Affichage des articles dont le libellé est Denoël. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Denoël. Afficher tous les articles

dimanche 16 mars 2025

Romans policiers - Des employées envahissantes dans "La Nounou" et "Dream Girl"

Une nounou dans le roman d'Evelyn Piper et une infirmière dans celui de Laura Lippman: quand les employées de maison deviennent de véritables cauchemars.


Bien que parus à plus de 60 ans d'écart, ces deux polars américains ont quelques points en commun. Dans La nounou d'Evelyn Piper (paru aux USA en 1966), la femme chargée d'éduquer l'enfant d'un riche couple semble exemplaire dans sa mission. Mais alors pourquoi le jeune Joey a-t-il si peur d'elle ? De la même façon, l'infirmière de nuit chargée de veiller sur Gerry, célèbre écrivain riche à millions grâce au succès de son roman Dream Girl, immobilisé après une chute, semble moins bête qu'elle s'échine à le faire croire. Deux employées qui vivent chez leur patron, devenues intimes, indispensables. Mais quel est leur but exactement ? Des relations complexes devenant au fil des chapitres de plus en plus anxiogènes.

La nounou fait partie de ces romans noirs ciselés comme un bijou de luxe. Evelyn Piper signe un polar où la paranoïa est en permanence sous-jacente. La faute à cette nounou anglaise au service de la famille depuis des décennies. Elle se charge de l'éducation de Joey. Un petit garçon de 6 ans qui redoute revenir à la maison après un séjour dans une clinique psychiatrique. Accidentellement, il a tué son petit frère. Quand il prétend que la nounou lui en veut, ses parents, son médecin et les voisins n'y croient pas. Le lecteur, lui, se doute que l'enfant n'est pas fou et qu'au contraire la vieille fille est bizarre. Joey va-t-il convaincre quelqu'un, a-t-il une chance de s'en sortir ? Le roman, sous une forme très classique (un peu démodée même), amène le chaud dans une ambiance glaciale. 

Paranoïa aussi pour Gerry Andersen, l'écrivain au centre du roman Dream Girl de Laura Lippman se déroulant dans un appartement au sommet d'une tour à Baltimore. Gerry est romancier. Un vieil intellectuel qui regrette ces années 80 et 90 quand tout semblait permis. Il vient de chuter dans l'escalier. Jambe cassée, le voilà immobilisé pour plusieurs semaines. 

Gerry va devoir remettre son quotidien entre les mains de son assistante, une jeune étudiante fan de ses écrits et une infirmière de nuit, qui passe son temps à regarder des niaiseries à la télé. Gerry, marié trois fois, récemment séparé et qui vient d'enterrer sa mère. Un homme amorphe, ayant perdu l'inspiration, étonné quand il reçoit un coup de fil d'une certaine Aubrey. Elle prétend être la femme qui lui a inspiré le personnage de son best seller. Et lui réclame la moitié de sa fortune. Qui est cette Aubrey ? Ne devient-il pas sénile et un peu fou, comme sa mère ? Ni son assistante, ni l'infirmière ne se souviennent de ces appels. 

Ce thriller, à l'intrigue particulièrement tordue, se transforme parfois en jeu de piste littéraire. L'occasion de découvrir les dessous d'un milieu pas toujours très net. C'est un des atouts de ce thriller écrit dans un style fluide et savant, comme quoi l'intelligence, parfois, devient contagieuse.

« Dream Girl », Laura Lippman, Actes Sud, 368 pages, 22,80 €

« La nounou », Evelyn Piper, Denoël, 280 pages, 22,50 €

vendredi 25 octobre 2024

BD - Quand Paris se soulève


« Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé ! Mais Paris libéré
! » Cette célèbre tirade du Général de Gaulle le 25 août marque la fin d'une des grandes batailles de l'Histoire de France (nom de la collection), la libération de Paris. Jean-François Vivier et Denoël ont retracé ces quelques jours avec la méticulosité des historiens. Dans un prologue, ils présentent les forces en présence.

Car les libérateurs n'arrivent pas forcément unis. D'un côté les communistes, de l'autre les Gaullistes. La libération de Paris est avant tout une affaire politique franco-française.


L'album raconte comment les Gaullistes tentent de temporiser pour permettre à la 2e DB de Leclerc de rejoindre la capitale et d'arriver en triomphateur avec De Gaulle. Les communistes sont au contraire déterminés à en finir le plus vite possible. Ils sont persuadés que les forces intérieures seront assez fortes pour repousser l'envahisseur. Alors qu'une trêve est négociée, les barricades communistes dans divers quartiers parisiens viennent provoquer l'armée allemande.

Surtout, les résistants du colonel Rol-Tanguy harcèlent les SS, mènent des raids contre les colonnes de l'armée d'occupation, n'ont qu'un seul mot d'ordre « A chacun son boche ». Par chance, dans les derniers jours, tous se retrouvent et participent, unis à la libération de la ville.

Mais au final c'est de Gaulle qu'un million de Parisiens acclament le 26 aout 1944 sur les Champs-Elysées. L'histoire alterne tractations politiques et coup de force armée avec aisance. Le dessin de Denoël, réaliste et fidèle, permet au lecteur de plonger au cœur de l'action, de l'Histoire.

« La libération de Paris », Plein Vent, 48 pages, 15,90 €
 

samedi 8 juin 2024

Roman français – Totalement disparu et insaisissable cet Hervé Snout

Qu’est-il arrivé à Hervé Snout. Ce Français, père de famille irréprochable, patron dynamique d’une petite entreprise, a disparu. Olivier Bordaçarre mène l’enquête.

En grand admirateur de l’œuvre de Georges Perec, Olivier Bordaçarre précise dans ses remerciements, qu’en plus d’hommages ou d’allusions à une quinzaine d’ouvrages du romancier de La disparition, il a lui aussi composé son texte en n’utilisant pas volontairement une des lettres de l’alphabet. Si vous décidez de plonger dans ce roman noir « des coulisses du bonheur contemporain et familial », tentez de la découvrir avant la fin. Même s’il vous est difficile de vous concentrer sur cette recherche tant le récit de La disparition d’Hervé Snout va rapidement vous passionner.

Dans la première partie, les faits sont vus par les autres membres de la famille. Odile, épouse d’Hervé, Eddy, le fils aîné, Tara, la cadette. L’épouse a préparé un repas de fête pour l’anniversaire d’Hervé. Bœuf bourguignon longuement mijoté. Mais ce mardi 16 avril au soir, Hervé ne rentre pas à la maison. Un repas doublement gâché car Tara a refusé, une nouvelle fois de manger de la viande.

La viande c’est pourtant toute la vie de son père. Patron d’un petit abattoir, il mène ses ouvriers avec fermeté. Il est souvent à la limite du harcèlement, mais il faut savoir s’imposer face à ces hommes qui passent leur journée à égorger porcs, agneaux et vaches puis à les vider et les découper dans des mares de sang.

Une semaine après la disparition, la gendarmerie accepte enfin de se pencher sur l’affaire. Le chef est persuadé que le mari a simplement décidé de refaire sa vie, loin de sa femme, forcément insupportable pour ce militaire alcoolique, abandonné par son épouse lassée de l’attendre le soir. Son adjoint lui, espère qu’Hervé Snout ne reviendra jamais. Car il vient de tomber follement amoureux de la potentielle veuve.

Ce roman, qui lève petit à petit le mystère en révélant les défauts et pensées profondes des différents protagonistes, est une radiographie de la famille française idéale mais très bancale. Tara, par exemple, n’a qu’une envie : fuir ce foyer qui l’empêche de déployer ses ailes. « Ce qu’elle aime dans la vie, c’est courir. Peut-être qu’un jour elle parviendra à quitter le sol. Mais ses parents ne comprennent rien à sa passion. Eux, ils font du sur-place. Ils prennent racine et ils vont mourir debout, les deux pieds pris dans leur chape de béton. »

Pour comprendre l’origine de cette disparition, le roman prend ensuite le point de vue d’Hervé. Un portrait peu flatteur. Imbu de sa personne, rétrograde, souvent lâche, il n’a pas une haute idée de sa famille : « un débile, une intellectuelle et une frigide ! », dans l’ordre son fils, sa fille et sa femme qui venait de demander le divorce après avoir cédé aux avances de son médecin de famille.

Un roman qui va crescendo, déconstruisant ce faux bonheur familial de province. L’occasion aussi pour Olivier Bordaçarre de raconter la réalité des abattoirs. Des passages qui devraient beaucoup faire pour l’avènement du véganisme. Telle cette réflexion d’une secrétaire récemment embauchée supportant de moins en moins cette « odeur permanente de mort. […] Ce n’est pas une odeur franche de cadavre en décomposition, non, pas une pestilence, plutôt un fumet vicieux, un nuage invisible, un mélange de poils cramés au chalumeau, d’excréments, d’urine, de viande fraîche, de sabots et de corne brûlées, un relent organique dont la définition à elle seule est une épreuve. »

« La disparition d’Hervé Snout » d’Olivier Bordaçarre, Denoël, 368 pages, 20 €

jeudi 14 décembre 2023

Thriller - « Objectif Zéro » : fuyez, vous êtes surveillés !

Dans un futur proche, dix Américains tentent d’échapper à la surveillance d’un géant des réseaux sociaux. Un thriller d’anticipation avant déconnexion.


Entre algorithmes et intelligence artificielle, les Humains semblent sur la bonne voie pour s’autodétruire à brève échéance. Mais avec des si mignonnes vidéos de chatons… Cette extinction programmée se déroule sur les réseaux sociaux.

Des milliards d’utilisateurs mais encore quelques récalcitrants qui ont envie de tirer la sonnette d’alarme. C’est le cas d’Anthony McCarten, romancier néo-zélandais qui vient de sortir Objectif Zéro. Le titre du livre est aussi le nom d’une opération secrète, un bêtatest dans le jargon des geeks, associant la CIA et WorldShare, une multinationale qui ressemble étrangement à Méta de Facebook.

Mais comme l’auteur n’est pas avare de critique, le patron de WorldShare a des airs de ressemblance avec Elon Musk.

La CIA sélectionne 10 Américains, des anonymes et des spécialistes de la cybersécurité. Ils ont pour mission de disparaître dans le pays durant un mois. WorldShare assure les retrouver avant la date fatidique. Sinon, les candidats empochent 3 millions de dollars. Et WorldShare fait une croix sur un contrat avec l’État de plusieurs milliards. La première partie du roman raconte comment ils tentent de se cacher et comment ils se font prendre.

A une semaine de l’échéance, il ne reste plus qu’une fugitive, Kaitlyn Day, une simple bibliothécaire.

La seconde partie, encore plus retorse, explique les véritables motivations de Kaitlyn et du patron de la multinationale. En refermant ce thriller exceptionnel vous aurez envie de supprimer vos comptes sur les réseaux sociaux, ne plus utiliser que de l’argent liquide et bénir l’incurie de certains départements qui permettent encore de « bénéficier » de zones blanches.

Bref, Objectif Zéro rend paranoïaque, voire survivaliste. À moins que l’on n’appartienne à la frange de la population visée par WorldShare : ceux qui « se sentent tellement seuls qu’ils troquent leur vie privée avec soulagement. Ils crèvent d’envie d’être connus, de sortir de l’incognito… Parce que être observé… ça donne un peu l’impression d’être aimé. » À part ça, bienvenue en 2024 !

« Objectif Zéro » d’Anthony McCarten, Denoël, 460 pages, 22 €

jeudi 8 juin 2023

Cinéma et littérature - Les lettres de François Truffaut à Helen Scott, son agent américaine


Entre 1960 et 1965, François Truffaut a entretenu une correspondance avec Helen Scott, son agent aux USA. Dans Mon petit Truffe, ma grande Scottie, commenté et annoté par Serge Toubiana, on découvre la vision du cinéma américain par le réalisateur français. Il y est beaucoup question de Hitchcok et des grands maîtres.

Mais ces lettres montrent surtout la grande complicité entre cette femme enjouée, au service de la promotion du cinéma français en Amérique et un Truffaut sensible à son admiration et surtout sa grande connaissance du milieu. (Denoël, 24,90 €)

vendredi 20 janvier 2023

Roman - Fin de colonie

Avec un sens du suspense très maîtrisé, Guillaume Nail raconte les deux dernières journées d’un groupe d’adolescents en colonie de vacances. Une dizaine de garçons, encadrés par Benoît et Pauline. Des chapitres courts où les différents protagonistes donnent leur version de ces 48 heures. 

Il y a Tof, le plus audacieux du groupe, qui va zapper la baignade finale pour aller explorer un château abandonné. ? Pierre, le timide, un peu gros, souffre-douleur, qui par chance s’est trouvé cette année un ami, voire plus en la personne de Farid, mis à l’écart lui aussi car manchot. Pauline, complexée, tente de cadrer la sève bouillonnante de ces adolescents et craque pour Gus. Gus, le plus fort, le plus tape-à-l’œil. Toujours en représentation. Et quand il est question d’aller se baigner dans la Loire, malgré le risque, « Gus s’enflamme et motive les troupes engourdies. Facile, suffit qu’il claque des doigts pour que ces moutons embraient. Le pétillant de leur regard ne ment pas, ils le suivraient jusqu’en enfer. » 

Ce court roman, inspiré d’une histoire vraie, va crescendo. Dans la manipulation d’un groupe, dans l’apparition de passion, dans l’imprudence, dans l’horreur. Guillaume Nail convertit parfaitement son passage de la littérature jeunesse à celle plus adulte proposée dans ce texte sans concession. 

« On ne se baigne pas dans la Loire » de Guillaume Nail, Denoël, 16 €

vendredi 17 décembre 2021

BD - Eternel Métal Hurlant


La revue Métal Hurlant, après des décennies d’hibernation, est ressortie de son coffret de cryogénie. L’occasion pour Gilles Poussin et Christian Marmonnier de dépoussiérer et de ressortir le livre qu’ils ont consacré à la revue de BD et de SF. 

Une première partie raconte la naissance et l’essor de ce magazine unique créé par Moebius, Dionnet et Druillet. C’est l’histoire de la BD underground qui s’écrit sous vos yeux. 

Et en fin de volume, savourez un portfolio par année avec des dessins de Jano à Voss en passant par Chaland ou Montellier.

« Métal Hurlant, la machine à rêver », Denoël Graphic, 34,90 €

vendredi 3 août 2018

BD - Un siècle espagnol à Laroqu’en Bulles


«L’art de voler » est un roman graphique exceptionnel pour qui veut découvrir l’histoire de l’Espagne du siècle dernier. Antonio Altarriba, écrivain renommé et scénariste de BD, a décidé de raconter la vie extraordinaire de son père. Ce petit paysan, né au début du XXe siècle, a traversé plusieurs guerres. La première, la plus dure, est civile. Républicain, il doit fuir en France l’avancée des Franquistes. « Le 11 février 1939, raconte l’auteur, mon père traverse la frontière. C’est le jour de son anniversaire. Mon père a 29 ans et il affronte un futur totalement incertain. Son premier destin est un symbole cet avenir vide. Plage de Saint-Cyprien, que le ciel, la mer, le sable et le froid. Commencer à revivre dans le camp. »

De retour au pays dans les années 50, il abandonnera ses idéaux pour vivre simplement avec femme et enfant. À la fin de sa vie, victime d’une grave dé- pression, il se suicidera en sautant du 4e étage de la maison de retraite. Il avait 90 ans et tentait d’appendre l’art de voler. Ces 230 pages en noir et blanc (dont un épilogue en couleur), sont dessinées par Kim, auteur barcelonais.

Avec le scénariste, il était à Laroque-des-Albères pour le premier festival de bande dessinée de ce village des Pyrénées-Orientales.

lundi 22 mai 2017

Livres de poche : trois balades au cœur des villes américaines



Quatre fillettes mystérieusement disparues, quatre poupées en porcelaine, sosies des enfants, envoyées à leurs parents un mois plus tard. À Crystal Lake, petite ville paisible sous le coup d’un hiver glacial, non loin de Chicago, Joe Lasko est prêt à tout pour retrouver sa fille de quatre ans, Lieserl. Il engage son amour de jeunesse devenue détective privée pour mener leur propre enquête mais, aidés de la célèbre profileuse Hanah Baxter et son inséparable pendule, ils sont loin d’imaginer l’ampleur des secrets liés à ces disparitions. Ce thriller de Sonja Delzongle surfe entre frisson et fantastique. Le nouveau titre de cet auteur française, « Récidive », toujours avec Hannah Baxter en vedette, vient de paraître chez Denoël.
➤ « Quand la neige danse », Folio Policier, 8,20 €


Eté 1915, New Jersey. Constance Kopp est devenue l’une des premières femmes shérifs adjoints du pays. La terreur des voyous et des scélérats, avec arme et menottes… mais toujours sans insigne. L’époque, la loi et l’opinion publique résistent encore à sa nomination. Au point que le shérif se voit contraint de la déchoir provisoirement de ses fonctions. La voilà reléguée gardienne de prison, trépignant dans l’ennui routinier de la cage à poules en attendant que les critiques se tassent. Jusqu’à ce qu’un étrange Allemand, confié à sa garde, ne prenne la poudre d’escampette. Et que Constance ne se lance dans une chasse à l’homme, bien décidée à retrouver son prisonnier enfui et son honneur perdu.
➤ « La femme à l’insigne », inédit, 10/18, 8,40 €


Pendergast est contacté par Percival Lake, un sculpteur à qui on a volé une collection de vins rares. En compagnie de Constance Greene, Pendergast se rend à Exmouth, petit village de pêcheurs situé au nord de Salem, dans le Massachusetts. En examinant la cave pillée, Pendergast découvre, derrière les rayonnages, une niche secrète ayant abrité un corps. Le vol des précieux flacons ne serait donc qu’un leurre destiné à masquer la disparition du squelette. Quelques meurtres plus tard, le héros imaginé par Preston et Child se trouve face à des sabbats d’adorateurs de Lucifer et du démon Morax… Les amateurs des enquêtes de Pendergast peuvent retrouver leur héros préféré dans « Noir Sanctuaire » qui vient de paraître à l’Archipel.
➤ « Mortel sabbat », J’ai Lu, 8 €

vendredi 21 juin 2013

Roman - Fantastique Japon moderne

Le Japon, écartelé entre modernisme et tradition, a toujours fasciné les auteurs occidentaux. Nouvelle preuve avec « Le chemin des Dieux » de Jean-Philippe Depotte.

Depuis le moment où il a décidé de devenir écrivain, Jean-Philippe Depotte ne cesse de publier. Un gros roman par an. Après trois récits entre fantastique et récit historique, il se lance dans un roman contemporain. Le personnage principal est le Japon, ce pays qu'il connait (et aime) bien pour y a voir vécu quatre ans. A travers ces 460 pages qui font parfois penser à du Brussolo, il fait partager sa fascination pour un peuple à la pointe de la modernité mais qui jamais n'a oublié ses traditions, les fondamentaux de son histoire réelle et imaginaire.

Le Japon actuel, le lecteur le découvre par l'intermédiaire des yeux d'Achille, un Français qui y a vécu il y a une dizaine d'années. Une parenthèse terminée sur une déception amoureuse. Il devait se marier avec Uzumé. Cela ne s'est pas fait. Il croit avoir tout oublié jusqu'à ce coup de téléphone de son ami Francis, resté lui au Pays du soleil levant. « Uzumé a été enlevée. Viens m'aider à la retrouver ! ». Achille abandonne tout et saute dans un avion pour débarquer dans une ville de Tokyo en totale mutation. Le Français reprend son nom japonais d'Ashiru-san et va au rendez-vous fixé par Francis. Mais son ami ne viendra pas. Il s'est suicidé entretemps. Pendu dans une forêt avec l'écharpe d'Uzumé. Le début d'une dérive spectaculaire pour Ashiru-san, comme envoûté par ce monde dont il maitrise la langue et les codes mais où il restera à jamais un gaïjin, un étranger dont il faut se méfier.

De Kappa à Tanuki

Rapidement le versant fantastique du roman va s'immiscer insidieusement dans le récit. Le Japon décrit par Jean-Philippe Depotte est en train de s'éteindre. En fait c'est l'électricité qui fait défaut depuis un mystérieux incident dont on ne saura rien. L'État demande à ses administrés de faire des économies et la nuit rares sont les lumières allumées. Cela donne un côté crépusculaire à la ville où Ashiru-san erre, détroussé, sans but. Le cauchemar s'estompera avec la rencontre de la jeune taxidermiste Kumiko-chan qu'il surnomme Véra en raison de sa ressemblance avec le personnage du dessin animé Scoubidou. On entre alors de plain-pied dans le Japon des croyances.

Achille ne peut s'empêcher de sourire à la superstition de son amie qui tousse trois fois devant la porte des WC avant d'y aller. « Je préviens quiconque occupe ces toilettes que je compte bien y entrer. Précaution élémentaire. Pour ne pas déranger. » Et de se justifier en expliquant que « les esprits des toilettes ne sont pas les plus dangereux . Mais les tours qu'ils vous jouent sont les plus embarrassants. » Des craintes partagées par Ken, l'ami de Véra, un geek absolu, ne jurant que par les jeux vidéo et les chanteuses pré pubères de mièvreries sucrées.

Dans ce roman on croise aussi quelques yakusas mais surtout toute une ribambelle de divinités, comme attirées à l'extérieur maintenant que les ténèbres règnent sur le pays. Si Kappa dit le "noyeur", un être vivant dans les rivières et attirant les petits enfants dans la vase fait très peur, on est par contre séduit par Tanuki, hybride entre homme, ours et blaireau, lutteur, farceur et reconnaissable entre mille par son pelage dru, « ses testicules immenses et son scrotum distendu ». A la dérive, toujours à la recherche de la mystérieuse Uzumé, Achille est le guide d'exception d'un Japon fantasmé par un écrivain étonnamment imaginatif.

« Le chemin des Dieux », Jean-Philippe Depotte, Denoël, 20,90 € 

samedi 2 mars 2013

Roman - Ultime hurlement de Glen Duncan

Dépressif, pourchassé de toute part, Jake n'en peut plus. Le dernier loup-garou ne fêtera pas ses 200 ans dans le roman de Glen Duncan.

Jake Marlowe n'a pas le moral. Il vient d'apprendre que Wolfgang le Berlinois vient d'être abattu. Il ne le connaissait pas particulièrement et n'avait pas plus d'accointances. Simplement il était comme lui : un loup-garou. Et comme il ne restait plus qu'eux deux, Jake est le dernier de l'espèce. Et le prochain sur la liste. Mais a-t-il encore l'envie de se défendre, de perpétuer cette abomination mensuelle ?

Ce roman de Glen Duncan a de faux airs fantastiquo-romantique. A l'opposé des vampires, les loups-garou n'ont rien de charmant. Au contraire, une fois transformés, c'est la bête affamée qui prend le dessus. Jake est distingué et prévenant en permanence. Sauf les nuits de pleine lune. Il se métamorphose, cherche une proie, la tue et la dévore. C'est ainsi depuis plus de 150 ans. Logique qu'il soit un peu las. Quand en plus vous apprenez que les meilleurs limiers de la Chasse, le nom usuel de l'OMPPO (Organisation mondiale pour la prédation des phénomènes occultes) sont à vos trousses, le coup de mou est d'autant plus prononcé.

En apprenant qu'il est le dernier, Jake est résigné. Au fond de lui, du reste d'humanité subsistant, il est presque soulagé car « par moments, une puanteur interne s'élève en moi, celle de toute la viande, tout le sang qui ont dévalé mon gosier, l'odeur de tous les tas de chair où j'ai enfoui le museau, toutes les entrailles où j'ai fourragé et dont je me suis gorgé. » L'homme n'a pas choisi d'être loup. Même si au fond de nous, il subsiste toujours une forte part animale.

Filles antipathiques

Glen Duncan a découpé son roman en deux parties équilibrées. Interrogation de Jake au début. Le combat vaut-il le coup ? Comment en en est-il arrivé là ? On apprend qu'une nuit au Pays de Galles, ce jeune Anglais distingué, filant le parfait amour avec Arabella, a croisé la route d'un loup-garou. Poursuivie, la bête mord superficiellement Jake et ne prend pas la peine de le dévorer. Un mois plus tard, Jake comprend que sa vie bascule. La transformation est physique, mais aussi mentale. Il s'éloigne de sa jeune femme. Une force irrésistible. Sans le comprendre il cherche à la protéger. Car une fois métamorphosé, son amour se transforme en faim...

Dès lors, Jake jure de ne jamais plus tomber amoureux. Il se contentera de filles antipathiques. Comme Madeline, sa partenaire du moment, « menteuse, matérialiste, pétrie d'autosatisfaction, débordante d'axiomes imbéciles, experte en clichés. » Difficile de se lier à ce genre de femme, même si elle a « la peau blanche, les yeux verts, un torse court et de petits mamelons alertes de chatte. » Oui, ce roman est fantastique, mais aussi très osé par moment.

La seconde partie du récit se concentre sur la traque de Jake. Alors qu'il est sur le point d'abandonner, il va croiser la jeune et belle Tallula. Le doute s'immisce dans son esprit : et s'il n'était pas le dernier ?

« Le dernier loup-garou », Glen Duncan, Denoël, 22,50 € 

jeudi 16 août 2012

Roman - Cocktail mexicain concocté par F. G. Haghenbeck

Acapulco, sa baie, ses stars. Tel est le cadre de la seconde enquête de Sunny Pascal, le privé spécialiste des cocktails imaginé par F. G. Haghenbeck.

Vous êtes plutôt « El diablo » ou « Rhum swizzle » ? Le premier cocktail est à base de téquila blanche alors que le second est un mélange de rhum doré et jus de fruits. Leur point commun ? Ils sont tous les deux dégustés par Sunny Pascal, le détective privé américano-mexicain dont les aventures sont écrites par F. G. Haghenbeck. Deux cocktails parmi la trentaine dont la recette et l'historique sont relatées en début de chaque chapitre.
Donc, on boit beaucoup dans ce roman policier d'action. Le héros mais aussi les quelques stars que l'auteur se permet de mettre en scène dans son roman. Sunny est envoyé à Acapulco par un producteur pour veiller sur Johnny Weissmuller. L'ancien champion olympique, devenue star de cinéma en interprétant le légendaire Tarzan, n'est plus très en cour à Hollywood. Il s'est quasi retiré à Acapulco, vivant dans un luxueux hôtel, couvert de dettes.

Acapulco et les stars
Sunny va découvrir un homme encore très robuste, capable d'ingurgiter des litres d'alcool sans jamais tituber. Éternel optimiste, toujours sûr de son charme et du pouvoir de sa gloire passée, il continue à vivre au dessus de ses moyens. Sunny jouera le rôle de chaperon durant le festival de cinéma qui bat son plein. Acapulco, station balnéaire mexicaine en plein essor, veut devenir l'égale de Cannes. Les stars sont légion, les truands aussi. Sunny constate rapidement que veiller sur le roi de la jungle n'est pas une partie de plaisir. Ils sont nombreux à vouloir lui mettre les bâtons dans les roues. Encore plus quand notre privé se retrouve propriétaire d'un attaché case bourré de billets verts.
L'intrigue devient plus complexe et ardue, un peu comme certains cocktails raffinés particulièrement difficiles à réaliser, encore plus à digérer.

Dans les bras d'Ann Margret
Sunny prendra des coups, échappera à des fusillades, à une bombe, sera menacé par la police. Mais il lui en faut beaucoup plus pour abandonner. Surtout quand traîne dans les parages la ravissante Ann Margrett. Starlette suédoise, elle vient de tourner un film avec Elvis Presley. Vivre une courte histoire d'amour aussi. Le cœur brisée par le rocker le plus célèbre du monde, Sunny sent qu'elle pourrait bien accepter de se consoler dans ses bras.
Second roman de F. G. Haghenbeck publié en France, « L'affaire tequila » est du même tonneau que « Martini Shoot » paru en 2011. Sous couvert de roman policier, l'auteur, un Mexicain par ailleurs scénariste de bande dessinée, en profite surtout pour faire revivre des gloires hollywoodiennes. Le portrait de Johnny Weissmuller est particulièrement touchant. Acteur par hasard, mondialement célèbre, dans le roman il semble davantage se souvenir (et regretter) de sa période olympique que hollywoodienne. Le vrai Weismuller semble resté dans les bassins de compétition. Il continue cependant à faire son cri à la demande, comme si le nageur savait que Tarzan serait toujours le plus fort, le plus aimé.

« L'affaire tequila », F.G. Haghenbeck, Denoël, 20 €


mercredi 23 mai 2012

SF - Des combats d'enfer dans "Butcher Bird" de Richard Kadrey

Une princesse aveugle, devenue tueuse, part au combat, en Enfer, avec le renfort d'un tatoueur qui n'en croit pas ses yeux.

A San Francisco, la normalité n'a pas la même valeur qu'ailleurs. Bouillon de culture sans cesse en ébullition, si vous allez dans un bar bien précis, vous pourrez peut-être y croiser Spyder. C'est le personnage principal de « Butcher Bird », roman fantastique déjanté de Richard Kadrey. Spyder est tatoueur. Il a une petit échoppe qu'il partage avec une amie, lesbienne et spécialisée dans les piercings.

Spyder ne va pas trop bien en ce moment. Il vient de se faire larguer par sa copine et pour oublier a un peu trop bu. Titubant, il va faire un tour derrière le bar. C'est là que tout va basculer. Un gros balèze agresse Spyder. Ce dernier tente de lui décocher un direct mais « son poing s'enfonça dans la face de l'inconnu, comme si sa tête avait été désossée. » La suite est encore plus incroyable. « Les traits de son agresseur se modifièrent. La peau sembla se plisser. Les yeux désormais globuleux finirent par exploser dans leurs orbites pour devenir noirs et miroitants de facettes. Ses lèvres parurent fondre pour s'étirer en un long tube agité de contractions. Des cornes incurvées et craquelées jaillirent des tempes et, pour couronner le tout, l'assaillant avait une haleine fétide. » Spyder n'en croit pas ses yeux. Une hallucination ?

Baston en Enfer

Il n'a pas réellement le temps de se poser des questions. Il est en mauvaise posture et sent sa dernière heure venir. Le cauchemar prend fin quand la tête de l'abomination se détacha du reste du corps... Pie-grièche et son sabre viennent d'apparaître dans le récit.

Cette tueuse vêtue de cuir est aveugle. Jeune et jolie, elle explique à Spyder qu'un Bitru (le démon à tête d'insecte) a tenté de l'assassiner. Spyder, bien qu'encore chancelant, lui rétorque avec pas mal de morgue qu'il ne croit pas aux démons. Il devra réviser son jugement dès le lendemain.

Son contact avec le Bitru lui a ouvert l'esprit. Le tatoueur peut désormais voir ce que le commun des mortels ignore. Nous ne sommes pas seuls. Tout un monde de monstres, démons, fantômes et autres bestioles bizarres cohabite avec les humains. La première partie du roman, délassante, presque comique, montre la descente aux enfers de Spyder. Il croit devenir fou, puis croise à nouveau la route de Pie-grièche. Cette dernière lui donnera les clés pour comprendre ce qui lui arrive. Elle, par exemple, est une princesse déchue. Elle est devenue tueuse de démons pour survivre. Elle vient d'ailleurs de recevoir une grosse proposition de travail de la part d'une certaine Madame Cendres. Séduite par cet humain déboussolé, Pie-grièche va l'emmener dans ses bagages. Spyder, expert en démonologie dans le cadre de son travail de tatoueur spécialisé en gothique, sera peut-être utile une fois à pied d'œuvre. Elle a pour mission de dérober un livre sacré détenu par un démon au plus profond des entrailles de... l'Enfer.

Ce roman est d'une richesse incroyable. Richard Kadrey parvient à un subtil équilibre entre action, romance et magie. Action quand il faut se battre avec les plus redoutables monstres, romance dans la relation entre Spyder et Pie-grièche et magie avec l'apparition de pouvoirs transformant le petit humain perdu en redoutable Homme Rune, respecté et surtout redouté de tous. Pour couronner le tout, un humour désespéré transperce dans chaque dialogue. Comme pour mieux faire accepter au lecteur l'incroyable. Une solution à ne pas négliger dans la vraie vie.

« Butcher Bird», Richard Kadrey, Denoël, 23 € 

mercredi 29 février 2012

Science-fiction - "Les chroniques de Genikor" pour se méfier de la génétique

Libérez les recherches en génétique et le monde sera dominé par une société, Genikor. « Ad Noctum » en est le catalogue.

Pas vraiment un roman, un peu plus qu'un recueil de nouvelles, « Ad Noctum, les chroniques de Genikor » de Ludovic Lamarque et Pierre Portrait, est un miroir à facettes de notre futur. Un avenir où la génétique s'est affranchie de toutes les barrières éthiques. Une génétique sans limite, au service de l'homme, de ses envies, ses plaisirs, ses folies.

Tout a commencé quand il a fallu trouver des solutions pour arrêter le massacre des soldats. Le monde occidental, entraîné dans une guerre avec la Chine, subit d'importantes pertes. Genikor propose de mettre au point des combattants hybrides. Des machines à tuer. Sans états d'âme. Ce sont les ogres, des satyres créés de toute pièce massacrant femmes et enfants. Une arme de terreur massive. Dans un village, la nuit, une mère venant calmer les pleurs de son bébé, est la première à les apercevoir : « Avec leur fourrure hirsute, leurs babines pendantes, leurs crocs acérés luisants de bave, leur sexe long et courbe comme un sabre de samouraï, elle croit voir surgir les démons des légendes anciennes. » Une de ses chimères, de retour au pays s'échappe. La terreur change de camp.

Chasseur et amants

De toutes les séquences proposées par les deux auteurs, deux sortent du lot. « Hallali » décrit la chasse dans la zone où normalement plus personne de peut vivre en raison des radiations. La société des chasses Zaroff permet à quelques citoyens fortunés de tuer mammouth, manticore (créature légendaire issue de la mythologie perse) ou cro-mag. Dans ce paysage de fin du monde parfaitement décrite, on s'énerve en constatant la bêtise du chasseur. Persuadé de la toute puissance de ses armes, il va se confronter à des êtres n'ayant que leur désespoir pour se défendre. Son accompagnatrice, au contraire, est d'une rare humanité. Elle est quasi en osmose avec son traqueur, un cerbère de Genikor, animal hybride à trois têtes.

Enfin, laissez-vous emporter par l'étonnante histoire d'amour entre Axel et Anne dans « Le cri de la chair ». La nouvelle est constituée de lettres enflammées que s'adressent au quotidien les deux amoureux. Ils sont au service de Carla, leur maîtresse. Carla une ponte de Genikor ayant reçu en cadeau cette merveille de la technologie : un androclone. Il change de sexe en absorbant le produit adéquat. Carla a donc un homme pour la journée, une femme pour la nuit. Axel et Anne. Deux entités pour un même corps, n'étant jamais ensemble, ne communiquant et ne s'aimant que grâce à ces lettres cachées dans les recoins de la chambre. Mais comment va réagir Carla ? Peut-on accepter que son « mari » vous trompe avec sa propre « maîtresse » en sachant que les deux êtres sont la même et unique personne ? C'est plus fort que Roméo et Juliette, mais cela ne finira pas mieux...

« Ad Noctum, les chroniques de Genikor », Ludovic Lamarque et Pierre Portrait, Denoël Lunes d'encre, 20,50 €

samedi 25 février 2012

Roman - Amour crépusculaire dans "Notre nuit tombée" de Julie de la Patellière

Comment réagir à la disparition de sa femme. Julie de la Patellière décrit la réaction du mari, perdu dans la solitude de l'appartement désert.


Disparue. Partie le matin travailler à la faculté qui l'emploie comme professeur, Liv n'est jamais rentrée le soir. Marc Chalgrin, le narrateur de ce premier roman crépusculaire signé Julie de la Patellière, passe par tous les états au début du récit. Il a connu Liv aux USA. Peut-être est-elle retournée au pays. Mais pourquoi ne rien lui dire ? Il l'attend, en vain. « 
A l'aube, il n'y avait toujours personne. L'appartement avait mauvaise mine. Il était chiffonné, cerné. A force, la nuit était vraiment devenue blanche, livide même. » Marc se résout à téléphoner à la police. Qui lui rit au nez.

Les semaines passent. Les mois. En désespoir de cause, il lit les annonces personnelles dans Libération. Peut-être Liv lui laissera un indice. Dans la non-vie qui est la sienne, il se passionne pour ces fragments de vie. Jusqu'à suivre, de loin, certains rendez-vous donnés sur papier.
Recherché
Sans jamais pouvoir s'habituer à la solitude, à l'absence de la femme qu'il aime toujours, il va quitter son emploi, se replier sur lui, ne voir plus personne si ce n'est le kiosquier qui lui vend le journal chaque jour. Et c'est bien dans une annonce de Libération qu'il trouvera enfin un espoir : « Recherche Marc Chalgrin. RDV aujourd'hui 17 heures, square Taras-Chevtchenko. Sans faute ». Marc se réjouit. Puis s'inquiète. « Ça y est. Quelqu'un sait. Quelqu'un a découvert. On va m'apprendre quelques chose de terrible. Ou alors m'accuser... »
Ce roman est un peu comme un de ces rêves dont ne sait pas comment s'en dépêtrer. On voudrait comprendre, mais on est impuissant, comme Marc, perdu dans sa solitude. Qui le recherche ? Qu'est devenue Liv ? Ces interrogations sont lancinantes entre les nombreux retours en arrière décrivant les premières années de bonheur entre les deux étudiants. Avant la disparition...
« Notre nuit tombée » de Julie de la Patellière, Denoël, 17 €

mardi 23 août 2011

Roman - "La Loi du plus fort" de Frédéric Chouraki : la revanche de l'écrivain

« Ecrivain confidentiel et dilettante endurci », Samuel Eisenberg, portrait craché de l'auteur, Frédéric Chouraki, est dans une situation financière compliquée. Une bête histoire de travaux dans son studio, acheté en copropriété, risque de le mettre à la rue. Il n'a plus le choix : il va devoir travailler ! Une amie journaliste le présente au directeur (et jusqu'à présent seul employé) d'une agence de publicité installée à la Défense. Samuel aura pour mission de vendre des encarts publicitaires de sociétés françaises dans des journaux... indiens. Un travail improbable pour un patron qui l'est encore plus : « Jonas Wolf l'avait reçu en short de tennis Fred Perry et polo assorti maculé de sueur. Samuel aurait dû y déceler les premiers signes du désastre. » Très rapidement, la collaboration va virer au cauchemar. 

Ce sont les parties les plus sérieuses du roman, décrivant minutieusement le harcèlement d'un « chef » sur son subordonné. Une sanguine du marché du travail à la réalité crue. Finalement ce stage intensif dans le quartier des affaires ne sera pas si inutile pour Samuel. « Il s'aime en tueur raffiné. A chaque négociation c'est un peu de sa vie qu'il met en jeu. Ses derniers principes volent en éclats. Il désire en mettre plein la vue à son patron, lui prouver qu'il le surpasse déjà dans l'art de la magouille et du boniment. »

Mais ce roman de Frédéric Chouraki vaut aussi par sa description de la vie quotidienne d'un écrivain parisien. Il y a beaucoup de considérations et discussions futiles en terrasse, des rencontres improbables et des histoires de sexe. Car être en couple n'empêche pas de s'offrir quelques extras. Samuel et son ami Arsène sont à l'écoute des « garçons implorants ». « Une fois consommés, les garçons deviennent des objets entomologiques servant à nourrir leur propre relation. A leur manière, ils sont fidèles. » Et pour finir, sachez que malgré son titre très martial (« La loi du plus fort »), ce roman finit bien et s'achève sur une splendide leçon d'optimisme.

« La loi du plus fort » de Frédéric Chouraki, Denoël, 16,50 € 

dimanche 17 juillet 2011

Roman - Cocktail explosif de stars

Nounou de star, tel est le métier de Sunny Pascal. Il a beaucoup de travail sur le plateau mexicain de « La nuit de l'iguane », film de John Huston.

F.G. Haghenbeck, scénariste de bande dessinée mexicain, signe avec « Martini shoot » un roman aux hommage multiples. A une région du Mexique, à un style de polar, au cinéma hollywoodien et à la science des cocktails. Ces différentes composantes devraient permettre à tout un chacun de trouver au moins un intérêt à la lecture des aventures de Sunny Pascal.

Cet amateur de surf et de tequila gagne sa vie en protégeant les stars du septième art. Une sorte de détective privé intervenant avant le début des ennuis. Et s'il arrive trop tard, sa mission est d'aplanir les difficultés, d'étouffer tout scandale pouvant nuire à la réputation d'un réalisateur, de ses acteurs ou de la production.

D'origine mexicaine, Sunny est particulièrement content quand on lui demande de se rendre à Puerto Vallarta sur le plateau de la dernière production de John Huston, « La nuit de l'iguane ». Il connaît bien la région et va en faire une description paradisiaque. « Évidemment, il n'y a pas de cactus à Puerto Vallarta. Bien au contraire. La végétation est si dense et si verdoyante qu'on se demande pourquoi Dieu n'en a pas donné un peu au reste du pays. Il se peut que cet endroit soit son chouchou : il lui a donné la plage, la forêt tropicale et des belles femmes. Même Dieu est égoïste. » « Si ce Dieu égoïste avait créé Adam et Eve, ils étaient à coup sûr en train de siroter un cuba libre au bar d'un hôtel de Puerto Vallarta. » Un cadre enchanteur, loin de toute civilisation, mais qui ne laisse pas indifférent quelques promoteurs espérant profiter de la notoriété du film pour faire grimper le prix des terrains.

Recettes de cocktails

Sur place, Sunny découvre que l'ambiance est très tendue. John Huston, cigare aux lèvres, dirige ses acteurs d'une main de fer. Et ce n'est pas évident quand on connaît la distribution. Ava Gardner, sublime diva, Sue Lyon auréolée de son succès sulfureux dans Lolita et Richard Burton, alcoolique pourchassé par des dizaines de paparazzis. Et pour cause, l'acteur gallois vit depuis peu avec Liz Taylor qui a fait le voyage et bronze en compagnie de ses enfants sur la plage mexicaine. Bref, entre l'exubérance d'Ava Gardner, les caprices de Sue Lyon, les cuites de Richard Burton et les exigence de Liz Taylor, Sunny est souvent mis à contribution.

Rien de bien grave cependant, ce qui lui permet de passer ses journées au bar de la production à se rincer le gosier de cocktails exotiques dont la recette ouvre chaque chapitre. C'est un des nombreux charmes de ce roman ayant parfois des airs de reportage documentaire : on devient incollable sur les cocktails, leurs compositions et histoires.

Colts en or

Les affaires de Sunny se compliquent quand il découvre que John Huston a offert à chaque vedette du film un colt en or avec des balles en argent. Une de ces balles est retrouvée dans le cadavre d'un membre de l'équipe. Du boulot pour Sunny qui devra également déjouer les plans de voleurs de bijoux, de trafiquants de drogue, sans oublier les tracas occasionnés par la police corrompue. Le héros, souvent plus imbibé que de raison, passe son temps à être victime, comme balloté par des gens bien plus puissants et habiles que lui. Mais il a des atouts : la connaissance du terrain et surtout une inconscience à toute épreuve.

Un polar avec un petit côté rétro, un peu comme ces images en noir et blanc du film de Huston, chef-d'œuvre ayant beaucoup fait pour la renommée touristique du Mexique.

« Martini shoot », F. G. Haghenbeck, Denoël, 13,50 € 

mardi 31 mai 2011

SF - "Destination ténèbres" de Frank M. Robinson : une dérive sidérale

Considéré comme un des classiques de la science-fiction américaine, « Destination ténèbres » de Frank M. Robinson, paru en 1991, est enfin disponible en France avec une traduction de Jean-Daniel Brèque dans la collection « Lunes d'encre ». Ce thriller spatial emmène le lecteur aux confins de l'espace, si loin de la terre.

Le vaisseau Astron a pour mission de rechercher des civilisations extraterrestres. Il va de planète en planète, explorant chaque caillou susceptible d'accueillir la vie. Cela fait plusieurs millénaires qu'il est parti. Et pour l'instant l'équipage a fait chou blanc. L'immense vaisseau est totalement autonome. Une petite communauté qui en est à sa centième génération.

Chute et amnésie

Le roman débute par l'exploration de Séthi IV. Sur cette planète hostile, le jeune Moineau dévisse en escaladant une falaise. Sa combinaison fuit. Il se sent mourir. Ecran noir. Il se réveille dans l'infirmerie de l'Astron. Amnésique. Il ne se souvient que de l'accident. Rien sur sa vie d'avant. Avec ses yeux et sa sensibilité, le lecteur va découvrir la vie à bord, les différentes communautés (en fonction des emplois), les travaux obligatoires, la tyrannie du capitaine Fusaka et surtout l'existence d'une mutinerie embryonnaire. Moineau, âgé de 17 ans, sans souvenir, est balloté d'un groupe à un autre. Fasciné par le Capitaine tout puissant, ami avec les simples astros, surveillé par les docteurs.

Il trouve finalement sa place, notamment quand l'Astron aborde une nouvelle planète. Moineau fait partie de la première équipe d'exploration. Il est subjugué par ses découvertes. « Le vent capricieux a balyé brume et neige et, les yeux écarquillés, j'ai découvert un vallon large d'une douzaine de kilomètres. Il s'y trouvait un petit lac à l'extrémité duquel j'ai distingué une cascade de méthane tombant d'une falaise. Une chute de liquide ! C'était la première fois que j'en voyais une, et le spectacle était aussi splendide que saisissant. » Il n'en profite pas longtemps. Un autre membre de l'expédition tente de l'assassiner.

Encombrante immortalité

Moineau va prendre conscience qu'il est beaucoup plus important qu'un simple matelot. La rébellion contre le Capitaine attend beaucoup de lui. En cherchant des informations sur son passé, il va découvrir l'incroyable vérité : lui comme le Capitaine étaient à bord de l'Astron au départ de la terre.

Réflexion sur le pouvoir, l'immortalité, et l'importance des attaches terrestres, ce roman décrit la guerre civile déclenchée dans cette petite communauté vivant en vase clos depuis trop longtemps. Moineau n'en a que trop conscience quand il constate : « La nuit et l'abîme ai-je songé en frissonnant. Et nous voilà, une tribu de primates bavards et terrifiés, à des années-lumière de notre jungle natale, occupés à nous battre et à nous reproduire, confinés dans un minuscule monde artificiel lancé dans le néant depuis des millénaires. » Ce huis clos obsédant est mené de main de maître par Frank M. Robinson, scénariste de la tour infernale et également auteur du Pouvoir paru récemment dans la collection Folio SF.

« Destination ténèbres », Frank M. Robinson, Denoël, Lunes d'encre, 23,50 € 

mercredi 22 décembre 2010

Récit - Genet et Sebhan : passions parallèles

Comprendre sa propre histoire d'amour en retraçant l'œuvre et la vie de Jean Genet. Gilles Sebhan s'interroge dans cette biographie mâtinée d'autofiction.

Abdallah et Majed. Jean Genet et Gilles Sebhan. Deux couples, deux histoires d'amour intenses et tragiques. Gilles Sebhan, qui avait exhumé le fantôme de Tony Duvert l'an dernier dans un récit remarquable, poursuit son exploration de littérature française sulfureuse en traçant un parallèle entre la relation de Jean Genet avec Abdallah et celle que l'auteur a entretenue avec Majed, un sans-papier rencontré à Amsterdam. Tout commence par un épisode rarement relevé de la vie de Jean Genet. Au printemps 1967, il a tenté de se suicider dans une chambre d'hôtel. C'était à Domodossola, une ville du nord de l'Italie.

Ce suicide raté, Gilles Sebhan va tenter d'en trouver la cause en retraçant les amours tumultueuses du grand écrivain avec son jeune amant, Abdallah, un funambule rencontré dans un cirque au milieu des années 50. Abdallah qui s'est suicidé à Paris en 1964.

Pieds péniches

Gilles Sebhan, alterne les scènes racontant Genet et ses propres soucis du quotidien : notamment l'emprisonnement de son jeune amant, Majed. Presque un SDF, regardant les passants, place Dam, fumant goulument des cigarettes, « essayant d'attirer par le regard des créatures qui viendraient l'aimer malgré la malédiction de ses pieds crevés. » . « Majed avec ses pieds condamnés, ses pieds d'ordures de puanteur de cadavre, ses pieds d'absent de contradiction de tristesse, ses pieds qu'il faut mettre à l'écart pour contempler sa beauté, ses pieds péniches pour ce grand garçon mince aux allures de fille et aux manières brusques. » Majed serait donc le miroir actuel d'Abdallah, l'amant de Jean Genet. Gilles Sebhan en décrivant leur rencontre et leur relation n'est pas tendre pour l'écrivain qui a passé sept années derrière les barreaux avant de connaître la gloire littéraire. Jean Genet « a hérité d'un lui-même qui a écrit les romans du début et qui a fini par lui causer une honte étrange, d'autant plus que c'est le meilleur de lui, ce moment où son écriture est déjà infiniment concertée et son désir encore brûlant et sa colère encore juvénile. On peut dire qu'ensuite, assez vite, Genet a viré au vieux con. » Genet insaisissable, « jouant au clochard céleste dans ses errances à travers l'Europe. » Un jour, il a voulu que cela s'arrête. A Domodossola, en Italie. Il s'est raté.

Retenu prisonnier

En se rendant dans la ville, pour en ressentir l'ambiance, Gilles Sebhan se souvient. De son amour fou pour Majed. Comment il a angoissé quand il a perdu sa trace durant des mois quand le SDF a été retenu prisonnier dans un bateau-prison. De la joie des retrouvailles, des longs moments passés l'un contre l'autre. Et du basculement, quand l'auteur est devenu méchant et que Majed a viré au vieux con. « Cette nuit-là, il a beaucoup remué dans son sommeil, je l'ai regardé dormir, j'ai décidé d'inverser le cours du monde. J'ai accompli cette folie. » C'est l'autre facette de ce texte brillant d'un écrivain ayant trouvé son style, un auteur à découvrir.

« Domodossola », Gilles Sebhan, Denoël, 13,50 €

lundi 2 août 2010

Roman - Carcans britanniques malmenés par Alan Bennett

La vie en couple entraîne une sclérose des sentiments. Pour Alan Bennett, l'auteur de ce roman, rien de tel qu'un cambriolage pour casser les carcans.

Une plongée vertigineuse dans le quotidien d'un couple anglais : tel est le menu principal de ce court roman d'Alan Bennett. L'auteur, connu pour ses séries télé, pièces de théâtre et désormais romans, décrit la vie de ses compatriotes avec une rare acuité.

Maurice et Rosemary Ransome semblent être les archétypes des Anglais bon teint, stricts et coincés. Le seul plaisir de Mr Ransome est l'écoute de la musique classique. Après une soirée à l'opéra, ils tombent des nues en constatant qu'ils ont été cambriolés. Leur appartement a été vidé. De fond en comble. Jusqu'aux rideaux et au papier toilette... « Le vol d'une chaîne hi-fi est parfaitement banal. Celui d'une moquette l'est moins. »

Exit les habitudes

Passé la surprise, il faut réagir. Alors que Mr Ransome cherche une cabine téléphonique pour prévenir la police (qui ne viendra que 5 heures plus tard), Mrs Ransome attend, « assise le dos au mur à l'endroit où elle se serait normalement allongée si leur lit n'avait pas disparu. » La force des habitudes...

Le quotidien parfaitement réglé et morne des Ransome se trouve donc bouleversé. Le lendemain matin, Maurice, avoué, se fait un point d'honneur à aller travailler comme si de rien n'était. « Il n'était pas lavé, pas rasé, il avait le derrière en compote et s'était contenté pour le petit déjeuner d'un filet d'eau froide, au robinet de l'évier. Toutefois, aucun des arguments qu'aurait pu avancer Mrs Ransome ne l'aurait empêché de se rendre héroïquement à son travail. Elle savait du reste, instinctivement que, même dans ces circonstances sans précédent, son rôle consistait à flatter le noble dévouement de son mari. »

La vraie vie

Alan Bennett brosse avec brio le portrait de ces deux spécimens assez particuliers. Maurice, tout en principe et rigueur, semble inébranlable. Ce n'est pas le cas de Rosemary qui finalement va profiter de cet événement pour sortir de son train-train. Pour remeubler l'appartement, elle va découvrir d'autres magasins, notamment cette épicerie pakistanaise dont elle n'osait pas franchir le seuil et qui se révèle une caverne d'Ali-Baba pour s'assurer un minimum de confort. Par exemple ces poufs, elle dit des « balles de haricots », remplacent avantageusement les vieux fauteuils. Elle va se mettre à cuisiner des curry, porter de fausses perles, envisager de peindre les murs en blanc. Et regarder la télévision l'après-midi. « Affalée sur sa balle de haricots au milieu du parquet dénudé de son salon, Mrs Ransome découvrit qu'elle n'était pas malheureuse, que sa situation présente avait une réalité bien plus grande et que, indépendamment du confort que chacun est en droit d'attendre, ils allaient désormais pouvoir mener une vie moins douillette... » Une prise de conscience augmentant quand ils vont enfin découvrir pourquoi on les a cambriolés.

La force du texte d'Alan Bennett n'est pas dans cette révélation mais bien dans la seconde naissance de Mrs Ransome. De victime passive de sa vie écrite à l'avance elle va se transformer en décideuse dominante. Mr Ransome n'est pas au bout de ses surprises.

« La Mise à nu des époux Ransome », Alan Bennett, Denoël, 12 €