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jeudi 16 octobre 2025

Polar poétique - Baudelaire et l'affaire de la femme sans tête

Nadine Monfils, après Magritte, transforme Baudelaire en héros d'une série de polars dans le Paris du milieu du XIXe siècle. 

Charles Baudelaire meilleur que Vidocq ? Le poète parisien n'est pas connu pour ses polars. Mais comme Nadine Monfils aime ce genre, elle n'a pas hésité à convoquer l'auteur des Fleurs du mal pour lancer cette nouvelle série entre hommage littéraire, polar historique et biographie romancée. La femme de lettres belge, sans jamais avoir renié son pays d'origine, bien au contraire, a mis toute sa connaissance parisienne dans cette déambulation de Baudelaire dans les rues de la capitale. De l'hôtel Pimodan (siège du club des Haschischins) à la rue de la Femme sans tête en passant par le pont Marie et toutes les petites venelles de l'île Saint-Louis, il va tenter de découvrir qui a tué cette femme dont on a retrouvé que le corps décapité dans la rue. 

Si Baudelaire s'intéresse à l'affaire (outre le fait qu'il a trébuché sur le corps au petit matin en rentrant chez lui ivre mort), c'est que la tête lui a été livré à domicile. Dans un grand carton à chapeau. Il l'ouvre en présence de sa maîtresse adorée, Jeanne Duval, une métisse, comédienne à l'occasion, un peu prostituée par obligation pécuniaire. Il sera même encouragé à démasquer l'assassin par un mystérieux personnage qui lui paiera chaque avancée dans l'enquête. Une rentrée d'argent inespérée pour un Baudelaire en perpétuelle recherche de devises. Bien obligé pour assumer son goût du luxe, le train de vie de sa maîtresse, les multiples sorties culturelles et gastronomiques ou les tournées des bars. 

Concierge envahissante

Nadine Monfils, dans des chapitres courts et rythmés, profite de la première moitié du roman pour raconter dans le détail la vie du génie de la poésie française. Et de dresser la revue de ceux qui gravitent dans son entourage. Les connus (Allan Kardec, Victor Hugo ou Vidocq) mais aussi les anonymes qui participent à l'enquête. On apprécie particulièrement le policier, l'inspecteur Delâbre, débonnaire, vivant seul avec sa chienne, manipulant ses hommes, Baudelaire et la pègre pour démasquer le  découpeur de femmes. Au pluriel car une seconde inconnue est retrouvée dans Paris. Toujours en deux morceaux... 

La concierge de Baudelaire devient aussi une figure marquante. Elle a des vues sur le poète et tente de l'exciter en expliquant qu'une de ses amies a « retrouvé un asticot dans sa culotte... » Dégoût de Baudelaire. Alors la concierge en remet une couche : « Bah, à notre âge, du moment que ça frétille ! » On retrouve dans ces trognes iconoclastes toute la richesse et  excès du style de Nadine Monfils. Car la poésie ne doit pas faire oublier la vie. Même triviale. Seul bémol à ce roman aussi riche en informations sur le Paris de l'époque qu'en scènes croquignolesques : la résolution de l'intrigue est trop vite expédiée. Comme s'il fallait terminer un poème avec une rime riche au détriment de sa beauté globale.    

« Les fleurs du crime de Monsieur Baudelaire – La femme sans tête », Nadine Monfils, Verso – Seuil, 320 pages, 17,90 €

lundi 24 mars 2025

Thriller - Dangereux projet futuriste dans "L'expérience Pentagramme" d'Yves Sente

On retrouve l'imagination débridée d'Yves Sente, scénariste BD (XIII, Thorgal, Blake et Mortimer) dans ce thriller technologique entre USA et Belgique. 

Ils sont cinq. Cinq Américains, passés par la case armée, intégrés dans la société et tout à coup comme déboussolés. Trois hommes et deux femmes, du même âge, entendant une voix leur intimant de partir vers l'Est afin de « rejoindre le sujet n° 1 ». Le début du premier roman (un thriller, évidemment) d'Yves Sente, plus connu pour sa production BD, semble un peu long. Il est vrai que l'auteur entend avant tout planter le décor et présenter ces cinq personnages placés au centre de L'expérience Pentagramme. Sans oublier le prologue, dans une base secrète américaine souterraine pas loin de la frontière avec le Mexique. Mais sa vista dans l'écriture et l'action, si efficace en BD, fait des miracles et on se laisse happer par cette histoire entre manipulations biotechnologiques par les apprentis sorciers de l'armée US, éruptions solaires aux conséquences catastrophiques et balade touristique dans le Brabant Wallon, riante région de la Belgique francophone. 

C'est exactement à Waterloo que se concentrent les péripéties de la seconde partie. Dans un lotissement huppé, le Clos de l'Empereur, les cinq Américains se retrouvent et se soutiennent pour ne pas devenir fous. Ils ont tous entendu la voix, tous obéi et attendent la suite des événements. C'est là qu'intervient l'héroïne récurrente de ce qui pourrait devenir une série : Waya Wings, la cheffe de la sécurité d'une agence de l'armée américaine. Comme elle l'explique prosaïquement, « quand les scientifiques du Pentagone dérapent, c'est à moi qu'on fait appel. » Elle va donc plonger au cœur de cette expérience Pentagramme, projet secret mis en sommeil depuis des années et qui se réveille au pire des moments. 

L'occasion de décrire des péripéties dignes des grands films hollywoodiens, notamment une course poursuite pittoresque sur la Butte du Lion, site touristique très prisé des Britanniques, un peu moins des Français. « Au milieu des prairies se dressait un monticule conique couvert de gazon et surmonté d'une imposante statue de lion, une patte avant posée sur une sphère de bronze. Le monument était d'autant plus incongru qu'il était érigé au milieu des champs de pommes de terre. » Et pourtant, comme l'explique cet agent immobilier (un certain Vandamme...) à un des visiteurs venu de l'autre côté de l'Atlantique, « c'est sur ces champs que les armées alliées se sont rejointes pour mettre fin aux ambitions de Napoléon et changer le cours de l'histoire européenne ». La tâche sera encore plus ardue pour Waya Wings puisque c'est l'équilibre mondial et l'avenir de l'Humanité qui sont en jeu lors de cette balade très mouvementée en Belgique.  

« L'expérience Pentagramme », Yves Sente, Seuil – Verso, 560 pages, 22,90 €

samedi 16 novembre 2024

Littérature française - Comment un roman « Cucul » peut-il nous faire réfléchir ?

Écrire des comédies romantiques peut-il servir la cause du féminisme ? Camille Emmanuelle aborde le problème frontalement dans « Cucul ». 


Les plus anciennes lectrices se souviennent de la collection Harlequin. Des romans à l’eau de rose, à l’intrigue souvent très cucul, parfait pour oublier son quotidien de ménagère de moins de 50 ans accaparée par les tâches ménagères. C’est devenu au fil des décennies de la littérature romance. Rien de bien neuf, juste un peu plus de luxe et de rêve en boîte. Camille Emmanuelle, scénariste et journaliste, signe avec Cucul un roman très pertinent. Elle semble parfaitement connaître ce milieu littéraire assez particulier.

Son héroïne, Marie Couston, prof de français dans un lycée catholique, se transforme la nuit en auteure. Mais les modes évoluent et son éditrice lui demande de changer de genre. Le rose s’efface au profit du noir : place à la dark romance. Marie a un gros problème de conscience. Rajouter de la violence dans des scènes d’amour, c’est forcément cautionner le viol.

Alors elle décide de tout plaquer et dans un ultime chapitre écrit après une nuit alcoolisée, elle fait mourir son héros, James Cooper. Le lendemain matin, en plus d’une gueule de bois, elle découvre que son bellâtre a pris vie dans la réalité et squatte son canapé. Un James totalement déconnecté de la réalité, caricature du beau gosse qui, soi-disant, les fait toutes craquer. Il ne comprend pas son arrivée chez Marie.

Elle lui explique alors que « pour l’instant vous êtes un mâle alpha aux tendances BDSM. Là on me demande de faire de vous un psychopathe, mais attention, un psychopathe sexy ! » Ce qu’elle refuse catégoriquement.

Le roman se transforme alors en brûlot contre les clichés de genre, la banalisation de la violence masculine dans les romans à la mode et une ode aux bêtes comédies romantiques, certes limitées en ce qui concerne le message politique et la qualité littéraire, mais essentielles pour s’évader quelques heures et mieux profiter, après coup, de sa propre réalité.

« Cucul », Camille Emmanuelle, Seuil - Verso, 304 pages, 19,50 €
 

mardi 2 juillet 2024

Thriller - Coup de foudre mortel dans cette « killer romance » de Brynne Weaver

 Les assassins peuvent-ils tomber amoureux ? Ce roman de Brynne Weaver, entre thriller, histoire d’amour et littérature érotique, répond par l’affirmative. 


 

Ils sont beaux, jeunes, Américains et vivent à mille à l’heure. Sloane et Rowan ont tout pour être heureux. Si l’on oublie ce petit défaut qui fait toujours un peu tâche sur un CV : ce sont des serial-killers. Exactement des serial-justiciers-killers. Chacun de leur côté, depuis des années, ils chassent les monstres qui humilient, torturent et tuent par plaisir. Une œuvre de salubrité publique.

Même s’ils avouent prendre beaucoup de plaisir en exterminant cette vermine. Rowan, surnommé Butcher, aime découper les chairs à vif. Sans doute à cause de sa couverture dans le civil : cuisinier d’un restaurant gastronomique.

Sloane répond au surnom de l’Orbitèle car elle signe ses forfaits en retirant proprement un des deux yeux de la victime. Meurtrière mais elle cache bien son jeu, Rowan constatant qu’« en une seconde, elle est passée de beauté sexy à tueuse à la volonté de fer, maléfique et implacable. »

Deux personnages hauts en couleur imaginés par Brynne Weaver, jeune autrice canadienne qui a fait ses débuts en autoédition sur le net. Son premier roman, Butcher et Blackbird, sort en France sous le label Verso, nouvelle collection des éditions du Seuil, consacrée aux littératures de genre. Un roman « pour public averti » car si le fil rouge est la naissance de ce bel amour entre Sloane et Rowan, les scènes sanglantes sont légion et les passages romantiques, deviennent érotiques au début avant de se transformer en textes très explicites. Chauds certes, mais beaucoup plus talentueux que les horreurs pondues dans certains romans de politiques en mal de dévergondage.

Les deux tueurs, avant de tester une myriade de positions, se la jouent très romantique : « Rowan croise mon regard. Ses mains réchauffent mes joues. Nous sommes à un souffle l’un de l’autre, et je sais que tout changera quand ses lèvres toucheront les miennes. » Un couple dont on tombe carrément amoureux si on n’est pas rebuté par quelques litres de sang, les tripes et autres tronçonneuses détournées de leur première utilité.

Une suite est annoncée en octobre, mais avec un autre couple dont Lark, chanteuse rock, meilleure amie de Sloane et elle aussi légèrement détraquée dans ses rapports avec les « méchants ».


« Butcher et Blackbird » de Brynne Weaver, Verso - Seuil, 384 pages, 19,90 €