Affichage des articles dont le libellé est sebhan. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est sebhan. Afficher tous les articles

samedi 1 novembre 2014

Livre : Stéphane Mandelbaum, le peintre voyou

Dessinateur virtuose aux noirs desseins, Stéphane Mandelbaum est mort assassiné en 1986. Gilles Sebhan revient sur ce parcours sombre et sanglant.

Stéphane Mandelbaum, sebhan, impressions nouvellesLes destins tragiques inspirent Gilles Sebhan. Cet écrivain au parcours hors normes, après s'être penché sur Jean Genet et Tony Duvert, l'écrivain maudit, signe une biographie de Stéphane Mandelbaum. Ce jeune Belge a exposé ses dessins dans quelques galeries avant de basculer dans la violence et la délinquance. A 26 ans, après avoir participé au vol d'un tableau de Modigliano, il est retrouvé assassiné, le visage brûlé à l'acide, dans un terrain vague près de Namur. Lui, qui a dessiné des atrocités absolues, finit comme un de ses portraits, défiguré, horrible.
Il ne s'agit pas à proprement parlé d'une biographie. Comme toujours avec Gilles Sebhan, il y a beaucoup d'autofiction. L'écrivain découvre Mandelbaum en trouvant sur le net la reproduction d'un dessin érotique. Le trait interpelle Sebhan. Il prend rendez-vous avec le galeriste qui vend l'œuvre et rapidement le destin de Mandelbaum va occuper de plus en plus de place dans la vie de l'écrivain. Une obsession qui trouve sa conclusion dans ce livre, entre réflexion sur l'art, les parias et la folie.
Fils d'un peintre juif émigré de Pologne, Mandelbaum a de très sérieux problèmes de comportement. Il ressemble un peu au jeune Steve, héros du film « Mommy » de Xavier Dolan. Hyperactif, parfois violent, rêveur, instable. Stéphane a cependant un bon exutoire : le dessin. Un crayon en main il ne cesse de noircir des feuilles de papier. Un don. Mais ses créations sont rarement montrables. Scènes pornographiques, personnages nazis, séances de tortures dans des camps d'extermination... On retrouve dans son art tout son esprit torturé.

Enfant génial
Mais comme avec Tony Duvert (écrivain tombé dans l'oubli après des écrits pédophiles), Gilles Sebhan a tenté d'aller au-delà des apparences. Avec de nombreux témoignages, des proches comme des amis, on comprend que Mandelbaum, juif errant, est un volcan en pleine activité, menaçant sans cesse d'exploser. « Maître du monde, c'est ce qu'il voulait être » écrit l'auteur au début du livre. Il finira petit voyou, assassiné par ses complices après un partage de butin qui tourne mal.
Aujourd'hui il ne reste que peu de dessins de Stéphane Mandelbaum. Trop sulfureux. De toute manière sa carrière artistique était déjà achevée quand il a basculé dans la délinquance. Il se faisait appeler Malek, comme pour rejeter sa judéité, et ne dessinait plus, « Comme d'autres, le silence était en train de gagner l'enfant génial. Lui qui n'avait cessé de griffonner se trouvait pris au piège du réel. » A l'image de l'histoire de Tony Duvert, Gilles Sebhan entraîne le lecteur dans son enquête, quasi policière. Il mélange témoignages et interprétations personnelles. Et Mandelbaum acquiert alors cette humanité qui a semblé lui faire défaut de son vivant. Seul regret au final, qu'il n'y ait aucune œuvre de Stéphane Mandelbaum reproduite dans l'ouvrage. On comprend le parti-pris, mais on ne peut s'empêcher, après coup, d'aller chercher sur internet ces images terribles.
Michel Litout
« Mandelbaum ou le rêve d'Auschwitz » de Gilles Sebhan, Les Impressions Nouvelles, 13 €



mercredi 22 décembre 2010

Récit - Genet et Sebhan : passions parallèles

Comprendre sa propre histoire d'amour en retraçant l'œuvre et la vie de Jean Genet. Gilles Sebhan s'interroge dans cette biographie mâtinée d'autofiction.

Abdallah et Majed. Jean Genet et Gilles Sebhan. Deux couples, deux histoires d'amour intenses et tragiques. Gilles Sebhan, qui avait exhumé le fantôme de Tony Duvert l'an dernier dans un récit remarquable, poursuit son exploration de littérature française sulfureuse en traçant un parallèle entre la relation de Jean Genet avec Abdallah et celle que l'auteur a entretenue avec Majed, un sans-papier rencontré à Amsterdam. Tout commence par un épisode rarement relevé de la vie de Jean Genet. Au printemps 1967, il a tenté de se suicider dans une chambre d'hôtel. C'était à Domodossola, une ville du nord de l'Italie.

Ce suicide raté, Gilles Sebhan va tenter d'en trouver la cause en retraçant les amours tumultueuses du grand écrivain avec son jeune amant, Abdallah, un funambule rencontré dans un cirque au milieu des années 50. Abdallah qui s'est suicidé à Paris en 1964.

Pieds péniches

Gilles Sebhan, alterne les scènes racontant Genet et ses propres soucis du quotidien : notamment l'emprisonnement de son jeune amant, Majed. Presque un SDF, regardant les passants, place Dam, fumant goulument des cigarettes, « essayant d'attirer par le regard des créatures qui viendraient l'aimer malgré la malédiction de ses pieds crevés. » . « Majed avec ses pieds condamnés, ses pieds d'ordures de puanteur de cadavre, ses pieds d'absent de contradiction de tristesse, ses pieds qu'il faut mettre à l'écart pour contempler sa beauté, ses pieds péniches pour ce grand garçon mince aux allures de fille et aux manières brusques. » Majed serait donc le miroir actuel d'Abdallah, l'amant de Jean Genet. Gilles Sebhan en décrivant leur rencontre et leur relation n'est pas tendre pour l'écrivain qui a passé sept années derrière les barreaux avant de connaître la gloire littéraire. Jean Genet « a hérité d'un lui-même qui a écrit les romans du début et qui a fini par lui causer une honte étrange, d'autant plus que c'est le meilleur de lui, ce moment où son écriture est déjà infiniment concertée et son désir encore brûlant et sa colère encore juvénile. On peut dire qu'ensuite, assez vite, Genet a viré au vieux con. » Genet insaisissable, « jouant au clochard céleste dans ses errances à travers l'Europe. » Un jour, il a voulu que cela s'arrête. A Domodossola, en Italie. Il s'est raté.

Retenu prisonnier

En se rendant dans la ville, pour en ressentir l'ambiance, Gilles Sebhan se souvient. De son amour fou pour Majed. Comment il a angoissé quand il a perdu sa trace durant des mois quand le SDF a été retenu prisonnier dans un bateau-prison. De la joie des retrouvailles, des longs moments passés l'un contre l'autre. Et du basculement, quand l'auteur est devenu méchant et que Majed a viré au vieux con. « Cette nuit-là, il a beaucoup remué dans son sommeil, je l'ai regardé dormir, j'ai décidé d'inverser le cours du monde. J'ai accompli cette folie. » C'est l'autre facette de ce texte brillant d'un écrivain ayant trouvé son style, un auteur à découvrir.

« Domodossola », Gilles Sebhan, Denoël, 13,50 €