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samedi 30 août 2025

Roman noir - Au Sud, la résignation

Bienvenue dans le Snakefoot, région du sud des USA, zone sinistrée théâtre de « Nulle part où revenir », roman de Henry Wise.

Devenir l'adjoint du shérif d'une petite ville rurale de Virginie semblait la meilleure solution pour Will Seems. Il connaît la région pour y avoir passé toute son enfance. Il l'a quittée, comme la majorité des jeunes, pour la grande ville en plein essor de Richmond. Pourquoi alors revenir à Euphoria, près du sinistre marécage de Snakefoot, dans la maison presque en ruines abandonnée par son père devenu avocat ?  Premier roman de Henry Wise, « Nulle part où revenir » est une plongée angoissante et perturbée dans l'esprit de Will. Il n'est pas le narrateur, mais le principal protagoniste de ce roman noir entre ségrégation raciale, violence au quotidien et misère sociale. 

Alors qu'il vient de passer la nuit dans sa voiture au bord de la rivière, Will voit de la fumée au loin. Il se précipite et découvre la maison de Tom Janders en flammes. Il parvient de sortir son ami d'enfance du brasier, mais trop tard. Le shérif Mills arrive sur place pour tenter de réconforter la compagne de Tom, Day Pace : « Elle hurlait, semant son chagrin derrière elle comme une traînée de sang ou de mort. (…) Il la ceintura et elle continua à se débattre, si bien que, pendant un moment, ils semblèrent danser un pas de deux hébété. » Avec une science de la narration étonnante pour un premier roman, Henry Wise distille les indices, présente les protagonistes, intrigue le lecteur. 

Le traumatisme de l'enfance

Will semble perdu dans cette ville qu'il a violemment rejeté à une époque. C'est pourtant son univers, sa base, ses racines. Là qu'il a vécu heureux quelques années, quand sa mère était toujours en vie, avant que son meilleur ami, Sam, ne se fasse littéralement lyncher après avoir tenté de le défendre face à une bande de voyous. Le suicide de sa mère, la fuite de son père, la bienveillance des voisins, les parents de Sam... Will rumine sa culpabilité. Qui va augmenter d'un cran quand il surprend le père de Sam fuyant l'incendie et qu'il comprend que Tom a été tué de plusieurs coups de couteau avant l'embrasement de sa maison. 

Un meurtre, un innocent à sauver, des secrets à garder : le récit devient aussi touffu que la végétation luxuriante de ce Sud infesté de redoutables serpents (mocassins à tête cuivrée) et de marécages entre les immenses champs de tabac. Aidé d'une ancienne policière devenue détective privée, Will va pister le véritable meurtrier, comme pour tenter de trouver une nouvelle raison pour continuer son chemin dans cette région ravagée par des décennies de racisme et d'exploitation des esclaves noirs par les planteurs blancs. L'histoire de Will, Day, Sam et tous les autres, tragique et désespérée, semble le résumé parfait de cette Amérique toujours déchirée par des siècles d'injustice.

« Nulle part où revenir », Henry Wise, Sonatine, 432 pages, 23 €

mercredi 5 mars 2025

BD - La "Panique aquatique" gagne le parc marin d'Aqualand

La mer est en danger. Pollution, exploitation : il ne se passe pas un jour sans que la situation n'empire. Dan Santat, auteur américain, en a parfaitement conscience et tente dans ce roman graphique destiné aux adolescents de leur faire prendre conscience que l'avenir se joue actuellement. 

Sophia est une petite fille nostalgique. Elle vit chez son oncle depuis la disparition de son père en mer. Un scientifique, à l'origine d'un parc marin, Aqualand. Aqualand est un peu le royaume de Sophia. L'endroit où elle retrouve le plus de traces de son père. Un jour, un étrange scaphandrier fait son apparition à l'entrée du parc. Pas n'importe quel scaphandre : celui du papa de Sophia. Serait-il encore vivant ? 

Au cours des chapitres suivants, le lecteur découvre, émerveillé, que ce sont des coquillages, tortue, poissons, crustacés et même un poulpe qui animent cette réminiscence du créateur d'Aqualand. Le récit bascule dans le fantastique. En se noyant, le savant a transféré sa conscience vers ces animaux marins qui ont désormais pour mission de sauver leur univers. Ils se rendent sur terre, à leurs risques et périls, pour tenter de persuader Sophia. Lui délivrer aussi un dernier message de son père. 

Une BD poétique, superbement dessinée dans un style très animation traditionnelle. Logique car Dan Santat s'est avant tout fait connaitre en créant la série The Replacements sur Disney Channel. 

"Panique aquatique", Rue de Sèvres, 256 pages, 16 € 

jeudi 23 janvier 2025

BD - Jack Gilet, bourreau itinérant américain

Très beau et passionnant roman graphique signé par David Ratte, auteur prolixe installé depuis de nombreuses années dans les Pyrénées-Orientales. Jack Gilet, le héros, a hérité de la charge de son père : bourreau. Dans l’Amérique du début du XXe siècle, le travail ne manque pas. Mais Jack est un sensible. Tuer des hommes ou des femmes, il ne peut pas. Il s’est reconverti en bourreau d’animaux.

Il sillonne l’Amérique rurale, pour exécuter les sentences parfois étonnantes contre une vache belliqueuse, un chien agressif, voire un cochon affamé (il a mangé un nourrisson…). A Flagstone, petite ville peuplée de « péquenaud », dixit Jack Gilet, en plus d’une truie, il doit pendre une chèvre coupable d’avoir envoyé par-dessus le parapet d’un pont un homme qui s’en prenait à sa propriétaire, Winifred, jeune sauvageonne. Malgré les pleurs de la jeune fille lors du procès, l’animal est condamné. Jack officie et repart vers une nouvelle mission. Winifred, en rage, décide de le suivre et de se venger. Cette longue course-poursuite à travers les superbes paysages des USA encore sauvages, est une plongée dans les consciences de deux personnages.

Si Jack peut tuer des animaux sans s’émouvoir, au contraire, Winifred les trouve plus attachants que les hommes dont on peut se débarrasser sans problème.

Une belle histoire, pleine de rebondissements, portée par des planches d’une exceptionnelle beauté, en couleurs directes à l’aquarelle.
« À la poursuite de Jack Gilet », Bamboo Grand Angle, 128 pages, 19,90 €

mercredi 20 novembre 2024

Thriller - « L’ours qui dort » réveille la guerre froide

 Alaska, terre sauvage. Les risques sont multiples pour les aventuriers. Des ours affamés aux savants fous en mal de cobayes.


La fascination des Américains pour leur armée est une réalité indéniable. Toute une littérature sur les exploits des GI’s et autres SEALS alimente la fierté de cette frange nationaliste du pays pour des héros ayant l’amour de la patrie chevillée au corps. Dans le genre, L’ours qui dort, premier roman de Connor Sullivan, en est un exemple parfait. L’auteur raconte les aventures de la famille Gale.

Le père, Jim, vit dans un ranch dans le Montana avec ses deux grandes filles, Cassie et Emily. Le moral de la première est au plus bas. Elle vient de perdre son mari. Cette ancienne ranger part se ressourcer en Alaska. En compagnie de son chien, elle va camper au bord d’une rivière, loin de toute civilisation. C’est là qu’elle est enlevée par des inconnus. Jim se rend immédiatement sur place à sa recherche. Mais comment retrouver une femme dans cette nature immense et sauvage ?

D’autant que les dangers sont multiples, comme cette rencontre périlleuse : « L’ours chargea. Une masse de six cents kilos de sauvagerie se précipitait sur lui avec la puissance d’une locomotive lancée à pleine vitesse. Le vieux cowboy abandonna la recherche de son revolver et se roula en position fœtale, les mains autour de son cou. »

Débutant comme un roman de survie en milieu hostile, le roman prend ensuite la trajectoire d’une histoire de vengeance sur fond d’espionnage du temps de la guerre froide et d’expériences scientifiques pratiquées par de véritables savants fous sur des prisonniers politiques. Un suspense haletant, des forêts du grand Nord au goulag russe en passant par la salle de crise de la Maison Blanche et le palais secret de Poutine.

Écrit avant l’invasion russe de l’Ukraine, ce texte alerte aussi sur les vues impérialistes d’un pouvoir de plus en plus totalitaire. Cela manque parfois de nuances, mais c’est malheureusement criant de vérité.

« L’ours qui dort », Connor Sullivan, H & O Thriller, 480 pages, 22,90 €

mardi 10 septembre 2024

BD – Comment se moquer de l’Amérique profonde


Le rêve américain, son cinéma inégalable, ses petites villes perdues, ses flics bêtes et bornés… Tel est le menu de recueil d’histoires courtes parues dans Fluide Glacial et reprises dans un album augmenté de quelques gags intermédiaires pour lier le tout.

Maddie Edwards est officiellement la shérif du comté de Badger, chef-lieu Chapatanka. Mais son rêve est de devenir romancière. Au lieu de rédiger les rapports de ses enquêtes de routine (très routinières), elle ambitionne de pondre un best-seller. Un polar évidement. Problème : elle n’a aucune imagination. Alors elle va s’inspirer de son quotidien. Nouveau problème, le roman débute par cette phrase peu accrocheuse : « Chapatanka, une ville sans histoires. »


Pourtant, si elle était un peu plus à l’affût, elle en trouverait des idées si l’on en croit les auteurs de la BD, B-Gnet et Joret. L’histoire de ces petites filles, des jumelles, perdues dans la forêt et qui survivent en tuant et mangeant des touristes, cet écrivain fou qui séquestre sa femme dans un hôtel isolé, cette famille de freaks, typique de ce Midwest où la dernière mode est de porter un masque en peau humaine.

Chaque histoire est une relecture, très humoristique, de grands classiques du cinéma US. De Rambo à E.T.
« Chapatanka », Fluide Glacial, 56 pages, 15,90 €

mardi 3 septembre 2024

BD - Ohio, rivière et frontière


Méconnue du grand public, la conquête d'Ouest américain a d'abord été une guerre entre France et Angleterre. Les deux puissances colonisatrices désiraient imposer leur loi pour profiter des richesses de ces immenses territoires vierges. Mais pas déserts. Hurons et Iroquois, ennemis héréditaires, se partagent eux aussi la région.

Le contrôle de la navigation sur la rivière Ohio devient rapidement un enjeu majeur. Les Français y voient l'opportunité de faire communiquer leurs deux grandes provinces, le Canada et la Louisiane. Les Anglais vont s'y opposer par les armes.

C'est cette guerre qui sert de toile de fond à la nouvelle série historique de Fred Duval et dessinée par Brada. En 1754, un trappeur français, Jacques de la Salle, va se retrouver au centre du conflit. Il va tenter de sauver sa peau aidé par un Iroquois, Loup Blanc.

La beauté des berges sauvages magnifie cette série qui veut rendre hommage aux nations indiennes, victimes de la querelle entre grands d'Europe. Un récit humaniste, avec son lot de surprise et de coups de théâtre, car Loup Blanc, comme le trappeur, ancien pirate, ont de lourds secrets dans leurs besaces.
« Ohio, la belle rivière » (tome 1), Delcourt, 56 pages, 13,50 €

dimanche 18 août 2024

Polar - La quête du shérif


Dans son nouveau roman policier, R. J. Ellory plonge le lecteur dans la base du système policier des USA. Victor Landis est shérif. Il gère les désordres d’une petite ville de Géorgie, près de la frontière avec le Tennessee. Son jeune frère, Frank, est lui aussi shérif. Ils sont brouillés mais Victor est obligé de le rencontrer une dernière fois. Pour reconnaître son corps. Écrasé par un chauffard. Volontairement. Un meurtre.

Même si ce n’est pas de sa compétence, il décide d’enquêter dans le dos des fédéraux et va découvrir que cette région des Appalaches, très pauvre, est gangrenée par la corruption et les trafics de toutes sortes. Un polar classique qui prend une dimension de plus quand Victor découvre que son frère a été marié, a divorcé mais qu’il laisse derrière lui une petite fille, Jenna.

Le shérif Landis se retrouve avec un frère mort cachant de nombreux secrets, une nièce attachante qui va rapidement le vénérer et des cadavres d’adolescentes dans une autre affaire qui finalement pourrait avoir un rapport avec l’assassinat de l’autre shérif.

De la grande littérature noire par un auteur anglais qui a fait de l’Amérique son terrain de jeu préféré.
« Au nord de la frontière », R. J. Ellory, Sonatine, 496 pages, 24 €

samedi 4 mai 2024

BD - Espagne, terre atomique pour Guy Lefranc

 


Roger Seiter, le scénariste de cette 35e aventure du reporter Guy Lefranc s'est inspiré d'un véritable fait divers pour la trame du scénario.
Au début des années 60, en pleine guerre froide, les USA maintenaient en permanence plusieurs bombardiers en vol avec des bombes H dans les soutes pour répondre à toute attaque soviétique. Les avions partaient des USA, traversaient l'Atlantique et se tenaient en permanence à proximité des frontières de l'Est. D'autres avions, basés en Europe, étaient chargés de ravitailler en vol les bombardiers qui faisaient des veilles de 24 heures.

Lors d'un plein, au-dessus de l'Espagne, un B52 explose en vol, cinq bombes H tombent à proximité d'Alméria. Un reportage du feu de Dieu pour le journaliste Lefranc, en vacances dans la région. Exactement il est à la recherche d'une ancienne combattante républicaine qui a connu son oncle, engagé dans les brigades internationales pour protéger la jeune République.

Double enquête donc pour le héros imaginé par Jacques Martin et qui désormais est dessiné par plusieurs repreneurs, Régric pour ce Bombes H sur Alméria. Sa recherche de la vérité sur la mort de son oncle se croisera finalement avec la récupération d'une bombe. Dessin fidèle à l'original, intrigue réglée au millimètre : ce 35e titre d'une série idéalement relancée tient toutes ses promesses de nostalgie doublée d'une bonne dose de vintage.

«Guy Lefranc» (tome 35), Casterman, 48 pages, 12,50 €

vendredi 18 août 2023

BD - Dérive californienne absolue dans « Le labeur du Diable »


Ce n’est certainement pas l’album de BD qui est le plus dans l’esprit de Noël. Au contraire, il est réservé à un public averti. Dans une ville de Los Angeles aux prises avec tous les vices, un petit employé de bureau frustré va se métamorphoser en tueur sanguinaire.


Il a ce mal ancré au fond de lui. Pour le faire émerger, il lui suffit d’endosser un uniforme de policier.
Écrit par Fathi Beddiar, ce scénario destiné au cinéma était trop violent pour passer l’épreuve des financements. Résultat, cela devient une BD extrême dessinée par Babbyan et Geanes Holland.
« Le labeur du Diable » (tome 1), Glénat, 24,95 €

mardi 18 juillet 2023

Thriller – Atlee Pine, agent spécial du FBI et sœur de choc


Atlee Pine. Retenez ce nom. Agent spécial au FBI, cette jeune femme est la nouvelle héroïne de l’écrivain américain David Baldacci. Le second épisode de ses aventures vient de sortir, Une minute avant minuit (Talent Éditions, 550 pages, 22,90 €). En poste en Arizona, Atlee est placée en congés forcés par sa hiérarchie après une arrestation un peu trop mouvementée.

Elle décide de mettre à profit ce temps libre pour revenir en Georgie, à Andersonville, là où sa sœur jumelle, Mercy, a été enlevée en pleine nuit. Elles avaient six ans. Le ravisseur a violemment frappé Atlee, la laissant pour morte. 30 ans plus tard elle va tenter de retrouver les survivants de cette affaire qui avait fait grand bruit dans la petite ville de province.

Pour corser cette intrigue secondaire, David Baldacci plonge son héroïne dans une autre enquête : les meurtres d’un serial killer, visiblement fasciné par les reconstitutions historiques. Or, Andersonville est réputé pour son passé durant la guerre de Sécession.

Un thriller mouvementé, où on se passionne de plus en plus pour le passé de la belle et très physique Atlee. Et pour les retardataires, la première enquête, Sur le chemin du pardon vient de paraître en poche (Talent, 9,60 €)

jeudi 15 juin 2023

BD - La vie erratique de Patience

Comme dans Blue Flame (voir note précédente), des questions existentielles, il y en a aussi treize à la douzaine dans Patience, roman graphique de Daniel Clowes. Tout commence par une bonne nouvelle. Patience, la petite amie de Jack, lui annonce qu’elle est enceinte. 

Ils s’aiment mais sont sans le sou. Patience voudrait reprendre des études. Jack, distribue des prospectus dans la rue. Mais il prétend avoir un vrai boulot, dans un bureau. Le jour où il décide de l’annoncer à sa copine, il la retrouve morte dans le salon. Étranglée. La police l’interroge, le soupçonne. Sa vie s’écroule et termine en prison.

Un début très drame social noir mais qui va prendre une tout autre tournure. Des décennies plus tard, dépressif, alcoolique, Jack rencontre un geek qui prétend avoir inventé une machine à voyager dans le temps. Résultat le veuf va faire un voyage dans le passé pour empêcher le meurtre de son amour. 

Un étrange récit, plein de paradoxes temporels, d’imbroglios et de fausses pistes. C’est étonnant, parfaitement mené avec une fin déroutante, preuve que Daniel Clowes est un des meilleurs auteurs contemporains US. L’ensemble de son œuvre est actuellement réédité par les éditions Delcourt.

« Patience », Delcourt, 28,50 €

mardi 6 juin 2023

Un roman d’horreur - Le clown et le maïs


Amateurs de littérature de genre, réjouissez-vous, Sonatine fait désormais dans l’horreur. Un clown dans un champ de maïs d’Adam Cesare est un bel hommage aux films d’horreur des bouseux américains.

Quand une petite famille de la grande ville débarque à Kettle Springs, bled paumé du Missouri, elle remarque surtout les dessins de Frendo dans la rue, un clown pas spécialement marrant. Quand quelqu’un déguisé en Frendo décide de se lancer dans un grand massacre, Quinn, l’héroïne, va regretter d’avoir suivi son père dans ce déménagement.

Dans des champs de maïs infinis, elle va devoir beaucoup courir pour tenter d’échapper à cette future star de la littérature d’horreur.

« Un clown dans un champ de maïs », Adam Cesare, Sonatine, 20,90 €

dimanche 7 mai 2023

Un poche - Vie « Consumée »


Une fille, issue d’une petite ville de Californie, commence des études de littérature. Elle est avide de fric facile et de speed. Quoi de plus simple quand on n’est pas trop mal fichue, que devenir strip-teaseuse. Problème, 20 ans après, elle n’a toujours pas son diplôme. Un récit dérangeant. Assez dégueulasse. Mais surtout, jamais elle ne remet en question l’addiction des hommes au sexe. 

Elle ne parle que de son point de vue, même si tout à la fin, elle remet en cause la manière dont on traite « les spécialistes du sexe ». « J’ai quarante ans et je continue de me désaper ou de faire des branlettes pour payer mon loyer. Je n’ai aucune idée de la manière dont on quitte l’industrie du sexe pour entrer dans le monde du travail. C’est ça, mon monde du travail ». 

À l’arrivée, on n’arrive même plus à la plaindre.

« Consumée », Antonia Crane, 10/18, 8,60 €


jeudi 9 février 2023

BD - Mascarade US dans « New Hope » de Cee Cee Mia et Jalo chez Dupuis

Bien qu’habitant à Carcassonne depuis de longues années, Cee Cee Mia, scénariste de plus en plus productive dans le milieu de la BD, aime situer ses histoires aux USA. Il est vrai qu’elle connaît bien l’Amérique pour y a voir vécu et travaillé quelques années dans sa jeunesse.

Sans surprise donc, sa nouvelle série pour adolescents, se déroule sur un campus et aborde le cas assez incongru pour les lecteurs francophones des fraternités secrètes, heureusement popularisées par quantité de série télé destinées aux adolescents. Isabella, l’héroïne de New Hope, série dessinée par l’Espagnol Jalo, n’a pas une vie très satisfaisante. Elle vit avec sa mère et son frère. Un frère placé sur un piédestal, le meilleur, le seul qui trouve grâce aux yeux de sa maman qui se sacrifie pour son confort.

Alors qu’il doit intégrer l’université, il tombe gravement malade. Un traitement expérimental de l’hôpital de New Hope pourrait le sauver. Mais difficile d’intégrer le groupe test. Ce serait plus simple si la demande venait de la fraternité Epsilon qui règne sur le campus de la ville. Le directeur de l’hôpital est un ancien qui ne peut rien refuser aux nouveaux membres. Alors Isabella va se faire passer pour un garçon et intégrer Epsilon pour obtenir le sésame.

Le premier tome de cette BD, long de plus de 110 pages, plante le décor et dresse le portrait des différents protagonistes. Isabella et son double masculin, la meilleure amie de cette dernière, le chef d’Epsilon, violent et macho, la mafia qui gravite autour et les politiciens corrompus. Dans un monde assez peu reluisant, Isabella devra avoir une incroyable volonté pour ne pas perdre son humanité.

«New Hope» (tome 1), Dupuis, 14,90 €

mercredi 8 février 2023

BD - Les filles hors normes du monde de Daniel Clowes

Considéré comme un des auteurs underground américain le plus marquant de sa génération, Daniel Clowes bénéficie d’une réédition de quasiment toute sa production dans une collection qui lui est entièrement dédiée. Sous le titre générique de « La bibliothèque de Daniel Clowes », les lecteurs d’aujourd’hui pourront redécouvrir des œuvres des années parues ces dernières 30 années.

On ne peut que vous conseiller de débuter avec ce Ghost World publié initialement entre les années 1993 et 1997 aux USA. Des récits complets qui donnent une bonne idée de la mentalité d’une certaine jeunesse hors normes. 

Enid et Rebecca sont deux jeunes filles qui se posent beaucoup de questions. Elles sont toujours au lycée, envisagent vaguement de rejoindre l’université, vivent au jour le jour, entre sorties dans des librairies branchées, repas dans des restaurants atypiques et soirées passées à discuter de leurs envies de faire l’amour pour la première fois.

Enid, brune, rebelle et un peu punk, toujours dans la provocation et l’exagération. Rebecca, blonde comme les blés, discrète, suiveuse, peu sûre d’elle. Leurs dialogues sont édifiants pour cerner les tourments dans lesquels elles se débattent au quotidien. Mais cette BD de 80 pages vaut aussi pour les rencontres qu’elles font dans les rues de leur petite ville. Un couple de supposés satanistes, un néo nazi qui tente de faire la promotion de la pédophilie, un médium extralucide ou cette amie d’enfance qui tente de devenir comédienne mais qui se contente, pour l’instant, de petits rôles dans les clips de propagande d’un candidat républicain.

Une Amérique hors normes, dans toute sa diversité et sa folie. Le monde de Daniel Clowes.

«Ghost World», Delcourt, 18,95 €.

jeudi 28 juillet 2022

Roman - L’Amérique ouvrière

Si, pour beaucoup, les États-Unis sont le royaume du capitalisme, il ne faut pas oublier que ce jeune pays a connu son lot de révoltes ouvrières. Dans Des jours meilleurs, Jess Walter raconte les événements qui ont agité, entre 1909 et 1910, la ville de Spokane, dans l’état de Washington. Des milliers de vagabonds y tentent de survivre en travaillant pour les mines ou pour les exploitants forestiers.

Parmi eux, les frères Dolan. Gig, l’aîné et Rye, le cadet. Le premier a une conscience de classe et milite à un syndicat ouvertement communiste. Le second espère juste vivre sereinement dans une petite maison, avec un travail pérenne. Une manifestation de rue va dégénérer. Gig sera emprisonné, Rye également. Il découvrira les méthodes de la police et des milices privées. Battu, torturé, il prendra fait et cause pour les ouvriers, son camp. Mais il en paiera le prix fort.

Ce roman historique, subtil mélange entre fiction (les frères Dolan) et réalité (les révoltes sociales) est, avant tout, le témoignage de la formidable force de cette solidarité, si forte parmi les plus pauvres et les plus démunis.

« Des jours meilleurs » de Jess Walter, Éditions La Croisée, 23 €

mercredi 12 janvier 2022

De choses et d’autres - Un bus et des cyclistes

 


Les sportifs me feront toujours un peu de la peine. Pas les compétiteurs, les champions qui font ça pour de l’argent, beaucoup d’argent, mais les sportifs d’opérette avec maillots fluorescents, persuadés qu’en marchant 3 minutes sur un tapis roulant ou en ahanant 20 secondes sur un rameur, ils vont se forger un corps de rêve malgré les menus complets du midi, les apéros quotidiens et les chips du soir dans le canapé en regardant la dernière série Netflix.

 

Ils ne perdent pas un gramme de graisse, juste de l’argent car un abonnement à la salle, ce n’est pas donné. Mais il y a pire que ces spécimens. Aux États-Unis, une salle propose des séances en extérieur.

Un concept révolutionnaire.

Au lieu d’installer les vélos d’appartement entre quatre murs face à des miroirs pour s’admirer en plein effort, ils ont placé les engins dans un bus. Ainsi, les sportifs pédalent tout en admirant le paysage car le bus se déplace. Voilà comment un génie du réchauffement climatique est parvenu à rendre le vélo, d’appartement en plus, émetteur de CO2 ! Là-bas, même en pédalant, on pollue. Alors qu’il serait si simple de prendre de véritables vélos et de se balader sur des pistes cyclables.

En réalité cette idée est uniquement destinée aux mous de la pédale. Car quand on est dans la nature, pour rentrer chez soi, il faut des mollets. Dans un bus, on peut arrêter de pédaler, aller au distributeur de friandises, acheter de la nourriture bien grasse et l’ingurgiter en attendant que le chauffeur nous amène à destination. Et ça se dit sportif !

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le jeudi 13 janvier 2022

mardi 9 juin 2020

BD - Failles américaines





Depuis un peu plus d’une semaine, les USA voient des milliers de personnes manifester contre les violences policières. La violence est dans la rue, les pillages devenus la conséquence de la mort d’un homme noir asphyxié par des policiers blancs. Ce pays où les habitants sont aussi prompts à dégainer la Bible que les fusils automatiques, on le comprend mieux en lisant ces deux albums de BD. Le premier, de Nury et Brüno, racontent le destin tragique de l’homme qui a tué un héros de la guerre, le meilleur sniper de l’armée américaine. 

Le second, autofiction anthropomorphe de Jason Sturm raconte les difficultés économiques d’une partie de la nation traumatisée par l’élection de Trump. Deux visions froides et réalistes d’une situation qui n’annonce pas de beaux jours pur la première puissance mondiale. 

Chris Kyle est un héros américain. Sniper dans l’armée, durant ses quatre séjours en Irak, il a abattu plus de 250 « sauvages », comme il les qualifie. De retour la vie civile, il crée une société de surveillance privée, écrit un best-seller et aide des militaires en difficultés. Sa solution : se détendre sur un stand de tir. C’est là qu’il sera abattu par Eddie Ray Routh, alcoolique, drogué, ancien marine qui n’a jamais combattu mais vu plus de cadavres que Chris quand il est allé en Haïti enterré les milliers de victimes d’un tremblement de terre. 160 pages d’un véritablement documentaire dessiné, sans parti pris. 


À l’opposé, Jason Sturm se raconte à la première personne dans « Hors-saison ». Il raconte comment son couple s’est délité, comment il accepte les petits boulots de construction pour survivre, comment il est dur de rester digne quand tout s’écroule autour de soi. Ce projet a véritablement été lancé après l’élection de Trump. La femme de Jason, fervent soutien d’Hillary Clinton, est tombée dans une grave dépression après la défaite de la Démocrate. On comprend avec ce récit combien le pays est divisé par l’arrivée au pouvoir de ce milliardaire dans lequel tant d’Américains aiment à se reconnaître. Guerre, élections, tweets, prières : toute l’Amérique contemporaine, si inquiétante, est résumée dans ces deux albums de BD essentiels.

« L’homme qui tua Chris Kyle », Dargaud, 22,50 €

« Hors-saison », Delcourt, 24,95 €


dimanche 24 mai 2020

BD - L’autre affaire Dreyfus, aux USA



En 1915, aux USA, ce ne sont pas les combats en Europe qui faisaient réagir le peuple mais le procès Léo Frank. Cet industriel d’Atlanta était accusé d’avoir violé et tué une de ses jeunes employées, Mary Phagan. Il crie son innocence comme quelques années plus tôt le capitaine Dreyfus en France. Mais ses origines juives vont le desservir. 

Dans ce sud pas encore remis de la guerre de Sécession, les investisseurs du Nord, souvent juifs, sont considérés comme les profiteurs de la défaite. L’autre suspect du meurtre de Mary, 14 ans, est un balayeur noir, alcoolique et bagarreur. 



Mais il a compris que sa chance pour s’en sortir est de charger le patron. Juges, procureur et membres du jury populaire après un procès de plusieurs semaines condamnent Léo Frank à la peine de mort. Mais après de nombreux recours, la peine est commuée en réclusion criminelle à perpétuité. L’album de BD signé Xavier Bétaucourt (scénario) et Olivier Perret (dessin) débute dans la nuit du 17 août 1915. Un groupe de notables prend d’assaut la prison et emmènent Léo Frank. 

Au petit matin, après un second procès sommaire, il est pendu à un arbre dans une clairière. Léo Frank, certainement innocent après de nouvelles enquêtes dans les années 80, a d’abord été condamné à mort, puis gracié et finalement assassiné en toute impunité. 

Ce faits divers, qui a à peine un siècle, montre combien les USA sont parfois un pays où la violence, l’invective et le racisme ont encore de beaux jours devant eux. Redécouvrir l’histoire de Léo Frank c’est aussi comprendre comment aujourd’hui encore, certains jouent de ces antagonismes pour asseoir leur pouvoir.

« Ils ont tué Léo Frank », Steinkis, 18 € 

dimanche 17 mai 2020

Roman - Quand le vent idiot guide les vagabonds


La littérature américaine doit énormément au récit Sur la route de Jack Kerouac. Cette simple idée de tout plaquer pour partir à l’aventure, l’esprit ouvert, juste pour avancer dans ce grand pays encore un peu sauvage et rencontrer des gens qui comme lui sont à la marge a éveillé bien des consciences, favorisé des carrières d’écrivains ou tout simplement poussé nombre de jeunes à se rebeller. 
Peter Kaldheim est passé par cette case « Sur la route ». Mais ce n’est pas au sortir de l’adolescence qu’il a chaussé ses baskets. A 30 ans passés, c’est contraint et forcé qu’il a déguerpi à la vitesse grand V du New York où il avait passé pourtant toute son enfance et le début de sa vie d’adulte à travailler dans le milieu de l’édition. Et comme Jack Kerouac, cette traversée des USA dans les années 80 est devenue un roman qui se savoure comme un café chaud après une nuit à la belle étoile à grelotter de froid.


Avec un réalisme absolu, sans jamais se prendre en pitié bien au contraire, Peter Kaldheim décrit le sale individu qu’il était devenu. Mauvais mari, alcoolique, drogué : en janvier 1987 il était prêt à tout pour acheter sa dose de cocaïne. Même à escroquer son dealer officiel, pourtant réputé pour ses méthodes violentes en cas de retard de paiement. 
Mais Peter, depuis quelques années, était sous l’influence de ce qu’il appelle le « vent idiot », cet Idiot Vent qui donne son titre au roman. « Je l’avais vu faire s’envoler à peu près tout ce qui aurait dû compter pour moi. Mon mariage. Ma carrière. Le respect de mes parents et amis. Même un endroit où poser la tête la nuit. » En pleine tempête de neige, Peter dépense ses derniers dollars pour un billet de bus. 
Une centaine de kilomètres au chaud puis il entreprend, en stop, de rejoindre la côte ouest. Ce périple, dans l’Amérique des clochards et des vagabonds, il le raconte avec une faconde réjouissante. Malgré le froid, la faim, le manque de drogue, il continue à avancer, rencontrant de belles âmes qui contrairement à lui dans sa première vie, ne cèdent jamais à l’individualisme. Certes, le chemin est parfois semé d’embûches, mais ce nouveau vent le pousse vers une vie libre et sans addictions. Quatre mois plus tard, il pose son baluchon dans le parc de Yellowstone. 20 ans plus tard il reprend sa carrière littéraire pour publier ces mémoires, le « Sur la route » de la fin du XXe siècle. 

"Idiot wind", Peter Kaldheim, Delcourt littérature, 22 €