mardi 11 septembre 2012

La cavale de Jennie

Tragique histoire de famille sous la plume de Gérard Mordillat. Jennie, séparée de ses frères et sœurs, va tout faire pour les retrouver.

Ce que savait Jennie, Gérard Mordillat, Calmann-Lévy, rentrée littéraireScène de vie quotidienne en banlieue. Des amis, collègues ouvriers du bâtiment, passent un dimanche dans le jardin du petit pavillon toujours en construction. Ils fêtent l'anniversaire de Mike. Un seul sujet de conversation : l'an 2000. On est à quelques mois de cette date qui, à l'époque, a provoqué une peur bleue à un maximum de crédules. Jennie, adolescente, sorte de petite maman chargée de ses autres demi frères et sœurs, se moque de l'an 2000. Ce qui l'intéresse avant tout, c'est de connaître l'identité de son père. « Jennie ne comprenait pas pourquoi Olga (sa mère) refusait de lui dire qui était son père. Elle devinait que c'était un type comme les autres, sans doute ni mieux ni pire que Mike (son beau-père). Juste un type qui avait couché avec une femme et lui avait fait un gosse et avait foutu le camp comme n'importe quel salaud. » Le repas s'éternise, l'alcool coule à flot. Mike reçoit enfin son cadeau. Une moto.

Moto contre TER
Il prend le pari qu'il peut passer par dessus la voie ferrée qui longe le jardinet. Il prend son élan et un « effroyable bruit de choc » surprend l'assemblée. « un coup de gong géant, un ra de tambour géant voilé, une explosion déchirante de grincement, du feu qui prend, du verre qui explose, le vacarme d'un saccage acclamé d'étincelles. (…) Mike avait percuté l'avant d'un TER lancé à pleine vitesse. Tué sur le coup, décapité. » La famille recomposée de Jennie se retrouve décomposée...
Quelques années plus tard, Olga refait sa vie. Une fois de plus. Elle a un petit garçon. Nouveau bébé pour Jennie qui prend de plus en plus son rôle de petite maman à cœur. Des années de presque bonheur dans la maison inachevée. Mais une nouvelle fois, le destin frappe. Olga et son compagnon meurent dans un accident de la route. Jennie comprend immédiatement que la famille va être séparée, que ses petits vont lui être retirés. Sur un coup de folie elle embarque la marmaille dans la remorque de son vélomoteur et tente de prendre la fuite. Peine perdue. Le pire arrive.

Reformer la tribu
Gérard Mordillat, dans la première partie de son roman dresse le portrait d'une adolescente à fleur de peau trop tôt chargée de famille. Sans père, mère complètement déficiente, elle a pris, par la force des choses, les commande du foyer. Mais pour l'administration, elle n'est rien par rapport à ses demi-frères et sœurs. Après la cavale avortée, elle est placée dans une maison de redressement, les autres, beaucoup plus jeunes, sont adoptés.
A ses 18 ans, Jennie est enfin libre. Elle a joué profil bas pour cacher sa rage. Sans nouvelles de ses « petits », elle entame un tour de France pour tenter de reformer son petit cercle familial. Elle recevra l'aide de Quincy, un jeune acteur encore sous le choc du suicide de sa mère, harcelée à son travail. Deux pestiférés qui vont se comprendre et s'aimer. Mais le carcan de notre société bien pensante risque de les broyer.
L'auteur délaisse, durant 220 pages percutantes, ses longues sagas sociales (« Les vivants et les morts », « Rouge dans la brume »). On retrouve quand même en filigrane toute la thématique de son œuvre : pour certaines classes sociales, le bonheur sera toujours une chimère.
Michel Litout
« Ce que savait Jennie » de Gérard Mordillat, Calmann-Lévy, 17,40 €

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