 24 janvier 2024

Une fable (brésilienne) sur les effets du confinement


Quand la Covid 19 chamboulait nos vies, nous faisait paniquer, à quoi aurait ressemblé La dernière joie du monde, titre de ce roman brésilien de Bernardo Carvalho ? Presque une fable, ce court texte qui débute lors du premier confinement. Un homme annonce à son épouse qu’il la quitte. Immédiatement. Et la femme de se retrouver seule dans l’appartement. Pas totalement seule car quelques jours avant le début de la pandémie, l’épouse, prof d’université, a trompé son mari avec un étudiant. Un inconnu. Une seule fois.

Neuf mois plus tard, alors que le pays a radicalement changé, elle met au monde un garçon. Elle tente de retrouver le père en allant voir un devin. Cet homme, touché par la maladie, est longtemps resté dans le coma. À son réveil il n’a plus de souvenirs. Mais il peut prédire l’avenir.

« La dernière joie du monde » Bernardo Carvalho, Métailié, 128 pages, 18 €

samedi 12 août 2023

Polar - Rancune sicilienne et « Vengeance de Teresa »


Depuis trop longtemps la Sicile est l’exemple parfait de la corruption élevée au rang de mode de vie et de gouvernement. Cela fait le jeu de tous les politiques et de l’ensemble de la mafia. Les perdants, comme toujours, ce sont les honnêtes gens, ceux qui ont un honneur et des convictions. C’était le cas du père de Teresa. Il a été abattu par des gamins. Il avait refusé de payer le racket réclamé par la pègre.

Dix ans plus tard, Teresa vivote à Rome. Elle est chargée par une association de rencontrer et de remonter le moral à des malades du cancer en phase terminale. La mort elle connaît bien. Au point que chaque jour elle a de plus en plus envie de tuer l’homme responsable de l’exécution de son père.

La vengeance de Teresa (Métailié, 160 pages, 18 €) de Claudia Fava prend aux tripes. On comprend la rage de Teresa. Ses doutes aussi. Mais finalement, pour alléger sa peine, elle ne voit pas d’autres solutions. À moins que ses amis (un Chilien étudiant en médecine, la responsable de l’association et un malade moribond récemment sorti de prison), ne parviennent à la raisonner. Un roman témoignage sur la gangrène de la violence qui se transforme en cancer de la vengeance.

jeudi 21 avril 2022

Roman - La fille-troll cherche sa sœur

En Islande, la moindre parcelle de terre est habitée par des êtres minuscules et magiques. Une omniprésence du surnaturel sans doute pour compenser le climat si rude. Le nouveau roman noir de Lilja Sigurdardottir se déroule en été. Les températures ne sont donc pas glaciales.  10° en pleine journée. Mais le soleil ne se couche plus. Difficile dès lors de bien dormir. 

C’est dans cette ambiance déstabilisante que débarque à Reykjavik Aurora. Elle est missionnée par sa mère pour obtenir des nouvelles de sa grande sœur, Isafold

Femme battue

Aurora et Isafold sont aussi différentes que leurs deux parents. Le père (mort depuis quelques années) était un pur Islandais, immense, blond et fier de ses traditions, la mère une écossaise qui n’a jamais su s’adapter à cette terre volcanique légendaire. Si Aurora, grande, musclée et sportive a le gabarit de l’Islandaise de base, elle vit pourtant en Écosse. Isafold, petite et fine, réside depuis quelques années avec Björn, un Islandais qui n’a jamais quitté son île. Le père des deux sœurs si dissemblables a théorisé ce grand écart. Aurora se souvient : « Les filles-elfes et les filles-trolls n’ont pas les mêmes besoins. Pour le petit-déjeuner il place deux toasts dans l’assiette d’Isafold et plusieurs tranches de bacon dans la mienne. Après le repas, elle ira courir et moi j’irai à la salle de musculation avec lui. » La même Aurora confesse à Daniel, un policier séduisant, « qu’elle se sentait parfois comme une sorte de pendule oscillant sans cesse entre la sage Grande-Bretagne et la folle Islande. »

Devenues adultes, l’entente entre les deux sœurs s’est détériorée. Isafold a souvent appelé à l’aide sa sœur car son compagnon la bat. Elle est toujours venue. Mais Björn arrivait toujours à la récupérer. Jusqu’à l’incartade suivante.  Cela fait trois semaines qu’Isafold ne donne plus de nouvelles à sa mère. Aurora débarque et Björn prétend qu’elle est repartie en Grande-Bretagne. Où est Isafold ? Que lui est-il arrivé ? 

Ces questions sont au centre de ce polar même si l’essentiel du récit n’est pas policier. On est surtout happé par les personnages secondaires du récit : Grimur, un homme étrange, visiblement dérangé, qui se rase l’ensemble du corps au moins trois fois par jour, voisin et amoureux transi d’Isafold, Olga, autre voisine d’Isafold, mère dévastée par la mort de son fils, qui revit depuis qu’elle héberge clandestinement un réfugié syrien, Hakon, un propriétaire d’hôtels, grand magouilleur devant l’éternel, expert en détournement de fonds et qui intéresse doublement Aurora, professionnellement et sexuellement. Et puis il y a bien évidemment l’Islande, ses ambiances si particulières, l’ensemble de ses habitants, uniques et aux mœurs incompréhensibles pour nous, Européens du sud. Des filles-trolls comme des filles-elfes.  

« Froid comme l’enfer » de Lilja Sigurdardottir, Métailié Noir, 21 €

lundi 28 février 2022

Romans - Spectres d’Islande et de Chine

La peur, irrationnelle, n’a pas de frontière. Lire pour frémir est une expérience partagée par les lecteurs de toutes les origines. Exemple avec ces deux romans qui viennent d’Islande et de Chine. 

Arnaldur Indridason abandonne le héros qui l’a révélé au monde entier (Erlendur), pour désormais se consacrer à un autre flic, encore plus compliqué : Konrad. Dans Le mur des silences, il poursuit son enquête sur le meurtre de son père des dizaines d’années auparavant mais est surtout obnubilé par la découverte dans le mur d’une maison du corps d’une femme assassinée. Cette maison est au centre du roman. Les propriétaires et locataires s’y succèdent depuis des années et tout le temps, les femmes se sentent mal à l’aise. Exemple avec le récit de cette jeune propriétaire fait à une amie de Konrad, une médium qui croit aux esprits : « Je n’entends aucune voix et je n’ai pas non plus de visions. Je me sens oppressée, c’est tout. J’ai l’impression que des choses affreuses se sont passées entre ces murs. C’est un sentiment qui me submerge. Une profonde anxiété. » Que s’est-il passé dans cette maison ? Des fantômes prolongent-ils le cauchemar de pauvres victimes ? Ce polar avec de faux airs de fantastique est d’une redoutable efficacité. Arnaldur Indridason prouve roman après roman qu’il est le meilleur dans le genre noir nordique.

Des spectres et de l’angoisse, il y en a également à revendre dans ce thriller de Cai Jun, écrivain chinois. Comme hier, titre du roman, est également le nom d’une sorte de jeu vidéo. Une interface qui permet de plonger dans ses souvenirs et de revivre grâce à la réalité virtuelle les moments forts de son existence. 

Cheveux rouges  et chien noir

C’est un professeur d’informatique qui a mis au point ce code. Il est retrouvé assassiné dans son appartement le 13 août 2017 par le policier Ye Xiao. Aussi désabusé que Konrad, il semble dépassé par les événements. Car il y a pile 5 ans, il était chargé de l’enquête sur le meurtre d’une collégienne dans la même rue. Deux affaires reliées entre elles par la présence de Sheng Xia, la véritable héroïne du roman. Cette lycéenne aux cheveux rouges, fan de boxe thaï, hacker toujours accompagnée d’un grand chien noir, était la meilleure amie de la collégienne assassinée et élève appréciée du professeur assassiné. Sheng Xia que tout le monde surnomme la Démone : « Selon la légende qui courrait dans le lycée, tous les ans, en été, à trois heures du matin dans la rue Nanming, si on apercevait une mystérieuse jeune fille tenant en laisse un gros chien noir, c’était le fantôme de la Démone. » Elle va utiliser Comme hier pour tenter de remonter le temps, découvrir la vérité dans ces réalités parallèles. Entre pur fantastique et anticipation technologique, cette histoire dépayse le lecteur français mais parvient aussi à lui glacer les sangs. 

« Le mur des silences » d’Arnaldur Indridason, Métailié, 22 €

« Comme hier » de Cai Jun, XO, 21,90 €

samedi 15 janvier 2022

Roman - Pêche aux souvenirs dans « Ce n’est pas un fleuve » de Selva Almada


L’Argentine regorge de talents littéraires et de paysages uniques. Dans « Ce n’est pas un fleuve » de Selva Almada, l’action se déroule en grande partie sur une île posée au milieu de ce fleuve qui passe près de Santa Fe. Trois amis y campent pour le week-end. La journée ils pêchent la raie. Le soir ils grillent des saucisses et vont au bal. Une vie simple, routinière, mais qui va apporter son lot de surprise. 

Ils vont croiser des villageois aigris, des jeunes filles fantomatiques et toute sorte d’animaux : « Les sons changent en intensité à mesure qu’ils s’enfoncent dans la forêt. Des bestioles, des oiseaux peut-être, crient en même temps, à la fois effrayées et menaçantes. Des battements d’ailes, des herbes qui s’ouvrent au passage de quelque chose et se referment sur la créature qui vient de passer. » 

La peur est omniprésente. Peur de l’inconnu et surtout de la mort personnifiée par ce Noyé qui hante les pêcheurs. 

« Ce n’est pas un fleuve » de Selva Almada, Métailié, 16 €

samedi 4 juillet 2020

Polar - Pouvoir islandais

 Plongée dans les arcanes du pouvoir en Islande. Trahison, nouveau polar de Lilja Sigurdardottir paru chez Métailié raconte les 15 premiers jours d’Ursula au poste de ministre de l’Intérieur en Islande, pays  exemplaire en ce qui concerne la démocratie mais pas exempt de magouilles politiques. Ursula est chargée par le Premier ministre de remplacer durant une année le ministre actuel trop affaibli par la maladie. La politique c’est tout nouveau pour cette quadra dynamique qui a fait sa carrière à l’étranger. Dans des instances internationales, elle a géré des crises majeures comme l’épidémie d’Ebola en Afrique ou les camps de réfugiés pendant la guerre de Syrie. 

De retour au pays, à la demande de son compagnon, Ursula s’attend à un quotidien plus tranquille. Pourtant elle va finalement encore plus risquer de perdre la vie pour une vieille histoire. Le roman est minutieusement construit. Chaque personnage important est au centre des différents chapitres. Ursula bien évidemment, mais aussi Stella, une femme de ménage du ministère, Gunnar, le chauffeur et garde du corps d’Ursula et enfin Pétrur, un clochard qui a reconnu Ursula. Tous les problèmes d’Ursula viendront de cet homme qui n’a plus sa tête. Alcoolique, asocial, il est persuadé qu’Ursula, qu’il a connue enfant, a passé un pacte avec le diable. Un homme de l’entourage de la ministre qui cache son jeu néfaste. 

Si l’intrigue au final n’occupe qu’une petite place dans le roman, c’est surtout pour la description des vies des sans-grade que ce roman vaut le détour. Notamment les galères de Stella, jeune femme perdue, persuadée que la magie peut résoudre ses problèmes. La drogue aussi… Et pour le volet politique, la démonstration de Lilja Sigurdardottir ne laisse que peu de doutes : en Islande comme ailleurs, les hommes politiques sont prêts à tout pour conserver le pouvoir. 

« Trahison » de Lilja Sigurdardottir, Métailié, 22 €

dimanche 29 mars 2020

Polar - Un très lointain héritage dans « Richesse oblige » signé Hannelore Cayre


Tous ceux qui ont aimé « La Daronne », son précédent roman policier vont adorer « Richesse oblige », nouveau livre signé Hannelore Cayre. On retrouve un peu de son esprit dans cette histoire de famille qui passe du XIXe au XXIe siècle au gré des chapitres. Un parallèle entre deux époques revendiqué par l’autrice. Le lien entre les deux récits, c’est le nom de famille des protagonistes : de Rigny. Première à entrer en scène, Blanche. Dernière d’une branche oubliée de la famille, elle vivote au palais de Justice de Paris, chargée de la reprographie des procès-verbaux d’audition de suspects ou de mis en examen. Un boulot peu exigeant, réservé aux grands handicapés. Car Blanche, à 16 ans, un soir de beuverie, a eu un accident de voiture. Ses trois meilleurs amis sont morts sur le coup. Elle, éjectée, a eu la colonne vertébrale brisée. Depuis elle marche avec des béquilles et des orthèses.

Bobo avant l’heure
L’autre héros du roman c’est son très lointain ancêtre, Auguste de Rigny. Ce fils de bourgeois, bobo avant l’heure, jouissant sans réserve de son statut de privilégié mais converti au socialisme, tremble car l’heure de conscription arrive. Il a une chance d’y échapper grâce au tirage au sort. Perdu. On est en 1870 et dans quelques semaines il a toutes les chances de rejoindre l’armée pour 9 années et surtout partir au front : les rumeurs de guerre avec la Prusse se faisant de plus en plus pressantes. Son père va alors tout faire pour épargner son plus jeune fils et cherche à acheter un pauvre bougre qui prendra sa place. Une pratique tout à fait légale que le père justifie à son fils gauchiste en ces termes : « le remplacement militaire est une bonne chose en ce qu’il contribue justement à rétablir cette justice sociale qui t’est chère. Il fait tomber l’argent des mains de ceux qui en possèdent dans celles, vides, de ceux qui n’en ont pas, pour au bout du compte donner à l’armée un bon soldat au lieu d’un mauvais. » La partie historique du roman raconte comment Auguste tente d’échapper à l’uniforme alors que la Commune vient lui faire rêver du Grand soir.

Interdit d’être pauvre
Pour Blanche, le social, ce n’est pas son truc. Handicapée, maman d’une petite fille, vivant à la colle avec une autre handicapée, tout est bon pour s’en sortir. Même quelques trafics de listes de contacts de consommateurs de drogues diverses et variées (volés dans les dossiers qui lui passent entre les mains) que l’on peut revendre un bon prix à des dealers en mal de clientèle. Mais Blanche va voir plus grand en découvrant qu’elle fait partie des rares héritières de la fortune des de Rigny. Comment faire pour que la plus éloignée des branches de cet arbre généalogique devienne la dernière en course pour hériter des millions sur les comptes en banque, des propriétés immobilières et du yacht de 35 mètres ? Quelques coups de pouce au destin devraient permettre à Blanche d’être digne de la maxime de la famille : « Un de Rigny peut faire de sa vie ce qu’il veut, mais il lui est interdit d’être pauvre ! »
Beaucoup d’humour noir et de conscience de classe dans ce roman policier où la frontière entre bien et mal est plus que fluctuante.

« Richesse oblige » de Hannelore Cayre, éditions Métailié, 18 €

mardi 14 août 2018

Roman - La belle évaporée d'Andrea Camilleri


Grand maître de la littérature policière italienne, Andrea Camilleri aime faire quelques infidélités à son personnage préféré, le commissaire Montalbano. Exemple avec « Noli me tangere » (Ne me touche pas), court roman élaboré comme un puzzle à remettre en ordre.

Pas de longues descriptions ni de mise en scène savante pour amener les coups de théâtre : le texte est composé à 80 % de dialogues, le reste étant des « documents » authentiques comme des lettres, des coupures de journaux ou des dépêches d’agence.

Tout commence par la disparition de Laura Garaudo. Cette jeune femme savante, qui allait sortir son premier roman à la rentrée, est l’épouse de Mattia Todini, célèbre romancier. Ils ont 30 ans d’écart mais semblent s’aimer. Le placide commissaire Maurizi est chargé de l’enquête. La plus discrète possible. Car si l’écrivain est persuadé qu’il s’agit d’un enlèvement, la police penche plutôt pour une fugue amoureuse.

Avec une subtilité sans égale, Camilleri promène le lecteur dans le monde de cette femme qui de vénale dans un premier temps (elle collectionne les amants), semble en réalité plus complexe. Et surtout comme gagnée par une grâce spirituelle depuis la découverte de la signification de la fresque de Fran Angelico montrant Jésus, après sa résurrection, dire à Marie-Madeleine « Ne me touche pas ». Un roman à énigme sur une femme complexe et attachante.

➤ « Noli me tangere », Métailié, 16 €

dimanche 26 mars 2017

Polar : Écoutes fructueuses pour "La Daronne"


Ce polar de Hannelore Cayre commence comme un roman français contemporain. La vie du personnage principal, détaillée sur la première moitié du livre, est originale mais loin, très loin de la pègre. Petite fille sauvage, ses parents ont fait fortune dans le transport international. Mariée à un entrepreneur, elle a connu le vertige de l’extrême richesse quelques années. Mais un AVC a tout fait chavirer.
Depuis, elle vit seule dans un petit appartement parisien et survit en servant d’interprète pour les stups. D’origine juive, elle parle parfaitement l’arabe. Souvent mieux que les petits dealers qu’elle écoute à longueur de journée. Fière de son titre de veuve, à presque 50 ans elle tourne un peu en rond.
Alors, dans la seconde partie du roman, elle plonge dans l’inconnu quand un go fast tourne mal. Elle garde les informations pour elle et récupére des centaines de kilos de résine. Seule, elle devient la Daronne et va changer sa vie. Celles de beaucoup de truands et de flics aussi car quand de si grosses quantités disparaissent, les lésés sont très nombreux.
➤ « La Daronne » de Hannelore Cayre, Métailié Noir, 17 €

lundi 4 avril 2016

Roman : Crime d'amour


La littérature islandaise est plus riche qu'on ne le croit. Si les auteurs de polar ont beaucoup fait pour sa reconnaissance en France, ils savent également aborder des sujets plus classiques. Arni Thorarinsson délaisse son héros récurrent de journaliste bourru pour raconter l'histoire tragique d'une famille. Tout commence comme un conte de fée. Une rencontre à la fac. Le coup de foudre. Une petite fille née. La mère, le père et l'enfant vivent heureux. Une dizaine d'années. Et puis un jour, la révélation, un secret de famille. Tout bascule. La mère devient alcoolique, la fille va vivre chez ses grands-parents, le père tente de survivre malgré la culpabilité. Le roman se passe le jour des 18 ans de l'enfant. Ses parents ont promis de tout lui expliquer. Mais comment faire sans la détruire elle aussi ? Laissez vous émouvoir par cette écriture aussi tranchante qu'un rasoir.
« Le crime, histoire d'amour » d'Arni Thorarinsson. Métailié, 17 euros

mardi 19 mai 2015

Polar - Les débuts d'Erlendur

Avant d'être le policier islandais perspicace révélé dans les précédents romans d'Arnaldur Indridason, Erlendur a débuté à la circulation et aux rondes de nuit. Souvenirs.

Devenu le symbole de cette littérature noire nordique, Erlendur, le policier imaginé par Arnaldur Indridason, revient au centre du nouveau roman noir de l'auteur islandais. Mais ce sont les débuts d'Erlendur qui sont racontés dans « Les nuits de Reykjavik ». Célibataire, solitaire, Erlendur est un simple policier de base. Il est affecté aux patrouilles de nuit. Une vie décalée, à pourchasser les ivrognes et autres petits cambrioleurs. Rien de bien palpitant. Mais il fait son travail avec diligence, bon camarade, un peu taiseux mais toujours partant. 
On découvre avec plaisir comment ce policier froid a débuté dans le métier. Chaque nuit est une succession de petites affaires. « La patrouille de nuit fut riche en événements. Ils durent intervenir pour des bagarres chez des gens et devant une discothèque du centre et arrêtèrent également trois automobilistes en état d'ivresse. » Du menu fretin. Mais cela permet à Erlendur d'avoir une grande partie de la journée de libre. Il aime se promener dans la ville, découvrir les quartiers nouveaux, parler avec les gens. Tous les gens. C'est ainsi qu'il a fait la connaissance de Hannibal, un ancien clochard alcoolique à qui il a donné quelques vêtements. Notamment un anorak vert. Quand Erlendur est appelé dans une zone d'anciennes tourbières remplies d'eau après la découverte d'un cadavre par des enfants, il reconnait immédiatement cet anorak. Et c'est effectivement Hannibal qui est mort, noyé.

Deux affaires en une
L'enquête conclut rapidement à la divagation d'un ivrogne, tombé dans le trou, saisi par le froid et mort dans l'indifférence générale. Erlendur est tracassé. Il se demande s'il aurait pu sauver Hannibal. Il va tenter de comprendre pourquoi cet homme, qui était en train de s'en sortir quand il l'a aidé, a replongé dans cette dérive alcoolique.
Alors le policier, sur son temps libre, va se renseigner, retrouver la trace de Hannibal. Il vivait depuis quelques semaines dans un caisson protégeant une canalisation. Un véritable cercueil mais qui avait l'avantage d'être un peu chauffé. Avant, il occupait une cave. Mais il en a été chassé après un incendie. Le policier va également rencontrer la famille du clochard et ses connaissances. Une sœur qui n'avait plus de nouvelles, une amie tout aussi alcoolique.
Au gré de ses pérégrinations, il va écrire la vie de cet homme, son drame et sa descente aux enfers. Avec rapidement la certitude que le soir de sa mort, il n'était pas ivre. Au contraire, il semble qu'il ait été volontairement tué.
Tout en patrouillant la nuit avec ses collègues, Erlendur va interroger plusieurs suspects : des voisins intolérants, un clochard violent... Et puis une seconde affaire criminelle va se greffer sur cette première.
Ce roman d'Arnaldur Indridason, moins pessimiste que les précédents, quand Erlendur enquêteur à la criminelle côtoie l'horreur au quotidien, montre comment le jeune policier a découvert sa vocation. Une intrigue emberlificotée à souhait, pleine de chausses-trappes et de fausses pistes. Au final Erlendur résoudra les deux affaires et gagnera l'estime de ses futurs collègues.
« Les nuits de Reykjavik », Arnaldur Indridason, Métailié, 19 €

vendredi 2 janvier 2015

Roman - Scandales à la sauce islandaise

Sous prétexte d'une enquête policière classique, Arni Thorarinsson passe au scanner le fonctionnement de la presse en Islande et les jeux subtils des hommes politiques locaux.

Un roman policier d'Arni Thorarinsson est tout sauf simple. Il faut s'accrocher dans les premières pages de « L'ombre des chats » vu le nombre de personnages. Normal, l'action se déroule au cours d'un mariage où les deux-tiers des protagonistes du livre se retrouvent. En premier lieu Einar, le journaliste vedette du Journal du Soir. Cet enquêteur hors pair, limier implacable à la plume aussi acérée que libre, est un ami et collègue des amies des mariées. Deux mariées, car en Islande, beaucoup plus tôt qu'en France, le mariage entre personnes du même sexe est possible. Même devant les autorités religieuses, en l'occurrence un pasteur. 
Cela n'empêche pas les fâcheux de s'inviter à la noce. Quelques perturbateurs directs, non pas par idéologie, mais à cause de l'alcool, de vieilles rancunes ou simplement d'histoires d'argent. Einar regarde tout cela distraitement. Il est surtout tracassé par deux SMS qu'il vient de recevoir sur son téléphone. Des allusions graveleuses et bourrées de fautes d'orthographe. Qui a bien pu lui a envoyé ces horreurs ? Il aura la solution quelques jours plus tard, grâce à l'intervention de la responsable informatique du journal (on ne dira jamais assez de bien de ces hommes et femmes, toujours sur la brèche et pourtant disponibles pour dépanner ou aider ces écrivaillons handicapés du mégabit). Einar a donc subi des avances sexuelles de la part du numéro 2 du parti socialiste, futur numéro 1, possible Premier ministre. Un élu qui justement est au cœur d'une des enquêtes d'Einar, une tonitruante histoire de corruption. Le tout au moment même où la majorité du capital du Journal du Soir va peut-être changer de mains. Et comme par hasard c'est le pire ennemi du numéro 2 du PS qui ambitionne de contrôler l'influent quotidien...

Double suicide
N'importe quel auteur se serait largement contenté de cette intrigue pour boucler les 300 pages du polar. Arni Thorarinsson non. Il rajoute à cette histoire déjà passablement touffue un double suicide assisté par ordinateur (dont une des deux mariées du début du roman), le passage à tabac d'un employé modèle, la fuite en Europe de l'ancienne maîtresse d'Einar, toujours recherchée pour escroquerie et l'aménagement de nouveaux voisins dans l'immeuble du journaliste. Un couple victime de la crise qui a trois chats très indépendants, ces fameux chats qui donnent le titre au roman. Bref, impossible de s'ennuyer dans ce genre de livre. Notamment quand Einar juge ces hommes politiques magouilleurs et imbus de leurs personnalités. « Ces types se posent en hérauts de la liberté et de la vérité, mais uniquement quand ça les arrange. N'ont-ils pas conscience du paradoxe ? A moins qu'ils ne soient schizophrènes ? Je l'ignore. En revanche, je sais que ce genre d'hommes dirigent le pays et sans doute le monde entier. Pourquoi ? Justement parce qu'ils sont comme ça. »
Autant polar que roman social et politique, « L'ombre des chats » est une nouvelle preuve éclatante de l'incroyable richesse de la littérature islandaise, petit pays par le nombre d'habitants, géant des lettres par l'excellence de ses auteurs.
Michel Litout

« L'ombre des chats », Arni Thorarinsson, Métailié, 20 €

mercredi 19 mars 2014

Livre - Graine de détective

Apprenti détective, Sigmundo Salvatrio va devoir résoudre une énigme se déroulant au cœur de jardins virtuels inspirés de l'Atlantide.

S'il est Argentin et que ses intrigues se déroulent à Buenos Aires, Pablo de Santis a tout du romancier français, tendance feuilletoniste de la fin du XIXe siècle. L'époque dans laquelle évolue son héros, apprenti détective. Sigmundo Salvatrio était le meilleur élève de l'agence Craig. Pour elle, il est même allé à Paris résoudre l'énigme du « Cercle des douze ». De retour en Amérique du Sud, il se retrouve seul dans l'agence en compagnie de Mme Craig. Le mentor, le mari, vient de mourir. Alors qu'il pense se retrouver au chômage sous peu, on propose à Salvatrio de résoudre une nouvelle affaire, la première où il devra agir en solo sans les conseils judicieux de son regretté maître. 
Un antiquaire a disparu. Sa femme ne croit pas à la fuite amoureuse (malgré les certitudes des policiers). Un de ses amis, poète et journaliste, charge Salvatrio de retrouver sa trace. Enquêtant méticuleusement, il remarque quelques éraflures au bord d'un bassin d'eau d'un jardin d'intérieur, à l'arrière de la boutique. Bingo ! Affaire résolue. L'antiquaire est retrouvé. Mort, mais retrouvé. Alors que la police, toujours aussi peu performante, conclue à un accident, plusieurs amis de l'antiquaire suspectent un crime. Nouvel engagement pour Salvatrio qui doit cette fois découvrir le meurtrier.

Jardiner les mots
Pablo de Santis semble prendre un malin plaisir à compliquer les pistes à explorer. La graine de détective est en plein doute existentiel : il est attiré par la veuve Craig, aime toujours une certaine Greta, devenue assistante d'un autre détective, et déteste Troy, son rival dans la reprise des affaires de l'agence Craig. Malgré ces difficultés, il doit se plonger dans les vieilles histoires de ce cercle d'amis qui se réunissaient pour tenter d'élaborer le jardin parfait. Plusieurs théories s'opposent entre jardin à la française, strict et discipliné et celui, libre et désordonné prôné par les Anglais.
Mais c'est surtout la notion intellectuelle de jardin qui est débattue entre l'antiquaire (mort), un chasseur, un médecin, le journaliste et le riche entrepreneur. Ce dernier explique à Salvatrio qu'un « jardin doit être comme un livre : on ne commence jamais par le milieu ou par la fin. Tailler une plante ou arracher une fleur fanée, c'est comme corriger un poème, comme biffer les mots qui n'ont plus de vie ». De poésie il en sera aussi question dans les indices disséminés par le meurtrier.
Le jeune enquêteur, avant de démasquer le tueur et découvrir ses motivations, va devoir visiter nombre de jardins et subir les explications savantes de spécialistes. Ce qui lui provoque cette réflexion : « Pourquoi alourdir les arbres de paroles, alors que ce qu'il y a de merveilleux dans les plantes c'est qu'elles ne parlent pas, ne grognent pas, n'aboient pas ? » Ce polar botanique aux multiples rebondissements ancre Salvatrio dans le cercle fermé des détectives qui comptent, ceux qui ont toujours une longueur d'avance sur les assassins. Et les lecteurs.
Michel LITOUT

« Crimes et jardins », Pablo de Santis, Métailié, 20 €

mardi 26 mars 2013

Polar - Dans la glace des souvenirs

Erlendur revient. Le héros policier d'Arnaldur Indridason est de retour. Une double enquête dans les fjords glacés de l'est de l'Islande.

Une petite voiture rouge, une nécrologie dans le journal barrée du mot « ordure », une ferme en ruine. Ce sont quelques-uns des morceaux du puzzle de ce roman policier signé Arnaldur Indridason. L'écrivain islandais renoue avec son héros du début, le policier Erlendur. Il ne va pas fort. Carrément dépressif. Il a pris des vacances et quitté la moderne Reykjavic pour les villages isolés de l'est du pays. Des hameaux blottis au fond de fjords majestueux. Au-dessus, la montagne et le froid intense.
Erlendur cherche à exorciser son passé. Enfant, ses parents ont possédé une ferme dans cette région sauvage. Une vie simple, proche de la nature. Jusqu'à cette nuit d'hiver. Une sortie dans la montagne, l'arrivée soudaine d'une tempête de neige. Le père laisse ses deux enfants pour chercher du secours. Erlendur tient fermement la main de son petit frère Beggi. Et puis le froid intense lui fait lâcher prise. Les secours retrouvent Erlendur, pas Beggi. Des décennies plus tard, le flic borné et têtu, torturé par la culpabilité, cherche encore la cadavre de son cadet.
Et pour ne pas devenir complètement fou, il se renseigne aussi sur les autres disparitions mystérieuses de la région. C'est comme ça qu'il fait connaissance de Matthildur. Cette jeune femme, en pleine tempête de neige dans les années 40, s'est évanouie dans la nature. Les secours, alertés par son mari Jakob, n'ont jamais retrouvé le corps. Erlendur va mener de front les deux recherches, arpentant la lande mais aussi les archives et les maisons de retraite de la région. Il va interroger les rares survivants, parents et amis de Matthildur. Et son instinct de limier va le persuader qu'il y a bien un mystère derrière cette disparition.

Espace infini
D'un côté une enquête classique, si ce n'est qu'elle est décalée d'un demi-siècle, de l'autre une quête personnelle qu'Erlendur ne peut partager avec personne. Le tout mené dans cette région d'Islande, sauvage et préservée. Erlendur a installé son camp de base dans l'ancienne ferme de ses parents. Ce n'est plus qu'une ruine aujourd'hui. Ouverte à tous les vents, froide, glaciale. Il dort sur une paillasse, dans un sac de couchage. Une lampe tempête pour s'éclairer.
Des conditions extrêmes qu'il s'impose, comme une pénitence pour avoir abandonné son petit frère. Et régulièrement, il va dans la montagne et dort à la belle étoile sur un tapis de mousse. « Il aimait s'allonger sur le dos, la tête posée sur son sac, les yeux levés vers les étoiles en méditant sur toutes ces théories qui affirmaient que le monde et l'univers étaient encore en expansion. Il appréciait de regarder le ciel nocturne et son océan d'étoiles en pensant à ces échelles de grandeur qui dépassaient l'entendement. Cela reposait l'esprit et lui procurait un apaisement passager de pouvoir réfléchir à l'infiniment grand, au grand dessein. » C'est cela Erlendur : un flic pragmatique, torturé de culpabilité, incapable d'être heureux, de vivre simplement en oubliant les fantômes du passé. Dans ces terres de l'est il va déterrer quelques cadavres, imagés ou bien réels...
Michel LITOUT
« Etranges rivages », Arnaldur Indridason, Métailié Noir, 19,50 € (également disponible au format poche chez Points)

lundi 15 octobre 2012

Roman - Un polar sombre et glacial signé Olivier Truc

« Le dernier Lapon », premier polar d'Olivier Truc, se déroule en janvier au-delà du cercle polaire : rude climat pour une enquête policière.

Journaliste français pour le Monde et le Point en poste depuis plus de 15 ans dans les pays nordiques et baltes, Olivier Truc signe un premier roman policier imprégné de la culture lapone. Ses héros, Klemet et Nina, font partie de la police des rennes. Un service à part, chargé de surveiller les éleveurs sur un vaste territoire qui englobe le nord extrême de trois pays, la Suède, la Finlande et la Norvège. Ce polar débute début janvier. La région est encore plongée dans la nuit polaire. Près de 40 jours sans voir le soleil. Avec des températures de moins 30 degrés.
Il faut être très fort pour survivre dans de telles conditions. Klemet vit cela comme une évidence. C'est un Sami, un autochtone. Fils d'éleveur, il a délaissé le métier pour intégrer la police. Il a longtemps été en poste à Stockholm, notamment dans la cellule Palme chargée d'enquêter sur le meurtre du Premier ministre. Il en a tiré un certain prestige mais cela ne l'empêche pas de subir les brimades de certains de ses collègues. Nina n'est pas Sami. Jeune policière, elle a été nommée à la police des rennes en raison de son sexe. Le gouvernement central veut féminiser ce service. Elle est la première femme, découvre cette région du pays radicalement différente des ses fjords, aussi isolés mais moins rudes côté climat.

Le retour du soleil
Avant de développer l'intrigue, Olivier Truc immerge le lecteur dans cet environnement glacé et sombre. Un plateau recouvert de forêts, lieu de vie de milliers de rennes broutant du lichen sous l'épaisse couche de neige. Les policiers se déplacent en motoneiges, dans une nature préservée. Nina va vivre l'événement le plus attendu de l'année par la population Sami, en ce 11 janvier, à 11 h 14 exactement. Une grande partie de la population de la ville de Kautokeino se rassemble sur un parking. A ce moment précis, le soleil va de nouveau se lever, pour 27 petites minutes marquant la fin de la nuit polaire. « Nina était saisie. Elle regarda sa montre. 11 h 13. On voyait maintenant nettement un halo vibrionnant troubler le point d'horizon que chacun fixait. » Comme les autres participants, Nina va communier. « Elle s'adossa comme Klemet à la voiture pour s'offrir, enfin, au premier rayon de soleil. Elle tourna la tête. Klemet était recueilli, les yeux plissés ». Le policier regarde son ombre. Elle est de retour après une si longue absence. « Le soleil avait tenu parole. L'attente n'avait pas été vaine ».

Le vol du tambour
Une fois le cadre planté, place à l'action. Deux affaires bousculent le train-train de la police des rennes. Un tambour sami, dernier vestige d'une civilisation presque éteinte, est volé dans un musée. Ce tambour venait de rejoindre la terre où il a été fabriqué après être resté des décennies chez un collectionneur français. Le lendemain, un éleveur sami est retrouvé assassiné près de sa petite maison au cœur du vidda, l'immense zone quasi désertique, grande comme le Liban, là où vivent les rennes. L'assassin lui a découpé les oreilles. Klemet et Nina vont enquêter, découvrant que ces deux affaires pourraient être reliées.
Olivier Truc profite de cette intrigue pour raconter la lente agonie du peuple sami, les ravages de l'évangélisation et les conséquences catastrophiques de l'exploitation minière de la zone. Un polar captivant, avec des personnages forts, un peu trop documenté et démonstratif, seul reproche que l'on pourrait faire à l'auteur qui oublie parfois de se défaire de sa rigueur journalistique.

« Le dernier Lapon », Olivier Truc, Métailié, 22 € (disponible au format poche chez Points)


lundi 25 juin 2012

Polar - Argent sale islandais au pied de la "Muraille de lave" d'Arnaldur Indridason

Erlendur en vacances, un de ses adjoints, Sigurdur Oli, va mener une difficile enquête dans cette Islande pourrie par l'argent facile.

Ecrit en 2009, ce roman d'Arnaldur Indridason était prémonitoire. Il aborde le problème des taux de crédits irréalistes qui ont plongé le pays dans la faillite. Mais contrairement à la Grèce, les Islandais ont décidé de se remettre seuls en selle, balayant devant leur portes et n'hésitant pas à emprisonner ces banquiers indélicats. C'est un peu grâce à des romans policiers de ce genre que la prise de conscience a eu lieu. A méditer dans tous les pays d'Europe.

Dans le concert des nouveaux auteurs de polars européens, l'Europe du Nord se taille la part du lion, les Suédois mais également les Islandais, notamment Arnaldur Indridason. Il décrit avec un pessimisme rare l'évolution de la société islandaise. Son héros récurrent, Erlendur, de plus en plus découragé, décide de prendre quelques jours de vacances. Il quitte la capitale et se réfugie dans les hauts plateaux, là où la nature règne toujours en maître. Erlendur totalement absent de l'intrigue, l'auteur décide de mettre le focus sur un de ses adjoints, Sigurdur Oli.

Coup de main à un ami d'enfance
En plein divorce, Sigurdur est tiraillé entre sa volonté de respecter scrupuleusement la loi et son dégoût des délinquants. « S'il y avait une chose qu'il n'aimait pas dans son travail, c'était de se montrer courtois avec des rebuts tels que ce Kritjan, de prendre des pincettes avec des types qu'il méprisait profondément et de s'abaisser à leur niveau. (…) Ils n'avaient rien en commun, ce ne serait jamais le cas et ils ne pouvaient simplement pas discuter d'égal à égal. L'un était un multirécidiviste, l'autre un honnête citoyen. »

Libéral déclaré, admirant le modèle américain au point de passer ses nuits à regarder des matches de base ball, Sigurdur doit également supporter sa mère, très autoritaire et son père, malade et trop gentil. Un environnement qui pourrait en faire craquer plus d'un. Mais le flic islandais est solide et tenace. Un peu faible aussi. Quand un de ses amis d'enfance lui demande d'intervenir discrètement dans une affaire de chantage, Sigurdur ne sait pas dire non. Il se rend au domicile d'une femme, une échangiste, bien décidée à rembourser ses dettes en faisant chanter la belle-sœur de l'ami de Sigurdur adepte de ces parties fines. Sur place, le policier découvre la femme le crâne fracassé. Visiblement, il a été précédé par quelqu'un qui a trouvé une solution plus expéditive.

Nature hostile, éléments déchaînés
L'enquête va s'écarter des milieux libertins pour se diriger vers le métier de la victime. Expert-comptable, elle était régulièrement en relation avec des banquiers. Certains de ces « nouveaux Vikings », maniant les millions avec dextérité, profitent à plein des taux d'intérêt ridiculement bas dans leur pays pour lancer des OPA sur nombre de sociétés européennes. Tout viendrait d'une promenade tragique, quelques mois auparavant sur les falaises de Svörtuloft, la muraille de lave. Un homme y a trouvé la mort. Accidentellement selon les secours. « Dès le point du jour, les recherches avaient repris et on avait passé au peigne fin le bord de la muraille de lave en surplomb de la mer. C'était un à-pic vertigineux, l'océan se déchaînait sur la paroi de basalte et le vent soufflait avec une telle violence qu'on peinait à tenir debout. » Les sauvages paysages Islandais occupent une place importante dans ce roman, comme souvent dans l'œuvre d'Arnaldur Indridason.

Nature hostile, hommes refermés sur eux-mêmes... Ce polar au cours sinueux et multiple débute avec la violence d'un torrent pour s'achever avec la force d'un immense fleuve emportant tout sur son passage. Notamment le secteur bancaire du pays.

« La muraille de lave », Arnaldur Indridason, Métailié Noir, 19,50 € (« La rivière noire » vient de sortir en poche chez Points)

mardi 7 février 2012

Roman - "Attachée" d'Isabel Fonseca : à la croisée du sexe et des sentiments

Le personnage principal de « Attachée », roman d'Isabel Fonseca, remet en perspective sa vie sentimentale et sexuelle après des années de mariage.

Une vie rêvée. Jean, 46 ans, mariée depuis 20 ans à Mark, mère de deux grandes filles autonomes, a tout pour être heureuse. Journaliste freelance, elle vit dans un petit paradis tropical, loin de l'agitation de New York, sa ville de naissance et Londres, celle où elle a rencontré Mark. Devenue une plume dans la presse féminine, ses chroniques de vulgarisation médicale remportent un réel succès. Mark, à la tête d'une agence de publicité, gère ses affaires à distance depuis leur maison-bureau perchée sur les coteaux de Saint-Jacques, une petite île de l'océan Indien. Le début du roman d'Isabel Fonseca est presque trop bucolique. Ce sont des petits signes discrets qui laissent apparaître des fissures dans la vie de Jean. Comme une envie d'autre chose, des regrets tardifs.


Vues sur la maîtresse
Tout bascule quand le facteur apporte le courrier hebdomadaire. Entre les colis de livres, une lettre adressée à son mari. Intriguée par l'écriture, Jean l'ouvre et découvre, stupéfaite, une lettre enflammée d'une certaine Giovana, la maîtresse de Mark. Elle a une réaction très anglo-saxonne. Pas de cris ni se scandale. Simplement elle note le mot de passe d'une messagerie privée réservée à leurs échanges et va se transformer en voyeuse de la trahison de son mari. Jean va découvrir les jeux sexuels très osés de son mari avec cette pulpeuse Italienne.
Après des mois de silence et de souffrance, Jean décide de rentrer en Angleterre pour soigner ce qu'elle croit être un cancer naissant. La seconde partie du roman quitte les paysages luxuriant de Saint-Jacques pour la grisaille londonienne. Là, Jean prendra la décision de quitter Mark, sans jamais oser lui dire. Et c'est elle qui, la quarantaine rayonnante, va le tromper pour une aventure d'un soir. Sans lendemain, mais intense. 
Isabel Fonseca, dans ce roman d'une grande finesse, fait le portrait d'une femme intelligente et cultivée, bloquée personnellement dans une normalité induite par la fidélité. Cette réflexion sur le temps qui passe, comme les amours et la passion, explore toutes les facettes de la psychologie de Jean. Mère, épouse puis enfant quand elle se retrouve, au final, au chevet de son père mourant, dans un hôpital de New York. Une vie remplie mais qui, parfois, semble bien creuse. 

« Attachée » d'Isabel Fonseca, Éditions Métailié, 21 €

mercredi 2 novembre 2011

Roman - Betty l'ensorceleuse, polar à la Simenon d'Arnaldur Indridason

Dans la froideur de l'Islande, le machiavélisme d'une femme trop belle fait plusieurs victimes. Un polar « à la Simenon » par Arnaldur Indridason.

Depuis « La cité des jarres », son premier polar publié en France, Arnaldur Indridason s'est imposé comme un maître du polar nordique. Il ne vient pas de Suède mais d'Islande, un pays encore plus dur et froid. L'hiver arctique sans fin a des conséquences très néfastes sur le moral des habitants de cette vaste île volcanique perdue dans l'Atlantique Nord. Son héros récurrent, par exemple, le commissaire Erlendur Sveinsson, est l'exact opposé d'un joyeux boute-en-train. Dans « Betty », polar écrit en 2003 soit avant l'apparition d'Erlendur, Arnaldur Indridason semble vouloir rendre un hommage à Simenon, maître du roman policier sombre, aux ambiances lourdes de sous-entendus, de non-dits et de machiavélisme.

Betty, une apparition

Le narrateur est en garde à vue. La police l'accuse de meurtre. Il reste muré dans son silence. Refuse de collaborer. Et se souvient. Le texte alterne courtes scènes d'interrogatoire et longs retours en arrière pour planter le cadre de ce drame. Tout débute quand Betty fait son apparition dans une salle de conférence. Il y était question de quotas de pêches européens, la spécialité du narrateur après ses études juridiques. Betty est la femme d'un riche armateur islandais. Betty est ensorcelante. « Elle avait une robe moulante avec de minces bretelles qui laissaient voir ses gracieuses omoplates, son abondante chevelure brune lui retombait sur les épaules et ses yeux étaient enfoncés, bruns avec une pointe de blanc qui étincelait. Et quand elle souriait... » Le coup de foudre est immédiat, la suite de plus en plus torride, « J'essayais de feindre l'indifférence, plus exactement j'essayais de ne pas la fixer. Ses seins étaient petits et on devinait les mamelons qui pointaient sous la robe. » Betty est là pour proposer un travail, se mettre au service de son mari, pêcheur ambitieux, malheureusement limité quand il s'agit de négocier des quotas avec les instances de la communauté européenne.

Femme fatale

La femme au service du mari se révèle être aussi une femme battue. Et au bout de quelques semaines elle va tomber dans les bras de ce narrateur qui aujourd'hui semble vouloir la défendre tout en la haïssant. Que s'est-il passé exactement entre ce trio classique ? Le lecteur le découvre par petites touches, avec une prouesse de l'auteur qui parvient à placer un coup de théâtre au milieu de son texte. Une petite révélation qui renverse toutes les suppositions que l'on commençait à envisager. Betty se révèle alors véritablement machiavélique.

Ce roman policier de jeunesse est beaucoup plus classique que les suivants signés par Arnaldur Indridason. On n'y retrouve pas la rudesse du pays qui fait tout le « charme » de la série des Erlendur. Mais cela reste une intrigue efficace, parfaitement menée, totalement dépendante du personnage de Betty. Une femme fatale qui risque d'être longtemps présente dans vos rêves, avant que ces derniers ne se transforment en cauchemars.

« Betty » de Arnaldur Indridason, Métailié Noir, 18 €