vendredi 31 mars 2023

Bande dessinée - Quand les femmes dessinent et s’indignent

Si Nine Antico, pour parler des femmes en général, raconte l’histoire de trois d’entre elles dans l’Italie du passé et du présent, Lisa Frühbeis, autrice allemande, se met en scène dans des histoires réalistes, drolatiques et parfois énervées.

Trois saintes italiennes, Agata, Lucia et Rosalia. La vie de ces religieuses, qui ont pour point commun de ne pas avoir voulu se marier, sert de prétexte pour raconter des destins plus contemporains et terre à terre de trois femmes qui ont les mêmes noms. Nine Antico, sur des récits religieux qui ont sans doute un fond de vérité, greffe ces destins imaginaires très symboliques.


Agata, encore adolescente, est envoyée dans un sanatorium sicilien. Elle n’est pas malade. Il faut simplement la préserver du scandale familial : sa mère vient d’être assassinée par son amant. Agata qui devra vivre toute sa vie avec ce poids de la faute maternelle. 

L’histoire de Lucia se déroule durant la seconde guerre mondiale. En Italie comme en France, la libération venue, les femmes qui ont couché avec les soldats allemands sont tondues. Alors que se donner à un GI fait presque figure de sacrifice patriotique.

Enfin la Rosalia de notre époque fait partie de ces témoins qui ont participé à la chute (temporaire) de la mafia. 

Ces Madones et putains, long récit graphique essentiellement en noir et blanc, aux dessins sombres comme du Baudoin, racontent les impasses dans lesquelles les femmes qui ont un minimum d’envie de liberté se retrouvent trop souvent acculées.

De l’Italie, cap vers l’Allemagne. Pays a priori plus ouvert aux thèses féministes. Mais qui pourtant a encore des progrès à réaliser quand on découvre les Petites chroniques féministes écrites et dessinées par Lisa Frühbeis. Publiées chaque semaine dans un grand journal berlinois, ces histoires en trois planches mettent Lisa en situation. Elle y aborde, en toute liberté et sans tabou, des thèmes parfois légers (comment vivre avec ses poils aux jambes ou comprendre pourquoi certaines femmes aiment véritablement avoir un soutien-gorge) ou plus sérieux et clivants.

Quand elle aborde le problème des règles, elle sait parfaitement qu’une grosse partie du lectorat masculin va zapper la BD. Il y est aussi parfois question de politique, quand elle constate que les lois, depuis des siècles, sont écrites par les hommes pour maintenir leur domination sur l’autre moitié de l’humanité.

Le dessin, simple et très expressif, permet de ne pas rendre trop indigestes ces chroniques sérieuses et édifiantes sur la situation des femmes de l’autre côté du Rhin.

« Madones et putains », Dupuis, Aire Libre, 21,95 €
« Petites chroniques féministes », Presses de la Cité, La Cité Graphique, 19 €

jeudi 30 mars 2023

BD - Le dépisteur et les enfants

Au début des années 50, dans le Lot écrasé par la chaleur de ce mois d’août caniculaire, un homme s’écroule au bord de la rivière. Recueilli par un paysan, il veut rejoindre le village de Saint-Cirq-Lapopie. Il est à la recherche d’une famille qui aurait hébergé une petite fille d’à peine un an.

Samuel, ancien scout juif, fait partie de ces dépisteurs qui sillonnent la France pour tenter de reformer des familles séparées en raison de l’Occupation. 

Basé sur des récits authentiques, cette BD d’Ozanam mise en images par Venanzi, montre une France qui a bien des peines pour retrouver entente et joie de vivre tant les actions des uns et des autres, ont parfois eu de graves conséquences.

Samuel va donc faire chou blanc dans un premier temps, puis retrouver la trace d’une femme surnommée la Tondue qui aurait dénoncé la famille compatissante aux Allemands. Un premier tome dense car ne plus des évènements du Lot, les auteurs racontent une précédente enquête de Samuel, en plein hiver dans les Pyrénées. Là c’est tout un village qui refuse de parler et va jusqu’à le menacer. Une certaine Histoire de la France, pas toujours glorieuse.

« Le dépisteur » (tome 1), Glénat, 14,95 €

De choses et d’autres - S’endetter ou lire, faut choisir


En tant que lecteur compulsif, toujours prompt à défendre cette saine activité culturelle qu’est la lecture, pas si chère au final au prorata du nombre d’heures occupées intelligemment, j’ai découvert une publicité pour le moins choquante.

Pour un organisme de crédit à la consommation, deux petits schémas explicatifs reviennent sur la situation financière et ses conséquences d’un Français lambda. Première séquence. « Il aurait dû se passer ça : ma télé qui me lâche + le loyer à payer = je vais lire un livre ». Mais dans un second temps, face à ce bad karma de la lecture comme seule solution pour occuper ses soirées, le client potentiel (et futur endetté) peut se réjouir : « Ma télé qui me lâche + le crédit à la consommation = à moi les séries ! »

Franchement, alors que le CNL et le ministère de l’Éducation organisaient la semaine dernière la grande opération du quart d’heure de lecture, cette publicité semble assez lunaire et très à côté de la plaque. Opposer un livre et la télévision, c’est comme si on devait choisir entre l’œil droit ou le gauche. Désolé, ça ne marche pas comme ça.

Pour parfaitement voir ce qui nous entoure, deux yeux sont nécessaires. De même, difficile de se cultiver sans piocher un peu dans tous ce qui est proposé. Un film, un livre, une série, une chanson… Alors quitte à s’endetter avec un crédit au taux trop souvent prohibitif, autant en profiter un maximum. D’accord pour acheter une nouvelle télé et s’abonner à une plateforme, mais achetez aussi des livres, allez au cinéma.

Par contre, avec la télévision, méfiance face à certaines émissions de talk-show en direct. La culture et elles, c’est comme la lecture et le crédit à la consommation : une grande incompréhension.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le jeudi 16 mars 2023

mercredi 29 mars 2023

BD - Des mousquetaires inépuisables

Le 5 avril prochain, le film de cape et d’épées français va renaître de ses cendres. L’adaptation sur grand écran du roman d’Alexandre Dumas, Les trois mousquetaires devrait relancer le box office et permettre à plusieurs générations de redécouvrir ce chef-d’œuvre. Mais avant cela, en plus de la version originale, vous pouvez préparer le terrain en lisant l’adaptation en BD des aventures du jeune Gascon d’Artagnan et de ses trois compagnons mousquetaires du roi : Porthos, Aramis et Athos.

Le roman fleuve de Dumas est adapté en un seul album de 64 pages, là où le cinéma prévoit deux films de deux heures. Une version courte et percutante que l’on doit à Arnaud Delalande et Hubert Prolongeau, deux spécialistes des BD historiques.

Le premier, également écrivain, a signé Le dernier Cathare et plusieurs biographies des Reines sanglantes. Le second, surtout connu pour son travail de journaliste d’investigation, met son sens de la narration au service de récits dessinés par les plus grands.

Pour ce monument de la littérature populaire française, c’est Laurent Bidot qui a relevé le défi graphique. Son dessin réaliste aux cadrages recherchés permettent au lecteur de plonger dans cette France de 1625. Un premier album qui paraît quasiment en même temps que la suite, Vingt ans après. Si les scénaristes sont les mêmes, c’est l’Italien Fabio Bono qui se charge des aventures des mousquetaires deux décennies après la mort de Milady.

Deux superbes BD qui devraient donner l’envie de lire le roman de Dumas ou d’aller savourer les films avec Vincent Cassel, Romain Duris, Pio Marmaï et François Civil.

« Les trois mousquetaires » et « Vingt ans après », Plein Vent, 17,90 €

De choses et d’autres - Un cadeau de poids pour la Saint-Valentin de... 2046

Êtes-vous du genre à programmer longtemps à l’avance vos cadeaux ? Si oui, n’allez pas trop vite en besogne pour la Saint-Valentin de 2046. C’est dans 23 ans exactement, alors vous avez quand même le temps, pas la peine de faire trop de plans sur la comète.

Et de comète justement il en est question puisque c’est ce 14 février 2046 exactement qu’un astéroïde pourrait venir déclarer sa flamme à notre bonne vieille terre.

Problème, le fameux caillou qui à pour petit nom 2023 DW, gros comme une piscine olympique selon les scientifiques qui le surveillent depuis quelques semaines, s’il reste sur sa trajectoire initiale, pourrait causer suffisamment de dégâts pour accélérer un peu plus l’extinction de toute vie sur Terre.

Un tel scénario catastrophe me semble un peu tiré par les cheveux. Les savants l’admettent, la probabilité que 2023 DW frappe la terre est faible. Il peut aussi passer à des milliers de kilomètres. Sans provoquer le moindre problème. Mais dans notre société qui aime tant se faire peur, l’annonce d’une catastrophe qui pour une fois n’est pas due à la folie humaine, a de quoi rassurer. Sacré paradoxe.

Et si on résonne par l’absurde, pourquoi interdire les moteurs à essence en 2035 si quelques années plus tard tout doit disparaître ? Et trier les déchets ? Une corvée de moins. Sans parler de la réforme des retraites pour tous ceux qui sont nés après 1982… Pourquoi cotiser si on ne peut pas toucher les dividendes pour cause d’apocalypse.

Mauvaises idées en fait. N’en faites rien. Dites-vous simplement que si 2023 DW percute effectivement la planète bleue en 2046, il ne faut pas attendre le dernier moment pour déclarer votre flamme à l’être aimé. La voilà l’utilité de l’astéroïde : répandre un peu plus d’amour sur Terre.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le mercredi 15 mars 2023

mardi 28 mars 2023

BD - Western sans espoir

Dobbs, scénariste montpelliérain, multiplie les parutions dans le label Comix Buro. Il signe avec cet album un pur western gorgé de violence. Plus qu’un hommage au genre, une sorte de résumé impitoyable de tout ce que la vie dans l’Ouest, le vrai, avait de dangereux.

À la fin de la guerre de Sécession, un groupe de nordistes pourchasse des fuyards sudistes. Une histoire de vengeance. Meadow, soldat noir, veut retrouver Blackwood, Blanc sudiste assassin de la femme du premier. 

Dans le désert, entre serpent, indiens et petits malfrats, les deux hommes ne vont jamais cesser de tenter de s’entre-tuer, même si parfois ils devront faire alliance pour rester en vie avant l’explication finale.

Dessinée par Nicola Genzianella, cette BD montre comment deux ennemis vont devoir trouver un terrain d’entente pour sauver leur peau. Une fable originale sur la rédemption.

« Souviens-toi que tu vas mourir », Glénat Comix Buro, 14,95 €

Cinéma - “Houria”, danseuse blessée dans sa chair

Jeune danseuse dans une Algérie corsetée, Houria va voir ses rêves s’envoler. Mais elle se relèvera.

Dans l’Algérie de nos jours, les femmes n’ont que peu d’occasions de s’exprimer. Comme sa mère Sabrina (Rachida Brakni), Houria (Lyna Khoudri) veut devenir danseuse. Mais si la première se produit dans les mariages et fêtes privées dans un registre traditionnel, Houria vise l’excellence avec un but : être repérée par un producteur de danse classique et devenir professionnelle. Avec sa meilleure amie, Sonia (Amira Hilda Douaouda), elles ont des rêves de liberté, d’Occident. Femmes de ménage dans un hôtel la journée, elles économisent. Sonia épargne pour payer un passeur et rejoindre l’Espagne puis Barcelone. Houria mise ses économies dans des combats de béliers illégaux avec l’ambition de payer une voiture à sa mère.

Houria, second film de Mounia Meddour après Papicha, de nouveau porté par une Lyna Khoudri rayonnante, va plus loin que cette lutte au quotidien des femmes algériennes pour être reconnues dans la société. Il y a en toile de fond le problème des plaies encore ouvertes de la guerre civile.

Terroriste repenti et gracié 

La vie de Houria bascule quand elle croise la route d’un ancien terroriste. Un repenti, gracié après une loi controversée pour tirer un trait sur le passé. L’homme qui conserve sa haine des femmes et sa violence va agresser la jeune femme. Commotion cérébrale et surtout une cheville en miettes. Elle se réveille avec des vis dans ce qu’elle considérait comme sa meilleure chance de s’en sortir.

Plongée dans un mutisme traumatisant, Houria va suivre des séances de rééducation et côtoyer un groupe de femmes muettes. C’est pour elles qu’elle va recommencer à aimer la danse. Pas la classique, celle contemporaine qui donne plus de place au haut du corps, à l’expression des mains et du visage. Tout en conservant cette tension intrinsèque à la société algérienne (police corrompue, justice impuissante), le film va s’alléger avec le travail sur la danse mené par Houria pour des femmes elles aussi blessées dans leur chair.

Les scènes où elles dansent, toutes unies dans une volonté de s’exprimer malgré les interdits, sont d’une exceptionnelle beauté. Des chorégraphies et une musique qui font aussi tout le charme de ce grand film sur l’Algérie actuelle. Ou plus exactement le triste quotidien des femmes algériennes de 2023.


Film de Mounia Meddour avec Lyna Khoudri, Amira Hilda Douaouda, Rachida Brakni

 

lundi 27 mars 2023

BD - Inquiétante meute d’enfants

En 2025, une gigantesque aurore boréale rouge a été perceptible partout dans le monde. Ce jour si particulier, 220 000 enfants naissent. 21 ans plus tard, ils forment une meute et semblent reliés entre eux, avec un dessein commun : prendre le pouvoir sur terre.

Un pitch simple et bien angoissant pour cette nouvelle série digne des meilleurs films de SF actuels. Christophe Bec signe encore une fois un scénario à grand spectacle. Le premier tome est illustré par Stefano Raffaele, dessinateur réaliste italien de talent déjà vu dans Olympus Mons ou Prométhée.

Un futur incontournable pour les amateurs de série apocalyptique.

« Aurora » (tome 1), Soleil, 15,95 €

De choses et d’autres - La santé à l’épreuve du genre


Une récente étude sur les prises de rendez-vous sur Doctolib a démontré que les femmes prennent 85 % des rendez-vous. Cela ne dit pas que vous, mesdames, êtes plus souvent malades que nous, fiers membres du sexe dit fort. Non, c’est simplement la preuve éclatante que la charge mentale de la gestion de la santé de la famille repose entièrement sur vos (soi-disant) frêles épaules. Notamment celle des enfants.

C’est pour cette raison que désormais le compte Doctolib pour prendre rendez-vous pour les enfants peut être géré par deux personnes. Deux utilisateurs pourront réserver, modifier, annuler les rendez-vous. Et ils recevront tous les deux les comptes rendus. Les hommes n’auront plus d’excuse.

Du moins si leur compagne fait le nécessaire pour les mettre dans la boucle. Car il faut aussi reconnaître qu’en matière de santé, dans un couple, c’est souvent la femme qui porte la culotte et garde la tête sur les épaules. Pour preuve cette réaction d’un internaute qui se veut humoristique mais qui résume bien le risque de confier la santé des enfants à un homme : « Si on nous laisse gérer ça va être drôle. On inverse la charge mentale des rendez-vous médicaux des enfants avec ceux pour la révision de la voiture ? » Quel vilain cliché complètement idiot : à maman les bobos et à papa l’auto ?

D’autant qu’en creux cela voudrait dire qu’on accorde, nous les hommes, plus d’importance à notre bagnole qu’à notre descendance ?

Sur ce je vous laisse, mon petit-fils tousse, va sans doute falloir que je fasse la révision des 7 ans et changer la tête de Lego.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le mardi 14 mars 2023

dimanche 26 mars 2023

DVD et blu-ray - « Close » ou comment faire son deuil de l’amitié

Grand prix au festival de Cannes, nommé aux Oscars, le film belge de Lukas Dhont est un bloc d’émotion surfant sur l’amitié défunte de deux jeunes garçons.

Ils ont 13 ans, sont amis depuis des années et passent de merveilleuses vacances entre courses dans les champs, guerre imaginaire et nuit à se raconter des histoires, à spéculer sur leur avenir. Rémi (Gustav de Waele) et Léo (Eden Dambrine) se retrouvent à la rentrée. Ils intègrent le collège, sont dans la même classe par chance. Mais très vite l’ambiance change. Dans cette grande compétition et concours permanent entre adolescents, ils font figure de bêtes à part.


Leur amitié fusion est incomprise. Interprétée. Pour preuve, une fille leur demande tout de go s’ils sont en couple. Si Rémi, le plus introverti, n’est pas gêné, Léo, plus regardant à son image, réfute violemment cette interrogation. Comme si effectivement il ne voulait pas reconnaître l’évidence.
Pourtant il ne s’est jamais rien passé entre eux deux. Les scènes du début du film sont sensuelles, douces, pleines de complicité. Mais rien qui ne va au-delà d’une amitié forte. Même si ce sont deux garçons. C’est le message qu’a voulu faire passer le réalisateur, qui a souffert de ces jugements dans son enfance. Léo, pour faire cesser les bruits, rejette son meilleur ami, préférant rejoindre une bande plus masculine, qui parle foot et pratique le hockey sur glace, sport viril par excellence.

La fin de cette amitié, brutale, va perturber Rémi. Il ne comprend pas, se retrouve déboussolé, comme abandonné. La fin du film ne montre que Rémi, seul, perdu, de plus en plus coupable de cette attitude dictée par les diktats de la masculinité. Il va se rapprocher de la mère de Rémi, interprétée par une Émilie Dequenne qui apporte une humanité fragile à un drame déchirant.

La sortie en DVD et blu-ray (Diaphana) de ce film alors qu’il était en compétition aux Oscars, s’accompagne par un court bonus mais très éclairant. Une entrevue avec le réalisateur qui explique le processus d’écriture, ses sources d’inspirations et le casting.

De choses et d’autres - Le goût de la friture


Quand il faut se sacrifier, voire prendre des risques pour exercer mon métier avec le plus de rigueur possible, je suis toujours partant. Non je ne vais pas rejoindre Bakhmout en Ukraine pour relater le combat pour cette ville martyr. Encore moins me frotter aux députés qui s’écharpent sur la réforme des retraites à la buvette de l’Assemblée nationale. Je suis peut-être un cobaye, mais pas si fou que cela.

En fait je préfère, de loin, tester les petits gestes ou nouveautés du quotidien, essentiellement quand il y est question de nourriture. Voilà pourquoi quand j’ai appris que MacDonald’s avait décidé de remplacer ses pommes de terre potatoes par un trio de légumes étonnant, j’ai décidé de goûter ces nouvelles saveurs. Une opération ponctuelle destinée à redorer l’image de la chaîne de restauration rapide. Ou du moins à faire parler d’elle. C’est réussi.

Exit donc les potatoes place au panais, betterave et carotte. Des tubercules, comme les patates, découpés en bâtonnets et cuits… dans la friture. On ne va quand même pas changer une recette un peu grasse certes, mais qui marche. Au niveau visuel, c’est moins convaincant malgré les couleurs. Question goût, c’est différent, pas forcément meilleur.

En fait, je dois le confesser, dans les menus McDo, ce ne sont pas les frites qui m’attirent le plus mais les hamburgers. Notamment quand il y a de la sauce Deluxe. Pour les frites, qu’elles soient classiques, potatoes ou avec des légumes incongrus, le vrai plaisir c’est de les manger avec les doigts, après les avoir trempées dans la mayonnaise ou le ketchup.

Une sorte de régression primaire que tous ceux qui ne peuvent manger qu’avec des couverts ne comprendront jamais. Et parfois, je les plains.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le lundi 13 mars 2023

samedi 25 mars 2023

Roman - Le cinéma catastrophe de "Film fantôme" de Patrice Pluyette


La magie du cinéma en prend plein les dents dans ce roman de Patrice Pluyette. Le narrateur, jeune cinéaste en devenir, a pour ambition (sans doute démesurée), d’adapter le roman de chevalerie, Roland Furieux.

La première partie du roman raconte l’histoire et comment le réalisateur imagine son futur chef-d’œuvre.

La seconde montre la dure réalité d’un tournage mal préparé, fauché, sans comédiens de talent et où tout vire à la catastrophe.

Un Film fantôme aux mauvaises raisons quand le réalisateur, dépassé, admet un peu dépité : « Avoir tout raté, sur toute la ligne, en beauté : mon film, mes personnages, ma vie. Célibataire, sans véritable ami, j’avais entrepris ce film pour être entouré et vivre l’amour par procuration. »

« Film fantôme » de Patrice Pluyette, Seuil, 19 €

De choses et d’autres - Toute la société est à cran


Mais pourquoi tant de haine ? Et de mauvaise humeur générale ? Je ne sais pas si c’est le temps, trop sec, trop froid, ou l’ambiance politique un peu lourde (réforme des retraites, inflation), mais j’ai l’impression que l’agressivité flottant dans l’atmosphère vient de progresser d’un cran.

Mon épouse vient d’en faire les frais. Jeudi matin, jour de grève générale, elle décide de se rendre à l’accueil du drive d’un supermarché pour échanger une boite de café cabossée. Elle se gare sur la place réservée. Et se fait copieusement insulter par un livreur de bouteilles de gaz mécontent de ne pouvoir arrêter son camion à proximité.

Avec un argument imparable, symptomatique de l’ambiance très à cran sévissant dans le pays : « Vous êtes aveugle ou quoi ? Vous voyez bien que je viens livrer. Je suis debout depuis 4 heures du matin, laissez les travailleurs travailler, la bourgeoise qui fait ses courses ! » Saluons l’exploit de la fameuse « bourgeoise » (sans doute l’insulte la plus infamante et erronée qu’elle ait eue à subir depuis des années) qui a conservé son calme.

Certes, elle portait une veste noire et blanche du plus bel effet, mais achetée dans une friperie d’Elne dans les Pyrénées-Orientales (chez Plume, pub gratuite) pour quelques euros.

Et puis, insulter une femme un 8 mars, c’est un sacré manque de tact. Si je me fais l’avocat du diable, ce pauvre livreur était de mauvais poil car il aurait bien aimé, lui aussi, faire grève et ne pas devoir travailler deux ans de plus en fin de carrière. Mais une journée de salaire ça compte en fin de mois.

À moins qu’il ne fasse partie de ceux qui ne supportent plus que ces « gauchistes » bloquent péages, boulevards et place de parking alors que les travailleurs, les vrais, bossent, eux.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le samedi 11 mars 2023

vendredi 24 mars 2023

De choses et d’autres - Quinze minutes vitales


Le 10 mars, le Centre national du livre (CNL) en collaboration avec le ministère de l’Éducation organise le quart d’heure de lecture national. Des animations sont ptopsées un peu partout en France pour promouvoir la lecture.

Avec ce credo : lire au moins un quart d’heure par jour. 15 minutes. Une misère. Pourquoi pas une petite heure ? Car franchement, un quart d’heure pour découvrir un roman, ce n’est pas assez. Surtout pour ceux qui n’ont pas l’habitude de dévorer les bouquins.

Personnellement, j’ai le problème inverse de la majorité des Français. Au lieu de ne pas lire assez, je lis trop. J’ouvre un bouquin et sans m’en apercevoir, je plonge dans ce nouvel univers et ne reviens à la surface que longtemps après. Et jamais avant le fameux quart d’heure de ce 10 mars.

Je dois cependant admettre que cette initiative est essentielle, vitale même. Car une société dans laquelle la population ne lit plus, notamment des fictions, ne mérite pas d’être soutenue. Enlevez le rêve, l’imagination, la possibilité de découvrir de nouveaux mondes ou simplement des situations sans avoir à les vivre directement sont des expériences qui nous définissent sans doute le mieux en tant qu’animal un peu plus évolué qu’une amibe.

Alors ce vendredi et les autres jours, si vous avez l’occasion, arrêtez-vous dans une librairie, voire au rayon bouquins du supermarché, prenez un ouvrage (n’importe lequel car en plus vous avez le choix) et lisez. Même 10 minutes, ce serait super. Surtout si en plus vous êtes convaincu par les lignes parcourues et que vous décidez d’en faire l’acquisition. Les livres sont de formidables portes ouvertes sur le bonheur. S’ils ont des lecteurs, évidemment.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le vendredi 10 mars 2023

jeudi 23 mars 2023

Un livre enquête sur les risques de l’éco-terrorisme

 La lutte pour préserver l’environnement va-t-elle devenir violente ? Le livre de deux journalistes originaires de Pyrénées-Orientales, Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, tente de répondre à la question.

Face à l’urgence climatique, des voix s’élèvent. Mais sans véritablement réussir à faire bouger les lignes. Alors certains militants écologistes sont tentés pour changer de mode d’action, n’écartant plus la violence. Un réel danger selon deux journalistes originaires de la région, Anthony Cortes et Sébastien Leurquin. Ils ont enquêté sur les mouvements écologistes radicaux en France et publient le détail de leurs recherches dans un livre paru aux éditions du Rocher. Dans L’affrontement qui vient, ils ont notamment rencontré une militante de Deep Green Résistance qui annonce clairement la couleur : « La peur ça change pas mal de choses dans le rapport de force, puis ça te permet d’attirer des gens déterminés. Nous, on veut prendre petit à petit la place des mignons écolos pour amener l’idée d’actions violente comme l’axe central, voire le seul. »

Les autres mouvements sont moins offensifs, mais laissent entendre que la base, de plus en plus, envisage de passer à l’action face à l’immobilisme. Autre témoignage recueilli dans ce livre, celui d’une militante de 26 ans : « Il ne faudra pas accuser ceux qui se révolteront face à la situation. Ce que nous savons, c’est que tout est perdu ou presque, et ce n’est pas notre génération la responsable. Notre monde court à sa perte, notre monde est fini. »

Cette longue enquête (des dizaines de personnes longuement interviewées), tente aussi de comprendre comment l’État participe à cette montée de la tension. Gérald Darmanin (qui n’a pas voulu répondre aux auteurs), est le premier à avoir parlé d’éco-terrorisme dans le mouvement de protestation contre les super-bassines dans les Deux-Sèvres. Certains militants écolos sont fichés S, surveillés, parfois assignés à résidence.

Alors l’affrontement devient-il inévitable. Oui selon Sandrine Rousseau, députée écologiste : « Le système néglige quelque chose de capital : c’est une question de vie ou de mort ! Dans cette urgence vitale, les gens n’ont plus rien à perdre. »


« L’affrontement qui vient » d’Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, Éditions du Rocher, 18,90 €

Thriller - Deux îles, deux types d’angoisse

 Un duo de policières suédoises et un trio de françaises animent ces deux thrillers qui ont pour point commun de se dérouler en grande partie sur des îles lugubres.


Pour mettre en place un huis clos angoissant, rien de tel que des îles. Les romancières Maria Grund et Sonja Delzongle ont parfaitement maîtrisé ce fait en plantant l’intrigue de leurs derniers thrillers sur des bouts de terre isolés où personne ne vous entendra hurler de peur. La première est au large de la Suède, la seconde au milieu du lac Léman.L’autre point commun de ces deux romans, ce sont les failles psychologiques des différentes protagonistes. 


Le duo suédois est composé de Sanna et Eir. La première, en poste depuis toujours sur cette île où personne ne veut aller, vit depuis quelques mois dans un garage. Elle n’ose plus retourner dans sa maison depuis qu’un pyromane y a mis le feu. Dans les flammes, son mari et son fils ont trouvé la mort. Dépressive, elle se raccroche à son boulot. Et aux médicaments. Elle change de partenaire. L’habituel, qui veille sur elle, prend sa retraite. A la place c’est Eir qui va l’aider. Une ambitieuse. Un peu trop sanguine. Sa mutation est une sanction, elle qui avait intégré le service le plus côté de la police suédoise à la capitale. Ensemble, elles vont apprendre à se connaître, s’apprécier et se lancer dans une enquête qui débute par la découverte d’une adolescente dans un lac. Elle se serait suicidée, avec le masque d’un renard sur le visage.

Une mort rapidement éclipsée par d’autres cadavres. Un tueur semble vouloir faire le ménage dans un groupe qui a pour point commun d’être très croyant et qui a animé un camp pour des enfants il y a sept ans. La fille renard, premier roman de Maria Grund, est dense et violent. Malgré les errances de Sanna et l’impatience d’Eir, on suit la lente progression de l’enquête jusqu’à la conclusion finale, très sombre comme souvent dans les polars nordiques.


Tout aussi sombre le nouveau roman de Sonja Delzongle, Thanatea. Thanatea c’est le nom de cette petite île nichée au centre du lac Léman. Une société l’a transformée en temple de la mort. Un endroit pour dire adieu à ses proches, dans le luxe et la discrétion. C’est là qu’Esther va entamer la seconde partie de sa vie professionnelle. Cette policière lyonnaise, traumatisée après la mort de sa petite fille d’un cancer, devient préposée au café dans ce bunker angoissant. On suit son adaptation en parallèle au quotidien de ses deux meilleures amies, toujours flics, Layla et Hélène. Le roman débute par des obsèques. De l’une des trois. Laquelle ?

Après quantité de rebondissements, le lecteur ne l’apprend que dans les dernières pages, après avoir découvert les pratiques étranges de ces nouvelles entreprises de pompes funèbres. Un roman qui fait la part belle aux errements des trois héroïnes. Esther, toujours dépressive, Layla, mère courage qui affronte le mari de sa fille, de venu violent et Hélène, abandonnée par son compagnon pour une plus jeune.

Ces deux romans, dans des styles différents, s’articulent autour d’amitiés fortes, d’histoires de famille compliquées et de décors parfaitement adaptés aux deux intrigues principales.

« La fille renard » de Maria Grund, Robert Laffont, 21,90 €

« Thanatéa » de Sonja Delzongle, Fleuve Noir, 20,90 €

Cinéma - Découvrir "Everything Everywhere all at once" en DVD et blu-ray

Everything Everywhere all at once vient de rafler pas moins de sept oscars, dont celui de meilleur film, meilleurs réalisateurs et meilleure actrice. Un film qui vient de ressortir en salles.

Éditeur de texte enrichi, editorDVD et Blu-ray. Amateurs de réalités virtuelles, de mondes parallèles et de science-fiction tordue, vous allez adorer ce film si par un incroyable hasard vous ne l’avez pas vu à sa sortie en salles.

Everything Everywhere all at once (A24) des Daniels, a pour héroïne Evelyn Wang (Michelle Yeoh). D’origine chinoise, installée aux USA avec son mari (Ke Huy Quan), elle est en froid avec sa famille. Son père qui l’a rejeté, sa fille, homosexuelle. Sans compter son commerce (une laverie) en difficulté et le harcèlement d’une inspectrice des impôts (Jamie Lee Curtis). C’est dans le bureau de cette dernière que tout bascule.


Le mari change d’attitude, lui explique qu’il vient d’un autre univers et qu’elle doit suivre à la lettre ses indications si elle ne veut pas mourir. Très sceptique au début, elle va petit à petit découvrir qu’elle peut se balader d’un monde à un autre pour prendre le meilleur de milliers de vies possibles et imaginables qu’elle aurait pu vivre.

Entre comédie loufoque, film de kung-fu, ode à la famille et remake de Matrix, ce film sort en vidéo avec quantité de bonus comme le commentaire audio des auteurs, les scènes coupées, le bêtisier et le clip : This is life.

mercredi 22 mars 2023

De choses et d’autres - Tricot stressant


Catherine est la Lucky Luke du tricot français. Championne de France, elle multiplie les mailles à l’endroit, à l’envers, plus vite que son ombre. Elle vient de remporter son 9e titre de tricoteuse la plus rapide de France. J’avoue trouver assez paradoxal d’associer le tricot à la vitesse.

Dans mon imaginaire, tricoter c’est un peu le yoga zen tricolore. On prend son temps, on compte les mailles, on défait parfois et on recommence quand il y a une erreur. Et le tricot s’adresse à un public qui n’est pas spécialement pressé et monté sur des piles électriques. Tricot et grands-mères font bon ménage depuis longtemps. Les mamies gâteau, calmes et pondérées, qui vous promettent, dès le 14 juillet une nouvelle écharpe (ou un pull moche de Noël), pour les fêtes. Six mois de maniement des aiguilles, la journée tout en bronzant à la plage puis le soir, près de la cheminée. Car on peut tricoter partout.

Et cela n’empêche pas certaines expertes de conserver leurs yeux pour regarder ce qui se passe autour d’elles ou leur langue pour causer avec les copines.

Le tricot de vitesse me semble aussi incongru que ces joueurs de pétanque pressés, incapables de palabrer de longues minutes, à chipoter sur un caillou mal placé ou une distance controversée. Pétanque et tricot : même combat du slow-loisir. D’ailleurs Catherine est la première à le reconnaître. Dans un reportage diffusé par BFM elle explique que « le tricot dans la vie de tous les jours, c’est complètement différent. » En compétition, « on doit aller hyper vite. C’est de la pression, du stress. Alors que le tricot, c’est un loisir agréable. »

C’est sûr que si tricoter provoque une montée de stress, l’utilité de cette pratique relaxante est sérieusement remis en cause.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le vendredi 17 mars 2023

Littérature - Le « Client mystère » sème la désolation

Chargé de noter les prestations d’employés de sociétés soucieuses de leur image, le narrateur de ce roman de Mathieu Lauverjat va se détruire en devenant trop ambitieux.


Ces nouvelles entreprises sont d’une redoutable discrétion. Chargées d’évaluer les prestations des employés de leurs clients, d’autres sociétés ayant pignon sur rue, elles emploient des clients mystère. Des consommateurs chargés de tester les employés au contact du public ou de vérifier que tout est fait dans les règles de l’art quand un protocole particulier doit être suivi.

Au début de ce roman très contemporain de Mathieu Lauverjeat, le narrateur n’a pas encore mis le pied dans ce monde si particulier. Il est livreur de repas à vélo. Dans l’agglomération de Lille, il fonce le plus vite possible pour accumuler les commandes et gager suffisamment pour payer le loyer de son studio. Trop vite. Il percute une voiture, abandonne le métier, trop dangereux. Le hasard veut qu’il découvre le concept de client mystère. Il tente sa chance et apprécie d’être payé pour endosser de nouvelles identités. Bricoleur pour vérifier la promo sur un appareil ou gastronome pour évaluer le service en salle d’un restaurant.

Parfois c’est plus compliqué car il faut acculer l’employé. On frémit en lisant le passage où il simule un scandale pour un malheureux menu dans une petite boulangerie. Lui-même est gêné pour la pauvre employée, qui finalement ne cédera pas et récolte la note maximale.

Contrôler les contrôleurs 

Sa carrière de client mystère décolle quand il est chargé de tester la prestation d’une entreprise ferroviaire. Il va parcourir la France, avec escale à l’hôtel, juste pour vérifier que les contrôleurs sont avenants et bien habillés. Ce qu’il en retire ? « Cette escale à Toulouse-Matabiau et ma découverte émue du cassoulet de Castelnaudary. Copieux, croûteux et bouillant, moi qui ne connaissais que des versions insultantes de ce plat en conserve de supermarché, j’ai découvert là un nouveau monde envoûtant. »

Reste que parfois, il repère des erreurs. Et les note sévèrement. Et ce n’est pas sans conséquence pour les employés stigmatisés par ce client mystère. Quand il apprend les suites d’une de ses inspections, le narrateur va partir en vrille. Son nouveau boulot et sa petite amie, restauratrice amoureuse des poulpes, ne lui sont plus du moindre secours face à des cauchemars récurrents.

Dénoncer est facile, encore faut-il en assumer les conséquences.

« Client mystère » de Mathieu Lauverjat, Gallimard - Scribes, 19,50 €

mardi 21 mars 2023

Roman - Les drôles de gens imaginés par J.M. Erre


J.M. Erre, né à Perpignan mais vivant à Montpellier (personne n’est parfait), a publié dans les pages de Fluide Glacial, le magazine d’Umour et Bandessinées, plusieurs nouvelles. Il les a étoffées, mis entre des textes de liaison et recyclé le tout dans un livre au titre énigmatique : Les autres ne sont pas des gens comme nous.

Ces nouvelles seraient écrites par Julie, l’héroïne handicapée d’un précédent roman de J.M. Erre se déroulant en Lozère, Qui a tué l’homme-homard ? Des portraits et tranches de vies d’hommes et de femmes qui, c’est le moins que l’on puisse dire, ne sont vraiment pas comme nous. De Ousmane, obsédé par le « c’était mieux avant », à Félix, persuadé qu’il a un talent d’humoriste en passant par Valère, fils d’un artiste qui a transformé le meurtre en happening, ces récits, en plus de faire rire, nous éclairent sur quelques travers de l’âme humaine.

De tous ces textes, le plus étonnant reste la belle histoire d’amour entre Pétronille et Barnabé qui vivent quasiment à la même adresse, le 4 et le 8 avenue Bernard-Patafiole.

Et souhaitons que J.M. Erre, dans un prochain ouvrage, décrive dans le détail l’émission de téléréalité : Les Aveyronnais en Andorre.

«  Les autres ne sont pas des gens comme nous » de J.M. Erre, Buchet-Chastel, 19 €
 

De choses et d’autres - Décrue téléphonique


Pour la première fois, depuis que le produit existe, la vente des smartphones a subi une sévère chute l’an dernier. Cette décrue marque-t-elle la fin du règne absolu de ce nouveau doudou indispensable à toute personne normalement constituée en ce début de XXIe siècle ?

D’abord considéré comme un simple téléphone, portable, un peu plus sophistiqué, le smartphone a petit à petit convaincu ses propriétaires de ses nombreuses utilités. La couverture n’a cessé de s’améliorer et comme les nouveaux modèles, d’une année à l’autre, devenaient de plus en plus légers et puissants, l’engin s’est imposé partout, tout le temps.

Pour expliquer cette soudaine désaffection (baisse de près de 20 % des ventes quand même, et la tendance semble la même pour début 2023), les experts ne mettent pas en cause les utilisateurs mais les fabricants. L’industrie n’arrive plus à suivre le rythme, la faute au covid et à la pénurie de composants. Je me demande quand même si la formidable hausse du coût de la vie n’est pas aussi un peu responsable.

Certains fans de ces nouveaux objets du paraître et de la « branchitude », en changeaient tous les ans. Mais vu le prix et surtout l’augmentation de tous les autres produits tout aussi essentiels (loyers, nourriture, essence…), le nouveau smartphone, avec écran un peu plus lumineux, quadruple capteur pour les photos et compatible avec la 5G, attendra des jours meilleurs.

Et qui sait, un jour prochain, un implant cérébral fonctionnant avec un programmateur quantique nous permettra de dialoguer directement, dans notre esprit, avec une intelligence artificielle qui remplacera avantageusement ce smartphone devenu obsolète car trop matériel.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le jeudi 9 mars 2023

De choses et d’autres - Patrimoine en péril


Le loto du patrimoine a décidé des sites régionaux qui seront aidés en 2023. Pour l’Occitanie, le choix s’est porté sur le pont aqueduc d’Ansignan dans les Pyrénées-Orientales. Il y a urgence car un diagnostic récent prouve que cet édifice doit rapidement être consolidé. Sinon, ce sont des siècles d’histoire locale qui s’effondreront d’un coup d’un seul.

Ne croyez pas que je sois trop pessimiste, car un récent fait divers prouve que ce scénario catastrophe est malheureusement très plausible. La semaine dernière, dans le paisible village de Saramon dans le Gers, sur le coup de 7 heures du matin, un terrible bruit alerte les 800 habitants.

Un fracas fait trembler le cœur de ce bourg pittoresque. Rapidement, les secours se rendent sur place et découvrent que la Tour Saint-Victor, accolée à l’église, vient de s’effondrer. Un monument datant du XIe siècle, surélevé à deux reprises et qui présentait depuis quelques années des signes de faiblesse.

Interdite au public par chance, la tour a projeté des blocs de pierre tout autour de la place, détériorant quelques maisons mais ne blessant personne. Un effondrement qui serait peut-être dû à la sécheresse de ces dernières années. Mais le diagnostic devra sans doute être affiné avant d’en tirer des conclusions.

La Tour Saint-Victor aurait elle aussi eu bien besoin d’un coup de pouce du Loto du Patrimoine. Mais c’est trop tard. Dans les Fenouillèdes aussi il fait chaud et de plus en plus sec. Les vignerons changent de cépage pour passer le cap. Le pont aqueduc lui aussi devra se renforcer avec les millions du Loto du Patrimoine s’il veut voir la fin de ce siècle.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant 20 mars 2023

lundi 20 mars 2023

Cinéma - Un homme en fuite “Sur les chemins noirs”

  Radar Films   Thomas Goisque

Un périple de 1300 km à travers la France rurale. L’adaptation d’un récit de Sylvain Tesson avec Jean Dujardin dans le rôle de l’homme qui fuit.

Envie de grand air, de paysages grandioses et d’introspection ? Le film de Denis Imbert Sur les chemins noirs, avec Jean Dujardin en vedette, est pour vous. Paradoxe du cinéma : vous enfermer durant plus de 90 minutes dans une salle plongée dans le noir va vous donner des envies de randonnée près de chez vous au mieux, de fuite à travers bois, vallées et sommets, au pire.

Tiré du livre éponyme de Sylvain Tesson, ce film, road trip pédestre à travers la France par les chemins de traverse de la fameuse « diagonale du vide » (zones rurales qui se meurent), donne beaucoup à voir. A réfléchir aussi. Sylvain Tesson a la formule efficace. Cette marche de plus de 1 300 kilomètres, il l’a entreprise après avoir été victime d’un grave accident. Une chute de 8 mètres. Colonne vertébrale en vrac, crâne fendu, jambe cassée.

  Radar Films   Thomas Goisque

Persuadé que la marche va finir de le guérir, il se lance dans ce périple, dormant à la belle étoile, écrivant le livre le soir au bivouac. Il se définit comme un « homme en fuite ». Marcher, avancer quoi qu’il en coûte, devient une sorte de philosophie de l’absurde. Il se permet quand même quelques haltes plus confortables et fait même des bouts du chemin avec des amis ou de la famille ou des rencontres incertaines comme ce jeune qui va en Lozère et fait quelques dizaines de kilomètres en compagnie de l’écrivain, lui qui ne sait presque pas écrire.

Décors grandioses 

Le film, dans lequel Jean Dujardin se glisse dans un corps cassé et fatigué, est rythmé par sa voix off. L’essentiel du film raconte ce périple, marqué par quelques chutes et frayeurs, mais le spectateur prend aussi conscience de la vie d’avant du romancier. Quand il avait un corps lui permettant de se mettre en surchauffe, abusant de soirées arrosées, escaladant les montagnes comme les façades des belles demeures parisiennes.

Le tout ponctué de longs passages du livre paru chez Gallimard comme pour donner plus de force aux images saisies dans les décors grandioses du Mercantour, de la Lozère, du Massif central ou du bord de mer, vers le Mont Saint-Michel, ligne d’arrivée de cette étape inaugurale de la création par Sylvain Tesson de la confrérie des Chemins Noirs.


Film français de Denis Imbert, avec Jean Dujardin, Joséphine Japy, Izïa Higelin, Anny Duperey

 

De choses et d’autres - À peu près en anglais

Les distributeurs de films d’origine anglo-saxonne ne s’embêtent plus à traduire les titres des œuvres. Ces dernières semaines, on a vu arriver sur les écrans quantité de films aux titres originaux. Difficile dès lors de se faire une idée du genre ou du propos si, comme la grande majorité des Français, on est loin de l’excellence en matière de langue étrangère.

J’imagine même certains spectateurs totalement trompés par des titres récents. Ce mercredi, sortait, par exemple, le film The Whale. Si c’est un amateur de rugby qui ne sait pas trop écrire la langue de Shakespeare, il va croire que le drame de Darren Aronofsky a un rapport avec ces fichus Gallois (Wales) longtemps bêtes noires des Bleus. Mais il n’y a pas de ballons ovales dans le film. Pas plus que de baleine, traduction exacte de whale.

Autre quiproquo pour The Son de Florian Zeller. Là, le cancre en anglais, ne voit même pas un mot étranger. Au mieux, il s’attend à une œuvre sur le son ou le bruit en général ; au pire, il est obnubilé par les céréales et espère un documentaire sur le son d’avoine…

Ressorti aussi dans quelques salles avant son triomphe annoncé aux Oscars, Everything Everywhere All at Once a conservé son titre original pourtant incompréhensible pour 95 % des Français. Alors que De l’infini des vies parallèles aurait permis de comprendre a minima dans quoi on s’était fourré.

Le plus paradoxal reste quand même les titres de films en anglais dont la version en France est différente, mais toujours en anglais. Exemple le plus récent : The Hangover devenu chez nous Very Bad Trip. Il est vrai que Gueule de bois, traduction littérale de Hangover, était un peu réducteur dans ce cas précis.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le mercredi 8 mars 2023

dimanche 19 mars 2023

BD - Comment faire des nouveautés avec des héros du passé ?

A côté de créations originales et novatrices de jeunes auteurs décidés de faire évoluer ce média encore jeune qu’est la bande dessinée, d’autres productions lorgnent sans vergogne vers l’âge d’or de ce cet art populaire. Cela donne des suites, réalisées dans l’esprit de l’époque comme La flèche ardente, prolongement du Rayon U de Jacobs ou la série Buck Danny Origines, racontant les premiers exploits du jeune pilote américain quand il se battait dans le Pacifique contre les Japonais.

Avant de proposer aux lecteurs belges et français les aventures de Blake et Mortimer, Edgar P. Jacobs s’est lancé dans une histoire fantastique publiée dans l’hebdomadaire Bravo il y a 80 ans exactement. Une BD qui semblait une copie des aventures de Flash Gordon, interdite en raison de l’occupation allemande. Un récit fondateur de l’univers de Jacobs, remis au goût du njour dans les années 70 et qui a désormais une suite officielle écrite par Jean Van Hamme en personne.

Le scénariste de XIII, repreneur des aventures de Blake et Mortimer, semble décidé à compléter les trous dans l’œuvre du baryton devenu dessinateur. Après Le dernier Espadon, suite officielle de la première BD des deux aventuriers anglais, il propose donc La flèche ardente où l’on retrouve les personnages du Rayon U. L’empereur d’Austradie veut absolument s’emparer de la formule du rayon U pour en faire une arme.


Il veut aussi les gisements d’uradium des îles noires. Il va donc lancer ses sbires pour envahir le royaume du prince Nazca et tenter d’enlever le professeur Marduck. Par chance, Calder veille et va contrer les agissements du général Robioff et de l’espion Dagon qui a finalement survécu au crash de son avion.

Même si la mise en page est moins dense et le récit plus fluide, on se croit réellement dans une BD signée Jacobs. Le ton est juste et les dessins dabns le ton. Un excellent travail d’hommage réalisé par Etienne Schréder et Christian Cailleaux, deux dessinateurs qui ont déjà travaillé sur des épisodes inédits de Blake et Mortimer.

Autre héros qui affiche un âge où normalement tout humain normalement constitué aspire à une retraite méritée (et si possible avant 64 ans…), Buck Danny. Cela fait74 ans que le pilote américain imaginé par Charlier et Hubinon vole partout où les intérêts US sont menacés. Une série qui comme Blake et Mortimer a continué malgré la disparition des créatreurs et qui en plus a vu l’arrivée dans la collection de séries parallèles. Après des aventures dites « classic », c’est le volet « origines » qui est exploité par Yann (scénario) et Giuseppe de Luca (dessin).

Le second tome du premier diptyque raconte comment le jeune pilote va combattre les redoutables japonais au-dessus du Pacifique. En plus des combats aériens, les auteurs dévoilent la jeunesse du héros pour étoffer sa psychologie. On découvre qu’il est en réalité d’origine allemande, que son père a combattu dans l’aviation… allemande durant la première guerre mondiale.

Buck bien décidé à apprendre à piloter un avion et qui en a l’occasion en étant embauché dans un cirque aérien. Il y rencontrera son premier amour, Moira.

Si le volet guerre du Pacifique est classique (avec juste un cas de conscience qui le ramène à sa jeunesse), la partie amour de jeunesse est beaucoup plus travaillée. Comme si on découvrait le passé d’un vieil ami qu’on ne soupçonnait pas d’avoir pu être amoureux et vulnérable un jour.
 
«La flèche ardente», Blake et Mortimer, 16,50 €
«Buck Danny Origines» (tome 2), Dupuis, 15,50 €

BD - Simenon, l’écrivain avant Maigret

En cette année 2023, on célèbre le 120e anniversaire de Georges Simenon. En plus de la réédition de l’intégrale de ses romans durs aux Presses de la Cité, le romancier belge est au centre de ce roman graphique retraçant les premières années de sa vie.

C’est Rodolphe, scénariste de BD lui aussi prolifique, qui se charge du scénario. Il a confié ces 120 pages à Christian Maucler, son complice dans la réalisation des enquêtes du commissaire Raffini (11 titres en 1994 et 2018). 

Ce n’est pas toute la vie de Simenon que les auteurs racontent, seulement ses débuts, jusqu’à l’apparition de son héros le plus célèbre, le commissaire Maigret en 1932.

Tout débute à Liège. Le petit Georges est un lecteur compulsif. Il découvre les grands romans d’aventures du moment, les classiques et les nouveautés aussi. Quand il doit devenir autonome financièrement, il tente sa chance dans le journal local. Chargé des faits divers à la Gazette de Liège, il acquiert un style et se frotte au monde des voyous. Il aime aussi profiter de la nuit pour faire la fête avec des artistes. C’est de là qu’il collectionne les conquêtes féminines. Rapidement reconnu pour son style incisif, il devient chroniqueur tout en se lançant dans la rédaction de ses premières nouvelles. Toujours à la recherche de rentrées d’argent supplémentaires, il pond un petit roman par jour dans tous les styles, du policier à la gaudriole.

Les auteurs expliquent avec une véracité historique exemplaire comment il va tenter sa chance à Paris et mettre quelques années avant de pouvoir enfin signer de son vrai nom, des romans de littérature générale. Car Si Simenon est aujourd’hui connu comme un écrivain populaire, de romans policiers essentiellement, il est à la tête d’une œuvre colossale où son talent à décrire les mœurs et travers de nos contemporains fait toujours merveille de nos jours.

« Simenon, le roman d’une vie », Philéas, 20,90 €