lundi 31 mars 2025

Fantasy - « Le Maître du Temps » traverse les années

Avant que cela soit la mode, Louise Cooper proposait cette trilogie à base de fantasy et de romance. Une saga qui n'a pas vieilli, à redécouvrir en format semi-poche.

Force est de le reconnaître : Le Maître du Temps de Louise Cooper, Anglaise morte en 2009, n'a pas pris une ride. L'image est facile mais tout à fait justifiée. La trilogie de fantasy est parue initialement en 1986. Traduite en français par Ange, elle a conquis l'Hexagone en 2001. Aujourd'hui, les nouvelles générations peuvent découvrir dans une version intégrale, en semi-poche et papier bible, cette longue quête amoureuse entre deux laissés pour compte de ce monde où magie, religion et noblesse s'unissent pour faire taire le peuple.

Les premières pages permettent de comprendre comment cette société s'est stabilisée. Il y a longtemps, l'Ordre et le Chaos se sont affrontés. Les dieux de l'Ordre l'ont emporté, repoussant le Chaos dans les limbes. Depuis, un clergé composé d'Initiés et de Sœurs veillent à ce que le Chaos ne revienne pas. Seule manifestation de son passage sur ce monde : le vortex. Des tempêtes magiques aléatoires qui emportent hommes et femmes vers l'inconnu.

Quand Tarod, jeune orphelin, déclenche un vortex, tout le monde est persuadé qu'il est un messager du Chaos. Il disparaîtra dans la tempête et sera retrouvé beaucoup plus loin, presque mort, par des Sœurs d'Aeoris, le principal Dieu de l'Ordre. Adopté, éduqué, protégé, Tarod deviendra un des Initiés, ces magiciens au service de l'Ordre, réunis dans le château de la Péninsule de l'Etoile.

Après avoir rencontré Tarod, le lecteur suit les traces de Cyllan, jeune convoyeuse de bétail. Une diseuse de bonne aventure, belle et fougueuse, qui croise Tarod sur des falaises. Une rencontre coup de foudre. Reste que dans ce monde de fantasy, Tarod et Cyllan sont un peu les Roméo et Juliette de l'imaginaire. Ils mettront bien des pages pour s'avouer cet amour et oser le vivre. Avec ce que cela implique : reniement de l'Ordre pour Tarod, effectivement lié au Chaos, exil et condamnation pour la belle Cyllan.

Les trois romans sont comme trois grands chapitres d'un poème d'amour en permanence contrarié. Tarod, va d'abord se retrouver coincé dans le temps, puis obligé de choisir un camp. Cyllan sera la part d'Humanité qui changera le destin de ce monde. S'il n'est pas dénué de passages parfois un tantinet longuets, ce roman offre un final, se déroulant dans les entrailles d'un volcan, qui restera longtemps gravé dans les mémoires des heureux et courageux lecteurs.

« Le Maître du Temps », Louise Cooper, Bragelonne, 840 pages, 19,95 €

dimanche 30 mars 2025

BD - Lanternes magiques sur une île isolée

Eloane est en froid avec sa mère Irène. Du classique dans les relations familiales. Même si la brouille est plus grave. Encore adolescente, Eloane a répondu à son père. Peu de temps après, ce dernier mourrait dans l'incendie du phare qu'il gardait sur cette île isolée. Depuis, la  jeune femme est persuadée être la responsable du drame et que sa mère la déteste. Dès q'elle a pu, elle a quitté l'île où sa mère est toujours policière. Le coeur gros, elle laisse derrière elle son jeune frère, devenu mutique depuis l'incendie mortel. 


Jean-Etienne, dans ce gros roman graphique très stylisé, mélange psychologie, traditions provinciales et fantastique. Le récit débute véritablement avec le retour d'Eloane sur l'île. Elle va participer à la nuit des lanternes. Une tradition typique au cours de laquelle tous les habitants se réunissent avec une lanterne. Il suffit de la laisser s'éteindre toute seule pour que les mauvaises choses ou pensées désertent votre vie. Par malchance, les retrouvailles entre Eloane et Irène de passent mal. La jeune fille brise sa lanterne  et le roman graphique bascule dans un fantastique entre Wendigo et monstre marin. 

Premier titre de cet auteur complet chez Delcourt après quelques participations à des albums collectifs. Il avoue admirer Mike Mignola. On retrouve un peu du style du maître américain dans le maniement des aplats noirs. Un récit sombre et un peu déroutant, manquant un peu de profondeur. Reste que Jean-Etienne maîtrise parfaitement son sujet, sa narration et ses personnages. A découvrir. 

"La nuit des lanternes", Delcourt, 184 pages, 25,95 €

samedi 29 mars 2025

BD - Parker de Richard Stark débarque dans la collection Aire Noire


Certains personnages imaginaires survivent à leurs créateurs. Parkar, archétype du braqueur américain fait partie de la galerie. Imaginé par Donald E. Westlake au début des années 60, Parker ne devait pas vivre de nouvelles aventures après ce polar noir et sombre où il terminait en prison. Mais l'éditeur américain, visionnaire, a demandé à Westlake (qui avait signé ce titre sous le nom de Richard Stark), de trouver une astuce pour remettre le dur à cuire sur le circuit. Chose faite pour une vingtaine de romans. Parker adapté souvent au cinéma mais aussi en bande dessinée. Après quelques titres illustrés par Darwin Cooke (publiés chez Dargaud), Parker est de retour, dans une adaptation (très francophone) de Doug Headline et des dessins de Kieran. 

C'est un titre de 1969 qui est proposé pour ce premier titre de la nouvelle collection de Dupuis, Aire Noire. Les romans avec Parker en vedette sont froids, sans émotion ni affect. Un gangster qui n'agit que pour l'argent. Les premières pages le montre en train de mettre la dernière main à son nouveau braquage. Une banque avec trois complices dont George Uhl, le chauffeur, qu'il ne connait et dont il se méfie. Il a raison car une fois de retour à la planque avec le magot, Uhl tue deux de ses complices, rate Parker qui prend la fuite, met le feu à la ferme perdue et se tire avec l'ensemble du pactole. 

Tout l'album raconte comment Parker, avec opiniâtreté et malgré le peu d'indices, va tout faire pour retrouver capturer "La proie" qui donne son nouveau titre à l'histoire. Des kilomètres en voiture, plusieurs états, des désillusions, de vieux ennemis qui ressurgissent et un Uhl toujours aux aguets. 

On admire la parfaite adaptation de Doug Headline, expert en polars plus sombres que l'âme humaine. Quant au dessin de Kieran, il est au diapason, froid, anguleux, sans effet ni couleurs inutiles. Du roman noir comme seuls les vrais amateurs savent apprécier.

"Parker - La proie", Dupuis, Aire Noire, 112 pages, 20,50 € 

vendredi 28 mars 2025

BD - Humour paillard autour de Henri IV

Les petits tracas de la santé des grands de ce monde : tel est le thème de prédilection de Philippe Charlot, scénariste béarnais. Un Béarnais qui a décidé d'écrire une histoire grivoise et comique autour du plus célèbre d'entre eux. Ceux qui répondent François Bayrou devront passer le reste de la chronique au coin après avoir reçu une bonne torgnole ! Non, bien évidemment, le seul Béarnais qui a marqué l'Histoire de France reste Henri IV, le roi qui a beaucoup fait pour les Françis, un peu moins pour les poules. Même si certaines "poules" ont beaucoup bénéficié de ses faveurs quand il était en forme. Surnommé le "vert galant", il a bien une épouse mais préfère de loin les multiples conquêtes, jeunes, accortes et peu farouches. 

La chandelle du bon roy Henri se déroule en 1594 à Paris. Henri, converti au catholicisme, est devenu roi de France et a quitté Pau, son château et son gave pour Paris, son palais et la Seine. Il a quelques difficultés à imposer difficultés à imposer son autorité. Paris est rebelle. Les Parisiennes belles, mais farouches. De plus un problème urinaire lui complique la vie quotidienne. Son "porte-pot" (valet qui fait office d'urinoir ambulant) doit constamment être à ses côtés. Il a souvent envie mais ne peut que faire quelques gouttes. Il demande à son médecin de trouver un remède plus efficace, et rapidement. La solution viendra d'une voyante, un peu guérisseuse, un peu charlatane, mais experte en écoulement des fluides et en chandelles miraculeuses. 

Dessinée par Eric Hübsch, cette gaudriole est l'occasion pour les auteurs de brocarder la rigueur catholique face à la légèreté protestante. Il y est aussi question d'hypnotisme, de grand amour et de jeu de paume. On rit beaucoup à ces péripéties médicales d'un autre temps.

"La chandelle du bon roy Henri", Bamboo Grand Angle, 64 pages, 16,90 €

jeudi 27 mars 2025

BD – Julie Wood revient... sur la roue arrière


Non, Jean Graton n'a pas que le personnage de Michel Vaillant à son actif. Le bédéaste amateur de belles mécaniques a lancé dans le grand bain des courses motorisées le pendant féminin du pilote auto. Julie Wood a cependant la particularité de préférer les deux-roues aux autos. Une motarde gironde, blonde et téméraire, jeune et indépendante, qui prend un peu d'épaisseur psychologique dans cette reprise initiée par les éditions Graton et Denis Lapière, scénariste des nouvelles saisons des courses de Michel Vaillant. Au scénario, on retrouve le multicartes Philippe Pelaez. Le dessin a été confié à l'Italien Stassi, sans oublier Marc Bourgne au storyboard.

Le premier album prend des airs de polar dans une Californie violente et secrète. Des bandes de jeunes motards se retrouvent chaque week-end pour s'adonner à leur jeu préféré : le rodéo sauvage. Dans des rues souvent trop fréquentées, ils déferlent sur la roue arrière, sans casque, dans un équilibre qui ne tient qu'à un fil. Comme leur vie.

Au cours d'un de ces rodéos, un homme meurt. La police croit à un accident quand elle découvre l'impact d'une balle. Abattu. Et dans son portefeuille, un rapport avec le garage de l'oncle de Julie Wood. Cette dernière, tentée par une carrière dans le circuit de « flat track », va tenter de comprendre le lien du mort avec sa famille.

On apprécie le réalisme de la série, la beauté de Julie, sa détermination et les gros cylindres parfaitement dessinés par Stassi. Une histoire à suivre, évidemment, mêlant compétition et affaires familiales. Un parfait hommage au monde de Jean Graton.

« Juie Wood – Mortel rodéo », Graton, 56 pages, 15,50 €

mercredi 26 mars 2025

BD - Quittons Castlewitch à regret

Trois tomes. Trois tomes seulement pourrait-on dire. Les aventures des jeunes héros de Castlewitch prennent fin avec ce Nécromalificum, troisième et dernier titre de la série. Imaginé par Nicolas Jarry, dessiné par François Gomès, cet univers riche de possibilités fantastiques aurait pu connaître de nouveaux développements. On a l'impression en refermant l'album que les deux auteurs sont comme nostalgiques (voire déçus), de conclure le récit d'une façon un peu bancale. On se trompe peut-être. On l'espère du moins...

Castlewitch est une petite bourgade où la magie est forte. Elle se révèle par l'apparition dans le vrai monde pour quelques jeunes habitants d'amis imaginaires aux pouvoirs surprenants et presque sans limite. Dans les deux précédents albums, les cinq copains ont bataillé avec leurs totems pour combattre des Maléfics, des entités peu sympathiques. 

Le groupe est en partie dissout. Farah est partie habiter loin de la ville, Sam se retrouve en centre de redressement. Reste Tess, Malo et le plus jeune, Jules. Ils s'entraînent au cas où d'autres Maléfics reviennent. L'histoire raconte le début d'amitié entre une petite fille qui a pour ami un Maléfic. Elle arrive à canaliser ses humeurs. Mais jusqu'à quand ? 

Beaucoup de combats dans la dernière partie de l'album. Cela fera plaisir aux plus jeunes et permet au dessinateur de sortir des compositions un peu classiques du début. Certaines doubles planches sont d'une réelles beauté tout en étant d'une redoutable efficacité. 

A priori donc, l'aventure à Castlewitch s'achève, mais on retrouvera certainement ces deux auteurs dans d'autres projets tout aussi concluants.

"Castlewitch" (tome 3), Soleil, 56 pages, 13,50 €

mardi 25 mars 2025

BD - Triple magie dans le monde d'Atana

Dessins très simples, pages du format comics, histoire à la portée des plus jeunes : Atana et l'oiseau de feu, première BD de la canadienne Vivian Zhou, est le parfait résumé des oeuvres proposées actuellement à la jeunesse occidentale. Un mélange bienveillant de fantastique merveilleux, de bons sentiments, d'inclusion, le tout sous des couleurs pastels et sans la moindre once de violence. 

Atana est une jeune fille vivant seule sur une île déserte. Elle a été bannie par son peuple : les sirènes. Une nuit, elle admire le passage de quelques oiseaux de feu, des créatures volantes allant de planète en planète. 

Quand elle remarque que l'une d'entre elles, Ren, décide de s'arrêter et de lier connaissance, Atana se met à espérer. Espérer découvrir le monde, quitter son île, retrouver son peuple, découvrir de nouveaux livres...  Le duo va donc partir en scooter de mer vers le palais de la Reine-Mage. Un périple mouvementé, avec attaque de  brigands. Une fois au palais, sous la protection de la troisième héroïne du trio, Cosmos, apprentie garde, Atana et Ren vont découvrir les mystères entourant la magie sur terre. Elle a trois origines pour trois peuples : les sirènes, les oiseaux feu et les mages. 

Cette histoire d'amitié et d'entraide est sans doute trop simple pour véritablement intéresser les plus âgés. Mais elle semble parfaite pour les apprentis lecteurs de 9 à 15 ans. 

"Atana et l'oiseau de feu", Bayard Jeunesse, 256 pages, 19,95 € 

lundi 24 mars 2025

Thriller - Dangereux projet futuriste dans "L'expérience Pentagramme" d'Yves Sente

On retrouve l'imagination débridée d'Yves Sente, scénariste BD (XIII, Thorgal, Blake et Mortimer) dans ce thriller technologique entre USA et Belgique. 

Ils sont cinq. Cinq Américains, passés par la case armée, intégrés dans la société et tout à coup comme déboussolés. Trois hommes et deux femmes, du même âge, entendant une voix leur intimant de partir vers l'Est afin de « rejoindre le sujet n° 1 ». Le début du premier roman (un thriller, évidemment) d'Yves Sente, plus connu pour sa production BD, semble un peu long. Il est vrai que l'auteur entend avant tout planter le décor et présenter ces cinq personnages placés au centre de L'expérience Pentagramme. Sans oublier le prologue, dans une base secrète américaine souterraine pas loin de la frontière avec le Mexique. Mais sa vista dans l'écriture et l'action, si efficace en BD, fait des miracles et on se laisse happer par cette histoire entre manipulations biotechnologiques par les apprentis sorciers de l'armée US, éruptions solaires aux conséquences catastrophiques et balade touristique dans le Brabant Wallon, riante région de la Belgique francophone. 

C'est exactement à Waterloo que se concentrent les péripéties de la seconde partie. Dans un lotissement huppé, le Clos de l'Empereur, les cinq Américains se retrouvent et se soutiennent pour ne pas devenir fous. Ils ont tous entendu la voix, tous obéi et attendent la suite des événements. C'est là qu'intervient l'héroïne récurrente de ce qui pourrait devenir une série : Waya Wings, la cheffe de la sécurité d'une agence de l'armée américaine. Comme elle l'explique prosaïquement, « quand les scientifiques du Pentagone dérapent, c'est à moi qu'on fait appel. » Elle va donc plonger au cœur de cette expérience Pentagramme, projet secret mis en sommeil depuis des années et qui se réveille au pire des moments. 

L'occasion de décrire des péripéties dignes des grands films hollywoodiens, notamment une course poursuite pittoresque sur la Butte du Lion, site touristique très prisé des Britanniques, un peu moins des Français. « Au milieu des prairies se dressait un monticule conique couvert de gazon et surmonté d'une imposante statue de lion, une patte avant posée sur une sphère de bronze. Le monument était d'autant plus incongru qu'il était érigé au milieu des champs de pommes de terre. » Et pourtant, comme l'explique cet agent immobilier (un certain Vandamme...) à un des visiteurs venu de l'autre côté de l'Atlantique, « c'est sur ces champs que les armées alliées se sont rejointes pour mettre fin aux ambitions de Napoléon et changer le cours de l'histoire européenne ». La tâche sera encore plus ardue pour Waya Wings puisque c'est l'équilibre mondial et l'avenir de l'Humanité qui sont en jeu lors de cette balade très mouvementée en Belgique.  

« L'expérience Pentagramme », Yves Sente, Seuil – Verso, 560 pages, 22,90 €

dimanche 23 mars 2025

Polar historique - Premiers bistouris dans "Le jardin des anatomistes"

Un polar historique, pour être réussi (et donc passionnant pour le lecteur), doit, en plus d'une bonne intrigue et de personnages crédibles, décrire une époque et des pratiques que l'on ne soupçonne pas. Pour son second roman, Le Jardin des anatomistes, Noémie Adenis réussit un strike indéniable. 

Dans le Paris de la la fin du XVIIe siècle, Sébastien de Noilat, un jeune herboriste de Sologne, découvre la guerre que se mènent les médecins et les chirurgiens. Les premiers, traditionalistes, n'aiment pas les changements. Les seconds, interdits de faculté, pour soigner, vont au fond des choses... armés de bistouris, scies et autres pinces qui explorent le corps humain encore peu connu. 

Les chirurgiens formés sur le tas grâce à des démonstrations (sur des cadavres) proposées dans le Jardin du roi. Quand un imitateur décide d'opérer, à vif, des malades ivres dans des tavernes Sébastien doit démasquer un faux chirurgien mais vrai tueur. Le roman parfait pour les amateurs de viande saignante.  

« Le Jardin des anatomistes », Pocket, 416 pages, 9,60 € (paru en grand format chez Robert Laffont)

samedi 22 mars 2025

BD - Reportage de l'horreur sur la planète Terminus


Parmi les BD de science-fiction, il y a les gentilles, les intelligentes et les noires, généralement très pessimistes et particulièrement violentes. Si c'est cette dernière catégorie qui vous attire, vous devriez apprécier ce one-shot, écrit par Matt Kindt et dessiné par Dan McDaid, au titre énigmatique : "Si vous lisez ça, c'est que je suis déjà morte..." 

Cette phrase c'est Robin qui l'écrit, une journaliste. Elle a été sélectionnée pour réaliser le premier reportage sur la planète Terminus. Un astre qui n'a pour l'instant vu que quelques militaires solidement entraînés. 

Le débarquement se fait dans la grande tradition des films à gros spectacles. Une équipe de durs à cuire pour chaperonner la jeune journaliste intrépide. La nef se pose sur une petite enclave, seul endroit réputé sûr de la planète. Mais rien ne se passe comme prévu. En dix minutes, les soldats sont exterminés, il ne reste plus que Robin, tentant de trouver le salut en se cachant dans des sous-sols hostiles. 

Un long cauchemar pour la jeune femme, confrontée à plusieurs sortes d'extraterrestres, tous plus agressifs les uns que les autres, quasiment des dieux dans ce monde de fureur et de sang. 

La transformation et la survie de Robin n'est pas pour les âmes sensibles. La violence atteint des sommets. Jusqu'à la mort... à moins que. Un roman graphique sur la prétention des Humains, leurs faiblesses et propension à trahir. De la SF noire, pessimiste et violente comme expliqué en introduction.   

"Si vous lisez ça, c'est que je suis déjà morte...", Delcourt, 96 pages, 19,50 €

vendredi 21 mars 2025

BD - "La veuve" cherche la rédemption

Elle court, seule, dans la forêt. Epuisée, apeurée, sans autre but que de survivre. Elle a trop vu de morts ces derniers temps. Derrière elle pas très loin, deux hommes armés et un chien. Les chasseurs. Elle est la proie. Début de récit tout en tension, dans une nature sauvage et inhospitalière. 

Pourtant ce n'est que le début de la longue fuite en avant de l'héroïne de ce roman graphique de Glen Chapron tiré du roman "La veuve" de Gil Adamson. Le Canada du début du XXe siècle. Terre en devenir, encore inexplorée, de plus en plus exploitée. 

La veuve que l'on suit est une jeune femme de 19 ans. Elle a perdu son bébé. Et dans la foulée a tué son mari. Un ivrogne, violent, arrogant. Il avant l'habitude, en rentrant de la chasse, de lui confier son fusil pour qu'elle le nettoie. Ce soir-là, elle s'est contenté de le recharger et de lui tirer dessus. Les deux hommes qui la poursuivent, ce sont ses beaux-frères. Ils veulent se venger. Les jours passent, elle survit dans la forêt, rencontre un trappeur qui va l'aider. L'aimer aussi un peu. Mais la veuve ne veut plus s'attacher. 

Elle continue son chemin, débarque dans une ville de mineurs, devient l'aide d'un pasteur. Ce roman, d'une puissance rare, tant par le récit que les dessins en noir et blanc d'une densité et d'une brutalité extrêmes, se dévore. Du grand art par un artiste majuscule.

"La veuve" de Glen Chapron (adapté du roman de Gil Andamson), Glénat, 176 pages, 25 €

jeudi 20 mars 2025

BD - Une famille unie lancée dans "Le grand monde"

Roman paru chez Calmann-Lévy et vendu à des milliers d'exemplaires, Le grand monde de Pierre Lemaitre est adapté en BD. Toujours par Christian de Metter qui avait déjà proposé une version graphique de la précédente trilogie débutée par Au revoir là-haut. Pas toujours évident de proposer une version illustrée d'un texte si riche. Le dessinateur a pourtant trouvé les ressources pour transformer ce roman fleuve en passionnante saga familiale, aux décors multiples et rebondissements encore plus nombreux.

La famille Pelletier est au centre de ce témoignage du monde de la la fin des années 40. La guerre vient à peine de s'achever. La tension est encore palpable à Paris. C'est là que les ennuis débutent pour Jean, François et Hélène, trois des enfants du couple Pelletier connu pour sa prospère savonnerie installée à Beyrouth. Les trois enfants Pelletier, tous majeurs, sont arrêtés et interrogés par la police. Ils ont bien des choses à se reprocher. Mais ne savent pas exactement pourquoi ils se retrouvent en position d'accusés. 

Jean et sa femme magouillent dans le textile. Des tissus achetés à vil prix aux artisans juifs, quelques années plus tard, quand il fallait trouver de l'argent pour quitter cette France occupée de plus en plus antisémite. 

Hélène a des relations douteuses. Des drogués qui braquent des pharmacies. Quant à François, journaliste, il est sur le point de dévoiler un gros scandale financier lié à la piastre indochinoise. Trois histoires entrecroisées, parfaitement amenées et développées, de Paris au Liban en passant par l'Indochine, colonie en guerre où le quatrième fils Pelletier, Etienne, tente désespérément de retrouver le grand amour de sa vie. 

On ne doit pas en dire trop pour ne pas gâcher les rebondissements et liens entre les différentes affaires (et même romans de Pierre Lemaitre). D'ailleurs c'est le gros problème de ces adaptations dessinées. Ceux qui ont lu le roman sont toujours un peu désappointé. Et une fois l'album refermé, on a envie de lire le roman, tout en sachant à l'avance ce qu'il va se passer. Par chance, certaines oeuvres sont plus fortes que tout. Le grand monde en fait partie. 

"Le grand monde", Rue de Sèvres, 184 pages, 25 €

mercredi 19 mars 2025

BD - Quand Cuba était sous influence

Cuba est redevenu une destination touristique prisée malgré la dictature. C'était déjà le cas dans les années 50, avant que Fidel Castro et ses "barbudos" ne fassent chuter Batista. Le premier tome de cette série écrite par Frédéric Brrémaud et dessinée par Vic Macioci débute en 1958. Dans une capitale cubaine en pleine effervescence (un match de base-ball passionne les foules), les deux employés de l'agence de détective Valdès sont chargés d'accueillir au port la fille du patron, Lily, une jeune Américaine. 

Son père, aux prises avec une branche de la mafia locale, doit accomplir une mission risquée pour effacer une dette. Il va charger ses deux employés, John Botia (un ancien agent de la CIA) et José Cojones (un local couard et lâche, l'élément comique du trio), d'enlever la femme d'un rival. Lily voudra apporter son aide, comme pour prouver son amour pour ce père qu'elle n'a quasiment pas connu. Entre le gouvernement corrompu, la police violente, les gangsters encore plus sadiques, les manoeuvres de déstabilisation de la CIA et les attaques des Révolutionnaires, les trois compères vont avoir beaucoup de difficultés à sauver leur otage et leurs fesses. 

Tout en étant un véritable polar, ancré dans la réalité historique, c'est avant tout une BD d'action au second degré, avec de nombreux gags et des situations hautement risibles, même si le danger est réel. La mise en place est un peu longue, mais une fois la course lancée sur l'île, les scènes s'enchaînent et le trait ferme et plein de force de Vic Macioci fait le idéalement le job. 

Vivement le second tome pour savoir si John, José et Lily vont parvenir à sauver Valdès. Quant à l'avenir de Cuba, de Batista et de Castro, il fait désormais partie de l'histoire du XXe siècle.   

"Havana Split" (tome 1), 96  pages, 17,50 €

mardi 18 mars 2025

BD - Quand Brigitte Bardot faisait fantasmer la province


Qui ne rêve pas de rencontrer Brigitte Bardot ? Pas aujourd'hui, la star de cinéma préfère ne plus sortir de chez elle (et de parfois avoir des positions politiques assez limites), mais dans les années 50 et 60. Conrad Knapp, jeune Parisien travaillant dans le milieu du cinéma, est en quête d'un lieu de tournage authentique. Il rencontre les habitants de Trougnac, village typique de l'époque, l'action se déroule en 1960. La tornade BB comme Brigitte Bardot fait des ravages chez les hommes. Un peu moins chez les femmes. Tous rêvent de la rencontrer. 

Conrad Knapp explique alors que des producteurs l'ont chargé de trouver un village pour accueillir ce nouveau film réunissant une seconde fois Jean Gabin et Brigitte Bardot après l'immense succès (et scandale) d'En cas de malheur de Claude Autant-Lara. Pour vendre son projet aux autorités, il fait miroiter notoriété et affaires florissantes. Pour les simples quidams, il a un atout dans la manche : il a une photo tirée d'une scène censurée du film. Quand la jeune femme remonte sa jupe pour séduire le vieil avocat, elle va jusque au dessus de la taille. On voit donc très nettement les fesses de Brigitte Bardot. Cela semble peu aujourd'hui, mais pour la fin des années 50, c'est une image sulfureuse. D'ailleurs c'est le curé du village qui sera le plus ferme opposant à la venue de BB à Trougnac. 

Cette gentille histoire s'inspirant un peu de Don Camillo dans l'opposition entre religieux conservateurs et progressistes ouverts, est signée Philippe Pelaez. Ce scénariste BD très prolifique est un grand spécialiste du cinéma. Américain mais aussi classique français. Chaque chapitre s'ouvre par une citation extraite de ces dialogues que l'on ne retrouve plus nulle part. Conrad Knapp, avec un scénario, une photo et quelques belles paroles va convaincre tout le monde de l'importance de son rôle dans le choix des décors. Et se laisser acheter sans trop de scrupules. 

Un roman graphique savoureux, dessiné par Gaël Séjourné, à la fin étonnante, dernier clin d'oeil à ces villages de France aux noms si étranges.   

"Les fesses à Bardot", Bamboo Grand Angle, 160 pages, 22,90 €

lundi 17 mars 2025

BD - Les horribles découvertes de Randolph Carter

Randolph Carter, intrépide héros américain engagé dans la Légion étrangère française, imaginé par H. P. Lovecraft, bénéficie d'une adaptation de ses péripéties en bande dessinée. Au scénario, Simon Treins, pseudonyme d'un auteur qui a déjà quelques centaines d'albums à son actif. Les dessins ont été confiés à Jovan Ukropina, auteur Serbe au trait enlevé et dynamique, parfait dans la retranscription des horribles cauchemars sortis des pires situations imaginées par Lovecraft. 

La seconde partie est orientale. Carter, après les tranchées françaises de la première guerre mondiale, rejoint Beyrouth. Il est recruté par un militaire français qui veut espionner les forces turques. La situation politique et militaire dans ce Moyen Orient déjà très agité est très incertaine. Les clans locaux doivent faire avec les vues impérialistes des Français et des Anglais. 

En pénétrant dans le désert, la petite troupe tombe sur des créatures, des goules, assoiffées de sang. Et en se réfugiant dans des cavernes, Carter et ses amis découvre des monstres gagnant en méchanceté et en grandeur. Bref, ce voyage "Par-delà les portes d'ivoire et de corne" (titre du second volume de la série), restera longtemps dans la mémoire des rares survivants. L'histoire est assez obscure et compliquée, mais on ne peut qu'admirer les dessins d'Ukropina.

"Randolph Carter" (tome 2), Soleil, 56 pages, 15,95 € 

dimanche 16 mars 2025

Romans policiers - Des employées envahissantes dans "La Nounou" et "Dream Girl"

Une nounou dans le roman d'Evelyn Piper et une infirmière dans celui de Laura Lippman: quand les employées de maison deviennent de véritables cauchemars.


Bien que parus à plus de 60 ans d'écart, ces deux polars américains ont quelques points en commun. Dans La nounou d'Evelyn Piper (paru aux USA en 1966), la femme chargée d'éduquer l'enfant d'un riche couple semble exemplaire dans sa mission. Mais alors pourquoi le jeune Joey a-t-il si peur d'elle ? De la même façon, l'infirmière de nuit chargée de veiller sur Gerry, célèbre écrivain riche à millions grâce au succès de son roman Dream Girl, immobilisé après une chute, semble moins bête qu'elle s'échine à le faire croire. Deux employées qui vivent chez leur patron, devenues intimes, indispensables. Mais quel est leur but exactement ? Des relations complexes devenant au fil des chapitres de plus en plus anxiogènes.

La nounou fait partie de ces romans noirs ciselés comme un bijou de luxe. Evelyn Piper signe un polar où la paranoïa est en permanence sous-jacente. La faute à cette nounou anglaise au service de la famille depuis des décennies. Elle se charge de l'éducation de Joey. Un petit garçon de 6 ans qui redoute revenir à la maison après un séjour dans une clinique psychiatrique. Accidentellement, il a tué son petit frère. Quand il prétend que la nounou lui en veut, ses parents, son médecin et les voisins n'y croient pas. Le lecteur, lui, se doute que l'enfant n'est pas fou et qu'au contraire la vieille fille est bizarre. Joey va-t-il convaincre quelqu'un, a-t-il une chance de s'en sortir ? Le roman, sous une forme très classique (un peu démodée même), amène le chaud dans une ambiance glaciale. 

Paranoïa aussi pour Gerry Andersen, l'écrivain au centre du roman Dream Girl de Laura Lippman se déroulant dans un appartement au sommet d'une tour à Baltimore. Gerry est romancier. Un vieil intellectuel qui regrette ces années 80 et 90 quand tout semblait permis. Il vient de chuter dans l'escalier. Jambe cassée, le voilà immobilisé pour plusieurs semaines. 

Gerry va devoir remettre son quotidien entre les mains de son assistante, une jeune étudiante fan de ses écrits et une infirmière de nuit, qui passe son temps à regarder des niaiseries à la télé. Gerry, marié trois fois, récemment séparé et qui vient d'enterrer sa mère. Un homme amorphe, ayant perdu l'inspiration, étonné quand il reçoit un coup de fil d'une certaine Aubrey. Elle prétend être la femme qui lui a inspiré le personnage de son best seller. Et lui réclame la moitié de sa fortune. Qui est cette Aubrey ? Ne devient-il pas sénile et un peu fou, comme sa mère ? Ni son assistante, ni l'infirmière ne se souviennent de ces appels. 

Ce thriller, à l'intrigue particulièrement tordue, se transforme parfois en jeu de piste littéraire. L'occasion de découvrir les dessous d'un milieu pas toujours très net. C'est un des atouts de ce thriller écrit dans un style fluide et savant, comme quoi l'intelligence, parfois, devient contagieuse.

« Dream Girl », Laura Lippman, Actes Sud, 368 pages, 22,80 €

« La nounou », Evelyn Piper, Denoël, 280 pages, 22,50 €

samedi 15 mars 2025

Polar - « Python » piquant sous la plume de Sébastien Gendron

Ce roman intitulé « Python » est le second de la série de Sébastien Gendron modestement baptisée  « Le grand livre des animaux ». Après le chevreuil, vision hallucinée de la campagne française, place à ce python venu semer le trouble dans le lotissement trop calme d'une ville moyenne française. Le serpent ne fait que de la figuration, le centre de l'attention est occupé par Constance, mère d'Hippolyte, 5 ans. Le portrait en miniature de son père, un sale con puissance mille. Constance n'en peut plus. Elle envisage de disparaître, abandonnant sa famille pour se cacher en Inde. Mais comme c'est Sébastien Gendron qui est aux manettes, tout dérape très vite. Un dentiste est assassiné, le mari de Constance meurt d'un AVC, un drôle d'ouvrier transforme une piscine en bunker... Un roman noir d'une méchanceté absolue, du pur esprit Hara-Kiri : bête et méchant. Assez jouissif aussi pour le lecteur qui s'ennuie dans son quotidien morne.

« Python » de Sébastien Gendron, Gallimard, 336 pages, 20 €

vendredi 14 mars 2025

BD - Tous les rieurs se tournent vers l'Ouest

Allergiques au western, cette BD va peut-être vous réconcilier avec le genre.  Manichéen, plein de bons sentiments et de violence gratuite, le western est la nouvelle tragédie pour certains. Un tissu de clichés pour d'autres. Les seconds vont donc se précipiter sur cette parodie championne de l'absurde. Olivier Supiot au scénario et Damien Geffroy au dessin proposent donc le second recueil d'histoires courtes. Des récits prépubliés dans Fluide Glacial, ce qui donne une idée du pourcentage d'humour dans les planches. 

Pour lier ces petits contes abscons, les auteurs ont pondu quelques pages et dessins de liaison mettant en scène un certain Starwild Ranger, un cowboy masqué, amateur de duels et de belles pépées. Un Ranger aujourd'hui à la retraite, grabataire et cloué dans son fauteuil roulant (qu'il prend pour un mustang !). Il tente de séduire (trousser à la hussarde exactement), l'aide soignante qu'il prend pour Suzie, une de ses conquêtes de quand il était jeune et vigoureux. En fait il s'adresse à Micheline qui a bien du mérite de supporter les délires du vieux. 

Entre une soupe et un suppositoire (on vous passe le changement de couches), Starwild raconte l'histoire du trappeur Kevin Croquette, un Canadien qu'il ne faut pas confondre avec Davy Crockett, de Charlie, pistolero impitoyable très à cheval sur l'hygiène ou du soldat Carrington, pris en défaut dès sa première mission chez les Indiens. Quelle idée aussi de fumer un calumet de la paix rempli d'herbes hallucinogènes. 

Des récits courts, de quatre pages maximum, qui parfois auraient pu contenir dans une seule planche de gag. Mais ce serait dommage car cela permet à Damien Geffroy de développer son graphisme. Il soigne ses planches, les décors sont dignes d'un Giraud ou d'un Hermann. Mais côté "héros", c'est plutôt du gros nez rigolo. Une opposition qui donne aussi tout son charme à une BD portant la parodie du western à son summum.

"Les cowboys sont toujours à l'Ouest" (tome 2), Fluide Glacial, 56 pages, 15,90 €

Retrouvez ici la critique du tome 1       

jeudi 13 mars 2025

Récit - Jean-Noël Pancrazi pleure sa sœur


Retour à Perpignan pour Jean-Noël Pancrazi. L'écrivain semble inexorablement attiré par la ville de son enfance. Cette fois il quitte Paris pour soutenir sa sœur, Isabelle, qu'il aime tant. Elle a préféré rester dans la région et vit toujours au Moulin-à-Vent. Mais plus pour longtemps : un cancer est en train de tuer à petit feu. 

Ce sont ces derniers instants, dans la dignité et la force, que l'écrivain couche sur le papier. Il se souvient de leur enfance en Algérie, des combats de sa sœur, de sa vie si active dans le département. Cela donne quelques jolis passages sur la vitalité du cinéma Castillet, « le plus beau cinéma d'art et d'essai dont la programmation l'emportait sur tous les autres » ou les rencontres littéraires organisées dans la nouvelle librairie de Port-Vendres. 

Un texte tendre et charnel, universel face à la mort. 

« Quand s'arrêtent les larmes », Jean-Noël Pancrazi, 128 pages, 17 €

Science-fiction - Le confinement de l'apocalypse

Et si le confinement avait mal tourné ? Sur cette interrogation, Eliott de Gastines imagine une France qui plonge dans le chaos. Un cauchemar raconté dans « La frontière sauvage ».

La Normandie, ses vaches, sa quiétude, ses vallons verdoyants, ses fermes isolées... son califat de Lisieux. Eliott de Gastines, en décrivant cette France d'après confinement qui tourne mal, ne fait pas dans la dentelle. Au contraire il force le trait dans l'horreur, le désordre, la violence. Les 20 premières pages ont tout du roman de confinement. Eliott et sa compagne, Florence, vivent dans un appartement d'une petite ville de Normandie. Quand un virus fait son apparition en Chine puis en Italie, ils ne s'inquiètent pas. Quand le gouvernement décrète le confinement, ils en rigolent.

Mais dans ce roman d'anticipation, les fake news vont changer la perception de la pandémie. Une mutation rendrait le virus plus virulent. Plus mortel aussi. Le droit de retrait est invoqué dans la santé, la sécurité, le commerce. Le pays se dérègle, sombre dans l'anarchie. Certains en profitent, se transformant en pilleurs-tueurs-violeurs. Eliott et Florence fuient dans les bois alentours. Et tombent, au bord d'une rivière, sur la nouvelle réalité de la Normandie : « Sur la grève s'entassait un amas de corps impossibles à dénombrer. On pouvait clairement distinguer dans ce tas partiellement carbonisé des membres, des bouts de vêtements en tous genres, des visages figés dans un cri, d'autres paisibles à jamais. (…) Des corps de jeunes enfants, là les courbes d'une femme en petite tenue, ici ce qui ressemblait à des notaires de province ramenés en cubes les chevilles par-dessus les épaules. » Le roman bascule dans l'horreur. Bien que peu adapté à la survie, le couple va passer un été relativement tranquille dans un pigeonnier perdu dans une vallée.

Aux premiers froids, face à la difficulté, ils feront le choix de la sécurité en demandant refuge au califat de Lisieux, enclave musulmane où Eliott, grâce à son talent en calligraphie, va devenir essentiel dans la propagande du « ministère de l'information ». Ce semblant de sérénité (au coût exorbitant : conversion à l'Islam le plus radical, accepter d'avoir des esclaves) ne durera pas longtemps. Car la vision d'Eliott de Gastines, radicalement pessimiste, ne nous laisse que peu d'espoir si par malheur sa fiction devenait réalité. Il y a un peu d'humour dans ce roman enlevé, mais le ton est avant tout triste et nostalgique. Comme pour mieux nous faire prendre conscience combien nous vivons dans un monde privilégié, loin de tout danger mais incapables de profiter de ce bonheur simple.

« La frontière sauvage » d'Eliott de Gastines, Albin Michel, 320 pages, 21,90 €

mercredi 12 mars 2025

Polar - Policière contre marionnettiste

Helen Grace, policière anglaise de Southampton imaginée par M. J. Arlidge, doit affronter sa hiérarchie et sa base pour tenter de sauver des adolescentes transformées en marionnettes sexuelles.

En Angleterre comme en France, les pontes de la police nationale apprécient de pouvoir communiquer après d'éclatantes réussites. À Southampton, dans le sud du pays, les trafics de drogue se transforment en guerre des gangs. Comme à Marseille, les règlements de compte se multiplient. La dernière fusillade qui a coûté la vie à un jeune convoyeur d'argent liquide tiré de la vente de drogue s'est déroulée en plein quartier résidentiel. Il faut donc rapidement trouver les auteurs de l'attaque pour rassurer la population. Comprenez les électeurs...

Helen Grace, enquêtrice très solitaire (et efficace) du commissariat, est elle aussi mobilisée. Sur le terrain, elle interroge ses indics mais se désintéresse rapidement de l'affaire. Le matin même, elle a été très touchée par le cri de détresse d'une mère. Sa fille, Naomi, a disparu depuis la veille. Une adolescente en rupture. Si la hiérarchie d'Helen lui demande de ne pas s'investir dans une simple fugue, le sixième sens de la policière d'élite la pousse à désobéir. Alors que la base est sur les dents à la recherche des tireurs, elle demande à plusieurs enquêteurs de se concentrer sur le cas Naomi. Rapidement, beaucoup trouvent ce travail inutile.

M. J. Arlidge, dans ce nouvel épisode des aventures d'Helen Grace, place à nouveau son héroïne en fâcheuse posture. Cette fois elle risque la mise à pied pour insubordination. Le lecteur sait pourtant qu'elle a raison. Car entre les chapitres consacrés à l'enquête, l'auteur relate le cauchemar vécu par la jeune fille. Enfermée dans une cave, enchaînée, elle est transformée en objet sexuel par un ravisseur qui filme son calvaire, obéissant aux ordres de voyeurs payant cher pour ce spectacle abominable.

Le roman devient palpitant car en plus de tenter de découvrir qui est le ravisseur et tortionnaire, le lecteur craint pour la vie de la captive. Sans oublier les risques encourus par Helen. Sur le terrain mais également dans les bureaux du commissariat, quand ses chefs veulent la mettre sur la touche après les récriminations et plaintes des agents sous ses ordres. Et comme le romancier ose tout, le dénouement sera étonnant à plus d'un titre et annonce une suite encore plus déstabilisante pour les fans.

« Ainsi font font font » de M. J. Arlidge, Les Escales, 480 pages, 23 €

mardi 11 mars 2025

BD - Star Naze, parodie et gags intergalactiques

Qui aime bien, châtie bien ! Ced, le scénariste de ce recueil de gags, a sans doute vu des dizaines de fois chaque épisode de la saga des Star Wars. Sans compter les séries et autres dessins animés qui animent sans cesse la franchise (ne manquez pas la ressortie au cinéma, le 24 avril 2025 à l'occasion des 20 ans, de l'épisode III, La revanche des Sith). 

Christo, le dessinateur, a lui aussi visionné plus que de raison les films de Georges Lucas. Résultat ce sont deux fans, amateurs éclairés et véritables spécialistes qui se permettent les pires blagues sur cet univers légendaire. 

Dans "Star Naze", la version parodique, tous les personnages ont un côté obscur parfaitement caché. On découvre ainsi d'où provient la manie qu'a Yopla d'inverser verbe, sujet et complément. Et les graves conséquences que cette dyslexie a parfois. De Luc à Kador (version canine de Dark Vador ?) en passant par Yann Tousseul ou Klorokin (allusion à l'actualité dans le jeu de mot le plus drôle de la galaxie), vous rirez rien qu'en découvrant le nouveau nom des héros. 

Quant aux situations, entre violence et sexe, il y a tout ce que le vrai Star Wars laisse deviner sans jamais en parler et encore moins le montrer. Enfin vous risquez, comme moi, vous demander longtemps pourquoi l'ordre des Jedi est devenu dans la BD l'ordre des Jedognon. Un conseil, il faut le prononcer à haute voix pour comprendre l'astuce qui vous fera pleurer de rire.

"Star Naze", Jungle, 128 pages, 15 €

Science-fiction - Avenir radieux dans "Terra Humanis" de Fabien Cerutti

Les auteurs de science-fiction nous proposent souvent une vision sombre de l'avenir. Comme si notre perte était inéluctable. Pour conjurer ce sort, Fabien Cerutti propose une version radieuse de ces prochaines décennies. Car en utopiste indécrottable, il est persuadé qu'il est encore temps de sauver notre environnement. Comment ? Plongez dans « Terra Humanis » pour découvrir ses solutions. Un roman qui court sur plus d'un siècle, de la prise de conscience de quelques scientifiques à des découvertes majeures et quelques efforts pour réduire notre course en avant.

Tout change quand un couple, Rebecca et Luc, prennent le pouvoir en France, mobilisent la population sur leur programme écologiste et parviennent à entraîner d'autres pays émergents. Le changement est lent, plein d'embûches, mais efficace. Un texte résolument positif et optimiste, à l'opposé de la triste « écologie punitive », épouvantail des bonnes volontés.

« Terra Humanis » de Fabien Cerutti, Folio SF, 384 pages, 10 €

lundi 10 mars 2025

BD - Un (tout petit) ami de plus pour Anatole Latuile

Comme Tom-Tom et Nana en leur temps, Anatole Latuile est devenu une star de la bande dessinée. Une série au long cours, publiée chaque mois dans J'aime Lire et dont les albums ont été vendus à plus d'un million d'exemplaires. Le 18e recueil de ces histoires courtes vient de sortir et on retrouve avec plaisir toute la bande d'amis imaginés par Anne Didier et Olivier Muller (frère et soeur dans la vraie vie) et dessinés par Clément Devaux. 

Anatole, cheveux noirs et dressés sur la tête, aime et a de sérieuses aptitudes pour, dans l'ordre, provoquer des catastrophes, faire des expériences interdites et aider ses amis. Dans cet album de 11 histoires courtes intitulé "Un Max de surprises !", il va surtout développer sa dernière compétence pour Jason, son meilleur ami. 

Ils sont dans la même classe depuis des années et Jason, au début du premier récit, est très inquiet car sa mère semble totalement absente, comme obsédée par autre chose. Avec Anatole il va fureter mais c'est la perspicacité de Marjane (une de leurs nombreuses copines) qui amènera la réponse, loin d'être aussi dramatique qu'un divorce : la maman de Jason est tout simplement enceinte. 

Jason va bientôt avoir un petit frère ou une petite soeur. Une attente qui va permettre aux amis de faire des plans sur la comète et aux petits lecteurs de se préparer si, par bonheur, eux aussi ont une famille en cours d'agrandissement. Finalement ce sera un garçon, un petit Max, prénom suggéré par Jason, finalement très heureux de partager sa chambre avec ce bébé. 

Ces histoires, simples, comiques, ancrées dans le réel, expliquent tout le succès de la série, parfaite à partir de 8 ans, adaptée aussi sous forme de romans, de webtoon et bientôt au cinéma.

"Anatole Latuile" (tome 18), Bayard BDKids, 96 pages, 11,50 €

dimanche 9 mars 2025

Polar - Les petites combines d'un dealer

Témoignage édifiant que ce « Deal », texte signé d'un énigmatique « 6 ». Un jeune, originaire de Grenoble, y raconte comment il s'est fait une place dans le juteux mais dangereux monde du trafic de drogue.


Les documentaires inondant les chaînes de la TNT nous proposent souvent des émissions racontant 24 heures ou une nuit avec les policiers de terrain. Plus rares sont les émissions montrant l'autre côté, celui des dealers. Ce récit, sous forme de polar-confession, plonge le lecteur dans la spirale infernale de la vie d'une jeune originaire de Grenoble. A la première personne, « 6 » (c'est sa signature...), explique qu'à la base, il est simplement un gamin qui, s'ennuyant ferme dans sa banlieue, a tendance à fumer un peu trop de cannabis pour atténuer la morosité ambiante. Une consommation exponentielle qui devient problématique. Il décide donc de revendre une partie don stock pour financer les futurs achats.

Dans le milieu cela a un terme : il devient « brasseur ». Un consommateur qui peut, à l'occasion, dépanner les copains et connaissances. A la différence des dealers qui eux ne consomment pas.

La drogue n'est qu'un business comme un autre, le moyen de se faire beaucoup d'argent rapidement, comme nous le fait miroiter sans cesse notre société capitaliste et consumériste. L'auteur explique que « légal, illégal, licite, illicite... tout cela ne voulait strictement rien dire. Il n'y avait qu'une seule réalité : le profit, partout et tout le temps. Le produit, le service, la provenance ou la destination n'avaient aucune espèce d'importance. Le monde n'était qu'un immense champ de bataille ultralibéral parcouru par les flux incessants des capitaux. » Devenu incontournable dans son lycée ou son quartier, « 6 » gagne des clients et des relations. Touche à d'autres drogues (cocaïne, acides...), achète de grosses quantités et en fait son métier.

Attention, si vous croyez avoir découvert le livre qui prend la défense des consommateurs et des petits trafiquants, vous faites erreur. La concurrence est rude dans ce secteur particulier et la meilleure façon de s'imposer reste la méthode forte. Violente. Il n'y a rien de glamour à se faire tirer dessus ou à passer plusieurs mois en prison. On le découvre dans ce texte âpre, réaliste et sans concession au romantisme des brigands des temps nouveaux.

« Deal » de 6, Nouveau Monde éditions, 288 pages, 9,50 €

samedi 8 mars 2025

BD - La vie continue pour les deux soeurs en galère

Un récit solaire, malgré la misère, les difficultés et les incompréhensions. Sylvain Bordesoules, après le très remarqué L'été des charognes, revient dans un roman graphique tiré de son propre vécu. Mélissa et Candice sont soeurs. Deux Niçoises en galère. La première, la plus jeune, est au chômage. Habituée des petits boulots dans les grandes enseignes discount de banlieue, elle reste rarement en place. Présentement, elle profite de ses indemnités chômage. Après quelques copains de très mauvais conseils, elle a eu le coup, de foudre pour Press, une collègue de travail. Elles vivent ensemble. Discrètement. Dans un petit studio avec deux chats. La grande ville du Sud n'est pas la plus gayfriendly de la région... 

Sa soeur, Candice, l'aînée, a vite quitté sa mère et le beau-père. Un petit copain et elle tombe enceinte. Alors elle l'épouse, a un autre enfant et finalement le quitte. Seule dans son petit appartement, elle élève ses deux gosses tout en travaillant dans une crèche. Ménage et cuisine. Deux fortes personnes directement inspirées de l'entourage de l'auteur. Mais lui a quitté Nice et ce milieu populaire. Il en raconte la simplicité. Les difficultés aussi. 

C'est très réaliste, servi par des planches en couleurs où les teintes éclatantes jurent avec la grisaille et la tristesse du quotidien. Certes il fait beau à Nice, mais vivre à côté de la mer ne sert à rien si on a des difficultés à payer son essence ou la cantine des enfants. Radiographie crue et sans tabou d'une certaine France de la périphérie, Azur Asphalte se lit comme on regarde un reportage de Strip-tease, le côté voyeurisme en moins et un gros supplément d'âme pour faire passer le tout.  

"Azur asphalte", Gallimard, 168 pages, 24 €

vendredi 7 mars 2025

Biographie - Le rire de Pierre Bénichou

Immense journaliste, passé par de très nombreux journaux et devenu un des piliers du Nouvel Observateur, Pierre Bénichou fait partie de ces talentueux artistes sans œuvre. Son style lui aurait sans doute permis de signer des romans passionnants. Il se contentera de publier un recueil de ses nécrologies... 

Son bagout et son sens de la repartie étaient parfaits pour faire du stand-up. Mais le genre n'étais pas encore né. Alors il a amusé la galerie dans les bars et boites de nuit parisiennes. Et puis il a été remarqué par des faiseurs de stars. Sur le tard, il est devenu un sociétaire des Grosses têtes, poussant la chansonnette romantique après avoir sorti une vacherie absolue. 

Personnage complexe, Pierre Bénichou est au centre de cette biographie de Benjamin Puech. Dans quelques jours, cela fera 5 ans que nous sommes orphelins de cet amuseur talentueux.

« Pierre Bénichou, une figure de style », Benjamin Puech, Editions du Rocher, 208 pages, 19,90 €