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lundi 2 août 2010

Roman - Carcans britanniques malmenés par Alan Bennett

La vie en couple entraîne une sclérose des sentiments. Pour Alan Bennett, l'auteur de ce roman, rien de tel qu'un cambriolage pour casser les carcans.

Une plongée vertigineuse dans le quotidien d'un couple anglais : tel est le menu principal de ce court roman d'Alan Bennett. L'auteur, connu pour ses séries télé, pièces de théâtre et désormais romans, décrit la vie de ses compatriotes avec une rare acuité.

Maurice et Rosemary Ransome semblent être les archétypes des Anglais bon teint, stricts et coincés. Le seul plaisir de Mr Ransome est l'écoute de la musique classique. Après une soirée à l'opéra, ils tombent des nues en constatant qu'ils ont été cambriolés. Leur appartement a été vidé. De fond en comble. Jusqu'aux rideaux et au papier toilette... « Le vol d'une chaîne hi-fi est parfaitement banal. Celui d'une moquette l'est moins. »

Exit les habitudes

Passé la surprise, il faut réagir. Alors que Mr Ransome cherche une cabine téléphonique pour prévenir la police (qui ne viendra que 5 heures plus tard), Mrs Ransome attend, « assise le dos au mur à l'endroit où elle se serait normalement allongée si leur lit n'avait pas disparu. » La force des habitudes...

Le quotidien parfaitement réglé et morne des Ransome se trouve donc bouleversé. Le lendemain matin, Maurice, avoué, se fait un point d'honneur à aller travailler comme si de rien n'était. « Il n'était pas lavé, pas rasé, il avait le derrière en compote et s'était contenté pour le petit déjeuner d'un filet d'eau froide, au robinet de l'évier. Toutefois, aucun des arguments qu'aurait pu avancer Mrs Ransome ne l'aurait empêché de se rendre héroïquement à son travail. Elle savait du reste, instinctivement que, même dans ces circonstances sans précédent, son rôle consistait à flatter le noble dévouement de son mari. »

La vraie vie

Alan Bennett brosse avec brio le portrait de ces deux spécimens assez particuliers. Maurice, tout en principe et rigueur, semble inébranlable. Ce n'est pas le cas de Rosemary qui finalement va profiter de cet événement pour sortir de son train-train. Pour remeubler l'appartement, elle va découvrir d'autres magasins, notamment cette épicerie pakistanaise dont elle n'osait pas franchir le seuil et qui se révèle une caverne d'Ali-Baba pour s'assurer un minimum de confort. Par exemple ces poufs, elle dit des « balles de haricots », remplacent avantageusement les vieux fauteuils. Elle va se mettre à cuisiner des curry, porter de fausses perles, envisager de peindre les murs en blanc. Et regarder la télévision l'après-midi. « Affalée sur sa balle de haricots au milieu du parquet dénudé de son salon, Mrs Ransome découvrit qu'elle n'était pas malheureuse, que sa situation présente avait une réalité bien plus grande et que, indépendamment du confort que chacun est en droit d'attendre, ils allaient désormais pouvoir mener une vie moins douillette... » Une prise de conscience augmentant quand ils vont enfin découvrir pourquoi on les a cambriolés.

La force du texte d'Alan Bennett n'est pas dans cette révélation mais bien dans la seconde naissance de Mrs Ransome. De victime passive de sa vie écrite à l'avance elle va se transformer en décideuse dominante. Mr Ransome n'est pas au bout de ses surprises.

« La Mise à nu des époux Ransome », Alan Bennett, Denoël, 12 € 

dimanche 11 mars 2007

Roman - La mort à l'hôpital

Son père à l'agonie dans une chambre d'hôpital, Midgley, la quarantaine, fait le bilan de sa vie dans un roman très british d'Alan Bennett.


Alan Bennett est très connu en Grande-Bretagne. Ses pièces de théâtre, romans et séries télévisées remportent un immense succès populaire. Il est d'autant plus connu qu'il interprète parfois les personnages qu'il a imaginés.

C'est le cas de Midgley, le héros de ce court roman, adapté du scénario d'une dramatique tournée pour la BBC en 1982. Midgley est professeur. Il est dérangé en plein cours. L'hôpital le cherche car son père, 74 ans, vient d'être admis en «soins intensifs ». Retrouvé inanimé chez

lui par la femme de ménage. Pratiquement dans le coma, après deux journées passées étendu sur le carrelage de sa cuisine. Midgley décide de se rendre immédiatement à l'hôpital et c'est cette longue attente près de son père mourant qu'Alan Bennett raconte avec une férocité toute britannique. Car c'est bien connu, lors des coups durs, on a une forte propension à se remettre en cause. Midgley ne fait pas exception.

Au contraire. Il culpabilise de ne pas être allé voir son père dimanche dernier.

Comme pour expier cette faute, il a la ferme intention de rester à ses côtés jusqu'à son demier souffle. Cela ne devrait pas trop durer car le premier docteur rencontré, «un jeune Pakistanais pâlichon », lui confie d'emblée: «La pneumonie s'est bien installée, son cœur est très affaibli. Tout bien considéré, il est probable qu'il ne passera pas la nuit. »

L'éveil des sens

En compagnie de sa tante Kitty, insupportable commère passionnée par les affres de la famille royale et les nouvelles maladies rares, il va se remémorer les derniers instants passés avec son père conscient, cherchant dans le moindre détail un signe qu'il aurait pu interpréter comme un avertissement. Le vieillard, connecté à de multiples machines, ne bouge pas.

Inconscient, sans réaction. Midgley tente de se persuader qu'il va se réveiller et que tout va redevenir comme avant. Malgré les paroles définitives du docteur. Il attend, entre espoir et crainte, fatigué mais déteminé. Jusqu'à ce qu'un nouveau personnage fasse son apparition: « Midgley regagna la chambre et s'assit aux côtés de son père. En son absence, une infirmière était arrivée, une femme à la peau mate, un peu grassouillette, moins hautaine et apparemment plus humaine que les autres. À vrai dire, elle n'était pas d'une propreté exemplaire. Ses cheveux étaient ramenés à la va-comme-je-te-pousse sous son bonnet et ses bas filaient en plusieurs endroits. Elle entreprit de redresser les couvertures, se penchant au-dessus du corps inerte de telle sorte que son derrière se retrouva bientôt à quelques centimètres du visage de Midgley. » Et ce qui devait arriver arriva. Malgré sa petite vie casée et l'agonie de son père, Midgley va être irrésistiblement attiré par cette femme.

Alan Bennett raconte magistralement le cheminement intellectuel du héros, fils indigne, mari infidèle ; humain tout simplement.

« Soins intensifs », Alan Bennett (traduction de Pierre Ménard), Denoël, 12 €