Deux vieillards italiens se retrouvent après un intermède de 60 ans. L'heure des aveux, mais toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ?
Une villa cossue isolée, deux hommes âgés, des souvenirs. Ce roman d'Alain Elkann, composé en grande partie de dialogues, est semblable à ces longues rêveries au cours desquelles ont revoit sa vie, tentant de comprendre quand la nostalgie a fait place au bonheur du présent.Un matin, un vieil homme sonne à l'entrée de la villa Lattes. C'est Vanni. Il vient de s'enfuir de l'hôpital où il était soigné. Il a retrouvé la trace de son ami Mario. Ils ont fait l'armée ensemble. Ils ne se sont plus vus depuis 60 ans. Mario, veuf, vit paisiblement dans cette grande demeure en compagnie de Kemal, son majordome. Vanni, célèbre critique littéraire, semble fatigué. « Ses cheveux blancs et clairsemés étaient ébouriffés, sa barbe rasée à la va-vite. Ses mouvements trahissaient une certaine complaisance pour la vieillesse que Vanni soulignait en effet avec zèle. Cet abandon physique participait peut-être à ses yeux d'une attitude élégante et masculine. »
Le souvenir d'Ada
Mario offre le gite et le couvert à Vanni, en souvenir de cette jeunesse commune alors que le pays était en pleine débâcle. Les Allemands d'alliés étaient devenus des ennemis, ils appliquaient avec rigueur les lois raciales mises en place par Mussolini. Les Juifs, ici comme ailleurs en Europe, étaient déportés vers les camps de la mort. Une période sombre que les deux hommes ont préféré oublier. Mario s'est fondu dans la masse. Il était marié à Ada, « belle, intelligente, nerveuse, mais aussi généreuse, trop généreuse. » Ada est morte, mais elle va rapidement devenir le personnage principal de ce huis clos de plus en plus oppressant. Car Vanni connaissait Ada avant Mario.
Le lecteur ne l'apprend qu'en milieu de roman, quand Vanni, de plus en plus malade, veut faire ses dernières confessions, tant à Mario, qu'aux enfants d'Ada, issus d'un premier mariage. Mario, petit vieillard placide, coulant une paisible retraite, est de plus en plus réticent face à cet envahisseur du passé. Pourtant, les deux hommes, malgré leurs différences, trouvent de plus en plus du plaisir à vivre ensemble. « S'approchant du canapé, Mario regarda Vanni le visage exsangue. Il éprouva un élan de solidarité pour cet homme du même âge que lui si mal en point. »
Le fantôme d'Elena
Ce tête-à-tête va être perturbé par l'arrivée des enfants d'Ada. Ils ont la quarantaine et sont radicalement différents. Tati vit en Suisse, calme et posée, presque froide. Gioacchino s'est installé à Los Angeles. Il est exubérant et collectionne les aventures avec des starlettes de la chanson qu'il lance sur la marché du disque US. Mario, le beau-père, n'a jamais été très apprécié des enfants d'Ada. Par, contre ils vont rapidement tomber sous le charme de Vanni. Ce dernier liera des rapports privilégiés avec Tati, lui confiant un soir de lucidité : « C'est bizarre qu'un homme comme moi, qui toujours méprisé la nostalgie en y voyant un sentiment efféminé, y devienne si sensible au crépuscule de sa vie. »
Ce roman léger, prendra une toute autre tournure quand interviendra le souvenir d'Elena, la sœur d'Ada, disparue durant la guerre, déportée avec son mari juif. Alain Elkann en profite pour raconter ces pages sombres de l'histoire italienne au cours desquelles rares étaient les citoyens irréprochables.
« L'imprévue », Alain Elkann (traduit de l'italien par Alexandre Boldrini), Flammarion, 16 €
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