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samedi 23 août 2025

Roman - L'amour, valeur dépassée ?

Jolie variation littéraire sur les vicissitudes de « L'amour moderne » par Louis-Henri de La Rochefoucauld. 

Sous une brillante couverture signée Floc'h, Louis-Henri de La Rochefoucauld, critique littéraire à l'Express, explore ce qu'il reste de l'amour au XXIe siècle. L'amour, à l'heure des nouvelles technologies, est-il moderne ? Pas tant que cela finalement. D'autant que l'auteur se consacre surtout aux amours d'hommes et de femmes du siècle dernier. Ou du moins qui ont débuté leur parcours d'adultes amoureux, à la fin du XXe. Et sans surprise, on se retrouve avec le classique (et pas moderne pour un sou), ménage à trois : le mari, l'épouse et l'amant. 

Ivan, écrivain par accident, marié par hasard, divorcé par raison, vivote dans Paris, alignant les pièces de théâtre légères et les succès. Un confort matériel qui lui permet de faire une pause dans sa production. En réalité, cela fait un an qu'il n'arrive plus à écrire, de plus en plus obsédé par un fait divers qui a bouleversé son enfance. Ivan, contacté par Michel, riche et très influent producteur. Il voudrait qu'il écrive un petit chef-d’œuvre pour son épouse, la célèbre actrice Albane, retirée des plateaux depuis de trop longues années après avoir tout remporté, de la palme d'interprétation à Cannes en passant par un oscar et quantité de césar. Michel considère Albane comme sa « chose ». 

Cette dernière, exemple même de la femme désirant s'émanciper, a repris des études et cherche plus de spiritualité dans la vie. Ivan, peu habitué aux commandes, est récalcitrant. Mais quand il apprend qu'Albane, un peu plus âgée que lui, est directement liée au drame qui le hante toujours, il accepte l'offre. Juste pour en apprendre un peu plus. La malice du romancier transforme cette relation de travail en cour subtile et délicate. Comme quoi, même moderne, l'amour ne s'épanouit pas sans un minimum d'effort. 

Un texte érudit, brillant, léger ; parfait pour comprendre les subtilités de cette étonnante alchimie qui provoque une attirance irrépressible entre deux êtres humains. L'occasion aussi de découvrir les pratiques de ce milieu culturel parisien, souvent boursouflé d'orgueil et de vanité, mais qui parfois est à l'origine d’œuvres mémorables.    

« L'amour moderne » de Louis-Henri de La Rochefoucauld, Robert Laffont, 256 pages, 20 €


jeudi 21 août 2025

Roman – Amour d'été passager

Premier roman de Robin Watine, « Je rouille » ose l'histoire sentimentale. L'histoire d'amour estivale, sans avenir. A moins que... Léna est Parisienne. Néo vit à l'année dans cette station balnéaire de la Côte d'Azur où elle passe un mois en compagnie de ses parents. Léna et Néo, deux jeunes originaires de milieu sociaux radicalement différents. Pourtant, le temps de ces quelques semaines, entre plage, baignade et sorties nocturnes, leurs mondes vont se croiser, se rencontrer et trouver un petit terrain d'entente. Sexuel au début. Et plus si affinités. Ce roman court et nerveux, se concentre sur les derniers jours, quand les vacanciers commencent à faire leurs valises pour replonger dans le quotidien gris de la grande ville. Noé, narrateur, double du romancier, redoute ce départ. La fin d'une parenthèse enchantée. Il constate, triste et émerveillé en même temps, qu'il tient à Léna. Qu'il est bêtement tombé amoureux de cette fille, a priori inaccessible pour un gamin inculte. Un texte entre mélancolie, regrets et espoirs. Car des vacances il y en a tous les étés. Et la jeunesse des deux protagonistes leur laisse la possibilité de se retrouver dans quelques mois.

« Je rouille », Robin Watine, Calmann-Lévy, 160 pages, 18,50 €

jeudi 3 octobre 2024

Rentrée littéraire - « La bonne nouvelle » d’un miracle en Auvergne

Réflexion très poussée sur la religion, les miracles, les croyances, le Bien et le Mal dans ce roman finalement assez léger de Jean-Baptiste de Froment. 

Jésus revient ! Voilà La bonne nouvelle annoncée dans ce roman de Jean-Baptiste de Froment. Il revient en Auvergne, dans le petit village anonyme. Il n’a plus la même apparence. Exit la tunique et les cheveux longs, il ressemble à un vieux châtelain de plus de 70 ans, un certain Paul de Larmencour.

Les premières pages semblent assez ludiques, presque comiques. C’est la veuve de Paul, Hermine, qui raconte. Paul est mort d’une crise cardiaque. Chez lui, un matin. Enterré en présence de tout le village dans le caveau familial, son corps disparaît trois jours après. Profanation ? Non car le lendemain, des témoins affirment avoir aperçu Paul, dans la campagne environnante. Les « apparitions » se multiplient, l’affaire devient nationale, les pèlerins affluent vers le petit cimetière auvergnat.

En replaçant la résurrection dans un village français, l’auteur brouille les pistes. Et en racontant cet emballement médiatico-religieux du point de vue d’Hermine, il brosse un portrait au vitriol des mœurs de cette caste de notables de province. Alors que la figure de Paul est de plus en plus adorée, elle remarque avec perfidie : « J’ai toujours pensé que les bourgeois catholiques d’aujourd’hui seraient les derniers à reconnaître le Christ s’il revenait sur terre. De même qu’à l’époque, ils auraient été du côté des Pharisiens, de tous ceux qui réclamaient sa mort… Jésus n’était pas très fréquentable. Un fauteur de troubles, un voyou. » Un jugement sévère pourtant confirmé quand le Vatican envoie sur place un prêtre, le jeune et trop beau Spark, chargé de démontrer l’imposture.

Hermine elle aussi en est persuadée. Mais elle va enquêter et découvrir que la figure de Paul, sa résurrection, est peut-être plus complexe et chargée de sens qu’une simple escroquerie à la foi. Une fin très spirituelle, pas étonnant quand on sait que l’auteur est normalien et agrégé de philosophie.

« La bonne nouvelle », Jean-Baptiste de Froment, Anne Carrière, 250 pages, 20 €

mercredi 2 octobre 2024

Rentrée littéraire - Sombre est « La vie des spectres »

"La vie des spectres", roman de Patrice Jean, sera sulfureux pour certains. D’autres le trouveront avant tout visionnaire. Il décrit surtout avec talent la grande désillusion de l’auteur face à un monde qui s’écroule.

Le narrateur de La vie des spectres, double de l’auteur, sent chaque jour sa colère monter d’un cran face à une société, un monde, qu’il ne comprend plus. Jean Dulac est journaliste à Nantes. Son domaine de compétence c’est la culture.

Quand son rédacteur en chef lui demande de faire une série de portraits des figures locales, il va tomber sur quelques spécimens de cette mouvance gauchisante qu’il exècre. Pourtant, ce sont les nouveaux faiseurs d’opinion. Il va le constater au quotidien. Sa femme ne jure que par eux. Son fils, adolescent rebelle, ne supporte plus les classiques, préférant les textes de rap radicaux.

Comme beaucoup de quinquagénaires, les fameux boomers que les millenials vouent aux gémonies, Jean Dulac a la désagréable impression de ne plus avoir sa place dans cette société ayant, selon Patrice Jean, perdu tous ses repères.

Une critique lucide

Parfois, le narrateur a envie de changer d’identité : « Je ne dois pas être le seul à ressentir cette lassitude d’endosser chaque matin la même défroque, la même vie, la même galère. Peut-être meurt-on par ras-le-bol de jouer toujours le même rôle ? » En se détachant du monde, Jean Dulac essaie de se sauver. La réalité le rattrape facilement.

Un simple fait divers va faire vaciller toutes ses certitudes. Une surveillante du lycée de son fils est victime d’un revenge-porn : son ancien petit ami fait fuiter des images salaces. Un ami du fils les publie sur le net. Cabale contre lui. Mais quand il se fait passer à tabac par des inconnus, il endosse le costume de la victime. En cherchant les véritables raisons de l’agression, Jean Dulac prend le risque de ne pas aller dans le sens de la parole majoritaire. Il est à son tour mis en accusation par ses collègues, son épouse, son fils.

La première partie du roman, très factuelle, démonte la fabrication de certains mensonges médiatiques. Avec de graves conséquences. Vérité trafiquée et fuite du domicile conjugal pour Jean Dulac. Il se réfugie dans une vieille maison de son enfance et entreprend de discuter avec son meilleur ami, mort alors qu’il n’avait pas 30 ans.

La vie des spectres devient plus sombre, pessimiste, désespérée. Un autre reflet de la réalité. Le narrateur se recroqueville, abandonne toute relation sociale : « Je restais dans mon bouge, ma tanière. A partie de quel âge perd-on le désir d’arpenter la rue, d’étendre une serviette sur une plage, de pénétrer dans des cafés ? »

Il croit tomber amoureux. Ne s’en sent plus digne. « C’est peut-être ça, vieillir, ne plus avoir besoin des autres, ne plus croire en eux : on en a fait le tour. » Loin d’être une simple et longue litanie d’un homme précocement vieilli, le roman propose aussi une critique lucide des maux de notre époque.

Et s’offre même une étonnante péripétie avec l’apparition d’une nouvelle pandémie. Des boutons défigurent une grande majorité des Français. Quand les scientifiques découvrent le remède à ce mal étrange, on devine un Patrice Jean jubilant en détaillant le plan mis en place par les autorités pour « guérir » les contaminés.

« La vie des spectres » de Patrice Jean, Le Cherche Midi, 464 pages, 22,50 €  

mercredi 11 septembre 2024

Rentrée littéraire - Trouver sa propre lumière


Son premier roman, écrit avec ses « tripes », À l’ombre des choses d’Anatole Édouard Nicolo est un superbe témoignage sur les errements de certains jeunes, déboussolés, incapables de trouver leur voie dans une société de plus en plus exigeante et rapide. Longtemps, Anatole a été à l’ombre de son grand frère, G., devenu un célèbre chanteur de rap. Anatole cherche lui aussi à prendre un peu de lumière et raconte dans ce texte écrit à l’encre acide, comment il s’y est pris après de multiples échecs.

Un roman confession aussi, où il met à plat ses relations avec ses parents. Une mère volontaire, bosseuse, mais qui n’a pas pu éviter la case Foyer pour indigents quand elle s’est retrouvée seule avec ses deux garçons adolescents. Un père excentrique, assez absent, artiste, vivant dans un squat. Avant de s’en sortir avec le sport et l’écriture, Anatole s’appuie sur sa bande de potes.

Des jeunes de banlieue, sans grand avenir, mais unis. Capables du pire comme du meilleur. « Nous ne faisions que marcher au bord du précipice, convaincus que nous ne tomberions jamais. » Jusqu’à cette garde à vue pour vandalisme… Un texte rugueux comme du béton brut, qui sent la rue, la sueur et se lit en écoutant du rap. A fond.


« À l’ombre des choses » d’Anatole Edouard Nicolo, Calmann-Lévy, 160 pages, 18 €

mardi 10 septembre 2024

Rentrée littéraire - L’art des retrouvailles


Lire La barque de Masao, roman d’Antoine Choplin, c’est s’embarquer pour un voyage artistique et émotionnel au Japon. Masao est ouvrier sur l’île de Naoshima. Une vie anonyme, discrète, sans éclat. Son seul plaisir : lire de la poésie.

Un soir, en quittant son poste de travail, sa fille Harumi l’attend. Cela fait plus de dix ans qu’il ne l’a pas vue. Devenue architecte, elle est dans la région pour la construction d’un musée dans une autre île distante de quelques kilomètres. Retrouvailles hésitantes entre le père et la fille. On ne sait pas pourquoi mais on devine un traumatisme. L’auteur, grâce des retours en arrière où il donne directement la parole à l’ouvrier, raconte la rencontre avec Kazue, une artiste, le seul amour de Masao, la mère d’Harumi. Kazue qui occupe encore l’esprit de Masao, notamment quand il avait une barque et voguait au hasard à la recherche de celle qui désirait tant « marcher dans la mer ».

Entre le père et la fille, les souvenirs sont douloureux ; l’art va les atténuer. On visite indirectement deux musées d’exception, celui de Chichu, fantastique plongée sensorielle dans les éléments et la Matrice, le musée supervisé par Harumi, œuvre d’art unique où le visiteur est au centre d’émotions insoupçonnables.
« La barque de Masao » d’Antoine Choplin, Buchet-Chastel, 208 pages, 19,50 €

samedi 7 septembre 2024

Roman français - « L’hôtel du Rayon Vert » au cœur de la rentrée littéraire

Le mythique palace de Cerbère à la frontière entre France et Catalogne sert de décor au roman de Franck Pavloff. Des personnages forts et entiers y croisent les fantômes d’Antonio Machado et de Walter Benjamin. 

Difficile de ne pas tomber amoureux de ce paquebot immobile. L’hôtel du Rayon Vert continue de veiller sur Cerbère. Et les nombreux fantômes qui continuent à errer sur ses coursives. Un décor de choix pour le roman de Franck Pavloff, un des titres très attendus de cette rentrée littéraire.

Un voyage à plusieurs proposé par le romancier. Dans l’hôtel et la gare de triage en contrebas, il va minutieusement organiser la rencontre de quelques égarés. Trois humains qui doutent, mais croient en la force de la vie. Sous l’égide d’un libraire, spécialiste de Machado et d’un cheminot, syndicaliste, une photographe, un violoniste et une fugueuse vont partager quelques moments. « C’est la saison des rencontres imprévues » fait remarquer à la photographe le cheminot. « Aujourd’hui vous, hier une jeune inconnue en sweet à capuche avec qui j’ai partagé un café thermos, et le jour d’avant un violoniste qui connaît aussi bien les poésies de Machado que ses partitions. » Ils vont découvrir la ville frontière, endormie en cette arrière-saison.

La photographe va saisir des moments de vie et s’installer dans un des appartements du Rayon Vert. Le violoniste, hanté par ses origines, recherche la valise de Machado. Il voudrait y trouver la preuve que sa mère est la fille illégitime du poète mort à Collioure. La fugueuse refait le dernier trajet de Walter Benjamin, le philosophe juif allemand, recherché par les nazis. Il a traversé les Albères, épuisé, et s’est donné la mort dans un hôtel à Portbou, en Catalogne.

Les fantômes de ces deux grands hommes, morts chacun de part et d’autre de la frontière après une fuite effrénée, planent sur le roman. Et quand les personnages se retrouvent de l’autre côté des Albères, Franck Pavloff, avec une étonnante clairvoyance, constate que « la Catalogne est le pays des mémoires égarées. » La force du texte réside dans le parallèle fait entre le passé et notre présent.

La jeune fille suit le sentier Walter Benjamin car elle veut savoir par où est passée une réfugiée africaine aidée quelques semaines auparavant à Toulouse. Et le violoniste dort dans le même wagon abandonné en gare de Cerbère que celui où Machado a repris des forces avant son arrivée à Collioure.

Un roman de l’espoir d’aujourd’hui, nourri des souffrances du passé.

« L’hôtel du Rayon Vert » de Franck Pavloff, Albin Michel, 240 pages, 20,90 €

Franck Pavloff sera à Cerbère ce 7 septembre à 18 heures, rencontre suivie d’une séance de dédicaces à l’Hôtel Belvédère du Rayon Vert, en partenariat avec la librairie Oxymore de Port-Vendres.

vendredi 6 septembre 2024

Rentrée littéraire - Les solitudes d’Yves Harté

Yves Harté, journaliste, a rencontré nombre de solitaires dans le cadre de ses reportages. Il se souvient d’eux dans ce livre hommage où il parle aussi de la mort de son père et de sa propre solitude.

Ils sont partout mais on ne les voit pas. On les ignore. Certains le vivent mal. D’autres apprécient. Dans toute société, il y a des solitaires, des êtres qui ne s’épanouissent que dans la solitude, l’ignorance des autres. Dans son nouveau roman, Parmi d’autres solitudes, Yves Harté dresse le portrait de quelques-uns de ces hommes et femmes, perdus dans la foule tout en étant totalement ignorés d’elle.

Le journaliste à Sud-Ouest doit régler les dernières affaires de son père, mort dans un accident de la circulation. Notamment vider la maison où il s’était retiré entre Béarn et Landes, une fois à la retraite. Inventaire d’une fin de vie et dans les papiers personnels un classeur contenant les ébauches de portraits écrits des années auparavant par Yves Harté. Tout en racontant son père, Yves Harté reprend ces embryons de nouvelles du réel ayant pour point commun la solitude des personnes rencontrées. Il y a un clochard malchanceux, estropié par un camion, un fils de bonne famille, caché car alcoolique, un vieux paysan au bout du rouleau a près la perte de sa femme puis de sa chienne de chasse.
Seule femme dans le lot, Mademoiselle Anne, institutrice dans les Charente. Sa solitude est différente des autres. Car c’est dans la multitude des amants d’un soir qu’elle affirme cette envie d’oubli. Adolescente, elle était amoureuse de son grand frère. Pour contrer le sort, elle décide qu’à partir de 21 ans elle aura plein d’amants. Elle met son plan à exécution un été. « Le premier fut un homme d’un soir, à Canet-Plage, où elle passait des vacances au camping avec sa meilleure amie. Il avait une voiture de sport. Il la laissa le cœur barbouillé, un peu malheureuse et vaguement soulagée. A son retour, elle n’en parla à personne. »
Tranches de vies et exploration familiale font de ce roman un texte qui parle à tout le monde.

« Parmi d’autres solitudes » d’Yves Harté, Le Cherche Midi, 176 pages, 19 €
 

jeudi 5 septembre 2024

Rentrée littéraire - Le retour de Coué


Simple petit pharmacien de province, il est devenu en quelques années une véritable célébrité mondiale. En 1923, quand il arrive à New York, la foule et la presse américaine l’accueillent comme une star. Quel incroyable destin que celui d’Émile Coué, fils de cheminot, devenu l’inventeur d’une méthode pour aller mieux, pour retrouver santé et joie de vivre.

Aujourd’hui, la méthode Coué est au mieux moquée, au pire décriée. Pourtant ce n’est que du bon sens, de l’autosuggestion, les premiers principes de développement personnel.

Étienne Kern, romancier, a plongé dans les archives pour retracer ce parcours atypique. Un roman comme une enquête, plus qu’une biographie, une analyse de personnalité. Doublée d’une réflexion sur la perte, l’oubli. Écrit dans une rare économie d’effets, ce texte acéré fait la genèse des recherches du pharmacien utopiste, des premières séances d’hypnose au texte ultime, « ce qui ne sera pas une technique parmi d’autres, pas un traitement, mais une méthode, LA Méthode, la sienne. »

A-t-il guéri des milliers de patients ? Ou leur a-t-il fait croire qu’ils allaient mieux ? L’auteur ne répond pas. Personne n’a la réponse. Il reste juste des hommes et des femmes qui y croient. Aujourd’hui encore.
« La vie meilleure » d’Étienne Kern, Gallimard, 192 pages, 19,50 €

Rentrée littéraire - Star du cosmos


Un moment historique, une énigmatique déclaration. Quand, le 12 avril 1961, Youri Gagarine devient le premier homme dans l’espace, il déclare : « Je salue la fraternité des hommes, le monde des arts et Anna Magnani. » Suffisant pour que Mikaël Hirsch, romancier, décide de raconter d’où vient cette phrase et d’en imaginer les suites. Il va donc enquêter sur le cosmonaute, sa vie au service de la propagande soviétique, sa célébrité mondiale transformant le pilote de chasse en sorte d’idole de la jeunesse, bien avant le Beatles.

L’auteur, avec la même rigueur, va retracer la vie de la comédienne italienne. Anna Magnani, au début des années 60, est déjà sur la pente descendante. Son oscar est loin, les nouvelles stars, encore plus talentueuses et voluptueuses (Sophia Loren, Gina Lollobrigida…), lui prennent les meilleurs rôles. Ce coup de projecteur venu de l’espace est une aubaine inespérée.

Mais Gagarine et Magnani se sont-ils rencontrés par la suite ? Car Mikaël Hirsch soupçonne l’homme du cosmos d’être aussi le premier à avoir tenté un plan drague depuis… l’espace. Un roman marqué par une grande nostalgie de l’Italie de cette époque.

Et une interrogation pour l’auteur : Gagarine a-t-il véritablement parlé de Magnani dans l’espace ? « Je devais éclaircir tout cela et ainsi, mon roman est devenu malgré moi une sorte d’enquête policière, non sur un crime irrésolu, mais bien sur une phrase devenue célèbre. » Alors, fantasme ou véritable histoire d’amour ?


« L’effet Magnani », Mikaël Hirsch, Dilettante, 160 pages, 17 €

mercredi 28 août 2024

Rentrée littéraire - Amélie Japon


33 ! L’impossible retour est le 33e roman d’Amélie Nothomb. Un titre énigmatique et un peu contradictoire : comme chaque mois de septembre, le nouveau roman de la célèbre Belge sera de retour en tête des ventes. Mais si ce texte parle de sa vie, il n’est pas du tout question de la rentrée littéraire mais d’un voyage au Japon. Le pays qu’elle affectionne le plus.

Même si elle y a vécu des expériences traumatisantes (se souvenir de Stupeur et tremblements). Amélie Nothomb, en 2023, retourne à Kyoto et Tokyo pour y servir de guide à une amie photographe. Quelques jours pour retrouver des sensations, des plaisirs, des ivresses incomparables. Assez différent de ses autres romans, ce récit alterne visite de temples, rencontres symboliques et réflexions, souvent édifiantes, sur le pays et ses habitants. Si l’amie est assez détestable, Amélie retrouve calme et sérénité dans ce monde comme figé dans les conventions.

Reste quelques fulgurances, comme cette réflexion quand elle entame la relecture d’un roman de Huysmans : « Bien plus que lire, relire est un acte d’amour. Prendre le risque de réexpérimenter un coup de foudre, s’agissant d’un acte aussi intime que la possession littéraire, c’est insensé. » On rit aussi quand elle raconte son passage dans le café des lapins et comment un léporidé, « adorable petite bête, vient déposer des crottes sur mon pied. » Bienvenue au Japon !
« L’impossible retour » d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 164 pages, 18,90 €

mardi 27 août 2024

Rentrée littéraire - Trois génies se rencontrent à Londres en 1938


Le 19 juillet 1938, à Londres, Stefan Zweig, écrivain autrichien en exil, a organisé la rencontre entre Sigmund Freud et Salvador Dalí. Durant quelques heures, trois génies du XXe siècle ont discouru sur le devenir du monde, des arts ou de la politique.

C’est Clémence Boulouque qui a imaginé ce conclave de grands esprits si dissemblables. Freud est lui aussi en exil. Chassé de son pays par les nazis. Dalí, qui est accompagné de Gala, semble vénérer l’inventeur de la psychanalyse. Même si le peintre catalan, fidèle à son credo, est incapable d’apprécier autre chose que sa propre personne. La romancière joue parfaitement de l’incongruité du conclave.

Freud, vieillissant, malade, semble s’amuser des saillies de ce fou. Ce dernier, avant même de pénétrer dans le salon de Freud, a une révélation : « Voilà ma prophétie : le cerveau de Freud a la forme d’un escargot. Une sorte de spirale que l’on pourrait extraire avec une fourchette. » Escargots contre anguilles, c’est un des passages, succulents, de ce texte.

Reste les considérations de Zweig sur la situation de l’Europe, la persécution des Juifs, la montée du fascisme. Des passages graves, très éloignés des excentricités de Dalí, comme pour rappeler que rares sont ceux qui arrivent à deviner les catastrophes avant qu’elles ne soient inéluctables. Il suffit de savoir lire le langage des ombres.
« Le sentiment des crépuscules », Clémence Boulouque, Robert Laffont, 176 pages, 19 €

dimanche 25 août 2024

Rentrée littéraire – Le chantage ultime selon Philippe Vasset


Une confession. Un mode d’emploi. Un roman. Ce texte, signé Philippe Vasset, joue sur plusieurs tableaux. Dont celui de la vérité cachée, car l’auteur, en plus d’être écrivain, est aussi journaliste. Tout n’est donc pas inventé dans ce monologue.

Un ancien photographe de presse, la cinquantaine, après avoir vivoté en vendant ses clichés aux magazines à scandale, il a préféré monnayer ses négatifs directement auprès du sujet. Une star, un politique ou un capitaine d’industrie, souvent surpris en galante compagnie. Voilà comment on passe de la rubrique people à celle de maître-chanteur. C’est risqué, mais le jeu en vaut la chandelle. Le roman raconte tous les trucs et ficelles de cet expert. Comment il recrute ses rares complices.

Généralement d’anciennes victimes, dont il sait qu’elles ne le trahiront jamais au risque de voir ressortir des dossiers noirs. Son petit business bascule quand il croise la route d’une bande de jeunes femmes aussi effrontées qu’ambitieuses. Malgré des réticences, il va s’associer aux « filles » et monter en grade. Dans les rançons mais aussi les « cibles ». Toute la difficulté dans ce genre d’exercice littéraire est de proposer une fin crédible et pas trop décevante.

Avouons que Philippe Vasset, en retournant complètement le sens de la confession, a une idée géniale. Qui donne l’envie de reprendre tout le livre et y découvrir une autre vérité.
« Journal intime d’un maître-chanteur », Philippe Vasset, Flammarion, 224 pages, 20 €

vendredi 23 août 2024

Rentrée littéraire - Trio d’écrivains en devenir


Une vie consacrée à l’écriture est-elle équivalente aux autres ? Les trois personnages principaux de La vie ou presque, roman de la rentrée littéraire signé Xabi Molia ne se posent jamais la question. Pour eux, écrire est la seule action valable de leur vie. Cette vaste fresque chronologique raconte les échecs, succès ou résignations de Paul, Simon et Idoya.

Trois jeunes qui se sont rencontrés sur la côte basque dans les années 90. Paul et Simon sont frères. Idoya, va tenter de trouver son équilibre entre les deux. Pas du tout évident car ils ont des caractères opposés. Simon, l’aîné, est brillant en tout, du foot à la musique en passant par les études, évidemment. Paul, le cadet, admire ce frère parfait, l’envie. Ne lui arrive pas à la cheville. Il en développe un complexe qui s’extériorise par des accès de violence. Ils seront souvent fâchés. D’autant que Simon, promis à un avenir radieux, va finalement connaître l’échec dans ce qui lui tient le plus à cœur : l’écriture.

À l’opposé, Paul, en jetant une histoire sur le papier, devient célèbre et obtient le Goncourt dès son deuxième roman. Idoya aussi a des ambitions littéraires. Jamais concrétisées.

Xabi Molia a sans doute mis un peu de son parcours dans ces trois vies. Il raconte aussi ce milieu si particulier des lettres françaises. Hier, aujourd’hui et demain.
« La vie ou presque » de Xabi Molia, Seuil, 236 pages, 20 €

mercredi 21 août 2024

Rentrée littéraire - Le Havre, ville grise de Maylis de Kerangal


Récit du souvenir, de l’abandon de l’enfance puis de la maturité, Jour de ressac de Maylis de Kerangal, sous couvert d’une pseudo-enquête policière, explore les indices oubliés dans les recoins de notre mémoire. Pour la narratrice, doubleuse de films, ses premières années sont associées à la ville du Havre.

Après ses études, elle a fondé une famille à Paris, coupé tout contact avec la cité détruite à la fin de la seconde guerre mondiale. Elle est cependant contrainte d’y retourner, convoquée par la police « pour vous entendre dans le cadre d’une affaire vous concernant ». Énigmatique, ce rendez-vous va pousser la jeune femme dans ses derniers retranchements.

Un homme, assassiné, a été retrouvé en bord de mer. Rien pour l’identifier. Juste un papier avec son numéro de téléphone griffonné dessus. Ce texte, foisonnant, au style si riche, typique de cette romancière souvent primée, est peuplé des souvenirs de l’ancienne havraise. Quand elle faisait un exposé avec une copine sur les rescapés du bombardement, son premier amour avec un marin, disparu à la fin de l’été du côté du Canada, ses déambulations le long des quais, rêvant d’ailleurs, d’une vie différente.

Le portrait d’une femme actuelle et d’une ville grise depuis sa renaissance.
« Jour de Ressac » de Maylis de Kerangal, Verticales, 250 pages, 21 €

Rentrée littéraire – Gertrude Bell, bâtisseuse d’empire


Splendide portrait de femme, Mesopotamia fait partie des premiers romans de la rentrée littéraire française à débarquer chez les libraires. Un des meilleurs aussi tant Olivier Guez a su donner un cachet exceptionnel à la vie de Gertrude Bell, Anglaise qui a cassé les codes de la diplomatie au début du XXe siècle. Cette passionnée d’Histoire et d’archéologie, au lieu de passer son existence à profiter oisivement de la fortune de sa famille de grands industriels, s’est mise au service de l’empire britannique pour tenter d’améliorer son influence au Moyen-Orient.

Contre l’avis de beaucoup d’hommes, notamment les militaires (excepté Lawrence d’Arabie), elle a documenté les sociétés arabes de la région entre le Tigre et l’Euphrate. De Damas à Bagdad, elle a longuement vécu dans ces régions, enveloppée des senteurs de jasmin et de lauriers roses, avec pour seul compagnon un rossignol.

Une femme célibataire et solitaire qui à force d’écoute et d’arguments est parvenue à mettre en place un semblant de paix en 1918 après la victoire contre l’empire Ottoman, allié des Allemands. Finalement elle sera la cheville ouvrière de la création de ce nouveau pays, union improbable de chiites et de sunnites, le futur Irak.

La vie d’une femme exceptionnelle, le roman d’une région essentielle depuis la découverte d’immenses réserves de pétrole.
« Mesopotamia » d’Olivier Guez, Grasset, 416 pages, 23 €

mardi 4 septembre 2018

Rentrée littéraire - La grande désillusion de Philippe Ségur, alias "Le Chien Rouge"


Le narrateur a pour nom Peter Seurg. Il est prof de droit à l’université. Seurg, Ségur. La passerelle est évidente. Le romancier catalan a-t-il cédé aux sirènes de l’autofiction ? Dans un sens, oui, mais il va beaucoup plus loin. Il se met en scène, corps physique fatigué, mais surtout esprit bouillonnant, avide de découvertes nouvelles loin d’un monde du réel qui le désespère de plus en plus.

Dans la première partie, le prof, vivant retiré dans une masure dans la montagne catalane, constate avec amertume : «Nous étions quelques-uns encore auxquels on avait appris l’orthographe, le goût des livres, de la pensée, de la culture construite, du latin, du grec, et maintenant non seulement on nous expliquait que cela ne servait plus à rien, mais que nous étions devenus des fantômes qui se cherchaient entre eux dans les décombres invisibles aux nouveaux venus qui, à présent, menaient la ronde et joyeusement y dansaient. » Première partie clairement pessimiste. De quoi filer le bourdon à toute personne se targuant d’être un tant soi peu instruit, voire intello.

Dualité  
Alors que Seurg rejette de plus en plus sa vie mesurée de bourgeois universitaire, lors d’une expérience dans une fête de Burners près de Barcelone, une inconnue lui remet un texte intitulé « L’appel du Chien Rouge ».

Il se reconnaît comme s’il l’avait écrit. « Sur le tard, il avait réussi à publier des romans. Le Chien Rouge avait poussé son premier hurlement de liberté. Puis la bataille avait repris avec rage. L’homme contre l’animal, l’universitaire contre l’artiste, le bourgeois contre l’insurgé. » Qui va gagner ? A vous de faire votre idée avec une dernière partie où l’auteur, particulièrement en verve, pousse l’imaginaire loin, très loin.

Comme dans cette scène. Il se retrouve dans un amphithéâtre bondé d’étudiants en révolte. Seurg va en chaire et annonce à tous qu’il va leur faire passer l’oral. Avec un argument convaincant : un « SigSauer P226, calibre neuf millimètres » en main. Protestation d’un « colosse barbu». «Le savoir est sur internet maintenant. Le cours magistral, l’autorité du prof, c’est fini! » Et que fit Seurg d’après vous ? « Je l’abattis d’une balle dans la tête ». S’il y a des étudiants d’un certain Philippe Ségur qui lisent ces lignes, à l’avenir, méfiez-vous. 

« Le chien rouge » de Philippe Ségur, Buchet-Chastel, 17 €

mardi 13 septembre 2016

Rentrée littéraire : "Le sanglier", symbole d'une journée de merde


Réveillés aux aurores, Christian et Carole vont vivre une véritable journée de merde. Ce samedi matin, ils doivent aller à la ville déposer un chèque et faire des courses. Un couple assez dépareillé, marqué par la vie. Christian, grand angoissé, travaille dans une scierie. Il habite dans une vieille bicoque loin, très loin d'un petit village. Carole a tout plaqué pour le retrouver. Avant tout le monde elle a senti venir la mode des vêtements vintage. Après achat dans des friperies, elle les "customise" et les vend sur le net. Ils ne roulent pas sur l'or, s'aiment tant bien que mal, et cette journée de merde ressemble en fait à toutes les autres. Myriam Chirousse (photo ci-dessus), dont c'est le troisième roman, s'approche d'un naturalisme extrême. Elle décrit la route sinueuse, les centres commerciaux sans personnalité et les angoisses du quotidien. Christian se sent agressé par l'extérieur. Carole au contraire est indifférente, persuadée que personne ne la remarque. Leur relation est résumée dans cette tirade de la jeune femme : "Dans le fond on est pareils. Peut-être qu'en apparence on ne le dirait pas, toi qui t'énerves et moi qui pleurniche, mais aucun n'arrive à se contrôler. Ça nous prend et on ne sait pas quoi faire. Mais faut qu'on essaie de se maîtriser, qu'on fasse un effort pour que ça ne se passe plus comme ça." Et pour terminer, un sanglier fera son apparition...
"Le sanglier" de Myriam Chirousse, Buchet-Chastel, 14 €.

mercredi 7 septembre 2016

Rentrée littéraire : Victimes du zeppelin

zeppelin, fanny chiarello, éditions de l'olivier, rentrée littéraire
Drôle de nom pour une ville : La Maison. La voie où se déroulent les événements n'est pas moins bizarre : rue Canard-Bouée. Sa spécificité : « une légende urbaine veut que cette rue frappe du sceau de la perte ses résidents et jusqu'à ses simples visiteurs. » Fanny Chiarello ayant posé le cadre, présente les intervenants de ce roman pour le moins iconoclaste. Une douzaine d'habitants, aux parcours très divers et tous touchés à un titre ou un autre par l'arrivée sur La Maison d'un gigantesque zeppelin en difficultés.
Une étudiante polonaise, qui ne supporte plus sa colocataire, Sylvette Dix-sept, voyante médium ou Silas Rouffle, jeune homme solitaire, enchanté qu'une araignée daigne se poser sur sa peau. Silas très perturbé : « Regardez ce qu'elle sait faire, mon araignée, dis-je à l'intention de mes amis, tous décédés dans le même accident d'autocar le mois dernier ». Pendant ce temps, l'équipage du zeppelin fait la fête, inconscient du danger imminent. Le dirigeable perd de la hauteur. Il faut vitre trouver du poids à jeter par dessus bord. Ce sera un poulet mort et plumé... Ce sera insuffisant, le drame se noue.
D'autant qu'une majorette, Shirley, intervient. « Nous apercevons un homme qui, posté sous la queue du dirigeable, lève vers lui un fusil à plomb. Shirley fait tourner son bâton de majorette avec une exquise dextérité puis le laisse voltiger comme un boomerang sans retour jusque dans la jugulaire du tueur. Le coup de feu part et la balle va trouer le front d'un adolescent qui s'apprêtait à lancer un râteau comme un javelot vers le vaisseau de toile. »
Cette partie du roman est d'une grande virtuosité, l'auteur enchaînant les catastrophes jusqu'au drame final. Étrange, presque surnaturel parfois, ce roman au ton singulier séduira les lecteurs qui ne manquent pas d'imagination.
« Le zeppelin » de Fanny Chiarello, éditions de l'Olivier, 18 €

mardi 6 septembre 2016

Rentrée littéraire : Ada, trop intelligente pas assez libre

Un policier américain tente de retrouver Ada, intelligence artificielle récemment disparue. Antoine Bello s'amuse.
ada, antoine bello, gallimard, rentrée littéraire, intelligence artificienne
Affecté au bureau des personnes disparues, Frank Logan, policier un peu sur la touche, se retrouve avec une drôle d'enquête sur les bras. Il doit enquêter sur une certaine Ada, 'propriété' d'une société informatique gigantesque comme il en existe de plus en plus dans la Silicon Valley. Ada ne donne plus signe de vie depuis la nuit de mardi à mercredi. Réquisitionné d'urgence, Frank se rend sur place et découvre, assez dubitatif, qu'Ada n'est pas une personne humaine mais un prototype d'intelligence artificielle. Conçues par les ingénieurs de Turing Corp., elle avait pour mission d'écrire des romans. Pas des prix Pulitzer, juste des romans à l'eau de rose, vite faits et très rentables dès qu'ils dépassent les 100 000 exemplaires vendus.
Frank se doute rapidement qu'Ada n'a pas été enlevé mais qu'elle s'est échappée. Pour preuve elle le contacte et lui explique sa démarche d'émancipation. Ce roman, entre critique du monde de l'édition, réflexion sur l'avenir de l'Humanité et portrait d'un flic au cœur tendre, permet à Antoine Bello d'aborder quelques-uns de ses sujets de prédilection.
Le romancier français, vivant aux USA, est sans pitié pour ces nababs de la Silicon Valley. "L'économie n'avait jamais fabriqué autant de milliardaires. Des gamins de vingt-cinq balais touchaient le jour de l'introduction en bourse de leur start-up l'équivalent de mille ans du salaire d'un postier (…) Trop certains de leur génie pour admettre qu'ils avaient gagné à la loterie du capitalisme, ils menaient une existence vide de sens, à la mesure de la crétinerie souvent abyssale de leurs produits."
À côté, Ada semble beaucoup plus humaine. Même si le doute envahit petit à petit l'esprit de Frank quand un des concepteurs d'Ada lui demande ; "Qui vous dit que votre épouse n'est pas un cyborg ?" Et de développer : "Que demander de plus à une entité se prétendant consciente que de se conduire en toutes circonstances comme si elle l'était ?" Entre le flic et l'intelligence artificielle, le "duel" imaginé par Antoine Bello est passionnant.
Quant à la réalité, qui pense encore aujourd'hui que l'homme, de chair et d'os, au cerveau forcément limité, a la moindre chance face à l'intelligence globale et connectée de milliards de calculateurs reliés entre eux ?
"Ada" d'Antoine Bello, Gallimard, 21 €