samedi 8 juin 2024

Roman français – Totalement disparu et insaisissable cet Hervé Snout

Qu’est-il arrivé à Hervé Snout. Ce Français, père de famille irréprochable, patron dynamique d’une petite entreprise, a disparu. Olivier Bordaçarre mène l’enquête.

En grand admirateur de l’œuvre de Georges Perec, Olivier Bordaçarre précise dans ses remerciements, qu’en plus d’hommages ou d’allusions à une quinzaine d’ouvrages du romancier de La disparition, il a lui aussi composé son texte en n’utilisant pas volontairement une des lettres de l’alphabet. Si vous décidez de plonger dans ce roman noir « des coulisses du bonheur contemporain et familial », tentez de la découvrir avant la fin. Même s’il vous est difficile de vous concentrer sur cette recherche tant le récit de La disparition d’Hervé Snout va rapidement vous passionner.

Dans la première partie, les faits sont vus par les autres membres de la famille. Odile, épouse d’Hervé, Eddy, le fils aîné, Tara, la cadette. L’épouse a préparé un repas de fête pour l’anniversaire d’Hervé. Bœuf bourguignon longuement mijoté. Mais ce mardi 16 avril au soir, Hervé ne rentre pas à la maison. Un repas doublement gâché car Tara a refusé, une nouvelle fois de manger de la viande.

La viande c’est pourtant toute la vie de son père. Patron d’un petit abattoir, il mène ses ouvriers avec fermeté. Il est souvent à la limite du harcèlement, mais il faut savoir s’imposer face à ces hommes qui passent leur journée à égorger porcs, agneaux et vaches puis à les vider et les découper dans des mares de sang.

Une semaine après la disparition, la gendarmerie accepte enfin de se pencher sur l’affaire. Le chef est persuadé que le mari a simplement décidé de refaire sa vie, loin de sa femme, forcément insupportable pour ce militaire alcoolique, abandonné par son épouse lassée de l’attendre le soir. Son adjoint lui, espère qu’Hervé Snout ne reviendra jamais. Car il vient de tomber follement amoureux de la potentielle veuve.

Ce roman, qui lève petit à petit le mystère en révélant les défauts et pensées profondes des différents protagonistes, est une radiographie de la famille française idéale mais très bancale. Tara, par exemple, n’a qu’une envie : fuir ce foyer qui l’empêche de déployer ses ailes. « Ce qu’elle aime dans la vie, c’est courir. Peut-être qu’un jour elle parviendra à quitter le sol. Mais ses parents ne comprennent rien à sa passion. Eux, ils font du sur-place. Ils prennent racine et ils vont mourir debout, les deux pieds pris dans leur chape de béton. »

Pour comprendre l’origine de cette disparition, le roman prend ensuite le point de vue d’Hervé. Un portrait peu flatteur. Imbu de sa personne, rétrograde, souvent lâche, il n’a pas une haute idée de sa famille : « un débile, une intellectuelle et une frigide ! », dans l’ordre son fils, sa fille et sa femme qui venait de demander le divorce après avoir cédé aux avances de son médecin de famille.

Un roman qui va crescendo, déconstruisant ce faux bonheur familial de province. L’occasion aussi pour Olivier Bordaçarre de raconter la réalité des abattoirs. Des passages qui devraient beaucoup faire pour l’avènement du véganisme. Telle cette réflexion d’une secrétaire récemment embauchée supportant de moins en moins cette « odeur permanente de mort. […] Ce n’est pas une odeur franche de cadavre en décomposition, non, pas une pestilence, plutôt un fumet vicieux, un nuage invisible, un mélange de poils cramés au chalumeau, d’excréments, d’urine, de viande fraîche, de sabots et de corne brûlées, un relent organique dont la définition à elle seule est une épreuve. »

« La disparition d’Hervé Snout » d’Olivier Bordaçarre, Denoël, 368 pages, 20 €

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