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mercredi 21 août 2024

Rentrée littéraire - Le Havre, ville grise de Maylis de Kerangal


Récit du souvenir, de l’abandon de l’enfance puis de la maturité, Jour de ressac de Maylis de Kerangal, sous couvert d’une pseudo-enquête policière, explore les indices oubliés dans les recoins de notre mémoire. Pour la narratrice, doubleuse de films, ses premières années sont associées à la ville du Havre.

Après ses études, elle a fondé une famille à Paris, coupé tout contact avec la cité détruite à la fin de la seconde guerre mondiale. Elle est cependant contrainte d’y retourner, convoquée par la police « pour vous entendre dans le cadre d’une affaire vous concernant ». Énigmatique, ce rendez-vous va pousser la jeune femme dans ses derniers retranchements.

Un homme, assassiné, a été retrouvé en bord de mer. Rien pour l’identifier. Juste un papier avec son numéro de téléphone griffonné dessus. Ce texte, foisonnant, au style si riche, typique de cette romancière souvent primée, est peuplé des souvenirs de l’ancienne havraise. Quand elle faisait un exposé avec une copine sur les rescapés du bombardement, son premier amour avec un marin, disparu à la fin de l’été du côté du Canada, ses déambulations le long des quais, rêvant d’ailleurs, d’une vie différente.

Le portrait d’une femme actuelle et d’une ville grise depuis sa renaissance.
« Jour de Ressac » de Maylis de Kerangal, Verticales, 250 pages, 21 €

vendredi 10 mai 2024

Littérature française - De mère en mère avec Marianne Rubinstein et Anne Brochet

 Marianne Rubinstein et Anne Brochet évoquent beaucoup leurs mères dans « Bord de mère » et « L’armoire de vies », deux récits de vie.

Née en 1966, Marianne Rubinstein a traversé la fin du siècle dernier avec la chance de vivre dans un monde où les femmes étaient de plus en plus libres. Son récit, où elle se compare à sa mère, une scientifique en avance sur son temps, raconte l’émancipation des femmes dans cette France pas toujours aussi progressiste qu’on pourrait le penser.

Longtemps, Marianne Rubinstein a vécu dans l’ombre de sa mère. Comme si elles étaient reliées par des fils invisibles. « De nouveau, ta vie et celle de ta mère s’entremêlent, même si tu t’éloignes en partant vivre à Paris. Tu lui as présenté un de tes professeurs qui est devenu son nouveau compagnon et tu as rencontré chez elle un homme qui te plaît, ce qu’elle n’accepte que dans la mesure où cela t’aidera à tourner la page. » Et de constater, lucide : « Le problème n’est pas tant que les mères veuillent du mal à leurs filles, mais que les filles veuillent à ce point leur faire plaisir. »


Autre relation mère-fille dans le récit d’Anne Brochet. La comédienne, qui vient souvent dans les Pyrénées-Orientales, ouvre son quotidien par l’intermédiaire de ses armoires de toilette. De l’intime, avec longue litanie de marques, parfois disparues, d’Obao à Oil of Olaz. Dans le petit miroir, elle admire ses cheveux, coupant parfois sa frange pour ne plus ressembler à sa mère.

Constatant les dégâts, cette dernière rugira : « Tu t’es gâchée ! » Anne Brochet, dans un récit intimiste parfois très touchant, raconte ses amours, ses angoisses et la joie d’être deux fois mère à son tour. Et d’avouer « Ce qu’on aime le plus, les enfants et moi, c’est traîner dans la salle de bain. C’est notre âtre […] Je leur propose d’y habiter et de louer les autres pièces pour arrondir les fins de mois. Ils hésitent, se demandent si je plaisante. Une part de moi aimerait bien cette vie triangulaire autour d’une armoire de toilette. »

« Bord de mère » de Marianne Rubinstein, Verticales, 110 pages, 15,50 €
« L’armoire des vies », Anne Brochet, Albin Michel, 140 pages, 17,90 €

lundi 23 octobre 2023

Rentrée littéraire - L’amour sera toujours l’amour grâce à Dominique Barbéris et François Bégaudeau

Deux romans français présentent des histoires d’amour quelconques mais aussi remarquables, au final, que les grandes romances. Amour contrarié avec Dominique Barbéris, amour simple et linéaire selon François Bégaudeau.


Ecrire sur l’amour en 2023 ! Quelle drôle d’idée alors que les actualités ne nous parlent que de guerre, massacres, génocides, enlèvements, attaques au couteau et exécutions sommaires. Pourtant on a trop tendance à oublier le formidable pouvoir de l’amour sur l’équilibre de nos sociétés. Aimez et vos envies de meurtres, ou de vengeances, passeront au second plan. Saluons donc ces deux écrivains qui pour la rentrée littéraire française consacrent l’entièreté de leurs ouvrages à ce thème sans doute rebattu mais essentiel qu’est l’amour. Un amour impossible avec Dominique Barbéris, un amour simple et linéaire sous la plume de François Bégaudeau.

À Douala, Madeleine n’arrive pas à l’intégrer dans la communauté des colons français. Nous sommes au début des années 60, le Cameroun est sur le point d’accéder à l’indépendance. Madeleine, Nantaise, mère d’une petite fille, mariée à un Breton travailleur et taciturne, croise la route d’Yves Prigent, un aventurier, séducteur, un peu espion et homme de main de la Françafrique. C’est la nièce de Madeleine, Dominique Barbéris, qui tente dans ce roman intitulé Une façon d’aimer (toujours dans la dernière sélection du Goncourt), qui tente de comprendre pourquoi ce coup de foudre, évident, n’a pas eu de suite.

Car à cette époque, rares étaient les épouses qui osaient tromper leur mari.
Alors Yves se contentera d’une cour assidue et respectueuse, Madeleine profitera de quelques moments en sa compagnie, mais au final la passion ne sera pas au rendez-vous. Un roman nostalgique sur les relations entre hommes et femmes. L’occasion aussi de faire revivre les colonies françaises dans leur crépuscule.

Amour compliqué d’un côté, amour simple et linéaire de l’autre. François Bégaudeau, en signant L’amour (présent dans la seconde sélection du Renaudot), court roman percutant, a voulu raconter une histoire qui arrive à des milliers de Français chaque année, et ce depuis presque la nuit des temps. Un homme, une femme, une rencontre, une union et une vie passée à se côtoyer, pour le meilleur comme le pire. Jacques Moreau séduit Jeanne au début des années 70.
Après quelques baisers furtifs au cours des fêtes de village, ils passent aux choses sérieuses dans la chambre de l’hôtel où travaille, de nuit, Jeanne. Enceinte, elle décide de se marier avec Jacques

. Ce dernier est tout content. Et c’est parti pour cinquante ans de vie commune racontée avec humour et lucidité par un François Bégaudeau toujours aussi parfait quand il faut décrire la vie simple des gens d’aujourd’hui.
On rit des manies de Jeanne et des défauts de Jacques. Eux, font des efforts pour les supporter. Et finalement sont heureux dans leur vie que certains qualifieraient d’étriqué, mais qui est en réalité pleine et épanouissante. Il y aura des crises, des remises en question mais ils seront ensemble jusqu’au bout.
L’émotion fait une arrivée remarquée dans la dernière partie du roman, quand seule la mort parvient à les séparer temporairement. Juste temporairement.

« Une façon d’aimer » de Dominique Barbéris, Gallimard, 208 pages, 19,50 €
« L’amour » de François Bégaudeau, Verticales, 92 pages, 14,50 €

 

mardi 18 novembre 2014

Livre : La révélation du plaisir

De l'enfant innocent à l'adulte manipulateur, Ismaël Jude retrace dans « Dancing with myself » toute l'éducation sensuelle et sexuelle d'un garçon d'aujourd'hui.

ismael jude, verticalesChaque homme, chaque femme, découvre de façon différente les tourments de la sexualité. Ismaël Jude, dans son premier roman, s'intéresse à la naissance de ce trouble dans l'enfance. Le narrateur, un jeune enfant d'à peine dix ans, joue encore aux cow-boys et aux indiens dans sa province reculée. Ses parents tiennent une discothèque, un dancing exactement, lieu de débauche pour les « ploucs » des environs. Un jour, c'est l'effervescence au village et à la discothèque. Bella Gigi, strip-teaseuse parisienne est en représentation. Pour l'enfant, ce n'est qu'une femme comme une autre. Certes elle sent meilleur et a de plus gros lolos, mais c'est une femme. Sa différence tient au fait qu'elle « montre sa chatte » comme le fait remarquer un client et des copains de classe. Et l'enfant de s'imaginer un animal dressé qu'elle exhibe devant les hommes.
Le premier roman d'Ismaël Jude débute donc par un terrible malentendu. Trop jeune, trop tendre, le narrateur est encore insensible aux charmes du sexe dit faible. Ensuite vient l'adolescence et les nuits plus agitées. Il partage sa chambre avec sa cousine de trois ans plus âgée. Toujours attiré par ces mystères féminins, il tente de l'apercevoir nue dans la salle de bain. Il découvre l'excitation, l'érection, la masturbation.

Voyeur assumé
Ce qui n'est qu'un jeu innocent d'enfant, devient beaucoup plus malsain quand il atteint l'âge adulte et rejoint Paris pour ses études. Il ne cherche pas à conquérir les jeunes étudiantes, se contente de les observer à la dérobée, de saisir les fugaces images de cuisses qui se découvrent, d'une bretelle de soutien-gorge ou du blanc d'une petite culotte. Il a 18 ans et se voit ainsi : « Tout ce qui intéresse le coureur de jupons m'indiffère : arracher un baiser, ramener une femme chez moi, attirer son regard, son attention. Ma pratique consiste bien au contraire à ne pas l'attirer du tout afin de jouir en contrebande. J'aime les femmes à leur insu. C'est peu dire que je me complais dans cet anonymat, l'anonymat est une condition nécessaire à la survie de mon espèce paradoxale. Moins elles me remarquent, plus je jouis. »
Entre voyeur et exhibitionniste, il n'y a souvent qu'une mince frontière. La dérive va aller en s'accentuant, le texte d'Ismaël Jude passant, de chapitre en chapitre, de roman d'éducation à brûlot pornographique. La rencontre d'un autre étudiant, adeptes de soirées bisexuelles, va changer la donne. Tout en entretenant sa perversion de voyeur exhibitionniste, il accepte de franchir le pas et de donner du plaisir à ses partenaires qui deviennent multiples et variées.
On ne sait pas exactement où l'auteur veut conduire son héros et les derniers chapitres sont parfois difficilement supportables par leur crudité et hardiesse. Mais paradoxalement c'est la touche finale essentielle et nécessaire au simple portrait d'un mâle du siècle.

« Dancing with myself », Ismaël Jude, Verticales, 16,50 euros