mardi 4 avril 2023

BD - Beauté de la frontière

Parmi les nombreux romans graphiques parus en début d’année, Toute la beauté du monde de Thomas Azuélos sort du lot par son côté épuré du dessin et l’histoire, universelle, de la lutte entre la beauté et la guerre. 180 pages d’une rare intensité qui se déroulent entièrement à Cerbère dans les Pyrénées-Orientales, ville frontière si inspirante.

Peu de temps après la Retirada, alors que le trafic ferroviaire est toujours au point mort, la ville tente de survivre au chaos. Les « orangères », ces femmes dont le métier est de transborder les oranges, espèrent que le travail va revenir.

En attendant, elles doivent se contenter de vider des wagons remplis de fruits pourris. Parmi ces ouvrières, Montse. Belle, impertinente, libre et engagée, elle aide secrètement quelques Républicains réfugiés en France et persuadés que la défaite n’est pas définitive. Montse, la muse platonique de José de Villalobos, peintre officiel du Grand Hôtel.

Cet établissement de luxe, déserté depuis quelques années, est directement inspiré de l’Hôtel du Belvédère, paquebot immobile de la ville de Cerbère. L’auteur dessine ses balcons, façades et autres grandes salles de restauration ou de cinéma comme il est toujours actuellement : grandiose mais désert.

On croise aussi dans ce récit un exilé Catalan, excellent cuisinier et pêcheur occasionnel, un trio d’anarchistes et des espions russes. Ces derniers sont à la recherche de Walter Bermann, philosophe en fuite. Il a écrit un livre que Staline convoite. Le leader communiste est persuadé que ce texte lui permettra d’asseoir son pouvoir partout dans le monde. On reconnaît facilement Walter Benjamin dans le portrait de ce philosophe très amoindri par la maladie.

En croisant fiction et réalité historique, dans des lieux imaginaires ou existants, Thomas Azuélos parvient à convoquer dans les mêmes pages grande et petite histoire, récits amoureux et guerrier. Avec en permanence la volonté de montrer comment la beauté dans toutes ses formes (peinture, architecture, cuisine…) peut embellir la vie, la rendre supportable malgré son cortège de folie et de mort.
« Toute la beauté du monde » de Thomas Azuélos, Futuropolis, 25 €

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