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vendredi 22 août 2025

Roman – Road-trip féministe au Chili

Originaire du Chili mais vivant en France depuis des années, Nicole Mersey Ortega est blonde. Comme le personnage principal de son premier roman aux accents destroy. La jeune narratrice vit dans une favela de Santiago, mais elle ressemble à une touriste occidentale. La faute à un père français. Qui l'a abandonnée. A l'ombre d'une montagne d'ordures, elle rêve d'évasion, de fête dans le Nord. Avec deux amies, elle économise et fugue. 

Un périple de plus de 1000 kilomètres, vers une fête légendaire à Iquique. Roadtrip agité et surtout très risqué. Dans ce Chili des années 90, la police est corrompue et féroce. Les femmes ne semblent être que de la chair fraîche pour des hommes violents. De plus, un serial killer sévit sur la nationale 5, cette route qui traverse un désert interminable. Le trio va souvent se faire peur. Le lecteur redoute une fin brutale. Mais une vierge noire, ou une dame blanche, semble veiller sur les filles. 

Elles vont vivre des moments épiques (la scène du match de foot à Calama marque les esprits), de grandes frayeurs et quelques désillusions. Le tout raconté dans une langue moderne et vivante, celle des femmes libres, uniquement armées de leurs mots pour repousser les violeurs, tueurs et autres nuisibles.

« Même le froid tremble », Nicole M. Ortega, Editions Anne-Carrière, 176 pages, 19 €

jeudi 3 octobre 2024

Rentrée littéraire - « La bonne nouvelle » d’un miracle en Auvergne

Réflexion très poussée sur la religion, les miracles, les croyances, le Bien et le Mal dans ce roman finalement assez léger de Jean-Baptiste de Froment. 

Jésus revient ! Voilà La bonne nouvelle annoncée dans ce roman de Jean-Baptiste de Froment. Il revient en Auvergne, dans le petit village anonyme. Il n’a plus la même apparence. Exit la tunique et les cheveux longs, il ressemble à un vieux châtelain de plus de 70 ans, un certain Paul de Larmencour.

Les premières pages semblent assez ludiques, presque comiques. C’est la veuve de Paul, Hermine, qui raconte. Paul est mort d’une crise cardiaque. Chez lui, un matin. Enterré en présence de tout le village dans le caveau familial, son corps disparaît trois jours après. Profanation ? Non car le lendemain, des témoins affirment avoir aperçu Paul, dans la campagne environnante. Les « apparitions » se multiplient, l’affaire devient nationale, les pèlerins affluent vers le petit cimetière auvergnat.

En replaçant la résurrection dans un village français, l’auteur brouille les pistes. Et en racontant cet emballement médiatico-religieux du point de vue d’Hermine, il brosse un portrait au vitriol des mœurs de cette caste de notables de province. Alors que la figure de Paul est de plus en plus adorée, elle remarque avec perfidie : « J’ai toujours pensé que les bourgeois catholiques d’aujourd’hui seraient les derniers à reconnaître le Christ s’il revenait sur terre. De même qu’à l’époque, ils auraient été du côté des Pharisiens, de tous ceux qui réclamaient sa mort… Jésus n’était pas très fréquentable. Un fauteur de troubles, un voyou. » Un jugement sévère pourtant confirmé quand le Vatican envoie sur place un prêtre, le jeune et trop beau Spark, chargé de démontrer l’imposture.

Hermine elle aussi en est persuadée. Mais elle va enquêter et découvrir que la figure de Paul, sa résurrection, est peut-être plus complexe et chargée de sens qu’une simple escroquerie à la foi. Une fin très spirituelle, pas étonnant quand on sait que l’auteur est normalien et agrégé de philosophie.

« La bonne nouvelle », Jean-Baptiste de Froment, Anne Carrière, 250 pages, 20 €

mercredi 22 novembre 2023

Une intégrale - Robert Goolrick



Romancier américain venu tardivement à l’écriture, Robert Goolrick est mort après une vie compliquée. Il a fait des débuts tonitruants avec Féroces, l’histoire de son enfance maltraitée. Un roman publié aux éditions Anne Carrière qui ont diffusé toutes ses œuvres. Mort en 2022, il laisse trois romans, quelques nouvelles et trois textes majeurs d’autofiction. 

Dans cette intégrale de plus de 1 400 pages vous retrouverez sa plume acérée, trempée parfois dans la bile, souvent d’une beauté sans pareille. Un auteur majeur, qui mérite amplement cette ultime reconnaissance et devrait conquérir de nouveaux amateurs, sans doute déçus de savoir qu’ils ne pourront jamais lire de nouveau Goolrick.

« Robert Goolrick, œuvres complètes », Anne Carrière, 1 400 pages, 19,90 €

jeudi 27 octobre 2022

Roman - Extinction silencieuse

Chaque année, des dizaines d’espèces d’animaux disparaissent de la surface de la Terre. Par la faute de l’homme. Dans Le dernier des siens, Sibylle Grimbert touche du doigt cette réalité en racontant l’histoire d’amitié entre Gus et Prosp. Le premier, chercheur français, est envoyé en Islande pour capturer, mort ou vivant, le second un grand pingouin pour le musée d’Histoire naturelle de Lille. 

Sur un rocher, après que les chasseurs ont massacré la trentaine de membres d’une colonie, Gus capture le dernier, une aile abîmée, mais vivant. « La bête, dont un moignon d’aile cassée pendait sur son ventre, hurla. Elle essaya de mordre Gus, son aile valide tendue le plus possible à la verticale. Mais comme toute son espèce, hors de l’eau, il était impotent. » Une fois de retour à la civilisation, Gus soigne le pingouin, le baptise Prosp et se prend d’affection pour cet être étrange. 

Le scientifique abandonne sa mission, conserve l’oiseau, le protège durant des années, sans savoir au début qu’il s’agit du dernier de cette espèce totalement éradiquée par les humains. Un superbe texte sur l’inconscience de certains hommes, leur cruauté, mais aussi la possibilité toujours présente de l’empathie entre certains d’entre nous et les animaux, quelle que soit leur apparence.  

« Le dernier des siens » de Sibylle Grimbert, Anne Carrière, 18,90 € 

lundi 6 juillet 2020

Roman - 2069, année roborérotique



Si en 1969, Gainsbourg avait fait scandale, le recueil de nouvelles futuristes de Josselin Bordat baptisé « 2069 » passe comme une lettre à la poste. Ou comme papa dans maman pour rester dans le ton des 12 histoires. L’auteur a imaginé les pratiques sexuelles du futur. Il y a beaucoup de virtuel, quelques robots et un peu d’amour. Mais vraiment pas beaucoup. 

Sa vision d’ensemble des relations humaines est un peu pessimiste. La meilleure nouvelle est sans doute la nuit agitée d’un dealer dans une Rome retenant son souffle avant l’annonce du nom du nouveau pape. Jusqu’à l’apparition de la fumée au-dessus du Vatican, rose au final…

 Une autre nouvelle se déroule dans la région. Un journaliste vient en reportage à Béziers, devenu un port après la montée des eaux de la Méditerranée. Il veut partir en expédition dans la Montagne noire, redevenue sauvage, cachette d’une communauté menée d’une main de fer par une certaine G. Effrayant.

« 2069 » de Josselin Bordat, Anne Carrière, 17 €

vendredi 20 mars 2020

Roman. Les véritables aventures merveilleuses de Taram



Parues dans les années 60, « Les chroniques de Prydain » de lloyd Alexander ont rencontré un immense succès. Essentiellement dans le monde anglo-saxon, plus sensible à ces sagas d’héroic-fantasy.
Dans les années 80, Walt Disney a signé une adaptation des deux premiers tomes dans le dessin animé intitulé « Taram et le Chaudron magique ». Les littératures de genre, notamment quand elles s’adressent aux adulescents devenant très tendance en France (merci Harry Potter), les éditions Anne Carrière ont décidé de rééditer ce classique. Le premier tome est sorti mi-janvier, le second en février. Normalement le 3 est programmé en mai, mais la crise sanitaire et le confinement décidé par le gouvernement avec fermeture des librairies et l’arrêt de toute activité non essentielle, va sans doute chambouler ce programme. 
Que cela ne vous empêche pas de lire les deux volumes parus « Le livre des trois » et « Le chaudron noir », certainement disponible dans la grande surface que vous ne manquerez pas de visiter pour vous réapprovisionner en nourritures terrestres (ces livres ne sont pas disponibles en version numérique). Taram est un jeune apprenti chaudronnier rêvant de gloire et d’actions héroïques. 
Mais pour l’instant il fabrique des fers à cheval et doit garder Hen Wren, « la seule truie divinatrice de Prydain, et la plus précieuse. » Quand elle s’échappe, Taram court après elle dans la forêt. Là il va tomber sur un chevalier terrifiant : « Le masque était constitué d’un crâne humain duquel sortaient de grands bois de cerf menaçants. À travers les orbites dans l’os blanchi, les yeux du Roi Cornu semblaient un brasier. » Une rencontre qui va faire basculer le destin de Taram.
C’est le début de ces aventures merveilleuses et fantastiques qui courent sur cinq volumes. Parfait pour se changer les idées et voyager dans des territoires nouveaux, exempts de confinement, de virus et autres contraintes matérielles si rudes à supporter.


« Les Chroniques de Prydain », tomes 1 et 2, Anne Carrière, 15 €
 

jeudi 22 décembre 2016

Roman : Quand l’art danse au « Bal mécanique »

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Pour son second roman, après le très remarqué « La déesse des petites victoire », Yannick Grannec persiste dans sa veine artistico-psychologique en signant un roman sur le phénomène du Bauhaus dans l’Allemagne des années 30 et le pire de la téléréalité. La romancière, à la culture indéniable, parvient à mettre en perspective manipulation des foules présente et passée.
Les lecteurs les plus savants se délecteront des passages historiques sur cette école d’un art nouveau, rapidement détesté par les nazis aux portes du pouvoir. Mais le roman offre aussi une parfaite traduction des méthodes beaucoup plus élaborées qu’on n’y croit pour confectionner une émission de téléréalité. Cette partie du roman est particulièrement édifiante.
Josh Shors, bellâtre imbu de sa personne, dé- barque chez des candidats volontaires pour refaire leur intérieur en une semaine. Chaque semaine une nouvelle famille espère être choisie. Le début du show débute comme un ouragan. Au petit matin, Josh sonne chez les chanceux et se met immédiatement à l’ouvrage. Devant les caméras et les voisins envieux, il détruit méthodiquement le mobilier existant. Comme pour bien faire comprendre aux occupants qu’il y a un avant et un après.
Un début d’une rare violence symptomatique de la télévision d’aujourd’hui où rien ne se fait dans le consensus. Un romancier moins exigeant se serait contenter de cette histoire pour vendre des milliers d’exemplaires en profitant, honteusement de cette mode. Yannick Grannec met la barre beaucoup plus haut. C’est tout à son honneur.
➤ « Le bal mécanique », Yannick Grannec, Anne Carrière, 22 €

vendredi 18 novembre 2016

SOLEIL AMER. Jacques Verdier raconte les amours compliquées voire impossibles entre deux jeunes provinciaux des années 70 que tout oppose.
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Amateurs de rugby passez votre chemin. Jacques Verdier, directeur du Midi Olympique, « bible » des amateurs de XV, grand spécialiste des groupés pénétrants et autres « up and under », abandonne le temps de ce roman son domaine de prédilection. Preuve que le sport mène à tout, à condition d’en sortir... Par contre Jacques Verdier fait partie de ces hommes qui n’oublient jamais leurs racines, l’action du roman se dé- roulant à Saint-Gaudens, cité pyrénéenne où il a lui même usé ses fonds de culottes dans sa jeunesse. Il admet d’ailleurs avoir instillé un peu de son adolescence dans le personnage de Pierre, piochant dans ses souvenirs pour apporter quelques touches de vérité.
L’authenticité est d’ailleurs l’impression générale qui ressort de la lecture de ce texte entre chronique rurale, roman d’apprentissage et portrait d’une France provinciale défunte. Le roman est construit comme un dialogue à deux voix. Pierre et Juliette, chacun de leur côté, sans encore se connaître, partagent leur quotidien avec le lecteur
. Pierre est le fils d’un couple aimant. Mais quand le père meurt subitement, le monde de cet adolescent solitaire, passionné de dessin, se fissure, « J’essayais, mais en me cachant, déchirant les pages aussitôt dessinées, de tracer les contours du visage de mon père sur son lit de mort, sa rigidité mortuaire. Ce n’était pas vraiment un portrait. Je ne voulais pas restituer son visage tel qu’il me revenait dans mon souvenir, mais ses angles, ses creux, son vide, la couleur de la mort. »
■ Léo Ferré, le point commun
L’image du père de Juliette, l’autre protagoniste du roman, est radicalement différente. Ce chirurgien, abreuvé des discours révolutionnaires et libertaires de Mai 68, est un notable aux mœurs plutôt dissolues. Sa femme, adepte de l’amour libre, participe à ses jeux sexuels. Juliette, encore enfant, les surprend un jour lors de vacances en Espagne. Depuis elle est partagée entre dégoût et envie.
Adolescente, sans doute par provocation, elle devient une de ces « filles faciles » qui rencontrent tant de succès auprès des jeunes hommes. Des plus âgés aussi. « Rico me fait signe de le suivre. Je suis sa proie, sa chose. Ça ne me plaît pas. Ça ne me déplaît pas non plus. Ce n’est pas moi, cette fille à moitié saoule qui suit ce mec de trente ans. »
Autant la partie Pierre est sage, nostalgique, parfois presque digne d’un roman de terroir, autant les passages avec Juliette sont chauds et osés. Deux mondes qui se côtoient sans se croiser dans ces années 70 si particulières.
Pour les rapprocher, Jacques Verdier trouve le vecteur parfait : Léo Ferré. Pierre adore ce poète d’un nouveau genre, Juliette adhère à ses idées anarchistes, voire nihilistes. Ferré incarnation d’une époque capable d’être corsetée dans une rigidité extrême tout en vénérant ces personnalités si scandaleuses et provocatrices. Une fracture irrémédiable. Qu’illustre la difficulté pour Pierre et Juliette de trouver une façon de s’aimer. Car « Soleil amer » est aussi (et surtout) un roman d’amour. Un amour fou et absolu, de ceux qui ne durent pas et laissent des cicatrices à vie.
L’écriture fluide et imagée de Jacques Verdier emporte le lecteur loin dans cette histoire passionnée. On vibre avec Pierre quand il boxe ou au côté de Juliette lors de ses promenades à cheval sur les bords de Garonne. Deux personnages lumineux, que l’on quitte à regret. A moins que l’auteur ne se dé- cide d’imaginer une suite à leur relation. Dans les années 80 ?
➤ « Soleil amer » de Jacques Verdier, éditions Anne-Carrière, 19,50 € 
(Chronique parue le dimanche 13 novembre dans la page livres de l'Indépendant)

mardi 9 août 2016

Livre : Les jours areuh

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A plus de 50 ans, François d'Epenoux se retrouve de nouveau papa. Le romancier semble avoir fait de la vie de famille son fond de commerce après le succès des « Papas du dimanche ». Cette fois il parle son bébé, encore larve chaude à peine sortie du ventre de la mère nourricière. Cela se veut poétique, c'est trop souvent « gnan-gnan » pour reprendre une expression enfantine. Est-il bien nécessaire d'écrire des pages et des pages sur la meilleure façon de donner le biberon ? Si l'enfant apprécie le repas, le lecteur se lasse rapidement et aurait tendance à s'endormir sans la moindre berceuse...
« Le jours areuh » de François d'Epenoux, Anne Carrière, 15 euros

mardi 31 mai 2016

Roman : Robert Gollrick se souvient


Ecrivain américain au succès indéniable en France, Robert Goolrick offre un joli cadeau à ses lecteurs hexagonaux. « L'enjoliveur » est une grosse nouvelle spécialement écrite pour les éditions Anne-Carrière. Ce texte nous plonge dans l'enfance de l'écrivain de « Féroces » et « Arrive un vagabond ». Le petit Robert, comme ses copains de la ville de province où il tente de survivre entre deux parents alcooliques, est fasciné par les enjoliveurs des voitures. Des jouets qui peuvent aussi se transformer en dangereux objets s'ils sont lancés avec force ou servent de réceptacle à des embrasement d'huile. L'occasion aussi de parler de sa grand-mère, qui a failli le tuer un « matin givré de février » et de sa mère qu'il « avait toujours vue saccager systématiquement sa propre existence avant de s'attaquer à celles de ses proches » et qui pourtant, « avait jadis connu l'amour ».
« L'enjoliveur » de Robert Goolrick, Anne Carrière, 12 euros

mardi 26 avril 2016

Livre : Roland, le voisin mort et si encombrant

Roland, voisin discret, meurt la tête dans la gamelle de son chien. Début des soucis pour le narrateur.

Nicolas Robin joue sur le comique de répétition pour plonger le lecteur dans ce roman aux airs farfelus et légers mais d'une étonnante profondeur humaine. Chaque chapitre (il y en a 27) débute par la phrase "Roland est mort". Roland c'est le voisin du narrateur, un trentenaire, chômeur, se remettant mal d'une histoire d'amour foireuse. Tout ce qu'il souhaite, lui, c'est qu'on le laisse tranquille, à siroter son Campari tout en matant du porno. Mais les pompiers font du raffut en cassant la porte du voisin pour constater sa mort, depuis une semaine. Ils emportent le corps et confient au voisin de palier le caniche du mort. Une vieille femelle, qui répond au doux nom de Mireille. Comme Mireille Mathieu, Roland adorait les tubes de la chanteuse française à la coupe au bol, seuls sons que le narrateur entendait en provenance de l'appartement mitoyen. Que faire de ce chien ?
Le début du roman raconte les différentes tentatives de se débarrasser de l'animal puant. Mais les ennuis s'aggravent quand un croque-mort remet au voisin une urne contenant les cendres de Roland. Sans famille ni ami, cet employé au tri postal était un solitaire. "Quand la solitude prend racine, elle est plus tenace que le chiendent", constate le narrateur, en prenant conscience qu'il ressemble de plus en plus au mort.
Le roman de Nicolas Robin alterne scènes cocasses (un anniversaire de vieux copains ou un mariage en péril) avec de vrais moments d'émotion comme le retour chez les parents ou la rencontre avec Chantal, la seule 'amie' de Roland.
"Roland est mort" de Nicolas Robin. Anne Carrière. 17 euros.

lundi 17 août 2015

Livre - Cascade au Mont Aigoual

Solitude et reconstruction pour une jeune femme dans le rude climat des Cévennes au menu de ce roman de Catherine Velle.

Melting pot de genres dans ce roman signé Catherine Velle. « Un pas dans les nuages » a des airs de terroir avec ses longues odes à la beauté des Cévennes, un embryon de thriller avec un mystérieux « méchant » qui en veut la belle héroïne et enfin un petit côté fleur bleue avec la romance entre la solitaire et le météorologue taciturne. Cette hésitation dans l'orientation principale du texte est la seule réservé à émettre. On est forcément un peu déçu car ces 350 pages sont un peu courtes pour bien développer l'intrique policière, donner réellement l'envie d'aller crapahuter sur les pentes du mont Aigoual et vibrer à cette histoire de coup de foudre un peu téléphonée, météo oblige. Reste un roman idéal pour se distraire en vacances, dépaysant et sans prise de tête. 
Alex, le personnage principal, découvre sa nouvelle vie dans les premières pages. Elle a accepté un poste d'animatrice d'une petite radio locale diffusant dans les Cévennes, sur une dizaine de communes isolées. Musique classique, nouvelles et météo composent l'essentiel des quelques heures de programmation quotidienne. Cette radio, lancée par un misanthrope incapable de se remettre de la perte de sa femme dans un accident de voiture, émet depuis un studio installé dans le grenier de la grande maison perchée sur les contreforts du Mont Aigoual. Il y fait très froid l'hiver, humide au printemps et à l'automne, paradisiaque en été, excepté lors des violents orages.

Seule avec sa chienne
Isolée, Alex s'installe en compagnie de sa chienne Pharaonne. La jeune femme cherche à oublier son passé. Il y a encore un an, elle était cascadeuse au cinéma. C'est elle qui doublait sa sœur jumelle, jeune actrice plein d'avenir. Mais cette dernière meurt dans un chute de cheval après avoir usurpé l'identité d'Alex. La presse à scandales a monté l'affaire et Alex est accusée d'être une jalouse ayant tué sa sœur. Après une hospitalisation, elle se remet lentement de la perte de sa « moitié » et tente de repartir à zéro perdue dans la montagne.
Sous une nouvelle identité, elle relance la radio et parvient, à force de gentillesse et de simplicité, à se faire accepter par les locaux, pourtant aussi rugueux que le climat. Du maire au patron du bar ou de l'épicière en passant par la jeune fille (limite cagole...) en mal de strass et de mer, Catherine Velle dresse le portrait d'hommes et de femmes qu'elle semble parfaitement connaître. Il est vrai qu'elle s'est installée dans sa région d'origine après avoir longtemps travaillé à Paris dans la communication d'un grand groupe de presse féminine.
Elle signe là son cinquième roman, suivant ainsi les pas de sa mère, Frédérique Hébrard la créatrice de « La Demoiselle d'Avignon » et de son grand-père, André Chamson, de l'Académie française, lui aussi grand défenseur des Cévennes. Par contre, les scènes très vivantes se déroulant dans le milieu du cinéma semblent inspirées par la carrière de son père Louis Velle. Un des personnages semble d'ailleurs un portrait craché de cet acteur distingué amateur de jolies femmes et fier de son parcours éclectique.
« Un pas dans les nuages » de Catherine Velle, Éditions Anne Carrière, 19,50 €

dimanche 10 mai 2015

Livre - L'entité meurtrière d'un certain Jérôme Fansten

Jérôme Fansten est deux. Le romancier raconte comment il cherche à tuer ses pères avec son frère fantôme, issu comme lui d'un viol collectif.

Roman inclassable avec de véritables moments de réalité vraie, le « Manuel de dramaturgie à l'usage des assassins » est un tour de force dans le petit monde de la littérature française, tendance autofiction. Jérôme Fansten est scénariste de cinéma. Cela fait mieux qu'écrivain dans les soirées bobos. Même si les scénaristes sont les moins importants des créateurs dans le long et couteux processus de fabrication d'un long-métrage.
Il profite à plusieurs titres de cette soirée organisée par une grosse société de production française. Premièrement il boit et mange à l'œil. Mais ça, c'est l'apanage de 90 % des participants. Ensuite il trouve des clients pour fourguer de la cocaïne, sa principale source de revenus. Écrire des scénarios cela ne nourrit pas son homme. Encore moins des romans... Dernier intérêt de sa présence voyante dans ce cocktail mortellement ennuyeux : il se forge un alibi du tonnerre. Qu'il compte renforcer en séduisant une jolie blonde (ou brune, ou rousse, ou chauve... aucune importance) et passer le reste de la nuit dans son lit.
Jérôme Fansten a besoin d'un alibi car au même moment il est en train de saboter l'installation électrique de la villa d'un certain Pelletier, homme politique d'extrême-droite. Quand Pelletier entendra du bruit dans le hall et allumera la lumière, cela provoquera une superbe explosion qui le projettera à plusieurs dizaines de mètres de son habitation. Un meurtre parfait maquillé en bête accident. Et comme Jérôme Fansten était au même moment en train de roucouler avec une certaine L., il ne peut pas être inquiété.

Le vrai du faux
Le romancier, en empruntant les codes de l'autofiction, interpelle le lecteur. Pas de doute, il a réellement couché avec L. De même, ses dialogues sur la situation du cinéma avec des collègues ou ses considérations de romancier incompris avec son éditeur, Stéphen Carrière, semblent vrais à 100 %. Mais alors pourquoi s'accuse-t-il d'un meurtre ? Et comment le croire quand il explique qu'en fait, Jérôme Fansten est deux ?
L'idée géniale du roman est là. Sa mère, tombée enceinte après un viol collectif (Fansten aime le glauque), a accouché de jumeaux chez elle, seule. Elle a décidé de ne déclarer à l'état-civil qu'il seul enfant. Depuis 30 ans, Jérôme Fansten est une entité composée de deux frères qui vivent au grand jour à tour de rôle. Cela permet à l'entité de tomber amoureux de L. tout en tuant Pelletier, un des participants au viol collectif et potentiel père de l'entité...

« Atrophie du sens moral »
Cela semble compliqué mais le roman est limpide. Notamment car l'auteur est d'une grande clairvoyance sur les ressorts de la dramaturgie des histoires inventées. Comme il le fait remarquer, alors que la police criminelle enquête sur la mort de Pelletier, « Le crime le plus débile devient parfait s'il n'a pas de suites. Le crime le plus élaboré est une barbarie merdeuse si l'assassin se fait choper. » Jérôme Fansten cherche donc ses pères. Pour les éliminer. Comme une vengeance posthume pour les souffrances endurées par la mère et l'entité. On en déduit que ce romancier est un beau salaud. Erreur : « De nos jours, l'atrophie du sens moral est plus ou moins compensée par un profond conformisme, associé à une grande capacité de dissimulation. J'ai l'intuition que ces traits de caractère, quoi qu'on en dise, expliquent la société. Toutes les sociétés. » Et s'il y avait plus d'entités Jérôme Fansten que l'on croit dans notre entourage ?

« Manuel de dramaturgie à l'usage des assassins » de Jérôme Fansten, Anne Carrière, 21 euros

dimanche 8 mars 2015

Livre - L'agonie de Nauru

Une île perdue dans le Pacifique. Sa richesse : le phosphate. Sa malédiction : le gisement n'est pas éternel. Aymeric Patricot raconte la vertigineuse chute d'un empire de papier.

Une petite île, perdue dans l'immensité du Pacifique. Nauru est loin de tout. Elle ressemble à l'île de Robinson Crusoé. Mais elle n'est pas déserte. Quelques milliers d'autochtones y vivent depuis des siècles. Pêche, élevage, farniente au bord des plages protégées par la barrière de corail ont longtemps suffi aux Nauruans. Et puis les colonisateurs sont arrivés. Les Allemands, puis les Australiens avec une brève occupation japonaise durant la seconde guerre mondiale. Au début du 20e siècle, les Australiens découvrent dans son sol une richesse inestimable : du phosphate. L'extraction de la matière, concentrée sur le plateau central, débute intensivement. Une mine d'or pour la compagnie minière, la NPC comme Nauru Phosphate Corporation. 
Aymeric Patricot raconte dans ce roman comment cette manne du ciel se transforme en malédiction. Une descente aux enfers que l'on suit par l'entreprise de Willie, le narrateur et héros du livre. Ce jeune Philippin est arrivé à l'âge de huit ans sur l'île, peu de temps après la mort de son père. Il est adopté, devient bon élève et naturellement est embauché par la NPC comme les 2/3 des habitants de Nauru. Il gravit lentement les échelons, se marie, a des enfants. La parfaite intégration, une réussite qui lui ouvre les yeux, aiguise son ambition. Il apprend beaucoup au côté d'Erland, un Scandinave à la tête des services financiers de la compagnie. « Erland semblait avoir de l'affection pour moi. Il y avait certes de la condescendance dans son attitude – il m'appelait son petit indigène – mais c'était sur le même ton de sarcasme qu'il parlait de toute chose ». Willie, sorte de Vendredi de ce blond Robinson, s'émancipe et s'impose en haut de la hiérarchie. Du moins, dans le petit cadre des places réservées aux autochtones.

Une montagne d'argent
Au début des années 60, Nauru est toujours une simple dépendance de l'Australie. Les immenses richesses de son sous-sol ne lui reviennent pas directement. La décolonisation parvient quand même sur les plages de sable blanc et en 1968, l'île devient officiellement la plus petite république de la planète. Une des plus riches aussi. Willie devient directeur de la NPC puis président. Il sera un des premiers à s'inquiéter de l'épuisement des richesses. L'argent est pour beaucoup reversé aux habitants, mais des millions sont toujours disponibles. Il va lancer, sur les conseils d'Erland, un vaste plan de diversification des investissements. Immobilier, exploitations agricoles, placements financiers : il a entre ses mains l'avenir de tout son peuple. Le petit indigène s'est sans doute cru trop intelligent, le monde de la finance est impitoyable et quand les mines ne produisent plus, les placements extérieurs ne parviennent pas à maintenir le niveau de vie du pays qui fait inexorablement faillite. A cela s'ajoute la catastrophe écologique : « Il me fallait aussi écouter les récriminations des agriculteurs protestant contre la destruction des sols. Ces derniers ne donnaient plus rien. Quant aux territoires centraux, qu'on avait envisagé de récupérer, ils s'étaient révélés appauvris par des décennies d'extraction du phosphate. » Voilà pourquoi le personnage principal constate, amer, qu'il a entraîné son peuple dans cette aventure.
Un roman sur la faiblesse humaine, les illusions de la richesse et du pouvoir. L'auteur prévient cependant que ce récit « n'a pas de prétention documentaire. Le destin de cette île concentre celui de dizaines d'autres dans le Pacifique. » Et l'on ne peut que faire le rapprochement avec un autre caillou du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie, premier producteur de nickel au monde. Mais jusqu'à quand ?

« J'ai entraîné mon peuple dans cette aventure », Aymeric Patricot, Anne Carrière, 18 €

lundi 12 mai 2014

Livre - L'amour plus fort que la maladie grâce au roman "Dieu me déteste" d'Hollis Seamon

Richard, bientôt 18 ans, veut mordre la vie à pleine dent. Mais c'est la mort qui est au bout du couloir. Cancer en phase terminale. Roman fort et poignant signé Hollis Seamon.

Écrire sur la maladie peut parfois devenir encore plus pénible que la maladie elle-même. Trop de morale ou de compassion détourne le lecteur du but premier. Car si l'on écrit sur la maladie, le cancer en particulier, c'est avant tout pour faire prendre conscience que cette menace devrait nous faire agir différemment. Il ne faut pas reporter au lendemain ces rêves un peu fou. C'est ici et maintenant. 
Il suffit de se mettre dans la peau de Richard Casey, le jeune narrateur de « Dieu me déteste », roman d'Hollis Seamon. Cette enseignante a voulu dans ce premier roman rendre hommage aux jeunes malades qu'elle a croisé dans les couloirs des hôpitaux quand elle allait rendre visite à son propre fils. Richard est donc un « mix » de ces gamins pressés de profiter de la vie qui leur échappe chaque jour un peu plus. Richard a presque 18 ans. Il a bon espoir de fêter son anniversaire. Par contre, il a déjà dit adieu à ses 19 ans. Il vient d'être transférer dans le service des soins palliatifs. Il sait parfaitement ce que cela veut dire : espérance de vie inférieure à un mois... Il est vrai qu'il n'est pas gaillard. Maigre, sous perfusion, bourré de morphine, il a toutes les peines du monde à se déplacer. Il arpente donc les couloirs de l'hôpital en chaise roulante. Mais au moins il peut bouger et n'est pas plongé dans un coma irréversible comme certains de ses voisins. Dans le service il y a essentiellement des personnes âgées. Sauf la chambre occupée par Sylvie. Le belle et rebelle Sylvie, elle aussi très affaiblie par la maladie. Comment l'amour peut-il s'inviter dans ce lieu de mort ? Tout simplement par l'envie de gamins taraudés par l'envie de connaître les joies de la vie, toutes les joies !

Papa jaloux
La force de ce texte réside dans les situations cocasses et crues. Richard reste un gamin comme les autres. Le soir d'Halloween, il n'a qu'une envie : c'est de quitter le service pour faire la fête avec les gens normaux. Par chance son oncle passe par là et l'emmène dans une virée mémorable. Première sortie en toute liberté (le terme de fugue est plus appropriée) pour un maximum de sensations nouvelles et inédites. Certes, il lui faudra deux jours pour se remettre, mais cela valait le coup. Car Richard est un grand philosophe. Il trouve toujours le bon côté des choses. « Une fois, j'ai fait la liste de tous les trucs dont je n'aurai pas à m'inquiéter – trouver un boulot, élever des enfants ingrats, divorcer, me faire opérer des dents de sagesse, surveiller mon cholestérol-, et maintenant je sais que je peux y ajouter avoir du bide et rabattre une longue mèche sur le crâne pour planquer les trous. Ça a beau être bizarre, ça me fait du bien. » Il oublie les mauvais côtés pour n'en garder que les bons.
Mais cela ne marche pas auprès de tout le monde. Quand le père de Sylvie apprend que Richard lui tourne autour, malade ou pas, le papa file une rouste au malotru. Mais ça aussi c'est gai pour Richard. Avoir l'impression d'être un garçon comme les autres. D'autant que Sylvie est de moins en moins indifférente à son charme si particulier.
Plus qu'une simple histoire d'amour entre deux corps souffreteux, « Dieu me déteste » est une formidable leçon de vie, sur la famille, le personnel soignant. La fatalité aussi...

« Dieu me déteste », Hollis Seamon, Anne Carrière, 19 €


lundi 5 novembre 2012

Thriller - Inquiétante campagne islandaise

L'Islande, ses geysers, ses glaciers, ses maisons abandonnées propices aux cauchemars. « Je sais qui tu es » est un thriller qui fait froid dans le dos.


L'Islande, immense île glacée dans l'Atlantique nord n'est pas très peuplée. La population se concentre dans les zones urbaines autour de la capitale Reykjavík. Le reste du territoire est quasi désertique. « Je sais qui tu es », thriller de Yrsa Sigurdardottir, a pour cadre le nord-ouest du pays. La petite ville d'Isafjorour et le hameau abandonné d'Hesteyri au cœur d'un parc naturel protégé.
La crise économique a durement touché le pays au milieu des années 2000. Les faillites de plusieurs banques a laissé des traders habitués à vivre à crédit sur le carreau. Garoar est de ceux-là. Au chômage depuis quelques mois, il a investi ses dernières économies dans l'achat d'une maison à Hesteyri. Il a pour ambition de transformer la bâtisse en gîte. Idéalement située au cœur du parc naturel, elle ne devrait pas désemplir en été.

Trio isolé
Pour l'heure, il va en prendre possession et débuter les premiers travaux d'aménagement. Pour s'y rendre, seule solution en cette fin d'automne : le bateau. Il débarque donc avec matériel et vivres pour une semaine de travaux intensifs. Il n'est pas seul. Accompagné de sa femme, Katrin et de Lif, la veuve de son meilleur ami, associé mort d'une crise cardiaque avant l'aboutissement du projet. Pour ces trois trentenaires c'est une découverte complète. Dans cette baraque en bois, délabrée, sans électricité ni sanitaires, au chauffage rudimentaire, le séjour se transforme en cauchemar. Et pas uniquement en raison des contraintes matérielles.
Une inquiétante ambiance s'installe dans le hameau désert. Katrin est persuadée d'avoir vue une silhouette au loin. Lif aussi croise une ombre. La nuit des bruits de pas au rez-de-chaussée se font entendre. Le décor est planté, le lecteur frissonne. De froid et de peur.
Mais les tribulations du trio ne sont pas l'unique intrigue du roman. En parallèle, l'auteur suit les activités de Freyr, un psychiatre exilé dans cette ville de 2600 âmes, blottie au fond d'un fjord. Ce matin il est sollicité par la police pour une affaire de vandalisme dans une école. Tout le matériel a été cassé et des graffitis énigmatiques inscrits sur les murs. Est-ce l’œuvre d'un fou lui demande l'inspectrice Dagny ? Freyr découvrira avec stupéfaction que 60 ans auparavant, une scène identique s'est déroulée dans la même école.

Enfant disparu
Au même moment, une femme est retrouvée pendue dans une église. Un suicide. Mais il se trouve qu'elle était élève au moment du premier saccage. Et dans son mot d'adieu, elle fait allusion au fils de Freyr, disparu trois ans plus tôt. L'intrigue se met en place, avec quantité de possibilités, de recoupements et de fausses pistes. Freyr a l'impression de devenir fou. Les trois naufragés d'Hesteyri aussi. Une nuit, il voient au loin la silhouette d'un inconnu. « L'individu se tenait la tête penchée en avant, recouverte d'une capuche et les bras ballants. On aurait dit qu'il ou elle avait cédé sous le poids de toute l'injustice du monde. » Un premier choc suivi d'un second quand le trio découvre avec effarement que ce n'est qu'un enfant.
L'angoisse va alors aller crescendo, notamment dans le hameau perdu. Ce thriller vous dissuadera à vie de vous rendre dans des endroits isolés et coupés du monde. Le cadre majestueux et sauvage devient source inépuisable de terreur. Rarement un roman aura suscité autant d'angoisse au lecteur. A ne pas lire seul dans sa maison de campagne. A moins de rechercher des sensations fortes. Mais vous pourriez le regretter quand les hurlements poussés dans votre cauchemar vous réveilleront trempé de sueur froide...

« Je sais qui tu es », Yrsa Sigurdardottir, Anne Carrière, 22 € (disponible au format poche chez Points)


vendredi 28 septembre 2012

Roman - L'amour vagabond par Robert Goolrick

Formidable roman d'amour et tragédie tout à la fois, « Arrive un vagabond » de Robert Goolrick confirme le génie d'un auteur essentiel.

Brownsburg, Virginie. Une petite ville américaine tranquille. Charlie Beale débarque en plein été 1948 au volant de son pick-up. Il bivouaque durant près d'une semaine sur un terrain ombragé au bord d'une rivière. C'est un vagabond. Il erre de ville en ville depuis son retour de la guerre. A la recherche de l'endroit où il pourrait enfin se sentir chez lui. Ces quelques jours passés à la belle étoile sont comme un déclic. Charlie a deux valises avec lui. Une pour ses habits, l'autre remplie de billets. Vagabond mais pas pauvre. Il achète le terrain et décide de rester.
Reste maintenant à se faire accepter par les habitants de la ville. Première étape trouver du boulot. Charlie est boucher, un bon boucher même. Il se rend donc à la seule enseigne de la ville et demande du travail. Il propose de faire un essai gratuitement pour être jugé sur ses compétences. Essai concluant. Charlie, en quelques semaines, passe de vagabond à ouvrier émérite, agréable avec la clientèle.

L'ami de Sam
Sa bonne humeur, sa gentillesse lui permettent de s'intégrer. D'autant que son plus grand fan est Sam, un garçonnet de 5 ans, le fils du boucher. Sam passe quasiment tout son temps libre avec lui.
La vie semble simple, heureuse, à Brownsburg. Mais Robert Goolrick est un écrivain virtuose pour décrire, petit à petit, par minuscules touches, le côté sombre des choses. Tout en présentant Charlie, il dresse le portrait de la ville, de ses habitants. En façade cela semble être l'harmonie. En réalité le poids de la religion, de la ségrégation raciale et des différences entre riches et pauvres provoquent des tensions. Charlie s'en accommode, achète une petite maison. Mais il reste célibataire malgré les efforts d'entremetteuse de la femme du boucher et les œillades de quelques clientes.
La vie de Charlie prend un tout autre tour quand il croise Sylvan Glass. Dans une ville très conventionnelle, cette blonde semble sortie d'un film hollywoodien. Belle, presque surnaturelle, perdue dans ses pensées, Sylvan est la femme du plus gros propriétaire terrien de la région.

Étincelle du coup de foudre
A la seconde rencontre, ils se serrent la main. « Sylvan se tourna vers Charlie, retira ses lunettes de soleil de sorte que ses yeux verts étincelèrent au soleil, puis elle lui prit la main, sans un mot. Mais à la manière qu'il eut de laisser les doigts suspendus dans l'air un instant, là où ils avaient rencontré ceux de Sylvan, il était évident que quelque chose s'était passé entre eux, une reconnaissance puissante et immédiate. Si l'on avait été en hiver, il y aurait sans doute eu une étincelle d'électricité statique, un signe visible, mais c'était l'été. Il s'était dit quelque chose, et elle était la seule à savoir quoi. » Un coup de foudre. Réciproque. Mais un amour impossible.
Sylvan, encore mineure, a été littéralement achetée par son mari. Fille de fermiers très pauvres, elle s'est engagée à ne jamais fuir le domicile conjugal au moment de la vente. Alors Charlie et Sylvan vont s'éviter. Puis l'attirance trop forte les poussera dans les bras l'un de l'autre. Des rendez-vous secrets, avec cependant un témoin, le petit Sam. L'enfant devient la pierre angulaire de l'histoire, l'élément déclencheur de la tragédie.
Toute la force de ce roman réside dans cette vision de l'histoire par les yeux d'un enfant de 5 ans. Peut-il comprendre l'interdit ? Que ce que fait son meilleur ami est un péché ? Richard Goolrick reprend un de ses thèmes de « Féroces », son premier roman : la parole d'un enfant face aux secrets des adultes. Ce roman est moins dur que le précédent, à l'écriture plus fluide, parfois poétique. Mais au final on ne ressort pas indemne d'un roman de Robert Goolrick, sa plume a le tranchant et la précision d'un scalpel.

« Arrive un vagabond » de Richard Goolrick, Anne Carrière, 21,50 €


dimanche 29 avril 2012

Dalida, la légendaire, dans deux romans de David Lelait-Helo et Philippe Brunel

La chanteuse de variété dont on célèbre le 25e anniversaire de sa mort est au centre de deux romans faisant la part belle à sa personnalité torturée.

« Pardonnez-moi, la vie m'est insupportable. » Le 2 mai 1987, Dalida, mettait fin à sa carrière. A sa vie aussi. Mais la chanteuse de variétés était-elle encore véritablement vivante ? Ne jouait-elle pas un rôle depuis des années ? Alors que les hommages vont se succéder à la télévision (ses tubes semblent indémodables, elle est une valeur sûre d'une certaine nostalgie-refuge), deux romans reviennent sur le côté obscur de la diva aux robes constellées de paillettes. Deux romans où la mort est omniprésente. Une constante dans le parcours de Iolanda Gigliotti, dite « Dalida ».

Dernier dialogue

« C'était en mai, un samedi » de David Lelait-Helo imagine les dernières heures de Dalida. Il raconte sa détermination, sa méticuleuse préparation, mais imagine aussi qu'avant de passer à l'acte, elle a tenté une dernière fois de se raconter. Dans sa chambre obscure, avec alcool et médicaments à portée de main, elle compose un numéro au hasard. Sophie, dans sa maison de Sologne, décroche.

Le romancier imagine ce dialogue entre une Dalida heureuse d'être enfin anonyme et cette femme, récemment divorcée, écorchée vive après la trahison de son mari, le père de ses enfants.

Ce roman est magique car tout en faisant découvrir la vie passionnée de la chanteuse populaire, il met dans la bouche de la principale intéressée des regrets, des aveux, qui la rendent beaucoup plus humaine que l'image froide d'une diva pour papier glacé.

A Sophie, sans dévoiler sa véritable identité, elle va raconter comment tous les hommes qu'elle a aimés, elles les a quittés, comment ils sont tous morts, suicidés. Lucien Morisse, Luigi Tenco, le comte Richard de Saint-Germain... « J'ai toujours cherché l'amour sans jamais, je crois, le trouver vraiment » confie-t-elle à Sophie. « En fin de compte il y avait toujours un creux en moi, comme une béance d'amour, je dirais. J'ai toujours quitté les hommes, persuadée que quelque chose de plus grand et de plus beau m'attendait ailleurs. Je crois que j'ai cherché quelque chose qui n'est pas de ce monde... » Tragique destinée pour une femme, une artiste, toujours dans la lumière alors que son âme sombrait dans des noirceurs absolues. Sophie va tenter de la sauver, de lui redonner le goût de vivre. En vain. Toute souffrance doit cesser un jour. Même Sophie le reconnaîtra 25 ans plus tard.

Suicide à San Remo


Philippe Brunel aussi revient sur les zones d'ombre de la carrière de Dalida, notamment en janvier 1967, au festival de la chanson de San Remo. Dalida y interprète une chanson de Luigi Tenco, son amant du moment. Après le gala, Dalida reste au repas, Luigi retourne à son hôtel. Et se suicide d'une balle dans la tête. « La nuit de San Remo » est entre enquête journalistique (l'auteur se met en scène, des années plus tard, à la rencontre des rares survivants) et réflexion sur la non-reconnaissance du créateur. Il raconte aussi cette romance improbable entre « la diva consacrée des prime time » et « le jeune auteur compositeur engagé, confiné aux cabarets ». « Mais les contraires s'attirent. Dalida est séduite, bluffée par son éthique, son intransigeance. Tenco est un rêveur irrécupérable mais comme elle le dira plus tard, « il était mon instinct, ma vocation musicale ». Et sa chanson la touche. » Décomposée par ce suicide spectaculaire, Dalida tentera de le rejoindre dans la mort quelques jours plus tard. Une première tentative. Avant d'autres. Et la bonne, le 2 mai 1987.

« C'était en mai, un samedi », David Lelait-Helo, Anne Carrière, 17,50 € (également disponible en poche chez Pocket)

« La nuit de San Remo », Philippe Brunel, Grasset, 16 € 

jeudi 24 novembre 2011

Polar - Deux voyous et la nature

Ce roman policier signé Bruno Gallet se déroule en grande partie sur le Causse. Deux jeunes voyous vont y rencontrer une nature rédemptrice.

Bien plus qu'un simple roman policier, « Des voyous magnifiques » de Bruno Gallet est aussi un formidable voyage dans la nature rude du Causse en hiver. Elle va s'imposer comme le véritable personnage central d'un roman virant au final à la quête rédemptrice.

Tout débute dans une petite ville du Sud des Alpes. Tuscan et Abel ont décidé de braquer une banque. Les deux amis, un peu voyous, surtout marginaux, n'ont pas préparé grand chose. Abel attend dans la voiture, Tuscan se dirige vers les guichets. Il croise le directeur, lui explique qu'il doit ouvrir le coffre, tout en le menaçant d'un fusil de chasse. Manque de chance, le rond-de-cuir veut jouer aux héros. « La déflagration retentit alors, faisant exploser sa tête comme les melons pourris qu'Abel jetait autrefois du pont de Plan-d'Orgon sur le pare-brise des voitures qui, en dessous, filaient sur l'autoroute. »

Sous la neige

Un braquage calamiteux qui continue à tourner vinaigre quand Abel ne parvient plus à démarrer la voiture volée quelques heures plus tôt. C'est à pied que les deux apprentis gangsters prennent la fuite, sous les regards de plusieurs témoins. A un feu rouge, ils montent d'autorité dans une camionnette frigorifique et poursuivent leur cavale vers les montagnes. C'est une idée de Tuscan, le leader, le cerveau du binôme.

La neige commence à tomber et partir vers les hauteurs est très risqué. Un plan qui paye, ils ne croisent pas une seule voiture de gendarmerie. Après un grand détour, ils reprennent la direction de leur planque, la maison de la sœur de Tuscan, sur le Causse.

Tout se passe bien au début et à nouveau la malchance. Pris en chasse par des gendarmes, sur une route de montagne rendue glissante par la neige, ils chutent dans un ravin. Cela leur permet d'échapper aux forces de l'ordre, mais les oblige à poursuivre leur route à pied. Et accompagné car ils font une étonnante découverte à l'arrière du véhicule volé.

Nature grandiose... et hostile

Le roman prend alors son envol humaniste et naturaliste. Humaniste car Abel et Tuscan, dont on apprend l'enfance par brides distillées par l'auteur, se révèlent plus gamins perdus que grands bandits. Certes ils sont malhonnêtes, mais c'est pour survivre. Et ils ont plus de compassion pour leur prochain que des notables bien sous tous rapports. C'est en débutant leur cavale à pied que la nature entre en force dans le roman. Cela donne des passages d'une grande beauté comme cette découverte, par Abel, du Causse : « Bientôt le sol se couche sous leurs pas et aux effluves gras des terres d'en bas succède progressivement le parfum âpre et poivré du Causse. Le talus qui leur masquait la vue bascule alors devant eux pour dévoiler d'un coup un plateau fluorescent raboté par les vents et filant sous une lune platine jusqu'à un horizon impeccablement rectiligne. Au-dessus, le ciel a des airs de planétarium tant la lumière des étoiles qui le tapissent paraît artificielle. » La nature ne se montrera pas très généreuse pour les fuyards. Ils parviendront cependant à se cacher des forces de l'ordre, découvrant les entrailles de la région avec leur petit fardeau mais si encombrant.

Un road movie sans route ni voiture, mais au cœur d'une région merveilleusement décrite par Bruno Gallet.

« Des voyous magnifiques », Bruno Gallet, Anne Carrière, 18,50 € 

dimanche 10 octobre 2010

Roman - Robert Goolrick raconte sa famille féroce

Roman extrême, « Féroces » de Richard Goolrick plonge le lecteur dans une famille américaine des années 50. Famille aux secrets sordides.

Il est des romans qui vous laissent des souvenirs profonds, comme des blessures qui mettront des semaines à cicatriser. Et des années plus tard, vous aurez toujours cette marque superficielle, réminiscence de l'histoire vous ayant touché. « Féroces » de Richard Goolrick est ce ces œuvres. On ne sort pas intact de ce récit, apparemment décousu, de son enfance et sa vie d'adulte, avant que l'écriture ne le libère de tous ses démons.

Pour se raconter, Robert Goolrick commence par présenter ses parents. Ce qu'ils sont devenus. Notamment les obsèques de son père. Un vieux monsieur, alcoolique, sale, dont la maison était infestée de rats. Sa femme était morte six années auparavant. Elle aussi « parce qu'elle buvait trop. »

Beaux et intelligents

L'auteur se souvient ce son enfance. Quand ses parents étaient littéralement adulés dans cette petite ville du sud profond des USA, dans les années 50. « Non seulement mon père et ma mère étaient doués pour l'organisation des fêtes, avec leur générosité et leur intelligence, mais ils étaient aussi doués pour aller aux fêtes. On les adorait pour leur sens de l'humour et leur charme, pour leur beauté et leur minceur. » Richard aurait donc tout eu pour vivre une enfance heureuse en compagnie de son frère et de sa sœur. Mais les membres de sa famille étaient « féroces ».

C'est un jeune adulte traumatisé, profondément dépressif, qui tente de s'émanciper. Sans détour, il explique comment la vie lui est devenue impossible. « Je vivais seul. Je m'étais toujours senti seul, isolé des gens réels, même lorsque j'étais impliqué dans l'une de mes histoires d'amour chaotiques, des histoires qui échouaient du fait de ma propre lassitude, des cruautés ineptes des hommes et femmes que j'avais choisi d'aimer. »

La lame du salut

Il passe son temps à faire semblant, cherchant un échappatoire. Il croit le trouver en faisant l'acquisition d'une lame de rasoir. Et de se faire mal pour faire baisser la pression : « La peau céda facilement, et le sang s'écoula le long de mon bras jusque dans ma main repliée, puis sur les draps. La douleur était atroce. » Il recommencera, jour après jour, jusqu'à l'obsession. « Mon bras gauche était saturé. Il n'était plus que de la viande hachée. J'attaquais le bras droit, avec le vertige de la chair neuve. Mes bras n'étaient qu'un entrelacs de blessures. Une toile d'araignée sanguinolente. »

Des passages difficiles qui ont pourtant le pouvoir de nous envoûter. Robert Goolrick, a froid, se met à nu et amène le lecteur vers ce qui a tout déclenché dans sa petite enfance. Un traumatisme donnant une dimension supplémentaire à ce roman déjà exceptionnel. Et d'y consacrer tout un chapitre intitulé « Comment j'ai pu continuer ? ». Finalement il a survécu. Et un écrivain majeur est né.

« Féroces », Richard Goolrick, Anne Carrière, 20,50 €