Entendez-vous le chant de désespoir du cadre dynamique le soir dans les bureaux après des journées de travail de 15 heures ? Pourtant, Paul Delorme n’est pas du genre à gémir et à se plaindre. Cadre supérieur dans une société chargée d’auditionner les finances des grandes entreprises, il accomplit son travail consciencieusement et avec efficacité. C’est un peu sa marque de fabrique. Il manque d’originalité et de charisme, mais face à une montagne de chiffres ou de bilans comptables, il peut dénicher le grain se sable qui révèle au final un gros problème. Écrit par Jean Desportes, Le vestiaire américain, roman d’initiation, dresse le portrait de ce cadre qui voit son monde s’écrouler quand il se retrouve mis au placard.
Avant de comprendre comment le pire, pour un profil comme Paul, est arrivé, le lecteur va découvrir la vie de ce fils de bonne famille. Le portrait générique de toute une génération de jeunes Français, souvent très favorisés, passés par une grande école de commerce (l’Essec dans ce cas précis), habitués dès leur plus jeune âge à côtoyer l’élite de la nation. Après des études brillantes, il est recruté dans ce cabinet et commence un long chemin pour progresser dans les étages du building de la Défense. Un monde impitoyable, froid et austère. « Le cadre à la sensibilité assumée n’était pas encore né, la faute au CAC 40, bloc de virilité patriarcale à l’ancienne, où la gestion émotionnelle n’était pas du tout cotée. »
Carambouille et cambriolage
Tel un robot, Paul enchaîne les journées de travail, chargé de faire l’évaluation de la santé financière d’un groupe d’armement français. C’est en explorant les résultats de la branche Moyen-Orient que Paul découvre la carambouille. Il en parle à ses supérieurs. Qui pour toute réponse lui demandent de prendre quelques jours de repos. Puis le rétrogradent en lui retirant le contrat.
Paul tente d’être positif, mais quand il découvre que son appartement a été cambriolé et qu’il se persuade d’être suivi, le roman de Jean Desportes prend un petit côté thriller économique des plus intéressant. Un texte dense, où le lecteur découvre, souvent effaré, les pratiques de cette grande bourgeoisie française. Les chapitres portant sur les études dans l’école de commerce sont parfois terrifiantes. L’auteur explique aussi longuement comment Paul a vécu une enfance sans père, toujours au travail et entre deux avions. Une réalité traumatisante qu’il résume par cette formule : « La plupart des parents élèvent leurs enfants. Moi j’ai plutôt le sentiment d’avoir été managé. » Un portrait noir d’un milieu opaque qui ne fait pas de cadeau à ses cadres qui ne marchent pas droit.
« Le vestiaire américain » de Jean Desportes, Éditions du Rocher, 20,90 €.
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