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lundi 17 septembre 2012

Roman - Le mystère du père dans "Les Patriarches" d'Anne Berest

Denise, 22 ans, cherche à mieux connaître son père. Un acteur, mort à 40 ans après avoir brûlé sa vie et oublié de s'intéresser à sa petite fille.

Découpé en trois parties égales, le roman « Les Patriarches » d'Anne Berest, est une étude clinique sur la quête d'une jeune fille mal dans sa peau, taraudée par des souvenirs enfuis. Obstinément, elle cherche à savoir où son père a passé l'année 1985. Et pourquoi personne ne veut lui parler de ce qui s'est passé après son retour. Roman sur les secrets, les non-dits et l'oubli, on ne sort pas indemne de ce texte parfois très dur.
Denise, le personnage pivot de ce roman, est dans un premier temps très attendrissante. Âgée de 22 ans, elle va devenir, durant un mois, l'assistante d'un photographe huppé. Il a pour projet de faire un tour de France des ronds-points. Denise est chargée de conduire la voiture, assurer l'intendance, enregistrer les considérations du maître et transmettre, au quotidien, la bonne parole à la maison d'édition qui mettra le tout au propre pour en faire un de ces beaux livres si plaisants à offrir aux fêtes de fin d'années.
Touchante, Denise tente tant bien que mal de satisfaire les caprices de la star. Durant cinquante pages, ce duo sur les routes ferait presque rire le lecteur. Mais Anne Berest, dans son roman, n'accorde que peu de respiration à Denise. La jeune fille, provinciale, profite de sa présence à Paris pour rencontrer Gérard Rambert. Ce dandy, un peu galeriste et marchand d'art, serait le seul à avoir croisé le chemin de Patrice Maisse en 1985, le père de Denise. Elle l'interroge, enregistre la conversation et par erreur envoie la bande à la maison d'édition. Virée avec pertes et fracas, Denise décide de profiter de son temps libre forcé pour relancer Rambert. Un autre face-à-face se met en place, beaucoup plus tendu et lourd de secrets.

Icône transgenre
Tout en dévoilant quelques pans de la vie de Denise, en conflit avec sa mère, dominée par son frère, Anne Berest raconte la vie de bohème de Patrice Maisse, acteur génial à la carrière aussi courte que foudroyante. Pour son premier film, en 1979, il a fait la une des Cahiers du cinéma  : « on peut y admirer le torse nu d'un jeune homme à qui l'on donnerait treize comme vingt ans. Beau, mais d'une lumière froide et silencieuse, il surgit d'un buisson, dans sa main droite levée on distingue un animal mort. » A l'intérieur, les critiques lui tressent des louanges : « Patrice Maisse, érigé au rang d’icône transgenre, était déclaré capable de balayer par sa mutique fantaisie, toutes les idoles caricaturales d'une jeunesse lénifiée par le changement de décennie. » En réalité, Patrice est rapidement tombé dans la drogue. Carrière interrompue, il délaisse sa famille et survit en devenant l'amant de riches excentriques.
Reste l'énigme de l'année 1985. Elle est racontée dans la troisième partie. C'est dans un centre de désintoxication du Patriarche qu'il a rencontré Gérard Rambert. Le roman prend alors un air de documentaire, décrivant sans concession le dur sevrage, l'endoctrinement et les dérives de l'association créée par Lucien Engelmajer. Les dernières pages donnent les clés du roman. Pourquoi tout le monde cachait à Denise cette période de la vie de son père. De la sienne aussi. Elle avait 6 ans.

« Les Patriarches », Anne Berest, Grasset, 18,50 € (sorti en poche chez Points)


mardi 11 septembre 2012

Roman - "La cavale de Jennie" pour retrouver frères et sœurs

Tragique histoire de famille sous la plume de Gérard Mordillat. Jennie, séparée de ses frères et sœurs, va tout faire pour les retrouver.

Scène de vie quotidienne en banlieue. Des amis, collègues ouvriers du bâtiment, passent un dimanche dans le jardin du petit pavillon toujours en construction. Ils fêtent l'anniversaire de Mike. Un seul sujet de conversation : l'an 2000. On est à quelques mois de cette date qui, à l'époque, a provoqué une peur bleue à un maximum de crédules. Jennie, adolescente, sorte de petite maman chargée de ses autres demi frères et sœurs, se moque de l'an 2000. Ce qui l'intéresse avant tout, c'est de connaître l'identité de son père. « 
Jennie ne comprenait pas pourquoi Olga (sa mère) refusait de lui dire qui était son père. Elle devinait que c'était un type comme les autres, sans doute ni mieux ni pire que Mike (son beau-père). Juste un type qui avait couché avec une femme et lui avait fait un gosse et avait foutu le camp comme n'importe quel salaud. » Le repas s'éternise, l'alcool coule à flot. Mike reçoit enfin son cadeau. Une moto.

Moto contre TER
Il prend le pari qu'il peut passer par dessus la voie ferrée qui longe le jardinet. Il prend son élan et un « effroyable bruit de choc » surprend l'assemblée. « un coup de gong géant, un ra de tambour géant voilé, une explosion déchirante de grincement, du feu qui prend, du verre qui explose, le vacarme d'un saccage acclamé d'étincelles. (…) Mike avait percuté l'avant d'un TER lancé à pleine vitesse. Tué sur le coup, décapité. » La famille recomposée de Jennie se retrouve décomposée...
Quelques années plus tard, Olga refait sa vie. Une fois de plus. Elle a un petit garçon. Nouveau bébé pour Jennie qui prend de plus en plus son rôle de petite maman à cœur. Des années de presque bonheur dans la maison inachevée. Mais une nouvelle fois, le destin frappe. Olga et son compagnon meurent dans un accident de la route. Jennie comprend immédiatement que la famille va être séparée, que ses petits vont lui être retirés. Sur un coup de folie elle embarque la marmaille dans la remorque de son vélomoteur et tente de prendre la fuite. Peine perdue. Le pire arrive.

Reformer la tribu
Gérard Mordillat, dans la première partie de son roman dresse le portrait d'une adolescente à fleur de peau trop tôt chargée de famille. Sans père, mère complètement déficiente, elle a pris, par la force des choses, les commande du foyer. Mais pour l'administration, elle n'est rien par rapport à ses demi-frères et sœurs. Après la cavale avortée, elle est placée dans une maison de redressement, les autres, beaucoup plus jeunes, sont adoptés.
A ses 18 ans, Jennie est enfin libre. Elle a joué profil bas pour cacher sa rage. Sans nouvelles de ses « petits », elle entame un tour de France pour tenter de reformer son petit cercle familial. Elle recevra l'aide de Quincy, un jeune acteur encore sous le choc du suicide de sa mère, harcelée à son travail. Deux pestiférés qui vont se comprendre et s'aimer. Mais le carcan de notre société bien pensante risque de les broyer.
L'auteur délaisse, durant 220 pages percutantes, ses longues sagas sociales (« Les vivants et les morts », « Rouge dans la brume »). On retrouve quand même en filigrane toute la thématique de son œuvre : pour certaines classes sociales, le bonheur sera toujours une chimère.
 
« Ce que savait Jennie » de Gérard Mordillat, Calmann-Lévy, 17,40 € (disponible également en format poche au Livre de Poche)

samedi 25 février 2012

Roman - Amour crépusculaire dans "Notre nuit tombée" de Julie de la Patellière

Comment réagir à la disparition de sa femme. Julie de la Patellière décrit la réaction du mari, perdu dans la solitude de l'appartement désert.


Disparue. Partie le matin travailler à la faculté qui l'emploie comme professeur, Liv n'est jamais rentrée le soir. Marc Chalgrin, le narrateur de ce premier roman crépusculaire signé Julie de la Patellière, passe par tous les états au début du récit. Il a connu Liv aux USA. Peut-être est-elle retournée au pays. Mais pourquoi ne rien lui dire ? Il l'attend, en vain. « 
A l'aube, il n'y avait toujours personne. L'appartement avait mauvaise mine. Il était chiffonné, cerné. A force, la nuit était vraiment devenue blanche, livide même. » Marc se résout à téléphoner à la police. Qui lui rit au nez.

Les semaines passent. Les mois. En désespoir de cause, il lit les annonces personnelles dans Libération. Peut-être Liv lui laissera un indice. Dans la non-vie qui est la sienne, il se passionne pour ces fragments de vie. Jusqu'à suivre, de loin, certains rendez-vous donnés sur papier.
Recherché
Sans jamais pouvoir s'habituer à la solitude, à l'absence de la femme qu'il aime toujours, il va quitter son emploi, se replier sur lui, ne voir plus personne si ce n'est le kiosquier qui lui vend le journal chaque jour. Et c'est bien dans une annonce de Libération qu'il trouvera enfin un espoir : « Recherche Marc Chalgrin. RDV aujourd'hui 17 heures, square Taras-Chevtchenko. Sans faute ». Marc se réjouit. Puis s'inquiète. « Ça y est. Quelqu'un sait. Quelqu'un a découvert. On va m'apprendre quelques chose de terrible. Ou alors m'accuser... »
Ce roman est un peu comme un de ces rêves dont ne sait pas comment s'en dépêtrer. On voudrait comprendre, mais on est impuissant, comme Marc, perdu dans sa solitude. Qui le recherche ? Qu'est devenue Liv ? Ces interrogations sont lancinantes entre les nombreux retours en arrière décrivant les premières années de bonheur entre les deux étudiants. Avant la disparition...
« Notre nuit tombée » de Julie de la Patellière, Denoël, 17 €