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lundi 19 août 2024

Roman français - Le « manque » perpignanais de Jean-Noël Pancrazi


L’arrivée des rapatriés d’Algérie est une étape importante dans l’histoire de la région. Beaucoup de romanciers (ou de cinéastes) ont profité de cette matière pour signer des œuvres importantes. Dans Les années manquantes qui viennent de sortir en poche, Jean-Noël Pancrazi rajoute une bonne dose d’autobiographie.

Il raconte Perpignan et ce Roussillon que le jeune Algérien découvre, contraint et forcé dans les années 60. Il a rebaptisé ces souvenirs Les années manquantes, comme s’il avait en partie cessé d’exister durant cette période bouleversée. Dans ces années 60, les parents du petit Jean-Noël, après avoir quitté l’Algérie, décident d’y retourner. Mais par prudence décident de laisser leur fils en métropole.

Pas dans la famille corse du père mais celle, catalane, de la mère. Jean- Noël découvre alors l’immense et silencieuse maison de sa grand-mère Joséphine. À Thuir, pas loin de cet asile des fous qui va marquer la famille. La première partie du roman est un long portrait de Joséphine, femme très pieuse, comme figée dans un passé, incapable d’aimer ce petit-fils. Un second traumatisme associé à ce département : le divorce de ses parents.

Ce livre, à l’écriture fulgurante, prouve que les pires épreuves peuvent se transformer en œuvre d’art.

« Les années manquantes », Folio, 128 pages, 6,90 €

vendredi 17 novembre 2023

Cinéma - La nostalgie touchante du “Petit blond de la Casbah”

La reconstitution des derniers mois de la présence de la famille d’Alexandre Arcady à Alger, peu avant l’indépendance, raconte avec nostalgie le drame de tous les pieds-Noirs, notamment de la communauté juive.


Quand il reparle de l’immeuble de la rue du Lézard au cœur de la Casbah d’Alger, on sent une pointe d’émotion dans la voix d’Alexandre Arcady. Malgré le livre et le film, Le petit blond de la Casbah, qui raconte comment sa famille a fui face à la pression des attentats, une partie du gamin est restée dans l’appartement et les parties communes de ce bâtiment accueillant plusieurs familles de différentes origines. « Au 7 rue du Lézard, c’était la convivialité absolue, explique-t-il. Les portes étaient toujours ouvertes, on n’avait pas besoin d’invitation pour aller chez les uns ou chez les autres. Et les fêtes religieuses étaient les fêtes pour tout le monde. Mais ce n’était pas idyllique pour autant. Les communautés étaient cloisonnées, même si tous parlaient la même langue, l’arabe. »

Une entente cordiale racontée dans un film touchant, sensible et bourré de nostalgie. Antoine (Léo Campion), découvre le cinéma et décide à 10 ans qu’il en fera son métier. Il vit avec sa mère (Marie Gillain), sensible, attentive, parfois un peu trop protectrice, son père (Christian Berkel), ancien légionnaire, droit, rigide, désargenté et ses quatre frères. Il croise au quotidien Nicole (Iman Perez), jeune Algérienne adoptée par une cartomancienne, ses oncles et tantes plus ou moins fortunés et honnêtes (Pascal Elbé, Dany Brillant, Judith El Zein) et sa grand-mère Lisa, la mémoire algérienne de la famille, de l’immeuble, interprétée par un incroyable Jean Benguigui qui n’en est pas à son coup d’essai. Alexandre Arcady a pensé à lui en se souvenant d’un spectacle où il endossait les habits de sa mère et sa grand-mère pour raconter, déjà, l’Algérie d’antan.

Mais le véritable personnage principal du film reste la ville d’Alger. Reconstituée à l’identique des années 60, puis au début des années 2000, quand Alexandre Arcady est retourné de l’autre côté de la Grande Bleue pour présenter son film Là-bas mon pays, la ville bouillonne, resplendit, lumineuse et ensoleillée, culturelle et animée.

C’est ce Paradis perdu qu’Alexandre Arcady a voulu retrouver et offrir aux autres rapatriés, déracinés souvent inconsolables, en le reconstituant sur pellicule. Une nostalgie enfantine qui fait fi des décennies et de cette frontière de plus en plus infranchissable qu’est la Méditerranée.

Film d’Alexandre Arcady avec Léo Campion, Marie Gillain, Christian Berkel, Patrick Mille, Dany Brillant, Pascal Elbé, Jean Benguigui, Iman Perez

 

jeudi 9 novembre 2023

BD - Bourdieu et l’Algérie


Si Pierre Bourdieu a longtemps animé la vie intellectuelle française, le grand sociologue a perdu de son aura en ce XXIe siècle de plus en plus violent et religieux. Pourtant on aurait aimé avoir son avis sur les derniers événements actuels, tant en Ukraine qu’au Proche-Orient. Faute d’être du présent, Bourdieu revient sur le devant de la scène grâce à cette grosse BD très documentée sur ses années algériennes.

Jeune étudiant, il est mobilisé à la fin des années 50 pour « maintenir l’ordre » en Algérie. Quel sera son rôle exact au sein de la propagande de l’armée française ? Pas de réponse faute d’archives. Par contre la suite de son engagement est connue et marque le début de ses travaux de recherches en sociologie. Il décide d’aller enseigner à l’université d’Alger, un des rares Occidentaux à ne faire aucune différence entre étudiants pieds-noirs et musulmans. C’est au cours de ces années qu’il tombera amoureux de ce pays et nouera de nombreux liens d’amitié avec des intellectuels locaux, souvent actifs dans le processus de l’indépendance.

Pascal Génot a longuement enquêté sur place, rencontrant des survivants de cette période troublée. Il retrace ces années algériennes mais explique aussi l’origine de la sociologie, et raconte l’Algérie des années noires et d’aujourd’hui. Le tout dessiné par Olivier Thomas alternant images d’archives et vues sublimes de ce pays aux décors lumineux et d’une grande beauté.

Une somme, parfois un peu trop complexe, mais qui éclaire le lecteur sur le fondement de la pensée de Bourdieu et aussi l’histoire, passée et actuelle, de ce pays toujours en devenir qu’est l’Algérie.

« Bourdieu, une enquête algérienne », Steinkis, 256 pages, 24 €

samedi 29 octobre 2022

Cinéma - “Les Harkis” abandonnés

Le film historique de Philippe Faucon aborde, avec une précision glaciale et très réaliste, le sort des harkis, supplétifs de l’armée française durant la guerre d’Algérie.


Un film choral, car au lieu de s’attacher à donner la vision d’un « héros » ou personnage principal, Philippe Faucon raconte les trois dernières années d’une harka, ces brigades chargées de traquer les indépendantistes. Parmi la douzaine de combattants, l’un s’engage juste pour subvenir aux besoins de sa famille, un autre pour venger son frère, exécuté par le FLN, un troisième, car il a craqué sous la torture. Il a dénoncé ses camarades indépendantistes et n’a pas d’autre choix que de passer dans le camp de la France.

Ils sont sous la responsabilité de sous-officiers français, souvent très jeunes, parfois très près de leurs préoccupations. C’est le cas du lieutenant Pascal (Théo Cholbi). Il s’appuie sur ces hommes qui connaissent parfaitement le terrain. La harka sillonne les montagnes de l’arrière-pays, cherchant les unités du FLN, des « résistants », ne peut penser parfois le lieutenant Pascal, trop souvent conscient qu’il fait partie du mauvais camp. Notamment quand il doit couvrir des interrogatoires où la torture est la seule technique utilisée. 

Quand les premières rumeurs du départ de la France d’Algérie bruissent, les harkis sont inquiets. Cet abandon est l’objet du dernier tiers du film, sans doute le plus poignant, car il exprime ce sentiment de trahison. Toujours avec une précision chirurgicale, le réalisateur montre l’abandon des supplétifs par l’armée française, le dévouement de certains sous-officiers (dont le lieutenant Pascal), risquant leur carrière pour tenter de sauver leurs hommes. Il n’est pas montré l’exil de certains vers la métropole, mais c’est une autre histoire qui nous touche directement dans la région.

Film de Philippe Faucon avec Théo Cholbi, Mohamed El Amine Mouffok, Pierre Lottin


jeudi 27 octobre 2022

DVD - L’Algérie des “frères blessés”


La guerre d’Algérie et ses horreurs. Un conflit atroce encore dans bien des mémoires, même si certains épisodes ont été plus oubliés que d’autres. Le parcours de Fernand Iveton est au centre de ce film militant de Hélier Cisterne. De nos frères blessés, adapté du roman de Joseph Andras (Actes Sud), raconte la détermination d’un jeune militant communiste, d’origine européenne, mais né à Alger et solidaire de la lutte pour l’indépendance. 

Pour atténuer la dureté du récit, le réalisateur l’humanise avec la rencontre et le coup de foudre pour Hélène (Vicky Krieps), mère célibataire polonaise réfugiée en France pour fuir le régime communiste. Des moments de joie, de bonheur, d’équilibre, qui ne durent pas. Une fois de retour à Alger, avec sa femme et son fils adoptif, Fernand Iveton, tout en travaillant comme ouvrier dans une usine, milite au parti communiste algérien et, rapidement, décide d’aider les insurgés. Malgré les craintes de son épouse, il décide de passer à l’action. Il place dans un local désaffecté de son entreprise une bombe qui doit exploser une fois le personnel parti. Mais l’engin est découvert et Fernand arrêté. 

Torture et justice expéditive

Le film se transforme, alors, en réquisitoire contre les mesures d’exception décrétées par l’État français à l’époque et appliquées avec zèle par la police, l’armée et la justice. Torturé, Fernand avoue. Traduit devant un tribunal militaire, il est condamné à mort après un simulacre de procès. Il a encore l’espoir d’être gracié, car il n’a pas de sang sur les mains. Mais le garde des Sceaux de l’époque, François Mitterrand, émet un avis négatif. Fernand sera guillotiné moins de trois mois plus tard. D’une rare efficacité dans sa construction, De nos frères blessés, plus que la dénonciation des exactions de l’État français de l’époque, est un vibrant plaidoyer contre la peine de mort.

Film franco-algérien de Hélier Cisterne avec Vincent Lacoste, Vicky Krieps, Jules Langlade

 

mercredi 23 mars 2022

Cinéma - L’Algérie des “frères blessés”

Fernand Iveton (Vincent Lacoste), Algérien avant tout. Les Films du Belier/Laurent Thurin-Nal

La guerre d’Algérie et ses horreurs. Un conflit atroce encore dans bien des mémoires, même si certains épisodes ont été plus oubliés que d’autres. Le parcours de Fernand Iveton est au centre de ce film militant de Hélier Cisterne. De nos frères blessés, adapté du roman de Joseph Andras (Actes Sud), raconte la détermination d’un jeune militant communiste, d’origine européenne, mais né à Alger et solidaire de la lutte pour l’indépendance. 

Pour atténuer la dureté du récit, le réalisateur l’humanise avec la rencontre et le coup de foudre pour Hélène (Vicky Krieps), mère célibataire polonaise réfugiée en France pour fuir le régime communiste. Des moments de joie, de bonheur, d’équilibre, qui ne durent pas. Une fois de retour à Alger, avec sa femme et son fils adoptif, Fernand Iveton, tout en travaillant comme ouvrier dans une usine, milite au parti communiste algérien et, rapidement, décide d’aider les insurgés. Malgré les craintes de son épouse, il décide de passer à l’action. Il place dans un local désaffecté de son entreprise une bombe qui doit exploser une fois le personnel parti. Mais l’engin est découvert et Fernand arrêté. 

Torture et justice expéditive

Le film se transforme, alors, en réquisitoire contre les mesures d’exception décrétées par l’État français à l’époque et appliquées avec zèle par la police, l’armée et la justice. Torturé, Fernand avoue. Traduit devant un tribunal militaire, il est condamné à mort après un simulacre de procès. Il a encore l’espoir d’être gracié, car il n’a pas de sang sur les mains. Mais le garde des Sceaux de l’époque, François Mitterrand, émet un avis négatif. Fernand sera guillotiné moins de trois mois plus tard. D’une rare efficacité dans sa construction, De nos frères blessés, plus que la dénonciation des exactions de l’État français de l’époque, est un vibrant plaidoyer contre la peine de mort.

Film franco-algérien de Hélier Cisterne avec Vincent Lacoste, Vicky Krieps, Jules Langlade




jeudi 31 mars 2016

Cinéma : La glissade de "Good luck Algeria"

good, luck, algeria, gastambide, bentoumi, ski, jeux olympiques, algérie
Tiré d'une histoire vraie, le film de Farid Bentoumi avec Sami Bouajila raconte l'incroyable épopée d'un Algérien pour se qualifier aux Jeux olympiques d'hiver en ski de fond.



Parfois, les meilleurs sujets de films se trouvent à notre porte. Quand Farid Bentoumi, jeune cinéaste d'origine algérienne, veut se lancer dans la réalisation de son premier long-métrage de fiction, il ressort l'incroyable aventure vécue par son propre frère quelques années auparavant. En 2006, Noureddine Maurice Bentoumi a participé aux Jeux olympiques de Turin sous la bannière algérienne. Ce skieur de fond, loin d'avoir les performances de Martin Fourcade, a pourtant suscité intérêt médiatique et enthousiasme national pour sa performance. Car avant de s'élancer sur la piste italienne, il a dû lutter pour réaliser les minima lui ouvrant les portes de l'Olympe. Le film de Farid Bentoumi va un peu plus loin. Outre le portrait de cette famille d'immigrés encore partagée entre nouvelle vie en France et reste de la famille, il y met une bonne dose d'économie avec à la base la volonté d'une petite PME française de sauver son activité.
Stéphane (Franck Gastambide), ancien champion de ski de fond français, a créé sa propre marque de matériel. Du haut de gamme, fabriqué avec soin par des professionnels. À la tête de l'entreprise, Samir (Sami Bouajila), un ingénieur, fils d'émigré algérien. Après quelques années florissantes, la crise et la concurrence obligent la petite société à voir plus grand. Ils signent un contrat de sponsoring avec un skieur suédois. À la clé des médailles aux prochains JO et une sacrée publicité. Poussé par sa fédération, le champion revient sur sa signature. À terme, c'est la faillite de la boîte.
Neige et oliviers
Stéphane a alors l'idée de trouver un remplaçant. Ce sera Samir. Pour la bonne et simple raison qu'il est Algérien et qu'il pourra représenter son pays. Avec une belle histoire en plus à raconter par les médias. Samir, acculé, accepte et se lance dans un entraînement effréné. Mais le chemin est long avant d'atteindre les minima imposés.
Un peu trop linéaire et classique, le film se déroule entre superbes paysages enneigés des Alpes et champs d'oliviers en Algérie. Car Samir, pour obtenir l'aval de sa fédération doit se rendre en Algérie. Il y retrouvera ses cousins, restés au bled pour vivre simplement de la culture des oliviers. Un choc de civilisation qui constitue le véritable intérêt du film. Entre cette société ancestrale et le jeune chef d'entreprise beaucoup plus Français qu'Algérien, c'est rapidement l'incompréhension. Au final on se retrouve face à un "feel good movie" un peu trop aseptisé.
Par manque de temps, le réalisateur fait l'impasse sur certaines problématiques qui auraient mérité plus de profondeur comme la corruption en Algérie ou la condition des femmes. L'émotion est quand même au rendez-vous, avec quelques rires grâce à Franck Gastambide et Bouchakor Chakor Djaltia, l'interprète de Kader, le père de Samir, toujours entre naïveté et tendresse.
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Franck Gastambide : un acteur est né

good, luck, algeria, gastambide, bentoumi, ski, jeux olympiques, algérieDans le second rôle du film de Farid Bentoumi, on retrouve Franck Gastambide, un chauve qui va faire de plus en plus parler de lui. Étonnant parcours de ce natif de Melun, dont la formation de base est le dressage de chiens. Il découvre le milieu du cinéma sur le tournage des "Rivières pourpres". Enthousiaste, il devient un professionnel recherché. Et petit à petit il va quitter sa spécialisation pour faire l'acteur. Ce sera l'aventure du "Kaïra Shopping" pour Canal + en 2009 transformé en film qui fera près d'un million d'entrées en 2012.
Devenu comédien à temps complet, il se risque dans des rôles plus dramatiques comme pour "Enragés" et "Made in France" ou comique dans "Good Luck Algeria". Surtout, il récidive à la réalisation. Mais sans ses potes Kaïras cette fois, en tournant "Pattaya". Une comédie complètement barrée à base de boxe thaïe et de nains. Il écrit, réalise et interprète le premier rôle du film phénomène de ce printemps. Un banlieusard amateur de musculation pour ressembler à... Vin Diesel. Un énorme éclat de rire, toujours à l'affiche et qui remplit les salles (1,7 million d'entrées en quatre semaines d'exploitation...).
Après ce carton au box-office, il faudra désormais compter avec cet acteur et ce metteur en scène passionné.

jeudi 19 février 2015

BD - Retour aux sources pour les descendants de pieds-noirs


Fille de pied-noir. Longtemps Olivia Burton a souffert de cette étiquette forcément péjorative dans la bouche de ses amis, plutôt urbains et de gauche. Ce passé, elle a préféré l'oublier, l'occulter. Mais il refait surface dès qu'elle se retrouve en famille et à la mort de sa grand-mère, l'envie de retourner sur la terre des ses ancêtres est plus forte que la peur de se retrouver dans une zone désertique et peu sûre. En 2011 elle prend l'avion et avec pour seul bagage une adresse et un contact, va découvrir un pays qui saura la séduire car il est « beau comme l'Amérique ». 
Olivia Burton a mis sur papier ce périple et c'est Mahi Grand qui s'est chargé de l'illustrer, d'un trait simple en noir et blanc, hormis les reproductions de quelques photos aux couleurs si vivantes. Mais là où le récit devient passionnant, c'est quand Olivia doit composer avec son guide, un Algérien, lui aussi déraciné car vivant en France depuis des décennies. Deux parcours, deux découvertes pour une relation qui fait des étincelles mais apporte tout son sel au voyage. Une très belle BD, entre éducation politique et douce nostalgie.  

« L'Algérie c'est beau comme l'Amérique », Steinkis, 20 €

jeudi 29 janvier 2015

Cinéma : Michel et Mylène à la campagne dans "Les nuits d'été"

Michel, respectable notaire de province, devient le week-end Mylène, la travestie, dans sa maison de campagne. « Les nuits d'été » de Mario Fanfani offre un rôle en or à Guillaume de Tonquédec.


Une maison perdue dans les forêts des Vosges. Derrière les fenêtres, des hommes se réunissent. Ils sont tous habillés en femmes. À la fin des années 1950, dans cette province totalement oubliée par l’évolution des mœurs, ils n’ont pas d’autre solution que de se cacher pour assumer leur différence. Mario Fanfani signe avec « Les nuits d’été » un film à l’ambiance trouble, où les apparences sont trompeuses, les pulsions fortes et les envies tenaces. Une ode à la liberté, à l’amour et la transgression. On en ressort bouleversé et forcément plus compréhensif face à des êtres écorchés vifs, stigmatisés bien qu’ils ne fassent de mal à personne.

Vivons heureux, vivons cachés
Mylène est une bourgeoise chic. Tailleur parfaitement coupé, talons aiguilles, permanente et maquillage soignés, elle est assise sur un canapé, les mains sur les genoux, le buste droit, la poitrine mise en valeur. Mylène veut être parfaite. Comme si elle passait un examen devant son amie Flavia. Et puis Mylène s’énerve, perd sa voix haut perchée, retrouve son ton grave. Michel (Guillaume de Tonquédec) reprend le dessus. Flavia s’efface elle aussi pour redevenir Jean-Marie (Nicolas Bouchaud). Dans cette maison de campagne perdue dans les sombres forêts des Vosges, deux hommes, deux amis, tentent de vivre leur différence le temps d’un week-end. Michel est notaire. Marié à Hélène (Jeanne Balibar), père d’un petit garçon qu’il adore, il se travestit chaque week-end en compagnie de cet artisan tailleur, connu lors de la dernière guerre.
L’idée de ce film est venue à Mario Fanfani en feuilletant un livre de photo américain. Des clichés pris dans la « Casa Susanna », une villa de campagne du New Jersey. Sur ces images, sans le moindre commentaire, des hommes effectuent des activités telles que prendre le thé, faire du jardinage ou jouer au Scrabble. Tous déguisés en femmes, en parfaites ménagères... « Ces photos très denses et romanesques m’ont inspiré, confie le réalisateur. Je les ai beaucoup regardées, elles sont restées près de moi. Ces hommes font des gestes de transgression. Pour l’époque, ils étaient très en avance. Mais aussi en retard car ils se transforment en femmes très traditionnelles. » Cette ambiance il l’a recréée dans cette France de province prise dans le carcan du Gaullisme. Il ajoute à son intrigue les débuts de la prise de conscience contre la guerre d’Algérie. Jeanne, la bourgeoise cloîtrée dans son intérieur cossu, est la plus politisée. Elle dénonce l’envoi d’appelés se faire tuer pour une terre qui n’est pas la France. En écho, Jean-Marie recueille Pascal, surnommé Chérubin, jeune appelé qui préfère déserter.
Le film alterne trois ambiances. L’intérieur bourgeois du couple Michel et Hélène, la salle enfumée d’une boîte de nuit où des travestis chantent en play-back pour les soldats français et américains (l’action se déroule en Alsace) et la maison de campagne, rebaptisée « Villa Mimi » par la petite bande. Paradoxalement, si dans les deux premiers lieux on a en permanence l’impression que chacun joue un rôle, le naturel, le vrai, est évident quand ils se retrouvent tous ensemble loin des jugements de notre société. Un film vivifiant, joyeux et dramatique à la fois, où chacun trouve des clés pour explorer les parts cachées de sa personnalité.
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De Tonquédec, « un acteur bosseur »


Pour mener à bien son projet, Mario Fanfani ne devait pas se tromper dans son casting. Si plusieurs des travestis dans les seconds rôles sont des amis du réalisateur, le rôle-titre revient à Guillaume de Tonquédec que l’on n’attend pas dans ce genre de composition. Acteur de théâtre, il a acquis une réelle notoriété en endossant depuis quelques années le costume de Renaud Lepic. Pourtant, le réalisateur ne le connaissait pas avant le casting. « Je n’ai pas la télévision. Plusieurs acteurs pressentis ont décliné le rôle. Lui avait une réelle envie de le faire. Guillaume est un acteur très bosseur, à l’américaine. Il n’hésite pas à prendre du temps pour travailler le personnage. » Et d’expliquer qu’il a répété d’autres rôles « en portant un corset destiné à lui modifier la taille ». Chez lui « il portait des talons aiguilles devant sa femme de ménage... » Son rôle de metteur en scène a surtout consisté à « assurer la direction physique des comédiens ». Ils ont dû apprendre à marcher avec des chaussures de femmes. « Chacun a fabriqué son propre personnage. Ils ont choisi vêtements et perruques ». À l’arrivée, le spectateur oublie rapidement le sexe des uns et des autres. Homme ou femme ? Simplement des personnages, avec leurs qualités et leurs défauts. Et au final Mario Fanfani est très fier d’avoir réalisé un film universel qui raconte simplement « l’histoire d’un couple pas comme les autres ».

mercredi 14 janvier 2015

Cinéma - Les débuts d'une longue guerre dans "Loin des hommes"

L'Algérie du milieu des années 50 est sur le point de basculer dans une guerre qui ne veut pas dire son nom. « Loin des hommes » raconte comment la violence a gagné au milieu du désert.

Une école perdue dans une vallée de l'Atlas. Un bâtiment isolé, où l'instituteur est le seul lien avec cette France colonisatrice. Chaque matin quelques dizaines de gamins marchent sur de longues distances pour apprendre à lire et écrire. En 1954, ce havre de paix et de savoir est un peu à part. Il n'y a que des « indigènes » sur les bancs. A Alger, commence à se poser la question de maintenir cette structure. Radu (Viggo Mortensen), l'instituteur, vit tel un moine cette existence solitaire. Pour lui, seuls ses « enfants » comptent. Il reste persuadé qu'éduquer est la seule réponse à tous les problèmes actuels et futurs. Un point de vue peu partagé, tant par les colons que les premiers rebelles.

Le décor planté, David Oelhoffen, le scénariste et réalisateur de ce film, peut montrer la tension qui monte, inexorablement. Alors que les enfants égrennent le nom des fleuves français (la Garonne, la Loire, la Seine), le moindre bruit de sabots se transforme en danger. Les nouvelles ne sont pas bonnes. Les attentats se multiplient, les représailles de l'armée française aussi. Un matin, le gendarme arrive à l'école. Il tire un jeune paysan entravé, Mohammed (Reda Kateb). Il a tué son cousin. Une histoire de vol de grain. Le gendarme s'en désintéresse. Il doit vite retourner dans la vallée patrouiller. La menace se précise. Sa mission n'est que de remettre Mohammed à Radu mour qu'il le conduise à la grande ville où il sera jugé et très certainement condamné à mort. Radu refuse. Et se justifie : « Je suis instituteur ! » Le gendarme s'en moque, laisse le jeune arabe sur place et donne à Radu un révolver...

Mortelle tradition
« Loin des hommes » est une histoire de rencontre. La rencontre d'un occidental avec un quasi illétré. Un homme qui a foi en l'Humanité et un autre qui tente de respecter la tradition. En tuant son cousin, il sait qu'il doit payer de son sang son acte. S'il fuit, la vengeance se déplacera sur ses jeunes frères. Il a donc décidé de se livrer à la justice française. S'il est exécuté par la justice française, c'en sera terminé. S'il est tué par la famille du cousin, ses jeunes drères devront à leur tour le venger. Une spirale sans fin où la mort semble la seule solution. Radu va tenter de trouver une autre solution, un scé »nazrio qui épargnerait des vies. En fuite, dans les montagnes de l'Atlas si inhospitalières, Radu et Mohammed vont aller de danger en danger. La famille du paysan, puis les rebelles et aussi l'armée française. Le salut viendra, comme souvent dans l'Histoire de l'humanité, des femmes. Un message évident que ne renierait pas les libre-penseurs de Charlie Hebdo morts la semaine dernière. Un slogan qui devrait toujours être présent à l'esprit des combattants : « Faites l'amour, pas la guerre ».

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L'école peut-elle sauver le monde ?

Adapté d'une nouvelle d'Albert Camus, « Loin des hommes » met en scène un instituteur. Au début du film et à la fin, on le voit apprendre aux enfants, de petits bergers encore insouciants, à lire et écrire. Une arme redoutable. Comprendre, s'exprimer, raisonner, réfléchir...


Ce combat est beau. Mais on sait qu'il n'est pas suffisant. La suite des événements en Algérie ont prouvé que la connaissance est souvent balayée par un simple tir de fusil ou une rafale de kalachnikov. Ce travail d'éducation, partout, est toujours aussi important. Le personnage interprété par Viggo Mortensen est de ces héros discrets que l'on n'écoute pas assez au bon moment. Le réalisateur en a fait un écorché vif. Seul, il fait partie de ces fils de colons qui ont toujours vécu sur ces terres qu'ils ont fait fructifier. Mais il a aussi connu la face sombre des hommes. Quelques années auparavant, il était à la tête d'une brigade lancé dans la Libération de la France occupée par les nazis. Ses hommes étaient essentiellement des Arabes. Mais comme lui fait remarquer un ancien soldat, devenu rebelle pour libérer son propre pays, il est désormais du mauvais côté. Un paradoxe pour cet homme qui a choisi une troisième voie : l'éducation pour sauver le monde.








samedi 2 février 2013

Billet - C'est loin Angoulême ?


Une fois par an, la bande dessinée est omniprésente dans la presse. Le festival d'Angoulême fête son 40e anniversaire et permet à ce genre, souvent qualifié de mineur, de profiter d'une énorme exposition médiatique. La BD a longtemps été populaire grâce aux magazines spécialisés. Disparus aujourd'hui, le net prend le relais. Les sites se multiplient. Chacun avec sa spécialisation. Critique pour ActuaBD, collection pour BDGest, nostalgie pour BDOubliées... Et il ne s'agit que d'un tout petit échantillon.

Le numérique permet également de tester de nouveaux formats. Passionnante l'expérience diffusée hier soir sur Arte. Frank Chiche a réalisé une fiction sur la guerre d'Algérie. Il a filmé des acteurs puis numérisé les images pour donner une impression de dessin. Une version pour tablette, utilisant tous les codes de la BD, sera commercialisée sur la plate-forme Apple.

Qui parle de festival d'Angoulême signifie aussi foire aux dédicaces. Des centaines d'auteurs s'y retrouvent pour vous exécuter un joli dessin sur leur album. Cependant, certains rechignent de plus en plus à sacrifier à cet exercice. La faute aux profiteurs sans scrupules. L'encre à peine sèche, le dessin se retrouve en vente sur eBay, le site d'enchères en ligne.
On trouve par exemple des Marini ou des Guarnido à plus de 150 euros. Record pour un dessin (un gribouillis plus exactement) d'Astérix signé Uderzo : 850 euros...

Chronique "ÇA BRUISSE SUR LE NET" parue ce samedi en dernière page de l'Indépendant.

mercredi 6 mai 2009

BD - Oublier l'Algérie


Jacques Ferrandez avec cet album intitulé « Terre fatale » met un point final à sa série relatant la colonisation de l'Algérie. Un dernier épisode entre 1960 et 1962. Le héros, militaire dans l'armée française a préféré quitter l'institution en constatant que les politiques allaient gâcher l'unique chance de construire une Algérie unie et mélangée. 

Il retrouve la belle Samia, enceinte. Elle accouchera à Paris alors que lui mènera une dernière mission en territoire ennemi. Mais les extrémistes, dans les deux camps ont gagné. La dernière partie de l'album montre le départ des Pieds-Noirs avec l'image de sa mère, sur le quai, s'apprêtant à monter à bord du Ville de Marseille, se promettant de retourner, un jour, à Alger. 

Mais on connaît la fin de l'histoire pour ce million de déplacés...

« Carnets d'Orient » (tome 10), Casterman, 15 euros 

samedi 19 août 2006

BD - Jacques Ferrandez raconte des souvenirs algériens


Après l'exploration historique de la colonisation de l'Algérie, Jacques Ferrandez se penche sur la période encore très présente de la guerre d'indépendance. Ses "Carnets d'Orient" des années 50 prennent deux amants pour héros. D'un côté Samia, jeune médecin algérienne ayant choisi le camp des indépendantistes, de l'autre Octave, un jeune para de plus en plus dégoûté par les pratiques de l'armée française. Samia, suspectée d'avoir trahie, est enlevée par le FLN. Torturée, humiliée, elle sera libérée par Octave. Le couple tentera de trouver calme et oubli dans le Sud. Dans le massif du Djebel Amour, ils participeront activement aux SAS, les Sections administratives spécialisées. Le but est simple : donner une autre image de la France en éduquant et soignant les populations locales. Mais la guerre les rattrapera vite. Certains militaires français, pour affaiblir le FLN, tentent de monter les Kabyles contre les Arabes. Un bain de sang généralisé menace le pays. Avec une rigueur historique à toute épreuve, Jacques Ferrandez dit et dessine quelques vérités qui aujourd'hui encore ont un peu de mal à passer auprès de certains "anciens". (Casterman, 14,95 €)