jeudi 4 juillet 2024

Littérature française - Alain Guyard vous fait visiter sa cabane dans les Cévennes

Faux ermite, anachorète de pacotille, Alain Guyard a décidé de vivre seul dans une cabane perdue dans les Cévennes. Il raconte avec humour et philosophie cette expérience, comme pour nous dégoûter d’en faire autant.

Face au désastre menaçant, l’effondrement puis l’apocalypse à venir et d’une façon plus générale l’impossibilité de vivre avec ses semblables, certains sont tentés de retourner au berceau originel : vivre seul au fond des bois. Alain Guyard, écrivain français plus iconoclaste qu’iconique, a franchi le pas.

Heureux propriétaire d’un mazet cévenol ou cabane de berger en forêt, décide de raconter sa nouvelle vie au plus près de la nature. Qui sait, rencontrera-t-il le même succès que Thoreau ou plus récemment Sylvain Tesson ? A la différence près qu’Alain Guyard est un écrivain très terre à terre.

Et dès le second chapitre, il aborde un sujet toujours délaissé par les grands auteurs : mais où faire caca quand on n’a pas de WC dans sa maison ? Cela donne quelques pages hilarantes car on y sent (presque olfactivement) le vécu. On comprend dès lors que cet ouvrage n’est pas destiné aux doux rêveurs qui espèrent, un jour, s’affranchir des relations sociales en se retirant dans une forêt enchantée au milieu de grands arbres majestueux peuplés d’oiseaux aux chants harmonieux et d’animaux tous plus beaux et gracieux les uns que les autres.

Dans la réalité il fait froid l’hiver, humide en automne, trop chaud en été, les insectes piquent, le plus proche débit de boissons se trouve à plus de quatre kilomètres et enfin le premier voisin, à 3 kilomètres, est un berger qui semble un peu trop aimer son troupeau de chèvres. Cela n’empêche pas l’auteur de signer quelques jolies réflexions sur ces arbres qui composent son quotidien. « Les arbres ne sont pas des animaux, explique-t-il. Car ce sont des humains, comme nous. Seulement, ils sont un peu lents. Ils ne se pressent pas. Notre année est équivalente à une de leurs journées. Ils ont la semaine de quatre cents ans. Ils ne croient pas à la valeur travail. » Toujours à propos des arbres et de ces hommes qui les abattent avec une tronçonneuse : « Couper un arbre consiste en un apprentissage de la masculinité toxique et se résume à une expédition punitive contre un phallus plus gros que le sien. » Cachez ces troncs que je ne saurais voir…

Ce petit récit, illustré d’une dizaine de linogravures signées Michéa Jacobi, ne cache pas les ambivalences de l’auteur. D’un côté, il espère un beau succès pour renflouer son compte en banque, mais redoute de devenir un exemple comme certains littérateurs de la survie en milieu hostile. Il va donc étudier leur style, pour tenter de ne pas tomber dans leurs travers.

Cela donne cette critique, parfaitement lucide et juste mais assez suicidaire pour ce qui est de la reconnaissance par ses pairs : « Des accents décadentistes doivent tintinnabuler, ici et là, de page en page à l’oreille du public. Mais dans le même temps, il ne suffit pas d’être conservateur, car vous perdez toute chance de conquérir votre public qui demande des gages de bonne conduite émancipatrice. La solution consiste à délayer vos grognonneries de défenseur de l’ordre et de l’Ancien Régime dans des références gauchisantes. » Mais il faut garder à l’esprit que la notion de solitude reste essentielle. « La cabane est solitaire, et qu’elle le reste !, car des fédérations de cabanes solitaires feraient une ZAD, ce qui n’est jamais bon quand on préfère le velours côtelé de gentleman farmer au sarouel de circassien ardéchois. »

« Ma cabane sans peine » d’Alain Guyard, Le Dilettante, 224 pages, 19 €

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