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samedi 15 mars 2025

Polar - « Python » piquant sous la plume de Sébastien Gendron

Ce roman intitulé « Python » est le second de la série de Sébastien Gendron modestement baptisée  « Le grand livre des animaux ». Après le chevreuil, vision hallucinée de la campagne française, place à ce python venu semer le trouble dans le lotissement trop calme d'une ville moyenne française. Le serpent ne fait que de la figuration, le centre de l'attention est occupé par Constance, mère d'Hippolyte, 5 ans. Le portrait en miniature de son père, un sale con puissance mille. Constance n'en peut plus. Elle envisage de disparaître, abandonnant sa famille pour se cacher en Inde. Mais comme c'est Sébastien Gendron qui est aux manettes, tout dérape très vite. Un dentiste est assassiné, le mari de Constance meurt d'un AVC, un drôle d'ouvrier transforme une piscine en bunker... Un roman noir d'une méchanceté absolue, du pur esprit Hara-Kiri : bête et méchant. Assez jouissif aussi pour le lecteur qui s'ennuie dans son quotidien morne.

« Python » de Sébastien Gendron, Gallimard, 336 pages, 20 €

jeudi 13 mars 2025

Récit - Jean-Noël Pancrazi pleure sa sœur


Retour à Perpignan pour Jean-Noël Pancrazi. L'écrivain semble inexorablement attiré par la ville de son enfance. Cette fois il quitte Paris pour soutenir sa sœur, Isabelle, qu'il aime tant. Elle a préféré rester dans la région et vit toujours au Moulin-à-Vent. Mais plus pour longtemps : un cancer est en train de tuer à petit feu. 

Ce sont ces derniers instants, dans la dignité et la force, que l'écrivain couche sur le papier. Il se souvient de leur enfance en Algérie, des combats de sa sœur, de sa vie si active dans le département. Cela donne quelques jolis passages sur la vitalité du cinéma Castillet, « le plus beau cinéma d'art et d'essai dont la programmation l'emportait sur tous les autres » ou les rencontres littéraires organisées dans la nouvelle librairie de Port-Vendres. 

Un texte tendre et charnel, universel face à la mort. 

« Quand s'arrêtent les larmes », Jean-Noël Pancrazi, 128 pages, 17 €

samedi 8 mars 2025

BD - La vie continue pour les deux soeurs en galère

Un récit solaire, malgré la misère, les difficultés et les incompréhensions. Sylvain Bordesoules, après le très remarqué L'été des charognes, revient dans un roman graphique tiré de son propre vécu. Mélissa et Candice sont soeurs. Deux Niçoises en galère. La première, la plus jeune, est au chômage. Habituée des petits boulots dans les grandes enseignes discount de banlieue, elle reste rarement en place. Présentement, elle profite de ses indemnités chômage. Après quelques copains de très mauvais conseils, elle a eu le coup, de foudre pour Press, une collègue de travail. Elles vivent ensemble. Discrètement. Dans un petit studio avec deux chats. La grande ville du Sud n'est pas la plus gayfriendly de la région... 

Sa soeur, Candice, l'aînée, a vite quitté sa mère et le beau-père. Un petit copain et elle tombe enceinte. Alors elle l'épouse, a un autre enfant et finalement le quitte. Seule dans son petit appartement, elle élève ses deux gosses tout en travaillant dans une crèche. Ménage et cuisine. Deux fortes personnes directement inspirées de l'entourage de l'auteur. Mais lui a quitté Nice et ce milieu populaire. Il en raconte la simplicité. Les difficultés aussi. 

C'est très réaliste, servi par des planches en couleurs où les teintes éclatantes jurent avec la grisaille et la tristesse du quotidien. Certes il fait beau à Nice, mais vivre à côté de la mer ne sert à rien si on a des difficultés à payer son essence ou la cantine des enfants. Radiographie crue et sans tabou d'une certaine France de la périphérie, Azur Asphalte se lit comme on regarde un reportage de Strip-tease, le côté voyeurisme en moins et un gros supplément d'âme pour faire passer le tout.  

"Azur asphalte", Gallimard, 168 pages, 24 €

lundi 17 février 2025

Polar - Kalmann, simple d'esprit à la vie compliquée

Kalmann, pêcheur de requin dans un petit village du nord de l’Islande, a un léger handicap mental. Il voit la vie comme un enfant de 8 ans. Il est au centre de deux polars signés Joachim B. Schmidt, romancier allemand vivant à Reykjavik. 


Étonnant héros que ce Kalmann Odinsson, pêcheur de requin et aussi surnommé « shérif de Raufarhöfn », petit port dans le nord de la froide et glaciale Islande. Kalmann a commencé sa carrière de personnage principal dans le roman Kalmann, paru en 2023 et récemment repris au format poche dans la collection Folio policier. Kalmann de retour, toujours sous la plume de Joachim B. Schmidt, dans un second volume, suite directe du premier, intitulé Kalmann et la montagne endormie.
La principale originalité de Kalmann, c’est qu’il est atteint d’un léger handicap mental. Même s’il a 34 ans et qu’il vit seul dans sa petite maison héritée de son grand-père, Kalmann a des réactions d’un enfant de 8 ans. Il adore manger des hamburgers, engloutir des céréales au chocolat, regarder les émissions drôles à la télévision. Sa mère a quitté le village. Quant au père, c’est un mystère. Kalmann sait simplement que c’est un militaire américain qui a quitté précipitamment l’île glacée avec femme et enfants quand il a appris que sa maîtresse locale était enceinte. Il a juste laissé en héritage à ce fils qu’il n’a rencontré qu’une fois, un chapeau de cowboy, une étoile de shérif et un pistolet Mauser. La panoplie que Kalmann aime arborer quand il se promène dans le village, exactement comme s’il patrouillait pour protéger les habitants.


Un héros handicapé, c’est peu banal. Un handicapé qui raconte l’histoire à la première personne, c’est encore plus étonnant. Et assez déconcertant au début. Pourtant on se fait rapidement à ce raisonnement forcément un peu limité mais souvent plein de bon sens. Kalmann est un doux, un gentil garçon. Mais qui n’aime pas être contredit. Il peut alors entrer dans une colère noire.
Le premier roman est centré autour de la découverte par notre shérif en herbe d’une mare de sang dans la neige. Or, l’homme le plus riche du village, Robert, a disparu. Pas de corps, juste du sang. La police enquête, les sauveteurs cherchent et Kalmann élabore une théorie : Robert a sans doute été attaqué par un ours polaire venu à la nage depuis le Groenland.

Le second roman débute par l’interrogatoire de Kalmann par le FBI. Notre héros est à Washington et a été arrêté près de la Maison Blanche. Comment le shérif est il arrivé aux USA ? Quel rôle joue son père ? Une seconde partie un peu plus complexe, mais toujours racontée par cet esprit simple, dans une langue qui longtemps va résonner dans la mémoire du lecteur et lui permet d’avoir une vision très différente du quotidien de certains handicapés mentaux.

« Kalmann et la montagne endormie », Joachim B. Schmidt, La Noire - Gallimard, 320 pages, 22 €
« Kalmann », Folio policier, 368 pages, 9,50 €

jeudi 30 janvier 2025

Roman français - « Ta promesse » : d’un bel amour à une fin tragique

L’amour rend aveugle. Et un peu naïve dans le cas de la narratrice de ce roman de Camille Laurens. Jusqu’à ce que les grandes promesses du début volent en éclat avec pertes et fracas.


Claire Lancel, le personnage principal de ce roman signé Camille Laurens, est son double de fiction. D’autofiction exactement. Il y a un peu de sa vie. Et des gros morceaux totalement imaginaires. Cette romancière, a toujours tissé son œuvre littéraire autour de sa propre existence. On peut donc lire ce livre en essayant de démêler le vrai du faux. Mais le mieux est de s’y plonger en se persuadant que rien n’est vrai, que la vie ne peut pas être aussi forte, puissante et dévastatrice que cette histoire d’amour, de coup de foudre, qui finit mal.

Claire Lancel, romancière reconnue, vivant de sa plume, est triste. Seule, la cinquantaine. Quand elle accepte d’aller, sur l’insistance de sa meilleure amie à une soirée, un 31 décembre, elle ne se doute pas qu’elle va y retrouver le metteur en scène Gilles Fabian. Un bel homme, à l’écoute, intelligent. Elle va le séduire (ou l’inverse…) et débute alors une romance sans nuage. Le pire qui peut lui arriver car « on n’écrit pas sur le bonheur. La seule matière de la littérature, c’est le chagrin. Ou la passion, ce qui revient au même au bout d’un moment. »

Construit comme un thriller qui dévoile lentement l’horreur de la situation (gendarmes, avocats, prison, procès), Ta promesse va crescendo dans la tension entre ces deux que tout attire. Claire est amoureuse. Gilles est heureux avec elle. Mais que cache cette trop belle harmonie, cette dolce vita en bord de mer Méditerranée, à l’ombre d’un mimosa en fleurs ?

La romancière va finalement se découvrir dans le pire des rôles, celui de la femme manipulée, trompée, abusée. Jusqu’à l’apparition de la violence, du sang… Un paradoxe qu’elle tente de comprendre : « Quand elle détruit, elle désire encore. En se vengeant, elle continue d’aimer. » Un bel amour, une fin tragique, un roman fort et prenant.

« Ta promesse », Camille Laurens, Gallimard, 364 pages, 22,50 €

lundi 13 janvier 2025

Cinéma – Le scénario commenté du film « Anatomie d’une chute »

Palme d’or à Cannes et surtout Oscar du meilleur scénario cette année, le film « Anatomie d’une chute » de Justine Triet est à redécouvrir dans sa version écrite. La publication du scénario original réjouira les cinéphiles.

D’autant qu’en plus du texte original, on peut découvrir des explications des deux auteurs ainsi que des passages non tournés ou non retenus dans le montage final.

Outre un riche cahier photo du tournage en fin d’ouvrage, vous pourrez découvrir le fac-similé du scénario d’Arthur Hariri orné de dessins réalisés durant les réunions de préparation. Une véritable leçon de cinéma.

« Anatomie d’une chute, scénario commenté », Gallimard, 320 pages, 25 €

dimanche 5 janvier 2025

Littérature – Quelques grands romans à redécouvrir dans des versions festives

Rééditions de prestige pour des romans d’anthologie. La fin de l'année est  aussi l’occasion de redécouvrir des histoires intemporelles qui ont marqué leur époque.


Sorti en 1984, Talisman de Stephen King et Peter Straub fait partie de ces grands romans fantastiques dont le héros, Jack Sawyer, gamin de 12 ans, devient un ami intime tant on vibre à ses aventures à la recherche du Talisman dans les Territoires pour sauver sa mère, malade.

Au début des années 80, Stephen King est déjà très célèbre. Peter Straub, dans un genre encore plus horrifique, est lui aussi considéré comme un grand romancier. L’envie de collaborer est immédiate et la trame du roman est trouvée dans un kebab londonien. C’est Stephen King lui-même qui l’affirme dans l’interview qui précède le roman dans cette très belle réédition chez Albin Michel (800 pages, 29,90 €). Raconte comment ils ont écrit à tour de rôle les chapitres, se les envoyant par modem (internet n’existait pas encore) par-dessus l’Atlantique.

Le texte final est d’une grande fluidité, une quête regorgeant d’inventions et d’épreuves.


Autre style littéraire avec le recueil de romans de Patrick Modiano intitulé Paris des jours et des nuits, paru chez Gallimard dans la toujours très élégante collection Quarto (1 020 pages, 27 €). Cette édition, réalisée par l’auteur, reprend de façon chronologique une dizaine de romans parus entre 1982 (De si braves garçons) et 2019 (Encre sympathique). 

Leur point commun : Paris, la ville que Patrick Modiano a sillonné depuis des décennies en long, en large et en travers, y puisant son inspiration.

Le Prix Nobel de littérature en 2014 propose en début de volume des photographies des divers lieux que l’on croise dans ses romans, des abattoirs de Vaugirard à la gare Saint-Lazare en passant par le bal de La Marine ou les Tuileries.



Classique un peu oublié de la littérature française, La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils est de nouveau disponible chez Calman-Lévy (240 pages, 25 €) dans une édition collector, couverture cartonnée avec préface de Claude Schopp. Inspirée de sa propre liaison avec Marie Duplessis, cette dramatique histoire d’une femme qui se sacrifie par amour a été adaptée au théâtre.

On peut notamment découvrir la scène finale au début du film Sarah Bernhardt, la Divine, actuellement au cinéma, interprétée par une Sandrine Kiberlain possédée par son personnage. Une tirade inoubliable de la belle Marguerite : « J’ai toussé et craché le sang toute la nuit. Aujourd’hui je ne peux plus parler, à peine si je peux remuer les bras. Mon Dieu ! Mon Dieu ! je vais mourir. Je m’y attendais, mais je ne puis me faire à l’idée de souffrir plus que je ne souffre, et si… » Un des sommets du romantisme.

samedi 4 janvier 2025

De la poésie - Rimbaud est vivant


Si la poésie de Rimbaud a traversé les siècles, son image est rare. Un portrait du poète à 17 ans est le plus connu. C’est s’appuyant sur ce visage que Luc Loiseaux a fabriqué des photos d’époque de Rimbaud. Des clichés criants de vérité pour raconter les cinq ans de créativité intense, de 1870 à 1875.

On a droit au jeune Rimbaud en pleine fugue avec un sac à dos, allongé dans un lit d’hôpital, s’enivrant avec Verlaine, joyeux dans des cafés où l’alcool coule à flots. Un texte enrichi de poèmes et citations pour mieux comprendre l’évolution de son œuvre. Un beau livre utilisant intelligemment les technologies modernes.
« Rimbaud est vivant » de Luc Loiseaux, Gallimard, 272 pages (100 illustrations), 39 €

mercredi 25 décembre 2024

Un beau livre – Planètes dans les mondes de la science-fiction



Ouvrir un livre, encore plus un beau livre richement illustré, c’est l’assurance de voyager. Dans le cas précis de Planètes de Renaud Jesionek, c’est un périple de plusieurs milliards de kilomètres qui est proposé avec l’exploration des planètes dans les mondes de la science-fiction. 

Des chapitres courts, des éclairages scientifiques ou romanesques, une iconographie recherchée : ce livre est renversant. De la Terre à la Lune en passant par le système solaire, les planètes désertes ou recouvertes de zones urbaines, c’est tout l’espace qui est à votre portée.
« Planètes, Voyage dans les mondes de la science-fiction », Renaud Jesionek, Hoëbeke, 168 pages, 30 €

lundi 23 décembre 2024

Un beau livre - Le portrait de Dorian Gray


Benjamin Lacombe, illustrateur de plus en plus coté, inaugure la nouvelle collection de beaux livres de chez Gallimard. Papillon Noir propose de grands textes de la littérature fantastique richement illustrés dans des albums à la facture soignée. Le chef-d’œuvre d’Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray, devient encore plus obsédant avec les tableaux signés Benjamin Lacombe. 

De plus le texte proposé (traduction de Jean Gattégno), est la version non censurée conforme au manuscrit de l’auteur. Dans la même collection, découvrez Les sorcières de Venise, roman écrit par Sébastien Perez et illustré par Marco Mazzoni (27 €)

« Le portrait de Dorian Gray », Oscar Wilde et Benjamin Lacombe, Gallimard, 256 pages, 35 €

jeudi 19 décembre 2024

Roman - Petites contrariétés fatales dans "Fort Alamo", roman de Fabrice Caro

On est souvent confronté à des situations du quotidien énervantes. Problème, le personnage imaginé par Fabrice Caro dans « Fort Alamo » tue les malotrus qui l’insupportent. 


Les histoires sorties de l’imagination de Fabrice Caro, auteur de Montpellier connu également pour ses BD signées Fabcaro, semblent au début des anecdotes d’un quotidien tout ce qu’il y a de plus banal. Dans Fort Alamo, on suit les déambulations et réflexions de Cyril, simple professeur, marié, deux enfants. Un Français moyen dans toute sa splendeur. Aimant les habitudes, un peu râleur. De ces hommes ou femmes trop bien élevés pour les nouveaux codes de notre société.

Dans les premières pages, il fait ses courses dans un supermarché. Une fois son chariot rempli, il fait la queue. Et sans coup férir, se fait doubler par un inconnu faisant mine de ne pas l’avoir vu. Un peu contrarié le Cyril. Énervé même. S’il osait, il lui dirait ses quatre vérités. Voire un peu plus. De vilaines pensées qui semblent s’exaucer quand le malotru s’écroule en sortant du magasin. Un malaise qui provoque panique chez les employés et fuite de Cyril, mal à l’aise, comme s’il était indirectement le responsable.

Le lendemain, il découvre que l’homme qui l’a doublé à la caisse est mort, foudroyé par un AVC. Le doute commence à le submerger. D’autant que quelques jours plus tard, après une prise de bec avec la proviseur adjointe, cette dernière tombe raide morte dans la salle des profs. Et le soir, en regagnant son petit pavillon, Cyril, excédé par les aboiements du chien des voisins, lui lance un caillou. Il le touche à la cuisse et l’animal s’écroule, muet pour l’éternité.

En quelques pages, Fabrice Caro transforme ce quotidien morne et aseptisé en terreau fertile d’une intrigue presque fantastique. Cyril a-t-il des superpouvoirs ? Pourra-t-il bientôt se fabriquer un costume de « Super-AVC-man » ? Encore faudrait-il qu’il maîtrise son don. Car trop souvent il se retrouve dans des situations où son exaspération atteint des sommets.

Comme cette rencontre dans un grand magasin, quelques jours avant Noël, alors qu’il tente de trouver une idée originale de cadeau pour sa belle-sœur qu’il exècre (il craint d’ailleurs qu’elle ne termine pas le repas de fêtes vivante). Un autre client, smartphone à l’oreille, parle fort avec son interlocuteur. Sans gène. Et Cyril de regretter ces mauvaises manières : « Les boutiques s’ajoutaient à tous ces lieux publics que l’être humain avait fini par rendre infréquentables par sa seule présence, les trains, les salles de cinéma, les rues. Les gens se croyaient dans leur salon partout où ils allaient. Le portable avait abattu les cloisons de l’intime, qui s’était vulgairement déversé dans l’espace public, de sorte que tout lieu était devenu invivable. » Invivable pour Cyril, mortel pour les importuns qui se trouvaient à proximité…

Sous couvert de raconter les affres du quotidien, Fabrice Caro dresse le portrait d’un homme qui, comme l’auteur certainement, se pose trop de questions. Il est dans une mauvaise passe. Persuadé d’être dangereux, il se recroqueville. Encore plus quand sa femme pense qu’il débloque et qu’on apprend qu’il a récemment perdu sa mère. Ce Fort Alamo de Fabrice Caro semble en réalité la description d’une certaine folie ordinaire qui nous menace insidieusement.

« Fort Alamo » de Fabrice Caro, Gallimard, 180 pages, 19,50 € (« Journal d’un scénario » vient de sortir en poche chez Folio)

lundi 2 décembre 2024

Polar - « LEO », le casse du millénaire en Afrique du Sud

Griessel et Cupido, les deux policiers sud-africains préférés de Deon Meyer s’attaquent à forte partie : des soldats reconvertis dans le braquage.


Rien de tel qu’un bon polar pour découvrir les mœurs de certains pays étrangers. L’Islande n’a plus de secrets pour les fans d’Erlendur et l’Afrique du Sud devient familière pour les lecteurs des enquêtes de Griesel et Cupido, policiers imaginés par Deon Meyer.

Le nouveau roman de cet auteur au style aussi direct qu’efficace, raconte deux histoires en parallèle. D’un côté on retrouve le quotidien de ce duo de flics, beaucoup trop honnêtes pour un pays gangrené par la corruption. Ils ont payé leur zèle en quittant le service d’élite des Hawks pour un commissariat traitant des crimes de la vie quotidienne. Voilà comment ils se retrouvent à constater le décès d’une cycliste dans un parc. Simple chute, attaque d’un animal ou agression ? Malgré leur spleen, ils vont faire leur boulot au mieux et découvrir que derrière cette mort banale se trouve un homme mystérieux, ancien des forces armées devenu mercenaire.
Mercenaires, c’est en faisant ce travail peu recommandable que plusieurs anciens commandos se sont connus. Ils sont sur un gros coup. Très gros. Énorme. Ils ont appris que dans un entrepôt anonyme bien caché dorment des millions de dollars et plusieurs tonnes d’or. Le casse du siècle, presque du millénaire, seconde partie du roman. On en suit les préparatifs par l’intermédiaire de Chrissie Jaeger, blonde athlétique, fille de la brousse, aimant défier les animaux sauvages, notamment les lions.
Avec une science de la narration absolue, Deon Meyer raconte, heure par heure, les préparatifs du casse (il y en a deux en réalité…) et comment les deux policiers mis sur la touche, vont finalement être sollicités pour faire tomber, non pas les braqueurs, mais les propriétaires (et surtout voleurs) de ces milliards spoliés au peuple sud-africain. Un polar, de l’action et pas mal de politique sur les trésors volés de ce pauvre continent africain, du Nord au Sud.
« LEO » de Deon Meyer, Série Noire - Gallimard, 622 pages, 23 €

vendredi 15 novembre 2024

Des poèmes : Paul Eluard illustré par Kiki Smith


Superbe objet que ce livre d’art réunissant les poèmes de Paul Eluard et des œuvres de Kiki Smith. Un must pour les amateurs de poésie et d’art contemporain, parfait présent à glisser dans les cadeaux de fin d’année.
Paru initialement en 1929, ce recueil de poésie connaît donc une seconde jeunesse grâce aux illustrations de l’artiste américaine Kiki Smith.

Celle qui a pour credo « Soyons attentifs à la nature », propose des œuvres protéiformes donnant encore plus de profondeur aux mots du poète.
« L’amour la poésie », Paul Eluard et Kiki Smith, Gallimard, 176 pages, 45 €

dimanche 29 septembre 2024

Rentrée littéraire - « Berlin pour elles » : l’amitié contre la dictature

Dans la partie soviétique de Berlin, de 1967 à 1988, Hannah et Judith survivent grâce à une amitié indestructible. Pour son second roman, Benjamin de Laforcade touche au cœur. 

Elles se rencontrent dans un terrain vague à Berlin-Est, pas loin de ce mur qui coupe la ville en deux. Judith et Hannah ont 6 ans en cette année 1967.

Une blonde et une brune qui dès le premier regard ont senti cette connexion. « Judith a les yeux noirs, Hannah les paupières roses. Elles se fixent sans rien dire, elles sont comme pétrifiées. […] Hannah et Judith se laissent aspirer par ce qui naît entre elles. En silence, elles se racontent la joie, la curiosité, la timidité, l’envie de rire et l’envie de jouer. »

Pour son second roman, Benjamin de Laforcade, jeune écrivain français vivant à Berlin, utilise sa plume pour se glisser dans la peau de ces deux gamines. Il va les suivre jusqu’à l’âge adulte, en 1988, racontant ainsi les années noires de la RDA, le moment où l’État totalitaire et dictatorial a cédé face aux envies de liberté. Les deux héroïnes ne participent pas directement aux événements historiques.

Mais leurs vies, leurs amours, en sont profondément impactées. Judith est la fille d’un responsable de la Stasi, la police politique qui a mis en place un impitoyable système de surveillance des concitoyens. Tout le monde est suspect, tout le monde peut dénoncer son voisin. Hannah vient d’un milieu plus modeste, travailleur. Sa mère ne voulait pas s’encombrer d’un mari.

Un collègue s’est dévoué, depuis elle élève seule sa fille, courageusement. D’autres personnages jouent un rôle dans la vie de Judith et Hannah : Michael le jeune frère de Judith, un pasteur dissident ou Karl, petite frappe profitant du système pour faire régner la terreur.

Au présent, sans fioritures, ce texte raconte le réel étouffant de la vie à Berlin-Est, quand la liberté était à quelques mètres… derrière le mur.

« Berlin pour elles » de Benjamin de Laforcade, Gallimard, 208 pages, 19,50 €

jeudi 5 septembre 2024

Rentrée littéraire - Le retour de Coué


Simple petit pharmacien de province, il est devenu en quelques années une véritable célébrité mondiale. En 1923, quand il arrive à New York, la foule et la presse américaine l’accueillent comme une star. Quel incroyable destin que celui d’Émile Coué, fils de cheminot, devenu l’inventeur d’une méthode pour aller mieux, pour retrouver santé et joie de vivre.

Aujourd’hui, la méthode Coué est au mieux moquée, au pire décriée. Pourtant ce n’est que du bon sens, de l’autosuggestion, les premiers principes de développement personnel.

Étienne Kern, romancier, a plongé dans les archives pour retracer ce parcours atypique. Un roman comme une enquête, plus qu’une biographie, une analyse de personnalité. Doublée d’une réflexion sur la perte, l’oubli. Écrit dans une rare économie d’effets, ce texte acéré fait la genèse des recherches du pharmacien utopiste, des premières séances d’hypnose au texte ultime, « ce qui ne sera pas une technique parmi d’autres, pas un traitement, mais une méthode, LA Méthode, la sienne. »

A-t-il guéri des milliers de patients ? Ou leur a-t-il fait croire qu’ils allaient mieux ? L’auteur ne répond pas. Personne n’a la réponse. Il reste juste des hommes et des femmes qui y croient. Aujourd’hui encore.
« La vie meilleure » d’Étienne Kern, Gallimard, 192 pages, 19,50 €

mercredi 21 août 2024

Rentrée littéraire - Le Havre, ville grise de Maylis de Kerangal


Récit du souvenir, de l’abandon de l’enfance puis de la maturité, Jour de ressac de Maylis de Kerangal, sous couvert d’une pseudo-enquête policière, explore les indices oubliés dans les recoins de notre mémoire. Pour la narratrice, doubleuse de films, ses premières années sont associées à la ville du Havre.

Après ses études, elle a fondé une famille à Paris, coupé tout contact avec la cité détruite à la fin de la seconde guerre mondiale. Elle est cependant contrainte d’y retourner, convoquée par la police « pour vous entendre dans le cadre d’une affaire vous concernant ». Énigmatique, ce rendez-vous va pousser la jeune femme dans ses derniers retranchements.

Un homme, assassiné, a été retrouvé en bord de mer. Rien pour l’identifier. Juste un papier avec son numéro de téléphone griffonné dessus. Ce texte, foisonnant, au style si riche, typique de cette romancière souvent primée, est peuplé des souvenirs de l’ancienne havraise. Quand elle faisait un exposé avec une copine sur les rescapés du bombardement, son premier amour avec un marin, disparu à la fin de l’été du côté du Canada, ses déambulations le long des quais, rêvant d’ailleurs, d’une vie différente.

Le portrait d’une femme actuelle et d’une ville grise depuis sa renaissance.
« Jour de Ressac » de Maylis de Kerangal, Verticales, 250 pages, 21 €

lundi 19 août 2024

Roman noir – Madagascar, la mort en rouge


Antonin Varenne fait partie de ces romanciers qui ont beaucoup voyagé avant de se lancer dans l’écriture. Mexique, Islande. Dans des emplois exotiques comme alpiniste de bâtiment. Son dernier roman noir, La piste du vieil homme se déroule à Madagascar. Une île encore pauvre et sauvage.

Le narrateur, Simon, septuagénaire, vivote en proposant des circuits de découverte en buggy à des touristes occidentaux. Il a longtemps été entrepreneur en France. Spécialiste en faillite. Sa maigre retraite lui permet de vivre presque dans l’opulence dans ce pays corrompu où le salaire minimum est ridiculement bas. Il doit cependant tout plaquer pour tenter de retrouver son fils Guillaume, 40 ans, perdu de vue depuis des années et qui serait actuellement au fin fond de la brousse.

On accompagne Simon au volant de son buggy jaune rafistolé sur les routes défoncées, avec des dealers et des voleurs de zébus aux trousses, ayant pour seule passagère une bonne sœur qui arrive au bout du rouleau (ou aux portes du Paradis selon ses croyances).

C’est violent et désespéré. Comme cette réflexion de Simon : « Maintenant que je suis vieux, je sais pourquoi l’avenir m’inquiète de moins en moins : parce qu’il y en a de moins en moins. »

« La piste du vieil homme », Gallimard, 240 pages, 18 €

Roman français - Le « manque » perpignanais de Jean-Noël Pancrazi


L’arrivée des rapatriés d’Algérie est une étape importante dans l’histoire de la région. Beaucoup de romanciers (ou de cinéastes) ont profité de cette matière pour signer des œuvres importantes. Dans Les années manquantes qui viennent de sortir en poche, Jean-Noël Pancrazi rajoute une bonne dose d’autobiographie.

Il raconte Perpignan et ce Roussillon que le jeune Algérien découvre, contraint et forcé dans les années 60. Il a rebaptisé ces souvenirs Les années manquantes, comme s’il avait en partie cessé d’exister durant cette période bouleversée. Dans ces années 60, les parents du petit Jean-Noël, après avoir quitté l’Algérie, décident d’y retourner. Mais par prudence décident de laisser leur fils en métropole.

Pas dans la famille corse du père mais celle, catalane, de la mère. Jean- Noël découvre alors l’immense et silencieuse maison de sa grand-mère Joséphine. À Thuir, pas loin de cet asile des fous qui va marquer la famille. La première partie du roman est un long portrait de Joséphine, femme très pieuse, comme figée dans un passé, incapable d’aimer ce petit-fils. Un second traumatisme associé à ce département : le divorce de ses parents.

Ce livre, à l’écriture fulgurante, prouve que les pires épreuves peuvent se transformer en œuvre d’art.

« Les années manquantes », Folio, 128 pages, 6,90 €

mercredi 24 juillet 2024

Premier roman - « Une fille du Sud » et de Perpignan

Portraits de femmes du Pays Catalan dans ce premier roman de Juliette Granier. Une jeune fille sauvage, sa mère soumise et la terrible grand-mère qui règne en maître sur le domaine viticole.  

Juliette Granier fait partie des femmes surdouées. Pianiste de renom, compositrice, elle est également animatrice radio en Suisse, originaire des Pyrénées-Orientales, elle vient de publier son premier roman. Directement chez Gallimard. Une surdouée on vous dit. Impression confirmée à la lecture de ces pages brûlées par le soleil du Sud ou figées dans le froid glacial de la tramontane. Le parcours d’une jeune femme, ballottée entre une mère éteinte et une grand-mère autoritaire avec en arrière-plan de sinistres secrets de famille et la vie d’une propriété viticole dans le Pays Catalan.

Comme dans tout premier roman qui se respecte, Juliette Granier a mis un peu de son propre parcours de vie dans Une fille du Sud. On devine beaucoup de sincérité quand elle décrit la vie étudiante à Perpignan. Également quand son héroïne, Catalina Magne, atomise la ville. « J’avais d’abord appris à abhorrer cette ville. Tour à tour, son nom me semblait fantastiquement ridicule, cocasse, les sonorités même, Perpignan, nasillardes et puériles. On ne pouvait pas prendre un « perpignan » au sérieux. » Et de regretter un peu plus loin « Notre accent devenait ridicule quand nous tentions d’être empathiques ; pour créer notre légende nous n’étions pas crédibles. »

Si l’autrice semble avoir fait sa vie d’adulte ailleurs, le personnage du roman nuance quand même son jugement excessivement sévère : « D’autres fois, cependant, le soleil soulevait des vapeurs désirables, odeur de café torréfié, vent lointain chargé des senteurs de la mer, essences aromatiques de la Méditerranée. Il me semblait que l’avenir y était possible. » Pour compléter décor, le traditionnel passage, assez poétique, sur le vent « qui me rend folle » : « Les pins sifflent, les rafales battent l’herbe, tout n’est que vert, ou brun sourd. Le vent vide la nature de ses habitants, menus oiseaux, légers insectes. »

On retrouve dans le roman ce Pays Catalan, rude, authentique, si différent des autres régions de France et même du sud méditerranéen. Reste l’intrigue. Elle est déclinée chronologiquement. Catalina, encore enfant, se souvient du mariage de Ferran, son cousin et d’Olivia. Ferran, le chasseur, le mâle alpha de la famille. Outrageusement favorisé par Avia, la grand-mère, la propriétaire du mas, au détriment de sa fille, la mère de Catalina. Un chasseur, harceleur, macho… violeur. Catalina aime cette vie au grand air, dans les vignes.

Mais elle apprécie encore plus de lire, au calme. Premières amours au lycée, amitiés fortes à la fac : Une fille du Sud prend des airs de roman d’apprentissage. Catalina découvre d’autres milieux, des façons différentes de penser, comprend mieux sa mère, déteste de plus en plus la grand-mère, craint Ferran, toujours à préparer un mauvais coup. Un pur roman dans sa dernière partie, car si Juliette Granier a puisé dans ses souvenirs pour donner des accents de vérité à son texte, elle boucle son récit de façon tout à fait inattendue.


« Une fille du Sud » de Juliette Granier, Gallimard, 192 pages, 19 €

lundi 17 juin 2024

Littérature italienne - « Les règles du mikado » pour apprendre à vivre caché

Un homme, une femme, la montagne. L’écrivain italien Erri De Luca va au plus simple dans ce roman, sorte de conte philosophique au ton doux-amer. 

Certains jeux de société sont parfaits pour comprendre la vie en société. Les échecs sont les plus connus. Pourtant, selon Erri De Luca, on est mieux préparé si on intègre parfaitement les règles du mikado. Loin d’être un simple jeu d’adresse, il faut en réalité anticiper et se cacher pour être celui qui, au final, enlèvera le bâton noir.

Avant de jouer, les deux personnages de ce roman vont apprendre à se connaître. Il y a un vieil homme, un ancien horloger, très riche, qui passe ses nuits sous une simple tente plantée dans la montagne italienne, à quelques encablures de la frontière. Une nuit, une jeune femme pénètre dans la tente. Pour se cacher. C’est une gitane. Elle craint sa famille. Les policiers aussi. Comme deux animaux sauvages, ils vont se renifler longuement, presque s’apprivoiser l’un l’autre.

Composée essentiellement de dialogues, cette première partie est percutante. La fille fuit un mariage arrangé. L’homme, qui est lui-même originaire de l’Europe de l’Est, lui explique qu’elle a choisi l’exil. « J’ai choisi de ne pas me marier » explique-t-elle. «Le reste, je ne choisis pas, je l’affronte. Le monde est vaste et je trouverai bien un endroit. » Le vieux va secourir la jeune. Comme un éternel recommencement car ce n’est pas la première personne que l’ancien horloger aide dans la montagne. On apprendra pourquoi dans la dernière partie du roman. Et alors les règles du mikado deviendront limpides pour le lecteur. La finalité des parties. Pourquoi le vieillard est si bon, pourquoi il décide, du jour au lendemain de ne plus jouer, de léguer les bâtons à la jeune gitane en cavale.

Un roman qui fait du bien en ces temps troubles où rares sont ceux qui ont un idéal. Encore moins ceux qui osent aller vers les inconnus. Avec, disséminés entre les scènes, quelques vérités comme cette constatation de l’horloger : « J’ai plus d’années que de kilos. Les vieux doivent être légers » ou celle très actuelle : « La guerre anéantit, dévore, et une fois commencé elle n’a besoin d’aucune cause. »

« Les règles du mikado » d’Erri De Luca, Gallimard, 160 pages, 18 €