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dimanche 4 août 2024

Cinéma - “Pourquoi tu souris ?” la comédie des contraires

Tout les oppose. Wisi (Jean-Pascal Zadi) est noir, peu sûr de lui, gentil et timide. Jérôme est blanc, vindicatif, un peu arrogant, très fainéant. Leur seul point commun : ils sont tous les deux SDF dans les rues de Bordeaux.

Le premier espérait faire de la figuration dans un opéra. Refusé car il a trop de présence, quel paradoxe. Le second vient d’enterrer sa mère et perd ainsi le toit qui l’abritait depuis son enfance. Ils vont croiser la route de Marina (Emmanuelle Devos), permanente d’une association d’aide aux migrants, clochards et autres exclus de la société.

Wisi, bien que né à Sarcelles et détenteur de papiers français, se fait passer pour un migrant ivoirien pour que Marina accepte de l’héberger chez elle pour une nuit. Trop sympa, il se laisse embobiner par Jérôme (Raphaël Quenard) et ils se retrouvent à trois dans le petit appartement.

Ce film écrit et réalisé par Christine Paillard et Chad Chenouga, tout en abordant un thème grave et dramatique, offre une bonne dose de comédie. On est rapidement conquis par ces deux paumés au grand cœur, opposés de caractères, mais prêts à presque tout pour s’en sortir. Notamment Jérôme, qui se prétend handicapé, souffrant d’une maladie orpheline qui le rend allergique au travail. Pourtant il est intelligent et pas si méchant.

Et comme souvent dans la vie, face à l’adversité, l’union permet de surmonter bien des difficultés. C’est l’enseignement que l’on retient de cette comédie estivale qui devrait redonner du tonus aux dépressifs grâce à un duo comique d’une belle efficacité.

Comédie sociale de Christine Paillard et Chad Chenouga avec Jean-Pascal Zadi, Emmanuelle Devos, Raphaël Quenard.

dimanche 14 juillet 2024

Cinéma - Le confinement nous a placés “Hors du temps”

Souvenez-vous : c’était il y a à peine quatre ans, un virus, le confinement. Nous sommes très loin, aujourd’hui, de ces contraintes sanitaires. En fait, toute cette partie de notre vie est quasiment oubliée. Pourtant cet arrêt brutal de la vie dans le pays a bouleversé des existences. Fait réfléchir.

Olivier Assayas, cinéaste, raconte dans Hors du temps, son confinement. Avant la décision, il rejoint la maison familiale en banlieue parisienne. Mieux que l’appartement parisien : il y a un jardin et un immense parc, le théâtre des jeux enfantins avec son frère. Un frère qu’il retrouve. Ils se sont perdus de vue, ont oublié leur complicité et doivent réapprendre à se supporter.

Le film alterne vues fixes sur les lieux (maison, chambres, forêt, parc…) avec voix off du réalisateur racontant son enfance et les rapports avec ses parents, et pure comédie avec dans le rôle du cinéaste Vincent Macaigne et Micha Lescot dans celui du frère. Ils sont confinés avec leurs compagnes du moment. Le cinéaste, tous projets à l’arrêt, va découvrir les charmes du printemps tout en devenant paranoïaque, multipliant les précautions pour ne pas être exposé au virus.

Le frère, animateur radio, obligé de télétravailler, n’a qu’une envie : retrouver sa liberté. Hors du temps est parfois loufoque tant la caricature de cinéaste est ridicule dans sa manière de se protéger ; lumineux par ses tirades sur la nature ou l’amour ; intellectuel avec nombre de références savantes sur la peinture, la littérature ou certaines utopies oubliées comme L’an 01 de Gébé ; très réaliste avec les contraintes matérielles, de la garde alternée (avec rendez-vous sur un parking de supermarché) ou l’explosion des achats compulsifs par internet.

Un très bon résumé de cette période peu glorieuse que l’on a sans doute trop vite oubliée sans en tirer les bons enseignements.

Film d’Olivier Assayas avec Vincent Macaigne, Micha Lescot, Nora Hamzawi, Nine d’Urso.


dimanche 31 mars 2024

Cinéma - Surtout “Pas de vagues” chez le Mammouth

 Accusé de harcèlement par une élève, un jeune professeur voit ses idéaux s’évanouir. « Pas de vagues » est un film social assez sombre réalisé par Teddy Lussi-Modeste sur un scénario d’Audrey Diwan.



L’Éducation nationale est une machine gigantesque et complexe. Qui évolue lentement. Pour la désigner, Claude Allègre, ministre de tutelle, parle de « Mammouth ». C’était en 1997 et, depuis, cette administration a conservé cette image d’animal lent et appelé à disparaître. Pourtant le corps enseignant évolue, comme le montre le film Pas de vagues, réalisé par Teddy Lussi-Modeste sur un scénario écrit en collaboration avec Audrey Diwan. Histoire tirée de faits réels… Sa propre expérience quand il a commencé son premier métier de professeur de français.

Le film débute par la déclamation d’un poème de Ronsard, le célèbre Mignonne, allons voir si la rose. Explication de texte par Julien (François Civil), jeune prof chaleureux, patient et à l’écoute de sa classe. Certains élèves sont exubérants, d’autres chahuteurs. Leslie (Toscane Duquesne) est timide et réservée.

C’est pourtant elle qui envoie une lettre à la CPE de ce collège d’une banlieue défavorisée pour accuser Julien de harcèlement. Il lui aurait fait des avances. Une simple feuille qui va déclencher une réaction en chaîne dévastatrice. D’abord pour Julien. Qui nie ces accusations. Il les met sur une incompréhension de l’adolescente. Il demande à s’expliquer avec le père ou la mère. Mais c’est le grand frère qui vient et menace Julien des pires représailles. Il va dans la foulée porter plainte au commissariat. Les élèves sont entendus, la rumeur se répand. Julien suspecté, accusé, rejeté.

Un prof maladroit dans sa défense. Il est persuadé que la direction de l’établissement va le défendre. Mais au nom du fameux « Pas de vagues », on lui demande de faire profil bas. De bon prof, investi dans son métier, volontaire et novateur, Julien va se transformer en paranoïaque autoritaire. Au risque de saboter sa carrière, son couple, sa vocation.

Teddy Lussi-Modeste, le réalisateur, s’est inspiré de sa propre histoire. Il explique dans le dossier de presse qu’il ne voulait « pas coller aux événements tels qu’ils s’étaient déroulés dans la réalité. Je voulais coller aux émotions qui m’avaient traversé. » La peur, la culpabilité.

Rapidement la tension monte et le spectateur se retrouve plongé dans un thriller oppressant, avec un homme en danger et une menace réelle avec le frère violent qui veut « lui casser les jambes », mais aussi des dizaines de collégiens suiveurs, experts pour mettre la pression sur leur potentielle victime via les réseaux sociaux.

Pas de vagues est très actuel et explicite sur le malaise du corps enseignant. Même s’il y a plus de 50 ans, Les risques du métier avec Jacques Brel, racontait la même injustice.

Film de Teddy Lussi-Modeste avec François Civil, Shaïn Boumedine, Bakary Kebe


mercredi 7 février 2024

Cinéma - Ayez peur de “La bête”


Comment, à partir d’un roman datant du début du XXe siècle, aborder avec intelligence le phénomène des intelligences artificielles ? Un sacré challenge relevé par Bertrand Bonello dans La bête. Du texte original de Henry James, il n’a conservé que le sentiment diffus de peur. Et des dialogues de la partie se situant en 1910. Le reste navigue entre film d’anticipation, comment résister face à la déshumanisation de la société en 2044 face à l’omniprésence des intelligences artificielles et quasi reportage sur la vie d’une apprentie comédienne à Los Angeles en 2014.

Trois époques, trois films imbriqués les uns dans les autres, avec deux comédiens pour les mêmes personnages, Gabrielle (Léa Seydoux) et Louis (Georges McKay). L’idée principale du roman d’origine est l’attente par un couple d’une catastrophe imminente. L’attente. Dans la peur.

En 1910, elle intervient assez rapidement dans l’usine de fabrique de poupées du mari de Gabrielle alors que Paris est inondé après le débordement de la Seine. La partie la plus intrigante reste celle traitant de notre futur proche. Gabrielle tente de changer de travail. Mais elle a trop d’affect. Pour évoluer, elle doit être reformatée, que son ADN soit lissé, qu’elle oublie toutes ses vies d’avant.

La critique de l’émergence des intelligences artificielles est vigoureuse. Car la technique ne leur permet pas de devenir humaines. Par contre, une fois aux commandes, elles pourraient nous contraindre à gommer notre humanité. Et la perte de l’amour, de l’empathie, de toute sensibilité devient dès lors cette bête qui nous menace, tapie dans la jungle du futur.

Un film ambitieux, labyrinthique et angoissant. Un thriller d’anticipation, même si on a parfois l’impression d’avoir déjà les deux pieds dedans.

Film de Bertrand Bonello avec Léa Seydoux, George MacKay


mardi 19 décembre 2023

Cinéma - Les pilleurs de tombe cherchent “La chimère”


Réalisatrice italienne, Alice Rohrwacher a un véritable talent pour filmer l’Italie authentique. Son nouveau long-métrage, La chimère, présenté en compétition lors du dernier festival de Cannes, se déroule durant les années 80. Arthur (Josh O’Connor) est un Anglais, féru d’archéologie, qui a échoué dans cette région rurale. Il a un don de sourcier. Mais ce n’est pas de l’eau qu’il repère avec sa baguette mais des tombes étrusques. Il est devenu la pierre maîtresse de cette bande de « tombaroli », des pilleurs de tombes, trafiquants d’objets sacrés et autres œuvres d’art volés dans ces cavités parfois inviolées depuis des siècles.

Arthur vient de passer quelques mois en prison. Il hésite à reprendre du service. Mais ce quasi clochard ne sait rien faire d’autre. Il va donc de nouveau aider ses amis brigands, tout en cultivant sa mélancolie. Son amoureuse est morte. Il tente de se rappeler les bons moments passés avec elle. C’est elle, cette chimère qu’il cherche sous terre. Pourtant il aurait l’occasion de repartir sur de nouvelles bases en compagnie d’Italia (Carol Duarte), une jeune femme, mère de deux enfants, domestique chez Flora (Isabella Rossellini), la mère de la défunte fiancée.

Un film à l’ambiance très poétique et artistique, longue bataille entre riches et pauvres, présent et passé, cupidité et joie de vivre. Le genre d’œuvre aboutie, époustouflante de luminosité, qui vous redonne envie de profiter des belles choses. Tout simplement.

Film italien d’Alice Rohrwacher avec Josh O’Connor, Carol Duarte, Isabella Rossellini


mercredi 1 novembre 2023

Cinéma - “L’enlèvement” du petit Juif qui a fait vaciller le pape

Marco Bellocchio raconte dans ce film majestueux comment le pape Pie IX a précipité la chute des États pontificaux en organisant l’enlèvement d’un jeune Juif baptisé en secret.


Le nouveau film de Marco Bellocchio, présenté en compétition au dernier festival de Cannes sort cette semaine au cinéma et se retrouve tragiquement au cœur de l’actualité. Il est question de l’enlèvement d’un jeune Juif. Mais rien à voir avec le déferlement des terroristes du Hamas il y a quelques semaines en Israël. C’est une célèbre affaire italienne, du XIXe siècle, qui est relatée méticuleusement par le cinéaste de plus de 80 ans. Mais on ne peut que constater que depuis trop longtemps, les Juifs sont stigmatisés par les autres religions, avec cette volonté de les convertir ou pire, de les exterminer complètement. 

En 1858, le pape Pie IX règne tel un roi sur les états pontificaux. Après un début de règne conciliant et assez progressiste, il décide de faire montre de plus de fermeté. Voilà pourquoi il ordonne à sa police d’aller chez les Portara à Bologne et d’enlever le jeune Edgardo, (6 ans) qui aurait été baptisé en secret par la femme de ménage du foyer quand il était bébé. La famille et la communauté fait bloc pour dénoncer cet enlèvement. Mais le clergé reste ferme. C’est pour sauver l’enfant. Mais en Europe, les idées progressistes avancent, la presse dénonce cette ingérence du pape. De plus en plus d’opposants osent élever la voix.

 Ce sera le début de la République. Paradoxalement, les nouvelles actions en justice de la famille Mortara pour récupérer l’enfant, élevé (endoctriné exactement), par des bonnes sœurs et des moines, ne leur permettent pas de l’emporter. Et au contraire, Edgardo, comme souffrant d’un syndrome de Stockholm non encore diagnostiqué, apprécie cette vie d’études et de croyance. Il refusera de retourner chez lui, deviendra moine et sera fidèle à l’Église catholique jusqu’à son dernier souffle, en 1940. 

Le film, entre chronique historique sur la création de l’Italie, explications judiciaires de l’affaire et exploration psychologique des différents protagonistes, est d’une sincérité touchante. Car dans cette affaire, tout le monde est persuadé de son bon droit. Le pape, gardien de la religion catholique, la mère, attachée à ce fils chéri, Edgardo, heureux dans sa nouvelle vie. 

Des positions très manichéennes sauf celle du père, Momolo (Fausto Russo Alesi), déchiré par la perte de son enfant, mais toujours attentif à son bien-être, capable de faire ce grand sacrifice quand il comprend que c’est Edgardo lui-même qui veut rester avec sa nouvelle « famille ». 

Un très grand film, sur les choix qui conditionnement la vie, l’aveuglement de toutes les religions mais aussi la fascination de tant de personnes face aux croyances édictées comme vérité sacrée.

Film de Marco Bellocchio avec Enea Sala, Leonardo Maltese, Paolo Pierobon


mardi 20 juin 2023

Cinéma - “Stars at noon”, fuite et espionnage

Film d’espionnage, romance, road movie… Question catégorie, Stars at noon de Claire Denis coche plusieurs cases. Ce manque d’évidence dans le genre a sans doute nui au film présenté en compétition au festival de cannes 2022. La réalisatrice française, dans cette production aux vedettes anglo-saxonnes et entièrement tournée en Amérique centrale, est quand même repartie de la Croisette avec le Grand Prix.

Tiré d’un roman de Denis Johnson, le film raconte la dérive d’une jeune journaliste américaine coincée dans un Nicaragua en proie à une dictature militaire implacable. Trish (Margaret Qualley) s’est fait confisquer son passeport. Après avoir écrit un article à charge sur le pouvoir, la simple pigiste tente par tous les moyens de se tirer d’un mauvais pas. Il lui faut des dollars pour payer un billet d’avion. Et surtout récupérer ce passeport sans lequel elle n’est plus rien. 

Cette course contre la montre est semée d’obstacles. Elle doit accepter de coucher avec un policier et a une dernière carte majeure dans son jeu : son amitié (et un peu plus évidemment), avec un vice-ministre, sénile mais encore un peu influent. Pour assurer le jour le jour (hôtel, repas, alcool…), elle va jusqu’à se prostituer et rôde dans l’hôtel réservé aux journalistes occidentaux. Elle croit ferrer un plumitif anglais, Daniel (Joe Alwyn), mais en réalité c’est un activiste aux desseins troubles, pas du tout du goût de la police locale, aidée par la CIA.

Nuits torrides

Le film bascule alors dans la romance un peu facile et factice. Mais Claire Denis semble avoir pris beaucoup de plaisir à filmer au plus près le coup de foudre puis les nuits torrides de Margaret Qualley (sublime) et Joe Alwyn. Des corps malmenés par la chaleur et l’humidité, une osmose d’une étonnante beauté, simple, sans fausse pudeur ni vulgarité. Sans doute la séquence la plus aboutie du film qui se transforme en relation intimiste entre deux êtres aux intérêts radicalement opposés mais qui éprouvent pourtant une attirance irrésistible l’un pour l’autre. 

La dernière partie du film a des airs de grand complot doublé d’une paranoïa absolue. Daniel sent que le vent tourne, qu’il est dans le viseur de la CIA. Il décide de quitter le pays. Mais la pandémie et les contrôles aux frontières compliquent le périple. Une séquence « action » réaliste, loin des blockbusters américains. Le pragmatisme de Trish, l’efficacité de l’agent de la CIA (Benny Safdie), l’abnégation de Daniel et le cynisme de la police locale font de Stars at noon un film avant tout politique et contemporain. Une ultime catégorie pour un long-métrage hybride, typique des œuvres de Claire Denis, exigeantes et engagées.

Film de Claire Denis avec Margaret Qualley, Joe Alwyn, Benny Safdie

vendredi 21 avril 2023

Cinéma - “Les âmes sœurs” face aux souvenirs enfouis


 Blessé au Mali, un militaire français est soigné par sa sœur. Il est amnésique. Elle voudrait ne plus se souvenir. Un film d'André Téchiné qui sort ce mercredi 12 avril 2023 au cinéma. 

André Téchiné, malgré ses 80 ans, continue de tourner. Toujours un projet sur le feu, un film à lancer ou à finaliser. Alors qu’il vient de terminer à Perpignan, un film sur la police avec Isabelle Huppert en vedette, son précédent long-métrage sort sur les écrans. Le réalisateur s’attaque aux rapports entre un frère et sa sœur. Un sujet sensible tourné en Occitanie, dans une vallée ariégeoise, avec quelques scènes finales sur la plage et dans les Pyrénées-Orientales. Un grand écart d’atmosphère, l’essentiel de l’intrigue se déroulant dans des bois touffus et verdoyants, le final devenant solaire entre mer et ciel.

David (Benjamin Voisin) est militaire dans l’armée française. Il est dans un blindé qui participe à pacifier le Sahel face aux menaces terroristes. Une mine et c’est le retour en urgence aux Invalides à Paris. Grièvement brûlé et dans le coma, voilà comment Jeanne (Noémie Merlant) sa demi-sœur le découvre. Elle débarque de son Ariège natale. Elle vivote dans un petit village qui dépérit, garde des entrepôts la nuit en compagnie de son berger allemand, Flambeau. Quand David se réveille, les médecins découvrent qu’il a perdu la mémoire. Incapable de parler ni de savoir qui il est. Après de longs mois de rééducation, il peut enfin quitter l’hôpital. Sa sœur décide de s’occuper de lui. Il va habiter avec elle dans son petit appartement, dépendance d’un domaine appartenant à un ami, Marcel (André Marcon). David gagne en autonomie. En caractère aussi. Il devient de plus en plus irritable, refuse que Jeanne lui parle du passé, ne se projette que dans l’avenir. Même s’il ne pourra jamais plus être soldat.

Le titre du film, Les âmes sœurs, donne une indication au spectateur sur la complicité qui existait entre Jeanne et David. Ils étaient très proches enfants, partageaient tout, surtout cette mère qui n’est plus là aujourd’hui. David se raccroche à sa sœur alors qu’elle semble de plus en plus redouter ce rapprochement. Quels secrets, enfouis dans la mémoire de Jeanne, David aimerait retrouver une fois son amnésie disparue ? 

Le film, faisant la part belle à la complicité des deux jeunes comédiens, tourne un peu trop autour de son sujet principal. Il se perd parfois dans des détails (exode rural, chômage, différence) mais retombe sur ses pieds dans les ultimes scènes tournées près de Perpignan.

Film français d’André Téchiné avec Noémie Merlant, Benjamin Voisin, Audrey Dana et André Marcon.

 



lundi 17 avril 2023

Cinéma - Générations réconciliées dans “Quand tu seras grand”

Choc de générations : des écoliers utilisent le réfectoire d’un Ehpad. Un film très réaliste atténué par une bonne dose d’humour.

Faire partager des lieux de vie entre personnes âgées et jeunes écoliers. Dans la vraie vie, quelques expériences de ce type ont été menées. Toutes avec succès. Dans le film d’Andréa Besconb et Éric Métayer, Quand tu seras grand, c’est contraint et forcé que l’encadrement de l’école de la commune doit trouver refuge et pitance dans la cantine de l’Ehpad. Une quinzaine de gamins un peu turbulents encadrés par Aude (Aïssa Maïga) qui y voit une opportunité pour justement œuvrer au rapprochement des générations.

Ce n’est pas du tout l’état d’esprit de Yannick (Vincent Macaigne), aide-soignant débordé qui tente sans cesse de colmater les brèches du tableau de service. Car dans cet établissement accueillant des personnes âgées souvent très dépendantes, l’équipe est au bord de la crise de nerfs. Alors gérer des enfants en plus, c’est la goutte d’eau qui va faire déborder le vase.

Répliques cinglantes et punchlines 


Le début du film a des airs de comédie sociale particulièrement enlevée. Vincent Macaigne, en protecteur des résidents, un peu manipulateur aussi, fait tout pour chasser les enfants. La confrontation est savoureuse avec Aude, grande gueule qui ne se laisse pas faire et veut rester très optimiste quant aux conséquences de ce mélange de têtes blondes et de cheveux gris. On rit beaucoup aux saillies et répliques cinglantes de Vincent Macaigne et aux punchlines d’Aïssa Maïga. Finalement c’est cette dernière qui l’emportera. Pas en raison de sa persuasion, mais simplement car Yannick voit combien effectivement l’arrivée des enfants éclaire la vie morne et souvent esseulée des pensionnaires.

Le film prend alors une autre tournure, se concentrant sur la relation entre Brieuc (Kristen Billon), un jeune squatteur délaissé par ses parents et Yvon (Christian Sinniger), ancien cascadeur, pilote émérite de moto. Brieuc qui était très hostile à cette cohabitation avec les vieux va lentement changer d’avis face à l’espièglerie du vieux bonhomme qui a dédramatisé la situation en déclenchant une mémorable bataille de boulettes de pain à la cantine.

Mais dans ce genre d’établissement, il vaut mieux parfois ne pas s’attacher. Car la mort rôde en permanence. Elle n’est pas occultée par les réalisateurs, ni la maladie, transformant la dernière demi-heure du film en belle mais triste fable sur la solitude, l’oubli et le deuil. Après Les chatouilles sur l’inceste, ce nouveau film d’Andréa Besconb et Éric Métayer est tout aussi réussi, édifiant sans être trop larmoyant.

"Quand tu seras grand", un film d’Andréa Bescond, Éric Métayer avec Vincent Macaigne, Aïssa Maïga, Évelyne Istria, Kristen Billon, Christian Sinniger. 

dimanche 19 février 2023

Cinéma – Les illusions chantées de « La grande magie »

Sur des musiques de Feu ! Chaterton, Noémie Lvovsky propose un film « qui chante et qui danse » sur l’amour, les illusions et le temps qui passe.

Pas véritablement une comédie musicale, La grande magie est plutôt, selon la formule de sa réalisatrice, Noémie Lvovsky, « un film qui chante et qui danse ». L’histoire d’une petite troupe de magie dans les années 20, saltimbanques d’un temps révolu, surtout doués pour baratiner les bourgeois en villégiature dans les grands hôtels en bord de mer.

Une certaine effervescence règne dans ce bel hôtel dont le parc arboré donne directement sur l’océan. Les clients attendent avec impatience le spectacle de magie promis par la direction. En vedette Albert, le professeur, (Sergi López), personnage haut en couleur qui peut faire disparaître des colombes, des foulards ou votre femme, au choix. Avec son troisième œil, il peut aussi tout savoir de vous, de la dernière péripétie d’un de vos parents à la conclusion du livre que vous lisez actuellement.

Le professeur est un bel escroc, qui utilise parfaitement les talents de ses complices (François Morel et Damien Bonnard), pour découvrir les petits secrets des clients et ainsi briller à leurs yeux. Tout cela n’intéresse que très peu Charles (Denis Podalydès), mari jaloux de Martha (Judith Chemla). Sauf que lors de la représentation, elle se porte volontaire pour aller dans le cercueil dans lequel Albert compte la faire disparaître. Elle le prend au mot. Car Martha n’en peut plus de vivre sous la surveillance constante de ce mari qu’elle n’aime plus.


Quand l’assistante et femme d’Albert, Zaïra (Noémie Lvovsky), fait passer l’épouse derrière la scène par la trappe dérobée, Martha prend ses jambes à con cou et disparaît pour de bon. Au grand désespoir du magicien. Le mari s’énerve. Alors il improvise, prétend que Martha est dans une boîte en bois, qu’il a le pouvoir de la faire réapparaître s’il croit vraiment en elle. Sinon, elle s’évaporera à jamais dans les volutes de cette Grande Magie qui ressemble à s’y méprendre à de la grande escroquerie.

Donner sa chance à la magie

 Sur cette trame finalement sérieuse sur l’amour et la liberté, Noémie Lvovsky pose des scènes cocasses avec les vies en parallèle des autres membres de la troupe comme la jolie Amélie (Rebecca Marder), amoureuse d’un des garçons d’hôtel. Le tout entrecoupé de petites chansons composées par Feu ! Chaterton.

Le film a des ressemblances avec Tralala des frères Larrieu. Ce côté spectacle permanent de la vie quand on la prend du bon côté. Car finalement, on s’aperçoit que nos existences, au lieu d’être trop sérieuses, gagneraient à être plus légères, avec un peu plus de place pour l’illusion, la magie.

On sort de la séance allégé du poids des vicissitudes du quotidien, joyeux et souriant, capable d’accepter toutes les démonstrations par l’absurde du génial professeur, merveilleux Sergi López, grand manipulateur du public devant l’éternel.

Film français de et avec Noémie Lvovsky et Denis Podalydès, Sergi López, Judith Chemla, François Morel, Damien Bonnard

mercredi 21 septembre 2022

Cinéma - Une mère en manque et “Les enfants des autres”

Les semaines se suivent et se ressemblent, en ce moment, pour le cinéma français. Après Revoir Paris, bouleversant film sur la reconstruction des victimes d’attentats terroristes, c’est Les enfants des autres qui va remuer les spectateurs. Avec un point commun : la présence en tête d’affiche de Virginie Efira. La comédienne belge avait placé la barre très haut avec le premier film (sorti le 7 septembre), avec cette réalisation de Rebecca Zlotowski, elle parvient à maintenir le niveau de son jeu et apporte, en plus, un rayonnement intérieur, tout au long de l’histoire, la transformant en boule d’émotion qui emporte tout sur son passage.

A la prochaine cérémonie des Césars, il faudra remplacer la catégorie meilleure comédienne par César du meilleur film avec Virginie Efira en vedette.

Rachel (Virginie Efira) est une femme active. Professeur de français dans un lycée, elle vient de rencontrer Ali (Roshchdy Zem) à son cours de guitare. Deux quadras, une nouvelle histoire d’amour. Ali, récemment divorcé, a la garde de sa petite fille (5 ans), une semaine sur deux. Rachel va tenter de jouer les mères de substitution auprès de Leila. Un rôle ingrat. La fillette est méfiante, réclame souvent sa maman. Pire, elle voudrait que ses parents se réconcilient et vivent avec elle tout le temps. Alors Rachel va espérer avoir un enfant avec Ali. Mais son gynécologue lui explique clairement que le temps lui est compté. Elle a un peu trop attendu.

Toutes les maternités 

Le film de Rebecca Zlotowski explore, grâce au personnage de Rachel, toutes les facettes de la maternité. L’intrigue nous apprend que Rachel a perdu sa mère dans un accident de voiture. Autre thématique, celle de la petite sœur de Rachel, qui se retrouve enceinte alors qu’elle n’a pas terminé ses études. Que faire ?

Autre problématique, celle de la maladie. Rachel croise, au cours de judo de Leila, une autre maman. Malade. Quelques mois plus tard ,c’est le papa qui récupère la copine de Leila. Dans ce tourbillon de relations mère - enfant, Rachel tente de trouver sa place, elle qui n’a jamais connu cette joie de la maternité. Virginie Efira, dans une performance d’actrice de très haut niveau, parvient à faire toucher du doigt aux spectateurs toutes les émotions, envies et déceptions qui traversent le corps et l’esprit d’une maman en manque.

Film de Rebecca Zlotowski avec Virginie Efira, Roschdy Zem, Chiara Mastroianni

 

mercredi 27 juillet 2022

Cinéma - “Sundown”, les derniers rayons de soleil


Souvent, un roman se juge à sa première phrase. Un film peut aussi être résumé par le premier plan proposé au spectateur. Dans Sundown, ce sont des poissons qui agonisent sur le pont d’un hors-bord luxueux au large d’une plage d’Acapulco. C’est glaçant et donne le ton du reste de l’œuvre. 

Cinéaste de l’intime et de l’intériorité, Michel Franco propose une nouvelle variation de ses thèmes de prédilection dans ce film ayant Tim Roth en tête d’affiche. Dans un hôtel de luxe d’Acapulco, une famille anglaise profite du service 5 étoiles, du soleil et de la mer. Alice (Charlotte Gainsbourg), la PDG de l’entreprise familiale, est accompagnée de ses deux enfants (des jeunes adultes) et de son frère, Neil (Tim Roth). Ce dernier est comme absent, étranger à cette ambiance de farniente. Quand Alice décide de rentrer en urgence à Londres pour se porter au chevet de sa mère, gravement malade, Neil prétexte avoir oublié son passeport pour ne pas prendre le vol. Il retourne à Acapulco, s’installe dans un modeste hôtel et profite de la plage, silencieux, mutique, perdu dans ses pensées. 

Énigmatique dans sa première partie, le film va virer au drame par la suite. Neil sera impliqué dans un fait divers dramatique et devra choisir entre sa famille, une femme qu’il aime et ce destin qu’il a décidé d’assumer quoi qu’il arrive. Tim Roth est parfait dans ce rôle d’un homme qui doute face à la dernière certitude de son existence : sa mort.

"Sundown", film franco mexicain de Michel Franco avec Tim Roth, Charlotte Gainsbourg, Iazua Larios

vendredi 15 avril 2022

Cinéma - Les cœurs du chœur carcéral

Mais quel joli film choral et musical que cet A l’ombre des filles d’Étienne Comar. Pourtant l’exercice s’annonçait périlleux.


Luc (Alex Lutz) est un célèbre chanteur lyrique. Il semble obligé de faire une pause dans sa carrière, après un événement dramatique. Loin des scènes européennes ou des festivals estivaux, il va passer une partie de l’été à animer un atelier de chant dans une prison pour femmes. La première partie du film va permettre au spectateur de faire connaissance avec ces femmes, ce professeur si particulier et cet univers oppressant. 

Si Luc n’en dit pas beaucoup sur sa carrière, il n’en demande pas plus à ses stagiaires. Comme il l’explique, un peu plus tard, il ne veut pas savoir pourquoi elles sont en prison, ce qui l’intéresse c’est leur personnalité. Le tour de force du film aura été de réunir un casting assez incroyable pour un film choral au ton très social. 

Parmi les chanteuses, qui au final se produiront devant les autres détenues, il y a Carole (Veerle Baetens), grande gueule qui espère devenir chanteuse pro, star exactement,  Jeanine (Marie Berto), la plus âgée, la moins douée et qui sait parfaitement qu’elle mourra en détention, Jess (Hafsia Herzi), la plus jeune, la plus fragile, bourrée de médocs, au ralenti, brindille portée par le courant, Noor (Fatima Berriah), la politique qui n’hésite pas à dire ses 4 vérités au prof qui vient s’acheter une bonne conscience, Marzena (Anna Najder), polonaise qui espère surtout améliorer son français. 

Dernière composante de la chorale : Catherine (Agnès Jaoui). Une voix pure, d’exception. Luc est en admiration. Mais chanter ne l’intéresse pas du tout. Elle ne fait cet atelier que pour obtenir une réduction de peine… 

Le reste du film montre ces répétitions, compliquées, enthousiasmantes, interrompues parfois par une bagarre. On n’oublie jamais que l’on est dans une prison. Notamment lors du spectacle final, apothéose d’un film musical pas comme les autres.

"A l’ombre des filles", film d’Etienne Comar avec Alex Lutz, Agnès Jaoui, Hafsia Herzi, Veerle Baetens, Marie Berto


dimanche 22 mars 2020

Série télé - Histoire d’éternité au centre de « Ad Vitam »


Avec un minimum d’effets spéciaux mais des scénarios originaux et inventifs, les auteurs français arrivent à se faire une place dans le genre très prisée de la série de science-fiction. Nouvel exemple avec «Ad Vitam» de Thomas Cailley et Sébastien Mounier. Une série Arte que l’on peut voir actuellement sur Netflix. Dans un futur proche, un système permet de vivre éternellement. Il suffit de se faire régénérer régulièrement dans des self-services pour bénéficier de plusieurs dizaines d’années de bonne santé assurée. Darius (Yvan Attal), policier depuis plus d’un siècle, hérite d’une étrange affaire : dans ce monde de potentiels immortels, sept jeunes sont retrouvés morts. Selon toute vraisemblance, ils se sont suicidés. 
Les six épisodes d’une heure sont parfois un peu lents, mais bénéficient de décors soignés et d’une interprétation digne de grands films de cinéma. On apprécie notamment tous les «jeunes», souvent des espoirs du 7e art français, Garance Marillier (épatante dans le film d’horreur Grave) en tête avec aussi Rod Paradot (La tête haute) et Anthony Bajon (La prière et Au nom de la terre).

mercredi 7 novembre 2018

Cinéma - « Lazzaro », d’une Italie à l’autre


Trop gentil ce jeune Lazzaro. Il y a quelques siècles, il aurait été considéré comme un valet de ferme. Ces hommes corvéables à merci, toujours disponible pour les travaux les plus ingrats. Mais Lazzaro ne vit pas au Moyen Age. Le début du film d’Alice Rohrwacher semble se dérouler dans les années 80 ou 90 vu le portable antédiluvien utilisé par le fils de la marquise. L’Italie de la fin du XXe siècle mais où les familles de l’exploitation agricole de la marquise De Luna vivent encore comme des serfs.
Pas de salaires, juste quelques dédommagements en nature en échange de la production des terres. Cinquante pauvres malheureux s’entassent dans les masures insalubres du hameau de l’Inviolata, dormant à 10 par chambre, se partageant les ampoules pour y voir clair la nuit. Ils sont exploités par la patronne (surnommée la Vipère) et son homme à tout faire. L’été, la fameuse vipère vient dans sa belle maison isolée du monde moderne (un pont coupé après des inondations) en compagnie de son fils Tancredi.
Ce jeune adulte déteste la région. Il s’y ennuie. Quand il croise la route de Lazzaro, il revit. Tancredi est le seul à ne pas chercher à l’exploiter odieusement. Mais il l’utilise. Il lui fait croire qu’il est son demi-frère et qu’ils sont tous les deux des chevaliers. Lazzaro le croit. Car Lazzaro est gentil. Il est heureux quand il permet aux autres d’être heureux. Il ne décèle pas la moindre mesquinerie ou méchanceté dans les brimades quotidiennes. Lazzaro est surtout naïf, presque attardé.

■ Prix du scénario à Cannes

Le personnage principal de ce film est interprété par Adriano Tardiolo. Il devient au fil des scènes le prototype de l’homme bon. Presque un saint. Aussi quand le film bascule dans le merveilleux, Lazzaro sautant les époques après une rencontre avec un loup, il n’est plus le benêt de service mais le révélateur des outrances de notre société actuelle.
Dans la seconde partie du film, Lazzaro, innocent et bon, débarque dans l’Italie contemporaine, il va découvrir que finalement le servage n’a pas complètement disparu. Au cours d’une vente aux enchères inversée, il retrouve l’homme à tout faire de la marquise. Désormais, il propose du travail à des migrants. Celui qui propose le plus petit salaire horaire sera embauché. Dans la grande ville, Lazzaro tombe par hasard sur ceux de l’Inviolata. Devenus adultes ou vieux, ils survivent tout aussi péniblement dans des bidonvilles le long de voies ferrées.
Fable profondément humaine, «Heureux comme Lazzaro» a remporté le prix du scénario au dernier festival de Cannes. Un film qui peut changer votre façon de voir la vie, presque vous donner la foi. Pas en une quelconque religion. Juste foi en l’Humanité.

➤ « Heureux comme Lazzaro », drame d’Alice Rohrwacher (Italie, 2 h 07) avec Adriano Tardiolo, Alba Rohrwacher, Agnese Graziani, Sergi Lopez.

lundi 27 juin 2016

Cinéma : L'argent facile et si rapide

Pascal Bonitzer, dans "Tout de suite maintenant" sous couvert d'un film sur la haute finance, s'intéresse surtout aux remords, regrets et autres motifs de culpabilisation.


Nora (Agathe Bonitzer) est belle, ambitieuse et brillante. La jeune trentenaire, après deux années dans une banque, intègre une société de conseil financier spécialisée dans les fusions-acquisitions. La grande finance, dans des bureaux impersonnels. Pour son premier jour, elle passe devant les deux grands patrons de la boîte, les fondateurs. Barsac (Lambert Wilson) est le véritable décideur. Prévôt-Parédès (Pascal Greggory) n'est plus l'ombre de l'homme entreprenant de sa jeunesse. Nora, observatrice et calculatrice, se rend rapidement compte que les deux hommes affichent une certaine prudence face à la nouvelle recrue. Entre amitié et méfiance.


Obligée de travailler en binôme avec Xavier (Vincent Lacoste), elle obtient de très bons résultats. Et découvre que son père n'est pas étranger aux rumeurs qui circulent sur son sujet.
Fille de son père
Pascal Bonitzer, loin de centrer son récit sur l'ambition d'une working-girl dans un monde très macho, fait glisser l'intrigue vers les difficultés à échapper à sa famille. Son père Serge (Jean-Pierre Bacri) a fait des études avec les deux patrons. Des trois c'était le plus intelligent, le plus prometteur. Mais Serge a préféré l'enrichissement intellectuel à la bête réussite matérielle. Résultat il vivote dans un vieil appartement alors que Barsac profite d'une villa moderne et spacieuse. Barsac qui est marié à Solveig (Isabelle Huppert), une femme qui elle aussi faisait partie du cercle d'amis de Serge. Nora, dans ce panier de crabes, va tenter de comprendre et de sauver sa peau. Mais quand Serge apprend qu'elle travaille pour Barsac, il la rejette. Et devient encore plus misanthrope. La multiplication des personnages, des intrigues, des histoires d'amour (passées, ratées ou à venir), le réalisateur noie un peu le spectateur sous une profusion d'informations. Tous les personnages, très typés dans leurs différentes catégories, jouent des partitions personnelles. Que cherche Nora exactement en travaillant pour Barsac, Solveig peut-elle encore aimer Serge, Xavier va-t-il choisir entre amour et carrière, pourquoi Prévôt-Parédès est-il obsédé par les banians, des arbres d'Asie, au point de devenir suicidaire ?
Il n'y a pas de véritable morale quand on sort de la salle. Simplement la constatation qu'un banal poème écrit dans sa jeunesse peut avoir des conséquences sur toute sa vie. Et que notre société ne donne plus de temps au temps. L'immédiateté est la règle. 
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Jean-Pierre Bacri : normal et malheureux


De tous les personnages de "Tout de suite maintenant", Serge interprété par Jean-Pierre Bacri est le seul qui semble avoir conservé beaucoup d'humanité. Sceptique et pessimiste, il a consacré sa vie à des recherches en mathématiques pures. Une petite vie idéale pour cet introverti, amateur de solitude et rechignant à être heureux.

Pourtant il aurait des raisons à profiter de la vie. Notamment grâce à ses deux filles, devenues adultes, belles et si opposées. Nora est bosseuse, sérieuse. Maya (Julia Faure) voudrait être artiste, mais vivote en attendant le succès derrière le bar d'une discothèque à servir des shoots de vodka à des hommes et femmes qui eux ont réussi. Financièrement parlant.
Bacri, parfait dans la peau de cet homme désabusé, se détestant, jamais satisfait, est la pierre angulaire du film. Tout gravite en fait autour de lui. Solveig, son seul amour, Barsac, son rival amoureux, méprisant et triomphal. Pascal Bonitzer, dès le début de l'écriture, voulait Jean-Pierre Bacri dans ce rôle. Comme pour prolonger son précédent film, "Cherchez Hortense". Bacri y interprétait un fils écrasé par son père. Dans "Tout de suite maintenant", il récupère le rôle du père omniprésent. Une occasion en or pour démontrer toute l'étendue de son talent.

dimanche 12 avril 2015

Cinéma - "Jamais de la vie", le film noir de notre époque

Dans « Jamais de la vie », Pierre Jolivet entraîne le spectateur dans les affres de la survie en milieu économique sinistré. Avec Olivier Gourmet en justicier désespéré.


La banlieue. Un centre commercial. La nuit. Le parking est vide. Il ne reste qu’une voiture, celle du vigile. Il fait ses rondes, inlassablement. Comme un animal en cage. Franck (Olivier Gourmet) inspecte toutes les ouvertures, fume une clope, retourne à l’intérieur, passe par la salle de vidéo surveillance. Puis retourne dehors. Refaire sa ronde. Bis repetita ad vitam aeternam...


Pierre Jolivet, après le thriller ou la reconstitution historique, signe un film social sur la désespérance de notre époque en crise. Franck ne s’épanouit pas dans ce travail. Seule satisfaction, il est seul. Personne pour lui chercher des noises ou le commander. Il y sacrifie toutes ses nuits. Au petit matin, de retour dans son appartement dans une cité impersonnelle, il ingurgite une bonne quantité d’alcool pour sombrer dans un sommeil profond, sans rêve. Pas réparateur, mais comme un “reset” qui permet de recommencer le soir venu sans trop d’hésitation.
Cette non-vie il la subit, Franck n’a pas le choix. Longtemps au chômage, il a accepté ce CDD payé au minimum, malgré son expérience professionnelle d’ouvrier. La cinquantaine passée, en fin de droits, tout est bon pour payer le loyer.
Le réalisateur montre la vie de ces petites gens, prises à la gorge, incapables de s’en sortir, un quart-monde qui ne se soigne plus car c’est trop cher, qui n’a plus de projet pour la retraite si ce n’est de trouver un petit boulot d’appoint pour compléter une pension ridicule. Rarement la crise aura été filmée au plus près, sans fioriture. Sans le moindre signe positif aussi. Tout pousse au désespoir dans ce monde injuste qui offre tout aux plus riches et prend tout aux plus pauvres.

La crise, partout
Franck a coupé les ponts avec la société, les autres. Il se contente simplement d’aller régulièrement faire le point avec Mylène (Valérie Bonneton), l’assistante sociale qui lui a trouvé ce job peu reluisant. Elle lui demande de s’accrocher. Qu’un CDI, tel le Graal, est possible. Avec la possibilité, d’ici quelques années, de passer au service de jour.
Il s’en contente en ruminant ses luttes passées. Franck, avant de pointer au chômage, était responsable syndical dans une usine. Un bon ouvrier, investi, fier de son travail. Quand il a été question de fermer, il est allé au front, se battre pour sauver la boîte. Il a pris tous les coups, pour rien. Et c’est comme ça qu’il s’est retrouvé blacklisté un peu partout.
En retrait, mais pas complètement indifférent. Il remarque le manège d’une voiture aux vitres teintées. Il va se passer quelque chose. Mais peut-il jouer les balances, lui qui ne supporte pas les flics ? Et s’il tentait d’en profiter. Après tout, perdu pour perdu...
Pierre Jolivet a construit son film autour du personnage de Franck, un rôle extrêmement fort, omniprésent, compliqué. Une personnification de ces millions d’hommes et femmes humiliés dans leur quotidien car incapables de s’en sortir financièrement et intellectuellement. Notre époque. Noire et désespérante.


Olivier Gourmet : la gueule de l’emploi

Fracassé par la vie. Olivier Gourmet, la voix grave et cassée, la calvitie avancée, a la gueule de l’emploi. Il endosse la personnalité de Franck, syndicaliste déçu et blasé, avec une présence rare. Cet acteur belge originaire de Namur est l’acteur fétiche des frères Dardenne. Son rôle dans Un fils lui a même rapporté un prix d’interprétation au festival de Cannes en 2002. Logiquement, il a franchi la frontière et perdu son accent pour devenir un des piliers des films français exigeants. Loin de surfer sur son succès, il n’a pas modifié ses exigences quant aux rôles qu’il accepte. Il est cependant de plus en plus présent alternant les réalisations où il occupe le premier rôle comme Jamais de la vie ou Terre battue avec des participations moins importantes comme L’affaire SK1 ou Grand Central.
Dans le film de Pierre Jolivet, il a la chance d’interpréter le genre de personnage qui habituellement est réservé aux grandes actrices : un être fragile et écorché vif au masculin, c’est trop rare dans le cinéma français. Un défi qu’il relève avec brio, comme ses prochains rôles à l’affiche en 2015, du film fantastique japonais à la reconstitution historique (guerre 14/18) à l’adaptation de Madame Bovary.