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samedi 20 août 2022

Anticipation - La nouvelle menace

Et si dans un futur proche, la plus grande menace pour l’Humanité n’était plus le réchauffement climatique, la montée des intégrismes ou l’envolée des prix des carburants mais l’émergence des intelligences artificielles ? Dans Control, thriller de Singer et Cole, deux experts américains du sujet, on est plongé dans une Amérique qui n’a plus de travail. Les robots ont commencé par les tâches répétitives et compliquées, puis, plus leur intelligence et capacité d’apprendre progressaient, ils ont aussi remplacé des professionnels comme avocats, banquiers ou journalistes.

Lisa Keegan, ancienne Marine, agent du FBI, doit apprendre le métier de policier et d’enquêteur à une nouvelle recrue, TAMS. Un robot qui lui est 100 fois supérieur dans tous les domaines. Lisa et TAMS qui devront unir leurs forces pour déjouer un vaste complot ayant pour but d’éradiquer les intelligences artificielles.

Ce thriller, parfois un peu compliqué, où toutes les innovations sont référencées, fait parfois très peur. Car déjà, dans notre quotidien, les intelligences artificielles interviennent régulièrement, sans qu’on le sache.

« Control » de P. W. Singer et August Cole, Buchet-Chastel, 22,90 €

dimanche 14 octobre 2018

Livre - Anarchie, nom féminin

Si aujourd’hui l’anarchie est considérée comme une dérive politique dangereuse, essentiellement liée historiquement à des actions violentes, à l’origine cette façon de penser et de vivre en communauté était pacifique et séduisante.

Daniel de Roulet, écrivain suisse, a retrouvé dans les archives des traces de cette utopie si belle. Il raconte dans ce roman la vie de « Dix petites anarchistes ». Elles viennent toutes de Saint-Imier, petit bourg helvète où les habitants vivotent entre élevage et travail dans l’horlogerie de précision. Les mouvements ouvriers ont le vent en poupe. Avant que Marx n’impose sa vision du collectivisme anticapitaliste, d’autres prônent une autre voie : l’anarchisme. Les bourgeois et leur autorité, dans leur envie de maintenir leur pouvoir, ne font pas la différence et répriment sévèrement les deux camps.

Traversée avec Louise Michel  
Au point que dix jeunes femmes du village envisagent de créer une communauté anarchiste aux antipodes : en Patagonie. Du rêve à la réalité, ce sont ces aléas de la vie qui forment l’essentiel du roman battit comme le témoignage de la dernière survivante. Les deux premières petites anarchistes, parties en exploratrices, seront assassinées dans la ville chilienne de Talcahueno.

Cela ne décourage pas leurs amies qui prennent le bateau en France pour Punta Arenas. Le même qui conduit les condamnés communards dont Louise Michel, vers le bagne de Nouvelle-Calédonie. Elles partent à huit (avec une ribambelle d’enfants) mais n’arrivent qu’à sept, Émilie meurt en couches en pleine traversée. Durant dix ans elles vont survivre dans des conditions climatiques effroyables. Mais elles mettent leur projet en partie à exécution et gagnent suffisamment d’argent pour se lancer dans une seconde migration.

Elles comptent rejoindre l’île de Robinson Crusoé dans le Pacifique où s’épanouit une communauté anarchiste appelée « l’expérience ». C’est la partie la plus heureuse de ces vies même si ce n’est pas la plus importante du récit. «Difficile de raconter notre vie sur l’île : le bonheur se passe d’un récit, les anecdotes s’estompent ou deviennent ridicules quand le temps s’est écoulé ».

La fin du périple se passe en Argentine au début du XXe siècle. Les jeunes anarchistes, devenues vieilles militantes, croient toujours à leur rêve. Même si depuis les actions pacifiques de Saint-Imier, les faits ont donné raison aux tenants de la manière forte. Un témoignage important, prouvant que l’envie de liberté des femmes ne date pas de ces dernières décennies, bien au contraire. 

➤ «Dix petites anarchistes» de Daniel de Roulet, Buchet-Chastel, 14 €

mardi 4 septembre 2018

Rentrée littéraire - La grande désillusion de Philippe Ségur, alias "Le Chien Rouge"


Le narrateur a pour nom Peter Seurg. Il est prof de droit à l’université. Seurg, Ségur. La passerelle est évidente. Le romancier catalan a-t-il cédé aux sirènes de l’autofiction ? Dans un sens, oui, mais il va beaucoup plus loin. Il se met en scène, corps physique fatigué, mais surtout esprit bouillonnant, avide de découvertes nouvelles loin d’un monde du réel qui le désespère de plus en plus.

Dans la première partie, le prof, vivant retiré dans une masure dans la montagne catalane, constate avec amertume : «Nous étions quelques-uns encore auxquels on avait appris l’orthographe, le goût des livres, de la pensée, de la culture construite, du latin, du grec, et maintenant non seulement on nous expliquait que cela ne servait plus à rien, mais que nous étions devenus des fantômes qui se cherchaient entre eux dans les décombres invisibles aux nouveaux venus qui, à présent, menaient la ronde et joyeusement y dansaient. » Première partie clairement pessimiste. De quoi filer le bourdon à toute personne se targuant d’être un tant soi peu instruit, voire intello.

Dualité  
Alors que Seurg rejette de plus en plus sa vie mesurée de bourgeois universitaire, lors d’une expérience dans une fête de Burners près de Barcelone, une inconnue lui remet un texte intitulé « L’appel du Chien Rouge ».

Il se reconnaît comme s’il l’avait écrit. « Sur le tard, il avait réussi à publier des romans. Le Chien Rouge avait poussé son premier hurlement de liberté. Puis la bataille avait repris avec rage. L’homme contre l’animal, l’universitaire contre l’artiste, le bourgeois contre l’insurgé. » Qui va gagner ? A vous de faire votre idée avec une dernière partie où l’auteur, particulièrement en verve, pousse l’imaginaire loin, très loin.

Comme dans cette scène. Il se retrouve dans un amphithéâtre bondé d’étudiants en révolte. Seurg va en chaire et annonce à tous qu’il va leur faire passer l’oral. Avec un argument convaincant : un « SigSauer P226, calibre neuf millimètres » en main. Protestation d’un « colosse barbu». «Le savoir est sur internet maintenant. Le cours magistral, l’autorité du prof, c’est fini! » Et que fit Seurg d’après vous ? « Je l’abattis d’une balle dans la tête ». S’il y a des étudiants d’un certain Philippe Ségur qui lisent ces lignes, à l’avenir, méfiez-vous. 

« Le chien rouge » de Philippe Ségur, Buchet-Chastel, 17 €

vendredi 25 août 2017

Rentrée littéraire : Ras-le-bol urbain dans "La fuite" de Paul-Bernard Moracchini


Qui n’a pas rêvé un jour de tout plaquer et de fuir cette vie stressante moderne ? Oublier voiture, appartement, boulot, famille et se retirer tel un ermite au plus profond de la montagne. Le narrateur de ce premier roman de Paul-Bernard Moracchini a osé. On suit sa « Fuite » de la réalité insupportable. Son arrivée en train dans cette région reculée, qui a des airs de Pyrénées. Dans un bar de village, il croit de nouveau pouvoir supporter les gens. Erreur. « Plus je fuis et plus j’ai besoin de fuir plus loin encore. Mon seuil de tolérance envers mes semblables et au plus bas. Il ne s’agit plus de quitter le quotidien morne d’un carcan social, c’est au-delà...» Le récit se poursuit, raconte la progression dans la montagne, la forêt, pour rejoindre une cabane de chasseur perdue dans les bois.

Plus de présence humaine, juste un chien recueilli en chemin et la faune sauvage. Une thérapie efficace : « La boule de fiel qui roulait au creux de ma panse quelques semaines auparavant, se résorba. Je vivais en bon sauvage oublié de mondes que rien ne semblait vouloir me rappeler ». La suite est un peu plus compliquée. Vivre est aisé, survivre moins évident.

La solitude est aussi une épreuve qu’il est parfois difficile de surmonter sans tomber dans la folie. Un roman initiatique fort et prenant d’une voix survivaliste singulière. 

➤ « La fuite » de Paul-Bernard Moracchini, Buchet Chastel, 14 €

mardi 13 septembre 2016

Rentrée littéraire : "Le sanglier", symbole d'une journée de merde


Réveillés aux aurores, Christian et Carole vont vivre une véritable journée de merde. Ce samedi matin, ils doivent aller à la ville déposer un chèque et faire des courses. Un couple assez dépareillé, marqué par la vie. Christian, grand angoissé, travaille dans une scierie. Il habite dans une vieille bicoque loin, très loin d'un petit village. Carole a tout plaqué pour le retrouver. Avant tout le monde elle a senti venir la mode des vêtements vintage. Après achat dans des friperies, elle les "customise" et les vend sur le net. Ils ne roulent pas sur l'or, s'aiment tant bien que mal, et cette journée de merde ressemble en fait à toutes les autres. Myriam Chirousse (photo ci-dessus), dont c'est le troisième roman, s'approche d'un naturalisme extrême. Elle décrit la route sinueuse, les centres commerciaux sans personnalité et les angoisses du quotidien. Christian se sent agressé par l'extérieur. Carole au contraire est indifférente, persuadée que personne ne la remarque. Leur relation est résumée dans cette tirade de la jeune femme : "Dans le fond on est pareils. Peut-être qu'en apparence on ne le dirait pas, toi qui t'énerves et moi qui pleurniche, mais aucun n'arrive à se contrôler. Ça nous prend et on ne sait pas quoi faire. Mais faut qu'on essaie de se maîtriser, qu'on fasse un effort pour que ça ne se passe plus comme ça." Et pour terminer, un sanglier fera son apparition...
"Le sanglier" de Myriam Chirousse, Buchet-Chastel, 14 €.

mardi 23 février 2016

Roman : Du grand n'importe quoi à la grande œuvre

 Arthur, un personnage perdu dans les méandres de la création, est le « héros » de ce roman gigogne signé JM Erre.

erre, buchet-chastelAvez-vous parfois eu cette impression bizarre d'avoir déjà vécu un moment de votre vie ? Comme si le temps faisait des siennes, que vous vous retrouviez dans un paradoxe complet, à vous souvenir de quelque chose qui vient d'arriver ? Les cartésiens rient de ces balivernes. Lucas, le personnage principal du roman « Le grand n'importe quoi » de JM Erre est de ce genre. Il ne croit que ce qu'il voit. Et ne vit que dans l'instant présent. Pourtant...
Quand il décide d'aller avec sa fiancée dans un petit village de campagne à une fête organisée par le professeur de culturisme de cette dernière, il ne se doute pas que son existence, de tranquile, va complètement être chamboulée. En moins d'une minute. Exactement en plusieurs fois la même minute. Tout se dérègle ce 7 juin 2042 à 20 h 42. Arthur vient de se faire larguer par sa petite amie. Déguisé en Spiderman (la soirée était à thème), il erre sans voiture dans le rues du village quand il voit une soucoupe volante dans le jardin d'une ferme. La bâtisse appartient à un certain Alain Delon, membre du club de Homonymes anonymes. Alain Delon inconscient, enlevé par des aliens. La soirée avait débuté difficilement, elle continue encore plus bizarrement. Dans son errance, Lucas croise la route d'Arthur, écrivain raté de science-fiction, poursuivi par les culturistes de la fête après avoir tenté de violer (du moins c'est ce qu'ils croient) le sosie de Marilyn Monroe. Le duo va finalement échouer dans le bar joliment nommé « Le dernier bistrot avant la fin du monde ». Acculés, menacés, il tentent de fuir par derrière. Et alors arrive l'incroyable, Lucas se retrouve de nouveau à 20 h 42. En bond en arrière dans le temps que lui seul semble avoir conscience. Arthur ne le connait plus. Par contre les culturistes sont toujours à ses trousses. Et les aliens sont bien chez Alain Delon.

Tout s'explique
Complètement déjanté, ce roman, sorte de pastiche de science-fiction de gare agrémenté de quelques saillies sur la physique quantique et le devenir de la France, devenue à cette époque une colonie malgache, mérite parfaitement son titre. « Le grand n'importe quoi » c'est à chaque page, à chaque phrase. Pourtant il y a quelques onces de vérité et de raison dans ce roman, notamment quand Arthur, après avoir ouvert la porte à Marylin Monroe et qu'il est persuadé qu'elle vient de lui faire des avances clairement sexuelles, constate que « l'esprit humain, parmi tant- d'extraordinaires facultés, en possède deux particulièrement fascinantes : la capacité à gober n'importe quoi et l'autosatisfaction. » On croisera également un paysan à la gâchette facile, un illuminé (mais ne le sont-ils pas tous dans ce texte ?), une romantique et une maire légèrement nymphomane.
Une somme de délires à déguster sans à priori, tout en sachant qu'à la fin, JM Erre retombe sur ses pattes et donne une explication tout à fait crédible à l'ensemble des étrangetés énumérées précédemment. Bref, le grand n'importe quoi se transforme, à la dernière page, en grande œuvre.

« Le grand n'importe quoi » de JM Erre, Buchet Chastel,19 euros


lundi 11 janvier 2016

Livre : Quand le quotidien devient insupportable

Un notaire devient délinquant, un chanteur perd sa voix, un président s'émancipe. Petites rébellions du quotidien dans ce roman vif et incisif de Jean-Pierre Brouillaud.

brouillaud, petites rébellions, buchet-chastelChaque jour suffit sa peine. Surtout chaque jour ressemble au précédent et sera sans doute identique au suivant. On appelle cela le train-train, la routine... La plupart du temps on s'en contente. Au contraire, on peste quand le « prévu » ne se passe pas comme désiré. D'autres à l'opposé, rêvent d'inattendu, d'exceptionnel. Ce court roman de Jean-Pierre Brouillaud explore cette face aventureuse d'individus mal dans leur petite vie étriquée.
Premier à entrer en scène, Henri Brunovilliers. Ce notaire de 50 ans, a toujours été terne et effacé. Il n'a jamais rué dans les brancards. Pas de crise d'adolescence, de rejet des parents et autre transgression. Mais aujourd'hui, Henri a décidé de franchir le pas, de devenir un délinquant. Pour la première fois de sa vie il va être hors-la-loi. Dans ses rêves de grandeur il se voit tel un truand adulé des foules. En réalité il a simplement l'intention de prendre le métro sans acheter de ticket...
Avec gourmandise, l'auteur décrit le cheminement intellectuel tortueux de ce notaire, insoupçonnable, en train de frauder comme un vulgaire petit voyou de banlieue. Il mettra du temps à se décider. Oser affronter les regards, réussir à enjamber le tourniquet, sortir des griffes du portillon automatique. Mais il y arrive enfin et le voilà enfin primodélinquant : « avoir pour la première fois à cinquante ans passés, osé braver l'interdit; avoir pour la première fois, à cinquante ans passés , défié la toute puissance de la loi; avoir pour la première fois à cinquante ans passés, agi autrement que convenablement. Un voyage sans ticket, donc. Mais avec un supplément d'âme. » Henri jubile, puis déchante. Une fois dans la rame, personne ne fait la différence. A moins que des contrôleurs ne lui donnent l'occasion de clamer à la face du monde sa rébellion. Henri sert de fil rouge sur cette ligne de métro où il s'en passe de belles.

Le président et la conductrice
On croise également dans la rame une épouse qui s'affranchit enfin de son mari toxique et va assister, seule, au concert d'un chanteur de charme qu'elle adore et qu'il abhorre. Il y a aussi cette jeune femme qui décide, enfin de quitter son fiancé. Elle veut bien être sympa, mais elle ne supporte plus ses fautes dans les textos. Le « Bone journée bébé » reçu en début de matinée était de trop.
Il y a aussi le président de la République qui décide de se rapprocher du peuple et prend donc le métro. Incognito. Enfin presque... Sans oublier la conductrice du métro, Evelyne. Son rêve c'est de ne pas devoir freiner toute les deux minutes, de filer plein gaz sans se soucier des passagers, des arrêts. « Elle s'imagine qu'elle se dirige tout droit vers la mer, le soleil et la douceur de vivre. » C'est ça sa petite rébellion à elle.
Michel Litout
« Les petites rébellions » de Jean-Pierre Brouillaud, Buchet-Chastel, 14 €


mardi 5 janvier 2016

Livre : Unions saisonnières

blondel,mariage,saison,buchet-chastelCorentin aurait voulu être réalisateur de films. Un créateur. La vie en a décidé autrement. Le héros du roman de Jean-Philippe Blondel filme, certes, mais seulement des mariages. Il y trouve pourtant des similitudes avec le rôle d'un metteur en scène : « Remplacer la réalité par une fiction acceptable, qui petit à petit prendra le dessus et s'imposera – transformer le reportage doux-amer du quotidien en comédie romantique -, telle est la mission du vidéaste de mariage. Du sucre, du miel, de la chantilly. » Drôle de métier, de saison et qui concentre l'activité les week-ends. Pas de quoi s'épanouir dans sa vie privée. Corentin, chaque fin de semaine d'été assiste à l'apothéose de belles histoires d'amour alors que lui est incapable de retenir ses petites amies, lassées de passer des samedis soirs seules. Ce roman, tout en parlant en permanence de bonheur, est étrangement mélancolique, triste. La faute à Corentin, témoin par procuration de ces jolies histoires, parfois réelles, parfois simulées. Dans ses reportages, il a instauré, un peu comme dans les émissions de téléréalité, des séquences où les époux ont la possibilité de se confier face caméra. Corentin aime particulièrement ces monologues, au point qu'il espère les transformer en un court-métrage. « Dans une trentaine ou une quarantaine d'années, quand la fin du monde sera annoncée, il s'enfermera dans une petite pièce avec le montage des entretiens qu'il aura effectués. Ce sera son hommage à la vie. » La mélancolie va cependant laisser place à l'espoir, certaines confessions étant plus fortes que d'autres.
« Mariages de saison », Jean-Philippe Blondel, Buchet-Chastel, 14 euros


mardi 7 mai 2013

Roman - "Celle qui dort", conte revisité par Bernard Foglino

Une belle endormie, un écrivain célèbre, un nain taxidermiste, une forêt magique : le décor est planté pour ce roman de Bernard Foglino.

Les salons du livre en province en prennent pour leur grade dans ce roman de Bernard Foglino. Le romancier en fait une description assez sévère, mais juste. Le narrateur, un certain Cheval pour l'état-civil, Fabrice Della Torre pour ses nombreux lecteurs, regrette amèrement d'avoir accepté cette invitation. Une petite ville de l'Est de la France, entre friche industrielle et forêts de sapins. Le public se fait rare. Le bar attire plus de monde que les tables de dédicaces. Il doit côtoyer le concepteur des blagues Carambar qui a compilé ses meilleures trouvailles dans un volumineux bouquin. Mais est-ce moins talentueux que les romans qu'il pond chaque année ? Des best-sellers, écrits pour un public féminin avide de belles histoires et de l'inévitable happy-end. Cheval prend son mal en patience. Mais trépigne quand même dès le samedi en rêvant au train qui va le reconduire dimanche soir vers son duplex de Saint-Sulpice à Paris.

La femme de Walter
Il tente de se détacher du moment, d'occuper ses moments libres à relire son dernier manuscrit. Jusqu'à l'arrivée de Walter. Un lecteur pas comme les autres qui demande une dédicace au nom d'une certaine Blanche. Walter est « un nain avec une tête démesurée et un front comme une falaise. Surmonté d'une crinière rousse. » Cheval s'exécute, malgré son malaise grandissant. Le romancier a la phobie des nains. Une raison de plus pour jurer de ne jamais plus revenir dans cette petite ville sinistre.
Mais le dimanche, au bar, dès l'ouverture du salon, Walter est de retour. « Posé sur son tabouret comme le plus dodu des choux à la crème culmine sur sa pièce montée, Walter le nain le toisait avec un air d'évidente satisfaction. Cheval comprit que l'infirme s'était mis en quatre pour lui. Il portait un costume sinon bien coupé vu son contenu, du moins d'honnête qualité. Derrière l'eau de toilette dont il avait fait un usage généreux, rôdait une odeur de feuilles et de sous-bois. » Walter demande alors à Cheval de venir faire la lecture à sa femme. Elle dort en permanence et le nain est persuadé que la voix de l'auteur favori de Blanche la sortira de ce quasi coma.
Cheval refuse bien évidemment, toujours pressé de retourner à Paris. Mais un enchaînement de circonstances fait que l'écrivain va finalement se retrouver dans la petite maison perdue dans les forêts sombres à faire la lecture à une jeune fille « étendue sur une couche de nuages. » « Elle était fraîche, charmante, son sommeil, neuf. » « Elle semblait faire un rêve extrêmement satisfaisant, et très personnel, qui peignait son sourire d'une sorte d'approbation douce. » Comme envouté par « Celle qui dort », titre du roman, Della Torre restera bien plus longtemps que prévu au chevet de la jeune femme.
Cette ambiance de conte de fée va rapidement se transformer en cauchemar pour Cheval. Walter, taxidermiste virtuose, a l'art de faire peur. Même Belle devient inquiétante quand ses doigts se mettent à frémir. Le roman de Bernard Foglino prend une toute autre tournure, entre thriller et fantastique, prétexte à une réflexion sur la création et l'importance que peuvent prendre dans la vie d'un auteur ses personnages de papier.
Michel Litout
« Celle qui dort », Bernard Foglino, Buchet-Chastel, 14 €

mercredi 27 février 2013

Roman - La franchise selon Martin Martin

Et si tout le monde disait exactement ce qu'il pensait ? Du jour au lendemain, le monde se transforme et une vaste pétaudière totalement invivable.

Esclandre chez le boucher. Roland Quinzebilles, commerçant prévenant, demande des nouvelles de la bavette achetée la veille par Mme Buie, une « fidèle entre les fidèles ». « Dure comme de la pierre, immangeable presque. Comme d'habitude ! » lui répond dans les dents la mamie. La scène se déroule sous les yeux de Martin Martin, employé discret dans une maison d'édition. Martin découvre dans cet échange vif le premier indice qui fera que cette journée ne sera pas tout à fait comme les autres.

Avant de rejoindre son travail, Martin fait un détour par son garagiste, Corydon Aiglefine. La voiture est en révision. Il la récupère avec des injecteurs neufs. Et une explication du mécanicien pleine de franchise : « Ils marchaient très bien vos injecteurs, mais de toute façon vous allez pas vérifier, vous y connaissez que dalle. » Et de terminer sa tirade en se justifiant : « Que voulez-vous, quand on trouve un gogo on va pas se priver. » Plus de doute, il se passe quelque chose.

Martin Martin découvre que tout le monde, au lieu de se montrer aimable et diplomate, dit ses quatre vérités à ses proches. Il pourrait s'offusquer, crier au scandale, mais le héros imaginé par Jean-Pierre Brouillaud est un homme « que la perspective d'une querelle effrayait au-delà de tout ».

Trop gentil

Martin Martin est trop gentil. Beaucoup trop timide. Un modèle de personnage fade et effacé. Mais pas bête pour autant. Juste attaché à une certaine tranquillité. En ce jour exceptionnel ou la franchise est gratuite et à volonté, il va prendre quelques initiatives, chose qu'il évite habituellement avec une extrême habileté.

Employé par une fausse maison d'édition pour lire des manuscrits systématiquement acceptés (en échange d'une participation financière de l'auteur de quelques milliers d'euros...), il est marié à une artiste peintre. Martin trouve ses toiles hideuses, mais n'ose pas lui dire et comme en plus elles se vendent... En ce jour étrange, son patron lui demande de véritablement juger les manuscrits et de les refuser s'ils sont mauvais. Mieux, de dissuader définitivement ces piètres écrivaillons de tenter une carrière dans les belles lettres. Chez lui, son épouse lui annonce tout de go qu'elle le trompe depuis des années avec un vigneron bordelais.

Face à tant de revirements, Martin se dit que c'est peut-être le moment de savoir enfin ce que les gens pensent de lui. Il ne sera pas déçu. Épouse, mère, amis : ils lui taillent un costard de première. L'auteur semble sans pitié pour son personnage. En fait c'est l'inverse.

Dans cette courte fable sur les mérites de la franchise en société, Jean-Pierre Brouillaud décrit un homme se contentant de peu. La simplicité s'approche souvent de la vérité. Et les faux-semblants sont le ciment de notre société. Pour preuve, à la fin de la journée, la franchise devenue mondiale, met le feu aux poudres. Le langage diplomatique a laissé la place aux invectives et les puissances nucléaires à deux doigts de déclencher le feu atomique contre le « cow-boy inculte et ces arriérés d'Américains » ou « les gesticulations du petit Français ». La situation est grave, le lecteur plié en deux de rire. La réflexion philosophique n'empêche pas la rigolade. D'autant plus quand c'est voulu.

« Martin Martin », Jean-Pierre Brouillaud, Buchet-Chastel, 13 € 

mardi 6 septembre 2011

Roman - Cap sur Morro Bay pour Jean-Philippe Blondel dans "Et rester vivant"

« Et rester vivant » de Jean-Philippe Blondel est une invitation au voyage. La Californie du début des années 80 est au centre de ce texte très personnel. L'auteur y raconte comment, un été, il a dilapidé son héritage en sillonnant les routes américaines au volant d'une grosse américaine, une Thunderbird, en compagnie de deux amis.

Les voitures ont une place prépondérante dans la vie de Jean-Philippe Blondel. Et dramatique. Il est à peine âgé de 18 ans quand son frère aîné et sa mère meurent dans un accident. Son père, qui était au volant, sort indemne. Physiquement, pas mentalement. Devenu à moitié fou, il va mourir lui aussi, quelques années plus tard, toujours dans un accident de voiture.

Le narrateur, jeune héritier de 22 ans, vend l'appartement du père et avec cet argent achète des billets d'avion pour la Californie. Il ne part pas seul, emmenant dans ses bagages son ancienne petite amie et son meilleur ami. Le trio amoureux va aller de San Francisco à Los Angeles, en passant par la Basse-Californie mexicaine et Las Vegas. Cette idée de voyage est simplement due à une chanson, un tube du moment, où le chanteur racontait comment il finissait ses jours à Morro Bay. Morro Bay, le but ultime du narrateur, le cul-de-sac de ce voyage impossible.

La force de ce roman réside dans cette volonté de tout raconter, sans tabou ni arrangement avec la vérité. De la folie à la jalousie, de l'abandon à la révolte, Jean-Philippe Blondel brosse avec brio toutes les étapes et rencontres de cette errance estivale, cette étrange parenthèse dans une vie programmée.

« Et rester vivant » de Jean-Philippe Blondel, Buchet-Chastel, 14,50 € (Disponible également au format poche chez Pocket) 

jeudi 2 décembre 2010

Roman - Champignons polynésiens

Passionné par les champignons, Arnold Trevellyan quitte les brumes londoniennes pour un lagon polynésien. Un roman déroutant et inventif.

Si vous aimez les champignons, plus spécialement le plus recherché des gourmets, l'oronge vraie, vous savourerez ce roman de Giles Milton avec délectation. Car il est beaucoup question de champignons dans cette fantaisie entraînant le lecteur sur une petite île polynésienne en passant par des carrières dans le Morvan et le Londres de la fin des années 80.

Un iconoclaste. Arnold Trevellyan est assurément un iconoclaste. Ce commissaire-priseur s'épanouit dans son métier. Il vit heureux en compagnie de sa ravissante femme, Flora. Et il a une passion : les champignons. Une vie somme toute rangée, et pourtant, dans les premières pages du roman, quand on rencontre pour la première fois Arnold, il se prélasse sur une plage de sable blanc, au bord du lagon de Tuva, une petite île perdue dans le Pacifique. Ce n'est pas un simple touriste. C'est le roi. Souverain d'un petit paradis tropical. Comment en est-il arrivé là ? On le découvre en même temps que Tobias, un journaliste enquêtant sur cet étonnant sujet de sa gracieuse majesté bombardé roi d'un pays minuscule, du jour au lendemain.

Cavernes et ordre secret

Tout a commencé quand Flora a voulu casser le quotidien du couple. Elle pousse Arnold a prendre un an de congé sans solde et à se consacrer entièrement à sa marotte, les champignons. Arnold et Flora louent une maison, perdue dans les bois au centre de la France et se lancent à la recherche des amanites, toxiques ou comestibles. Un isolement qui sera fatal. Flora quitte Arnold alors que ce dernier vient de découvrir l'entrée de vastes carrières. Son existence va alors basculer. Cette véritable ville souterraine est le repère de l'Ordre, une société secrète qui œuvre depuis des siècles à préserver et restaurer les monarchies partout sur le globe. C'est là qu'il rencontre Lola, la reine de Tuva. Coup de foudre, mariage : le roi Arnold va pouvoir régner.

Le roman de Giles Milton est construit comme un puzzle énigmatique. Le journaliste, en interviewant Peter un ami d'Arnold puis Flora, reconstitue cet incroyable parcours. Mais en parallèle, Arnold, dans des cassettes audios, raconte son étonnante aventure, avec grandiloquence et fougue. Car Arnold a un réel talent de conteur, doublé de celui d'un séducteur irrésistible. Pour preuve, quand il faisait des conférences sur les champignons, le public était surtout féminin, « un auditoire presque exclusivement féminin. Des centaines de femmes qui bavaient devant lui. Il les tenait sous son charme. Et quand il a parlé des propriétés aphrodisiaques de la vesse-de-loup, on a presque entendu les phéromones entrer en ébullition. »

Banquet royal

Champignons et sexe, ils font parfois bon ménage. Arnold va d'ailleurs se distinguer en permettant à l'Ordre de disposer de quantité suffisantes d'oronges (appelées également amanites des Césars) pour un banquet organisé tous les 7 ans. En bon Anglais, Giles Milton met la royauté au centre du roman. La royauté et surtout la façon de la préserver dans ce monde où la démocratie semble ne pas avoir encore dit son dernier mot. En lisant les tribulations des différents protagonistes, on se croit parfois dans un sketch des Monty Python. Complètement loufoque parfois, romantique à souhait par moment, ce roman est avant tout un regard décalé sur notre monde. Arnold est-il un doux rêveur génial ou le simple pion d'une histoire encore plus complexe ?

« Le monde selon Arnold », Giles Milton, éditions Buchet-Chastel, 21 €

mardi 24 août 2010

Roman - Les petits secrets de la presse


Dans le genre inclassable, ce premier roman de Jean-Bernard Maugiron bat tous les records. Pourtant, en découvrant les premières pages, on se dit qu'on est simplement dans le genre témoignage sociétal. Le narrateur, Victor, explique au début de chaque chapitre, avec une régularité énervante dans un premier temps, puis suspecte et finalement intrigante : « Je travaille de nuit comme correcteur de presse dans un grand journal régional ». 

Et de nous expliquer les petits secrets de son métier, comment il débusque les coquilles dans les avis de décès, les grands débats avec certains de ses collègues sur « des tournures avec des subjonctifs plus que passés. » Victor est à quelques mois de la retraite. Quand il a débuté au journal, il était linotypiste. Il composait des textes en plomb fondu. Il regrette un peu cette époque. Mais se contente de son petit train-train, lui qui rêvait d'être conducteur de locomotive. En fait, en progressant dans l'intrigue, le lecteur comprend que Victor est un peu perdu. 

Vieux garçon vivant toujours avec sa mère, il s'en occupe quotidiennement. « La petite mère elle bouge plus de son lit, à part quand je la porte sur le fauteuil, devant la télé. Elle pèse pas lourd, rien que de la peau sèche et ridée sur des os et une touffe de poils blancs sur le caillou. Une vraie momie, sauf qu'elle remue encore un peu de temps en temps, par saccade. » Entre la nostalgie d'un temps passé, le poids des ans, les problèmes au travail, sa solitude, on se surprend à vouloir mieux connaître Victor. 

Mais c'est sans compter avec l'auteur. Jean-Bernard Maugiron bouscule l'histoire dans les 20 dernières pages, lui donnant un tour violent et surréaliste, définitivement inclassable.

« Du plomb dans le cassetin » de Jean-Bernard Maugiron, Editions Buchet-Chastel, 11 € 

lundi 3 mai 2010

Roman - Les papys pètent les plombs

« Série Z », de J. M. Erre, est un roman déjanté où un scénariste immature imagine un film de série Z joué par des acteurs retraités de seconde zone.


Amateurs de bon goût à la française, passez votre chemin. « Série Z », roman de J. M. Erre a tendance à dépasser les bornes. Rien ne semble trop osé pour cet auteur à la plume alerte. Il y a du San Antonio dans les situations scabreuses qu'il imagine. Du politiquement incorrect, à la Jean-Pierre Mocky, un cinéaste régulièrement cité dans ce roman hommage aux nanars, de France et d'ailleurs.

Félix Zac est mieux connu sur le net sous le pseudo de Docteur Z. Il anime un blog entièrement consacré aux pires films de séries Z. Félix, 33 ans, père d'une petite Zoé encore bébé mais déjà turbulente, vit un peu aux crochets de son amie, Sophie. L'animation du blog ne rapporte pas un centime et, au contraire, l'achat de dizaines de cassettes vidéo dans les vide-greniers, grève sérieusement le budget familial. Pourtant Félix sent que son heure est venue. Il va proposer à un producteur son scénario de film d'horreur : « L'hospice de l'angoisse ».

La société secrète des VV

J. M. Erre ne livre pas toutes ces informations d'un bloc. Il aime distiller lentement et entrelarder de digressions les différentes séquences. Entre notes du blog, coupures publicitaires et apartés avec un lecteur de Knokke-le-Zoute, on a droit notamment à de longs extraits du scénario qui vaut son pesant de cacahuètes. L'action se déroule dans une maison de retraite n'accueillant que des acteurs en fin de vie. Tous plus cabotins les uns que les autres, ils sont mesquins, méchants, séniles et rarement propres.

Or en moins de deux mois, quatre pensionnaires ont disparus. De quoi faire cogiter les membres de « la société secrète des VV, alias les Vétérans Vigilants ». A moins que cela ne soit les « Vaillants Valides » ou les « Vigoureux Vioques ». Pour en faire partie il suffit de réussir les trois épreuves de base : « Courir le cent mètres en moins de cinq minutes, retrouver en quelle année nous sommes en moins de dix secondes, changer sa couche tout seul. » Le lecteur sait à partir de ce moment que les personnes âgées du roman ne seront pas forcément très fréquentables. D'autant que certaines sont d'anciennes stars du cinéma porno et que malgré le poids des années, ils sont toujours partant pour quelques galipettes, les contorsions en moins, l'arthrose en plus...

Boucheries productions

Tout se complique pour le héros, Félix, quand il rencontre son futur producteur : « Isidore Boudini, le roi de la bidoche discount ». Ce boucher accueille Félix dans son abattoir rempli de cadavres environnés de rivières de sang. Et lui explique qu'il cherche un scénario pour son fils qui s'est mis en tête de devenir cinéaste. Il tique un peu en lisant le début du scénario (trop de vieux, pas assez de sexe et d'hémoglobine), mais semble emballé après que Félix lui ait assuré qu'il pourrait y rajouter, selon les désirs du producteur, « de la mamelle et du cannibale. » Sans oublier « un monstre marin et un extraterrestre ». Le gros problème pour Félix c'est l'hospice existe vraiment de même que ses personnages. Et la police enquête justement sur ces disparitions qui sont en fait de véritables meurtres. Son scénario transforme Félix en suspect numéro 1.

Totalement déjanté, un peu foutraque mais regorgeant de trouvailles, ce roman, entre la parodie et le polar, est un réel hommage à ce cinéma du pauvre, où souvent le meilleur était dans le titre du film. Des titres repris comme tête de chapitres, de « Y a un os dans la moulinette » (Raoul André, 1974) à « Arrête de ramer, t'attaques la falaise » (Michel Caputo, 1979).

« Série Z » de J. M. Erre, Buchet-Chastel, 20 €