dimanche 30 juin 2024

Une biographie : Elon Musk

 

Clairement à charge, cette biographie d’Elon Musk par Boris Manenti, journaliste au Nouvel Obs, ne devrait pas vous plaire si vous vous informez grâce à X (anciennement Twitter) et roulez en Tesla. Elon Musk fait partie de ces hommes de pouvoir qui ont visiblement oublié de garder les pieds sur terre. Il rêve de Mars, certes, mais un peu d’empathie ne fait jamais de mal.

Ses mensonges (ou arrangements avec l’histoire familiale) sont démasqués et ses idées novatrices ne sont pas toujours de lui. Mais cela n’empêchera pas à l’homme le plus riche du monde d’augmenter son pécule astronomique…

« Elon Musk, le bonimenteur » de Boris Manenti, Éditions du Rocher, 256 pages, 18,90 €

samedi 29 juin 2024

Des poèmes - René Depestre en poche

 

Auteur d’une œuvre considérable en vers et en prose, René Depestre, âgé aujourd’hui de 97 ans et vivant paisiblement à Lézignan-Corbières dans l’Aude depuis des décennies, est une figure tutélaire de la littérature des Caraïbes. Écrivain engagé qui a dû fuir Haïti, son pays natal, pour échapper à la dictature, il a longtemps vécu à Cuba.

L’anthologie Journal d’un animal marin donne à saisir l’étendue et la puissance de sa poésie lyrique. Ce poète de l’effusion et du chant, chantre de « l’érotisme solaire » et de l’élan vital envers et contre tout, emporte le lecteur par son souffle et un flot d’images vigoureuses. Un condensé d’une œuvre poétique essentielle du XXe siècle.

« Journal d’un animal marin », René Depestre, Gallimard, 7,20 €

vendredi 28 juin 2024

Un roman jeunesse - Oncle Kid en Corse


 Le meilleur des espions est de retour. Oncle Kid, après une première aventure mouvementée, se retrouve en Corse en compagnie de ses neveux, Juliette et Ulysse. Oncle Kid rapidement kidnappé par les méchants de la Firme. Victor Pouchet multiplie les situations cocasses avec cet espion finalement très calamiteux et par chance épaulé par deux enfants très futés.

Les illustrations de Killoffer rendent encore plus tonitruantes les interventions de quelques spécialités corses comme des chèvres, un berger, des sangliers et du fromage qui pourrait bien se transformer en menace pour la planète !

« Oncle Kid - O comme otage, K comme Corsica », l’École des Loisirs, 72 pages, 8 €

jeudi 27 juin 2024

BD - Controversé Pierre de Coubertin

Même si c'est en France, à Paris, que sont organisés les Jeux olympiques en cet été 2024, les références à Pierre de Coubertin sont rares. C'est pourtant cet aristocrate qui dès la fin du XIXe siècle avait réinventé cette manifestation sportive, la transformant en gigantesque compétition mondiale. Celui qui a popularisé la formule « Le plus important n'est pas de gagner mais de participer » est tombé dans les oubliettes.

La faute à ses errances politiques et positions réactionnaires longtemps combattues par les réformateurs et humanistes.

Xavier Bétaucourt, le scénariste, a eu la difficile tâche d'expliquer comment cet homme, qui a tant fait pour l'amitié entre les peuples et les nations, a souvent été complètement à côté des progrès de la société. Il était pour des jeux, mais uniquement avec des hommes. Et sans les pays de ce qui allait devenir le tiers-monde. Une sorte de caricature de ce que Hitler rêvait pour ses JO de 36 à Berlin.

Ces positions rétrogrades, racistes et humiliantes pour plus des deux tiers de la planète, suffisent largement pour donner raison à la plus bornée des adeptes du wokisme. Pierre de Coubertin était d'un autre temps, celui des nations blanches, pures, colonisatrices, persuadées d'avoir toujours raison, d'être le modèle ultime et supérieur de la civilisation.

Des positions intenables de nos jours, ce qui explique l'effacement progressif du baron Pierre de Coubertin de l'histoire sportive mondiale. Cette BD, dessinée par Didier Pagot, permet au lecteur de comprendre pourquoi.  
« Pierre de Coubertin, entre ombre et lumière », Steinkis, 112 pages, 20 €

mercredi 26 juin 2024

BD - Ping-pong, le sport de l’amitié entre les peuples

Le sport ce ne sont pas que des records, des médailles et des contrats publicitaires mirobolants. Dans le passé, certaines disciplines ont donné l'occasion aux diplomaties de se rapprocher, de trouver un premier terrain d'entente ou du moins de dialogue. Cela a même un nom, la diplomatie du ping-pong.

C'est aussi le nom de cet album écrit par Alcante et dessiné par Mounier.

En 1971, la guerre froide est à son maximum. Les USA doivent tenter de contrer l'influence de l'URSS tout en se méfiant de la Chine de Mao. Mais avec cette dernière, une volonté de normalisation commence à poindre après des décennies d'invectives. Encore faut-il trouver le bon motif, la bonne occasion. Paradoxalement c'est un jeune hippie, Glenn Cowan, champion de tennis de table, qui va bousculer l'Histoire. Sélectionné pour les championnats du monde au Japon, ce jeune effronté, cheveux longs, grande gueule, séducteur et amateur de marijuana, est enthousiaste à l'idée de se mesurer au meilleur pongiste du monde, le Chinois Zhuang Zedong. Après des années de boycott, la Chine accepte de revenir en compétition.

Dans le bâtiment réservé aux entraînements, Cowan (grâce à son bagout) persuade la délégation chinoise de le ramener à son hôtel. Il descend du bus et serre la main des sportifs chinois devant des dizaines de journalistes. Immédiatement l'information fait la une des journaux. La détente peut-elle passer par le sport ?

Les autorités de Pékin, profitant de l'aubaine, invitent l'équipe américaine à une tournée en Chine. Le ping-pong, et particulièrement le sourire ravageur de Glenn Cowan, permettra aux deux pays de sortir d'une longue bouderie. Une réalité un peu enjolivée par le scénariste. Mais comme il l'avoue en fin de volume, les pinailleurs historiques ne lui en tiendront pas rigueur. 

« La diplomatie du ping-pong », Delcourt, 112 pages, 23,95 €
 

mardi 25 juin 2024

BD - Jesse Owens, fuite victorieuse

Dans quelques jours ils seront des dizaines à rêver de victoire sur la piste d'athlétisme du Stade de France. Les Jeux Olympiques font de belles histoires. Gradimir Smudja l'a bien compris, lui qui vient de sortir un roman graphique sur la vie de Jesse Owens.

Le dessinateur d'origine serbe, réfugié en Italie depuis le début des années 80, est surtout connu pour des récits très poétiques et oniriques. Comment dès lors se frotter à la pure biographie ? Pour lui il suffit de donner le rôle de narrateur à un chat noir, Essej, musicien de jazz de son état, meilleur ami du petit Jesse Owens.

Car avant de faire fouler au géant de l'athlétisme la piste de Berlin en 1936, quand il remporte quatre médailles d'or sous les yeux horrifiés d'un Hitler vert de rage, Gradimir Smudja va raconter ce qui a donne des ailes à Jesse Owens. Et ses rêves de gloire sont directement issus de ses pires cauchemars.

Jesse a toujours eu l'impression d'être au mauvais endroit, au mauvais moment. Enfant, il court pour échapper à un jars agressif ou un bouc caractériel. Ensuite, il galopera pour échapper aux tueurs du Ku Klux Klan, aux policiers, aux milices blanches... Une fuite qui le conduira directement à la victoire. Un grand du sport mondial, mais qui sera rejeté par une partie de cette Amérique encore profondément raciste et ségrégationniste.

A son retour, après le triomphe de Berlin, Roosevelt, président, ne le recevra pas à la Maison Blanche. Il faudra attendre les années 70 pour que Gérald Ford lui remette la Médaille de la Liberté, plus haute décoration des USA.

Cette belle vie, remplie de gloire, passage très symbolique d'esclave à champion pour toute une partie de la population américaine, donne l'occasion à l'artiste d'origine serbe de signer des planches d'une incroyable beauté. Certaines, pleine page, voire sur des double pages, devraient faire saliver des galeristes en mal de peintures de qualité et bourrées de personnalité.

« Jesse Owens, des miles et des miles », Futuropolis, 128 pages, 24 €
 

lundi 24 juin 2024

Cinéma - « La petite vadrouille » d’une belle équipe

Petite arnaque autour d’une croisière en péniche. "La petite vadrouille" est un film inventif de Denis Podalydès sur la débrouille. 

 

Après La grande vadrouille, voici venu le temps de La petite vadrouille. Pour être dans l’air du temps, Bruno Podalydès aurait même dû oser renommer son film La p’tite vadrouille… Le comédien, scénariste et réalisateur est un fervent adepte des croisières familiales en péniche sur les canaux qui sillonnent le pays. Il a donc imaginé au fil de l’eau, en lenteur (la vitesse est strictement limitée à 5 nœuds), cette histoire de bande de copains qui met en branle tout une histoire abracadabrantesque pour faire cracher un bourgeois en mal de conquête féminine. Dans le film, il s’est réservé le rôle du capitaine. Cela tombe bien, il sait parfaitement manœuvrer ce type de bateau.

Film inventif, ludique, souvent comique et un poil philosophique, La petite vadrouille est aussi le récit des mésaventures financières d’une bande d’amis, une belle équipe. Quand l’un d’entre eux est dans le rouge, il emprunte à un autre. Un effet domino qui les transforme tous en débiteurs.

La solution vient de Justine (Sandrine Kiberlain). Son tout nouveau patron, le très riche Franck (Daniel Auteuil), lui demande d’organiser un week-end pour séduire la femme qu’il aime secrètement. Pour mener à bien la mission, il lui remet une enveloppe avec 14 000 euros en liquide. Une aubaine pour Albin (Denis Podalydès), mari de Justine. Il propose une croisière sur une péniche. À la barre, Jocelyn (Bruno Podalydès) aidé par quelques amis, meilleurs comédiens que marins. Problème : la belle inconnue que Franck veut séduire, c’est Justine…

Film choral plus que faux vaudeville aquatique, l’histoire démarre sur les chapeaux de roues. On fait la connaissance des protagonistes dans des scènes savoureuses. Cela débute par Caramel (Jean-Noël Brouté), gardien de musée occasionnel. Il crie sur les visiteurs qui font des photos au flash et part avec une toile sous le bras, une de ses œuvres qu’il expose clandestinement. Dans le café de Sandra (Isabelle Candelier), le service est fait… en chantant. Sur le Net, Rosine (Florence Muller), passe de psy à hypnotiseuse. Alors que les tentatives de séduction de Franck se multiplient, Albin est de plus en plus jaloux. Mais a vraiment besoin de cet argent.

Si la fin est assez déconcertante, on reste quand même sur une excellente impression. Celle d’avoir passé 90 minutes avec une belle équipe, de celles qui vous redonnent l’envie d’aller de l’avant, de franchir les barrières et de prendre la vie comme elle vient.

Film de Bruno Podalydès avec Daniel Auteuil, Sandrine Kiberlain, Denis Podalydès

dimanche 23 juin 2024

Cinéma - “Greenhouse” : vieillesse et solitude coréennes

Une aide-soignante va tomber dans un engrenage criminel implacable. « Greenhouse » est le premier film d’une cinéaste coréenne qui devrait compter ces prochaines années.

Image particulièrement soignée dans les ambiances sombres, interprétation fine et mesurée des comédiens (et ce n’est pas évident car tous les protagonistes ont des problèmes psychiques), montage sans fioritures, au service de l’intrigue : Greenhouse de Lee Sol-hui est un thriller haletant universel car il parle de vieillesse, de maladie d’alzheimer et de solitude dans la vie moderne.

Un premier film qui vaut aussi, et peut-être surtout, pour son scénario. Un script écrit alors qu’elle était encore étudiante. La réalisatrice a eu tout le temps pour épurer sa copie, la peaufiner, ne garder que l’essentiel, le plus frappant.

Frapper justement. C’est le premier verbe qui vient à l’esprit avec la scène d’ouverture. Au propre comme au figuré. Un plan fixe sur la « maison » de Moon-jung (Seo-Hyeong Kim), aide-soignante qui vit dans une sorte de tente en plastique dans une zone isolée de la banlieue d’une grande ville. Moon-jung qui se frappe, littéralement. De grandes gifles. Une sorte d’automutilation qui lui donne le courage d’aller travailler.

Film noir, très noir

Elle est au service d’un couple âgé. Lui, aveugle, semble si gentil avec ses bonnes manières. Elle, atteinte de démence sénile, est la plupart du temps atone. Sauf quand elle entre en crise et hurle sur Moon-jung, prétendant que cette dernière veut la tuer. Comment vivre de façon équilibrée dans ces conditions ? En participant à un groupe de parole. Mais ce n’est pas le fort de l’aide-soignante qui semble traumatisée par son ancien mari et qui espère que son fils, à peine adolescent, sorte vite de prison pour revenir vivre avec elle. Du moins si elle trouve un appartement.

Le tableau est noir. Absolument déprimant. La Corée, mais loin des belles voitures et du strass de la K-pop. Ce n’est pourtant que le début d’un long cauchemar pour Moon-jung. Un accident domestique et tout pourrait s’écrouler. Alors elle va tenter de dissimuler la vérité, jouer avec le feu, au risque de tout perdre dans l’incendie de sa vie.

Le spectateur, passé les 20 premières minutes, se retrouve tétanisé dans son fauteuil, craignant sans cesse pour l’aide-soignante. Pourtant, à cause d’un enchaînement retors de situations de plus en plus extrêmes, tout ne va aller qu’en empirant. Et de la chronique réaliste sociale puis du thriller, on passe au pur film noir. Celui, paradoxalement si brillant, qui détruit méthodiquement le mot espoir.

Film de Sol-hui Lee avec Seo-Hyeong Kim, Jae-sung Yang, So-yo Ahn

samedi 22 juin 2024

BD - Fragiles jeunes filles en fleur


 Pour terminer ce tour d’horizon des nouvelles amours vues sous le prisme de la bande dessinée, n’hésitez pas à découvrir Fragile, album signé Mathilde Ducrest. Cette artiste Suisse vit désormais à Bruxelles après des études à Saint-Luc. Féministe engagée, elle a multiplié les projets de publication en autoédition avant d’être repéré par les éditions Casterman. Elle signe donc chez la prestigieuse maison (Tintin, Corto Maltese, Alix…) ce copieux roman graphique en couleurs fines et délicates racontant la rencontre entre Emily et Suzanne.

La première, étudiante, cherche un petit job d’été. Elle répond à l’annonce de la seconde, riche héritière d’une famille d’industriels. Le travail ? Promener tous les jours Mitsou, le petit chien de la seconde car elle va passer quelques semaines en vacances en Espagne. Mais avant d’abandonner son petit roquet à Emily, Suzanne veut mieux connaître Emily. Elles vont se promener dans les bois et jardins de la riche famille et une irrésistible attirance va naître entre les deux jeunes femmes.

Plus qu’une simple histoire d’amour, ce Fragile raconte combien il est compliqué pour les jeunes d’aujourd’hui de s’engager, de faire des plans sur l’avenir, de croire en l’amour. C’est effectivement le portrait d’une génération fragile. Mais très attachante aussi.
« Fragile », Casterman, 184 pages, 25 €

vendredi 21 juin 2024

BD - Amour réel et virtuel dans "Le champ des possibles"

 

Si les amours du passé ont parfois été débridées, celles de l’avenir pourraient être plus sages. Grâce à la réalité virtuelle si l’on en croit cet album écrit par Véro Cazot et dessiné par Anaïs Bernabé. Dans un avenir proche, les casques de réalité virtuelle permettent à quelques nantis de vivre deux vies. Une première, terre à terre, pleine de contraintes. Une seconde sans limite.

Marsu, la jeune héroïne de ce roman graphique est une architecte renommée. Elle a révolutionné les salles de spectacles. Lors de la présentation d’un de ses projets, elle fait la connaissance de Thom, informaticien qui cherche à développer son logiciel de réalité virtuelle qui permet de vivre dans les plus beaux hôtels ou ensembles architecturaux de la planète.

Marsu est sceptique. Thom enthousiaste. Un premier contact plein de sous-entendus, même si Marsu est fidèle à son compagnon, Harry, un potier qui pour le coup, peut difficilement avoir moins les mains dans la terre. Pourtant Thom va l’emporter. Marsu teste et devient rapidement accro. Dans l’histoire, les autrices expliquent que ce casque nouvelle génération peut se transformer en implant neuronal. On peut dès lors, en permanence, vivre deux réalités différentes. Travailler à son bureau tout en bronzant au bord d’une piscine avec le Pacifique en toile de fond.

Marsu va souvent aller dans une tour de New York réservée aux amis de Thom. Et tout en vivant avec Harry, va y partager des expériences, sensuelles, érotiques puis sexuelles avec Thom. Une femme, deux amants dont un virtuel. Étrange avenir décrit par Véro Cazot et Anaïs Bernabé. Et pourtant il semble très agréable s’il est partagé et consentant.

Une histoire de SF qui bénéficie d’un traitement graphique de toute beauté. Les séquences se déroulant dans la réalité virtuelle sont exécutées aux crayons de couleurs, la dessinatrice multipliant les tons décalés pour amplifier le volet merveilleux et irréel de l’expérience.
« Le champ des possibles », Dupuis, 128 pages, 23,50 €

jeudi 20 juin 2024

BD - Stars en croisière


 
Passionné de cinéma, le scénariste Jean-Luc Cornette s’offre un casting exceptionnel pour son nouvel album, Le feu et la glace. Il réunit sur un plateau de tournage dirigé par Georg Wilhelm Pabst deux grandes stars du cinéma mondial, Marlène Dietrich et Louise Brooks, une chanteuse et danseuse de jazz américaine, Adelaïde Hall, le comédien français Charles Vanel et le compositeur Kurt Weil.

Une équipe de rêve pour le premier film parlant européen en cet été 1929. Un film entièrement tourné sur un paquebot qui fait la traversée entre Cherbourg et New York. Un film imaginaire, sorte de fantasme absolu du scénariste confié au dessinateur Jürg.

En plus de plonger le lecteur au cœur de ce cinéma allemand qui rayonne sur les arts depuis une dizaine d’années, l’album montre combien les mœurs étaient libres et sans tabou à l’époque. Notamment dans le milieu des actrices. Ainsi Louise Brooks comme Marlène Dietrich, si elles ont un amoureux officiel, multiplient les aventures et rencontres éphémères.

Au début de la traversée, bien qu’elles soient toutes les deux présentes pour travailler, elles se lancent un défi : « Celle qui se tape le plus de gaillards durant la traversée est la reine de l’Atlantique. » et de rajouter (car elles ont passé quelques nuits ensemble) « Et les filles, ça compte aussi ! ».

Le côté gaudriole est très présent mais n’est pas le nœud de l’histoire. Car en fond se joue aussi la montée du fascisme et la mise au ban de cet « art dégénéré » comme le classeront officiellement quelques années plus tard les nazis arrivés au pouvoir. Le film sera perdu, Marlène Dietrich ne tournera jamais avec Pabst et Louise Brooks ne percera pas dans le cinéma parlant.

Reste cette BD, aux dessins délicieusement rétros, qui permet au cinéaste de rêver sur ces icônes du 7e art.
« Le feu et la glace », Futuropolis, 88 pages, 20 €

mercredi 19 juin 2024

BD - Un peu Mou mais très efficace…


 Charles a tout du loser absolu. Après de longues études, il vit toujours chez sa mère et subsiste en livrant des pizzas à vélo. Comme en plus il est très timide, côté cœur c’est la débandade. Après une journée catastrophique (même si elle n’est que dans la moyenne des journées pourries qui jalonnent son existence), il décide de se rebeller, de lâcher son boulot, de ne pas rentrer chez maman. Chance, il voit une petite annonce sur la porte d’un café : « cherche personnel de salle ». Il entre et postule.

Mais la mouise continue. La patronne lui explique que cet établissement est spécial, réservé aux femmes et que bien évidemment le personnel aussi doit être féminin. Il se met à chialer et par pitié, elle accepte qu’il s’asseye dans un coin le temps que la crise de larmes passe. C’est là que Paola entre en scène. Cette chimiste qui travaille pour ESA (la Nasa européenne), craque sur le pauvre Charles et l’emmène chez elle. Après un coït raté, le malheureux déprime encore plus. Et a soif. Alors il va dans le frigo et boit le contenu d’un verre bien frais.

Le début de ce roman graphique de Benoît Féroumont décrit une société où les femmes sont fortes et Charles faible. Charles qui va mal digérer le liquide. Normal, c’est une expérience de Paola. Il va se transformer en une sorte de poulpe tout mou. De quoi faire peur à la jeune femme. Il fuit donc… par la cuvette des WC et se retrouve dans les égouts. Charles, devenu tout mou, va alors découvrir que cette forme voluptueuse est très appréciée des femmes et va devenir assez rapidement un amant recherché.

Dans Mou, l’auteur met en scène des femmes libérées, qui en ont assez de la virilité des mâles alpha et préfèrent tendresse, même si c’est une chose informe qui la distille. Tout homme devrait en prendre de la graine. Même si au niveau tentacules, on sera toujours un peu handicapé face à la métamorphose de Charles.
« Mou », Dupuis, 96 pages, 19,90 €

mardi 18 juin 2024

Thriller historique - « L’Or maudit » ou la suite des aventures de Margaux de Dente

 Dans le Haut-Razès audois du Moyen Âge, Mireille Calmel raconte la vie tumultueuse d’une héroïne déjà croisée dans ses précédents romans, « Le Templier de l’ombre ». 

 

Ses romans historiques sont dignes des grands feuilletonistes du siècle dernier. Mireille Calmel n’a pas son pareil pour imaginer des intrigues à rebondissements pour ses héros. Son héroïne plus exactement.
Margaux de Dente, fille de Cathare, vit dans la vallée du Haut Razès. La première partie de ses péripéties ont été racontées dans les deux tomes de Le Templier de l’ombre parus l’an dernier (le tome 1 vient de sortir en poche chez Pocket). La belle Margaux est déjà de retour dans le tome 1 de L’or maudit. Toujours dans son manoir de Sainte-Eugénie entre Quillan et Rhedae, l’ancien nom de Rennes-le-Château.
Avec son mari, Michel, elle prend soin d’Anne, sa petite fille de 5 ans. Une dégourdie qui reste de longues heures au sommet du donjon pour tenter d’apercevoir le loup blanc, une bête qui sème la terreur dans les campagnes et la forêt.
En ce 6 mars 1313, Bertrand Leplacier, prévôt, est prévenu de la découverte d’une nouvelle victime de l’animal. Mais près du cadavre, un berger a remarqué des pièces d’or et un gantelet, « une pièce d’armure, de celles dont les chevaliers du Temple se couvraient les mains autrefois lors des batailles en Orient ». Et à l’intérieur du gant, une main sectionnée.
Le roman débute comme un polar, avec quantité de suspects. Leplacier mène l’enquête alors que Margaux désire avant tout protéger sa fille. Au même moment arrive à Carcassonne Guillaume de Nogaret, premier conseiller du roi Philippe le Bel. Il a pour mission de récupérer, pour la couronne, l’or des templiers en possession du maître inquisiteur d’Ablis. Même si tous les Cathares ont été exterminés, Geoffroy d’Ablis continue sa chasse, impitoyable. Il aimerait faire tomber Blanche de Dente.
Malgré son aversion pour le personnage, Guillaume de Nogaret négocie pour revenir en grâce à la cour. Découvrir aussi ce qu’est devenu son père, mystérieusement disparu. Car dans les romans de Mireille Calmel, tous les protagonistes ont de multiples secrets. Inavouables. De Nogaret retrouve un coffret bourré de lingots d’or. Mais une fois de retour dans l’ancienne maison de son père dans la Cité, « à la place du coffret contenant l’or, trônait une main sanguinolente dans laquelle un carreau d’arbalète avait été planté. »
Avec une maestria étonnante, dans des chapitres courts et percutants, Mireille Calmel pose les bases de son histoire. De l’or à retrouver, des complots, des vengeances et peut-être la résurgence du catharisme car dans la vallée du Haut-Razès, des signaux s’allument sur les sommets : « comme autrefois, de colline en colline, les anciennes tours cathares se répondaient. » La seconde partie de L’or maudit est annoncée pour octobre.
Et les passionnés pourront lire, sur la plateforme numérique Kessel Media, un court roman, Le secret de Margaux, qui fait le lien entre Le Templier de l’ombre et cette nouvelle saga.

« L’or Maudit » de Mireille Calmel, XO Éditions, 326 pages, 20,90 €

lundi 17 juin 2024

Littérature italienne - « Les règles du mikado » pour apprendre à vivre caché

Un homme, une femme, la montagne. L’écrivain italien Erri De Luca va au plus simple dans ce roman, sorte de conte philosophique au ton doux-amer. 

Certains jeux de société sont parfaits pour comprendre la vie en société. Les échecs sont les plus connus. Pourtant, selon Erri De Luca, on est mieux préparé si on intègre parfaitement les règles du mikado. Loin d’être un simple jeu d’adresse, il faut en réalité anticiper et se cacher pour être celui qui, au final, enlèvera le bâton noir.

Avant de jouer, les deux personnages de ce roman vont apprendre à se connaître. Il y a un vieil homme, un ancien horloger, très riche, qui passe ses nuits sous une simple tente plantée dans la montagne italienne, à quelques encablures de la frontière. Une nuit, une jeune femme pénètre dans la tente. Pour se cacher. C’est une gitane. Elle craint sa famille. Les policiers aussi. Comme deux animaux sauvages, ils vont se renifler longuement, presque s’apprivoiser l’un l’autre.

Composée essentiellement de dialogues, cette première partie est percutante. La fille fuit un mariage arrangé. L’homme, qui est lui-même originaire de l’Europe de l’Est, lui explique qu’elle a choisi l’exil. « J’ai choisi de ne pas me marier » explique-t-elle. «Le reste, je ne choisis pas, je l’affronte. Le monde est vaste et je trouverai bien un endroit. » Le vieux va secourir la jeune. Comme un éternel recommencement car ce n’est pas la première personne que l’ancien horloger aide dans la montagne. On apprendra pourquoi dans la dernière partie du roman. Et alors les règles du mikado deviendront limpides pour le lecteur. La finalité des parties. Pourquoi le vieillard est si bon, pourquoi il décide, du jour au lendemain de ne plus jouer, de léguer les bâtons à la jeune gitane en cavale.

Un roman qui fait du bien en ces temps troubles où rares sont ceux qui ont un idéal. Encore moins ceux qui osent aller vers les inconnus. Avec, disséminés entre les scènes, quelques vérités comme cette constatation de l’horloger : « J’ai plus d’années que de kilos. Les vieux doivent être légers » ou celle très actuelle : « La guerre anéantit, dévore, et une fois commencé elle n’a besoin d’aucune cause. »

« Les règles du mikado » d’Erri De Luca, Gallimard, 160 pages, 18 €

dimanche 16 juin 2024

Un album jeunesse : Renard, la lettre et les affreux


Renard a du courrier ce matin. Normal, c’est son anniversaire et sa mémé n’oublie jamais de lui écrire. Mais dans la jolie lettre il découvre le dessin de… deux fesses ! Mais qui a osé lui envoyer cette horreur.



Le petit héros imaginé par Thibault Prugne mène son enquête et va suspecter, à tour de rôle, une moufette, un hibou et une taupe. Tous ont des arguments, mais alors qui a tracé ces deux fesses ? Loin de l’enquête policière, cette petite histoire pour les plus jeunes explique comment se faire des amis, quelles que soient les circonstances. Mignon et réjouissant.

« Renard, la lettre et les affreux », Margot (L’école des loisirs), 40 pages, 13,90 €

samedi 15 juin 2024

Une biographie : Jean Giraud alias Mœbius

La première biographie de Jean Giraud vient de paraître. Pourtant le dessinateur de Blueberry est mort en 2012. C’est Christophe Quillien qui s’est penché sur l’œuvre protéiforme de Jean Giraud alias Moebius.

De ses débuts à Pilote à la création de Métal Hurlant, de ses exils volontaires près de Pau, en Polynésie ou aux USA ou de ses attirances pour les mondes ésotériques, ce ne sont pas deux biographies qui sont compilées mais une multitude de vies, toutes plus riches et créatrices.

L’artiste a marqué des générations d’illustrateurs et aura fait rêver encore plus de lecteurs de BD. Une biographie qui ne publie pas de dessins mais de très nombreuses photos de Jean Giraud. Ou Mœbius.

« Jean Giraud alias Mœbius », Seuil, 608 pages, 26 €

vendredi 14 juin 2024

Un livre jeunesse : Les pirates de Gudule

 


Pour beaucoup de jeunes lecteurs, il y a un avant et un après Gudule. La romancière a publié plus de 200 livres pour tous les âges. Une œuvre qu’il est temps de redécouvrir, près de 10 ans après sa mort. Voilà donc une réédition du premier tome de Histoires de pirates avec de nouvelles illustrations signées Marc Lizano.

Le premier tome raconte comment le baron Bagatelle, gouverneur de Fort Plouf-Plouf, tente de retrouver le trésor de Barbak-le-Rouge. Un redoutable pirate, capturé par Bagatelle et emprisonné durant des années. C’est à la fin de sa vie que le redoutable pirate accepte de conduire le gouverneur, tout aussi vieux, sur l’île déserte où est caché le trésor.

Humour et dérision, comme souvent avec Gudule, transforment cette histoire en petite leçon de philosophie.

« Histoires de pirates », Splash !, 40 pages, 8,95 €

jeudi 13 juin 2024

Un essai : Régis Debray en bref

 

À plus de 80 ans, Régis Debray a traversé le XXe siècle en y laissant une pensée, une vision, un témoignage. Penseur, philosophe, intellectuel : difficile de le définir. Dans ce nouvel ouvrage, il accepte avant tout sa condition : un vieillard qui sait sa fin proche. Alors il fait bref. Des aphorismes, parfois à la Cioran, sur le temps passé.

On peut méditer sur ces deux extraits révélateurs de l’ensemble du livre : « Puisqu’on fait de vieux os avec de vilains sentiments, restons antipathiques. On ne sait jamais. » « Il est sage de ralentir la marche. À quoi bon se mettre à courir quand on arrive au bout. »

« Bref » de Régis Debray, Gallimard, 76 pages, 10 €

mercredi 12 juin 2024

Cinéma - “Heroico”, film sur l’armée qui broie les jeunes

Un film mexicain de David Zonana avec Santiago Sandoval Carbajal, Fernando Cuautle.


Le film Heroico se déroule au Mexique. Mais il pourrait être transposé dans n’importe quel pays qui a une armée professionnelle. Un film universel donc, sur la façon de « dresser » de jeunes hommes, leur donner le goût du sang, de la mort. Au Mexique, le film de David Zonana a été critiqué car il s’attaque à un bastion du pouvoir. Pourtant il est sans doute très près de la vérité dans ce pays où la violence est quotidienne, sans limite.

Luis (Santiago Sandoval Carbajal), jeune homme vivant seul avec sa mère, décide de s’engager. Avant tout pour bénéficier de la mutuelle de l’armée qui assurera les soins de sa mère, diabétique. Un premier sacrifice. Arrivé à l’école, il est vite remarqué par son sergent instructeur, Sierra (Fernando Cuautle). Le prototype du manipulateur, pervers, régnant sur sa cour où tout lui est possible. Il protège Luis de certaines corvées, des bizutages ou autres exercices physiques. En échange, il l’engage sur des « missions » non officielles. Le week-end, en civils, Sierra et ses sbires deviennent de vulgaires mercenaires, armés et dangereux, des tueurs.

Le film, d’une très grande violence, ne la montre pas. Tout est suggéré. On est subjugué par l’interprétation des deux comédiens principaux. Santiago Sandoval Carbajal dans le rôle de Luis, toujours partagé entre la révolte et le confort de l’obéissance. Une victime qui a cependant toutes les solutions entre ses mains pour faire cesser ce cauchemar. Encore plus impressionnante la partition de Fernando Cuautle, alias Sergent Sierra. Arrogant, prétentieux, calculateur, toujours à la limite de l’acceptable, cette caricature de militaire doit cependant hanter les nuits de nombre de recrues, au Mexique et ailleurs, certainement passées sous ses fourches caudines.

mardi 11 juin 2024

BD - Larzac, terre de résistance

 

Le Sud n’a jamais aimé les décisions imposées par le Nord, encore moins quand cela vient de Partis, la capitale si prétentieuse. En 1972, le Larzac, plateau caillouteux couvert de brebis à cheval sur l’Hérault et l’Aveyron, entre en résistance. Le gouvernement a décidé d’agrandir le camp militaire expropriant de fait des centaines de familles de paysans. L’occitan va résonner dans toute la France avec ce cri de ralliement, de fierté de résistance : « Gardarem lo Larzac ! »

Première ZAD (zone à défendre) de l’Histoire de France, ce mouvement va durer des années et donner l’occasion à deux auteurs se signer un gros album de près de 180 pages. Pierre-Marie Terral, agrégé et docteur en histoire contemporaine s’est spécialisé dans l’étude de cette lutte paysanne exemplaire qui reste encore très présente dans les mémoires des Français. Sébastien Verdier, dessinateur qui a beaucoup travaillé avec Pierre Christin, recrée les ambiances de l’époque dans des planches en noir et blanc très réalistes.

Des chapitres entrecoupés de photos d’époque ou de dessins parus au moment des événements dont une BD-reportage de Cabu. Un ouvrage pour ne pas oublier que toute lutte, si elle est juste, peut être victorieuse. Signataire de la préface, ce n’est certainement pas José Bové qui peut prétendre le contraire.

« Larzac, histoire d’une résistance paysanne », Dargaud, 176 pages, 23,50 €

lundi 10 juin 2024

BD - Le magot de Mémé

 

Le Tarn est un affluent de la Garonne. Un département aussi, décor du roman graphique Le gigot du dimanche écrit par Philippe Pelaez et dessiné par Espé. Une histoire de famille, la famille du scénariste Philippe Pelaez qui joue un rôle essentiel dans le récit en répondant au surnom si mignon de Pilou.

Pilou adore les dimanches où tout le monde mange chez Mémé, un gigot bourré d’ail après des bouchées à la reine à la cervelle. Frères, oncles, cousins, tous se disputent et après ils vont au stade voir l’équipe locale de rugby maltraiter les voisins puis au loto-quine où le gros lot est un cochon. Vivant le cochon.

Pilou à 11 ans, on est en 1981 et sa maman, qui a voté Mitterrand, crie sur son tonton, l’assureur, gaulliste, mauvais perdant, persuadé que les chars russes vont défiler sur le Champs-Élysées le 14-Juillet. Une famille dysfonctionnelle qui retrouve de l’unité dès que Mémé va à la cuisine. Ils tentent tous de savoir où elle a pu planquer son magot, des Louis d’or devenus aussi légendaires qu’invisibles.

Tout semble vrai dans cette histoire. À part le fameux magot. Philippe Pelaez reconnaît qu’il s’est un peu inspiré de sa famille, mais que le seul dont il est certain d’avoir respecté les pensées et agissements, c’est lui-même. On rit beaucoup aux multiples péripéties autour du magot mais aussi de la découverte de la vie par Pilou, un petit gros un peu naïf qui n’a pas son pareil pour mettre les pieds dans le plat… de gigot.

« Le gigot du dimanche », Bamboo Grand Angle, 72 pages, 16,90 €

dimanche 9 juin 2024

BD - Le rugby émancipateur


Après la vie des pionniers dans le grand nord canadien, JeanLouis Tripp s’attaque à la vie dans deux villages du Sud de la France. Des cités voisines, simplement séparées par un pont qui enjambe le fleuve. Nous sommes d’un côté à Larroque-sur-Garonne, de l’autre à Castelnau-sur-Garonne, pas loin de Montauban. Tripp connaît parfaitement la région. Il y a vécu enfant et n’a pas quitté ce Sud ensoleillé et fou de rugby puisqu’il réside désormais dans les Corbières audoises.

La série Les vents ovales, prévue en trois tomes, ambitionne de raconter les événements de mai 68 mais depuis cette province si éloignée des barricades parisiennes. Simple scénariste sur le projet, il a reçu le renfort d’Aude Mermilliod à l’écriture et le travail graphique est assuré par Horne.

La première partie suit la vie quotidienne, de mai à septembre 1967, de deux copines, Yveline et Monique. La première, en couverture du premier tome avec un ballon de rugby dans les mains, est la plus jeune. À peine 18 ans, lycéenne, elle va passer son bac. L’obtenir avec la mention Très Bien et commencer ses études universitaires à Paris. La seconde, 21 ans, après un cursus au CREPS, va devenir prof de sport… à Béthune.

Deux jeunes femmes de la fin des années 60, entre envie de s’émanciper et pression sociale de leurs origines. Yveline, fille de paysan, fiancée à un gars du coin, voudrait tant s’extraire de son milieu, s’affirmer. Même envie du côté de Monique, fille du directeur de l’usine de briques, fille à papa surprotégée. Le dernier qu’elles passent ensemble est raconté avec finesse et délicatesse par un trio qui prend le temps de camper les personnages, l’ambiance et l’importance du rugby dans ces deux villages rivaux.

Un rugby émancipateur pour nombre de jeunes. Un sport collectif qui ne galvaude pas l’adjectif. C’est cette partie qui fera vibrer les sudistes amateurs de ballon ovale. Même si le premier public ciblé de la série semble être les femmes, libérées ou à libérer.

« Les vents ovales » (tome 1), Dupuis Aire Libre, 136 pages, 26 €

samedi 8 juin 2024

Roman français – Totalement disparu et insaisissable cet Hervé Snout

Qu’est-il arrivé à Hervé Snout. Ce Français, père de famille irréprochable, patron dynamique d’une petite entreprise, a disparu. Olivier Bordaçarre mène l’enquête.

En grand admirateur de l’œuvre de Georges Perec, Olivier Bordaçarre précise dans ses remerciements, qu’en plus d’hommages ou d’allusions à une quinzaine d’ouvrages du romancier de La disparition, il a lui aussi composé son texte en n’utilisant pas volontairement une des lettres de l’alphabet. Si vous décidez de plonger dans ce roman noir « des coulisses du bonheur contemporain et familial », tentez de la découvrir avant la fin. Même s’il vous est difficile de vous concentrer sur cette recherche tant le récit de La disparition d’Hervé Snout va rapidement vous passionner.

Dans la première partie, les faits sont vus par les autres membres de la famille. Odile, épouse d’Hervé, Eddy, le fils aîné, Tara, la cadette. L’épouse a préparé un repas de fête pour l’anniversaire d’Hervé. Bœuf bourguignon longuement mijoté. Mais ce mardi 16 avril au soir, Hervé ne rentre pas à la maison. Un repas doublement gâché car Tara a refusé, une nouvelle fois de manger de la viande.

La viande c’est pourtant toute la vie de son père. Patron d’un petit abattoir, il mène ses ouvriers avec fermeté. Il est souvent à la limite du harcèlement, mais il faut savoir s’imposer face à ces hommes qui passent leur journée à égorger porcs, agneaux et vaches puis à les vider et les découper dans des mares de sang.

Une semaine après la disparition, la gendarmerie accepte enfin de se pencher sur l’affaire. Le chef est persuadé que le mari a simplement décidé de refaire sa vie, loin de sa femme, forcément insupportable pour ce militaire alcoolique, abandonné par son épouse lassée de l’attendre le soir. Son adjoint lui, espère qu’Hervé Snout ne reviendra jamais. Car il vient de tomber follement amoureux de la potentielle veuve.

Ce roman, qui lève petit à petit le mystère en révélant les défauts et pensées profondes des différents protagonistes, est une radiographie de la famille française idéale mais très bancale. Tara, par exemple, n’a qu’une envie : fuir ce foyer qui l’empêche de déployer ses ailes. « Ce qu’elle aime dans la vie, c’est courir. Peut-être qu’un jour elle parviendra à quitter le sol. Mais ses parents ne comprennent rien à sa passion. Eux, ils font du sur-place. Ils prennent racine et ils vont mourir debout, les deux pieds pris dans leur chape de béton. »

Pour comprendre l’origine de cette disparition, le roman prend ensuite le point de vue d’Hervé. Un portrait peu flatteur. Imbu de sa personne, rétrograde, souvent lâche, il n’a pas une haute idée de sa famille : « un débile, une intellectuelle et une frigide ! », dans l’ordre son fils, sa fille et sa femme qui venait de demander le divorce après avoir cédé aux avances de son médecin de famille.

Un roman qui va crescendo, déconstruisant ce faux bonheur familial de province. L’occasion aussi pour Olivier Bordaçarre de raconter la réalité des abattoirs. Des passages qui devraient beaucoup faire pour l’avènement du véganisme. Telle cette réflexion d’une secrétaire récemment embauchée supportant de moins en moins cette « odeur permanente de mort. […] Ce n’est pas une odeur franche de cadavre en décomposition, non, pas une pestilence, plutôt un fumet vicieux, un nuage invisible, un mélange de poils cramés au chalumeau, d’excréments, d’urine, de viande fraîche, de sabots et de corne brûlées, un relent organique dont la définition à elle seule est une épreuve. »

« La disparition d’Hervé Snout » d’Olivier Bordaçarre, Denoël, 368 pages, 20 €

vendredi 7 juin 2024

Thriller - Lire « Anna O » peut vous rendre insomniaque

Endormie depuis quatre ans, Anna O est suspectée de deux meurtres. Son médecin va tenter de la réveiller. Au risque de la condamner. Un thriller phénomène. 


Le Prince charmant et la Belle au bois dormant. Benedict Prince, médecin spécialiste du sommeil, s’occupe de Anna O, une jeune femme qui dort depuis quatre ans. A Londres de nos jours, le cas de Anna O divise. Cette fille de bonne famille (sa mère a été ministre, son père financier, elle était journaliste au moment des faits) est suspectée d’avoir poignardé à mort ses deux meilleurs amis.

Avant qu’on ne découvre les corps, elle a envoyé un sms à ses parents : « Je suis désolée. Je crois que je les ai tués. » Depuis elle dort. Un sommeil profond.

Elle n’est pas malade. Juste endormie. Matthew Blake, l’auteur de ce thriller ensorcelant, explique longuement les symptômes de cet état rare mais prouvé scientifiquement. L’auteur, passionné de neurosciences, signe un premier roman vendu un peu partout dans le monde. Le docteur Benedict raconte à la première personne l’essentiel du roman. Comment il accueille dans sa clinique du sommeil Anna O, pourquoi le ministère de la Justice veut la réveiller le plus rapidement possible.

On découvre par son entremise la vie d’Anna et cette fameuse nuit d’août. Avec ses amis et sa famille elle participait à un jeu de rôle dans un domaine isolé. « Le groupe se divise en deux équipes, l’une jouant les Chasseurs, l’autre les Survivants. Puis commence le jeu lui-même qui s’étire sur huit heures tortueuses. » Cela se déroule dans une forêt, « une étendue de broussailles parsemée d’arbres et d’un sentiment de menace crépusculaire. » Au petit matin, le jeu se transforme en drame.

Le lecteur, dès les premières pages, est saisi par cette ambiance de peur et de suspicion. Qui a tué ? Pour quelle raison ? Anna O est-elle la coupable ? Des questions sans réponse si l’on ne va pas au bout de ce thriller digne des meilleurs romans d’Agatha Christie.

« Anna O », de Matthew Blake, Buchet Chastel, 528 pages, 23 €

jeudi 6 juin 2024

Zombies ou crocodiles : l’écrivain audois Julien Guerville ne choisit pas

 Julien Guerville, romancier installé près de Quillan dans l’Aude, propose un roman horrifique rempli de zombies, de crocodiles et d’humains tentant de survivre. 


Il n’y a pas beaucoup de crocodiles dans les environs de Quillan dans l’Aude. Encore moins de zombies. C’est portant dans cette région que Julien Guerville a écrit son troisième roman, Mordre, une horrible histoire d’apocalypse zombie dans un monde où les hommes combattent les crocodiles.

Récit fantastique, empruntant des cheminements familiaux et philosophiques, ce texte percutant, sanglant et violent raconte avant tout comment les liens unissant un père et son fils sont plus puissants que toutes les fins du monde imaginables. Dans un temps qu’on imagine être du futur proche, le bayou, brûlé par le soleil, s’assèche. C’est dans ce milieu hostile, infesté de moustiques mais surtout de crocodiles, que Yao et Zaïn survivent. Le premier est le plus grand chasseur de saurien de la région, le Kaiju, celui qui offre ses proies aux chamans.

Il sait approcher des dangereux lézards en appliquant sa technique, sorte de prière magique : « Ondule Fluide Sans peur Ne sois pas proie Mais prédateur ». Zaïn est appelé à lui succéder. Finalement, il préfère créer une ferme d’élevage.

Quand tout d’un coup, d’autre « mordeurs » font leur apparition. Des zombies assoiffés de sang. Le roman raconte la longue fuite du père (infecté) et de son fils dans un pays ravagé, tout en contant l’apprentissage du jeune Kaiju et la première attaque d’un Z, comme ils sont nommés par la population. C’est d’autant plus angoissant que en filigrane, l’auteur raconte comment l’homme, en défiant la nature, a lui même provoqué cette révolution Z. Comme si à force d’être agressif envers tout ce qui est différent et vivant, on en perdait toute humanité.

On peut lire Mordre comme un simple exercice de littérature horrifique. Ou y trouver des raisons de tenter, dès aujourd’hui, à changer notre attitude avant… la première attaque.


« Mordre » de Julien Guerville, Julliard, 288 pages, 21 €

mercredi 5 juin 2024

BD - Bibliothécaire en vadrouille

 

Elle n'a peur de rien la jeune Molly Wind. Surement pas des grands espaces sauvages de l'Ouest américain au début de la conquête de ces immenses territoires. Ce western pour les plus jeunes, écrit et dessiné par Catalina Gonzalez Vilar avec l'aide, au dessin, de Toni Galmés, apporte une touche de culture.

Car dans ces Appalaches colonisées par les immigrants, l'Etat a décidé de proposer un service de bibliothèque itinérant. Pas de route, juste des chemins dans les forêts pour acheminer des romans à ces familles isolées. Et pour apporter la bonne parole, des bibliothécaires femmes qui savent lire mais aussi monter à cheval et bivouaquer partout, par tous les temps.

Molly rêve de cette vie. Mais elle est trop jeune. Par contre sa sœur Ann est embauchée et va de ferme en ferme comme les héros des romans qu'elle emporte dans ses sacoches. Quand Ann est blessée, Molly décide de la remplacer et part à l'aventure sur son cheval, l'impétueux Carson.

Le premier album de cette nouvelle série brille par son intelligence, la force des héroïnes et le message passé : les filles valent autant que les garçons, la culture est essentielle.  

«Molly Wind» (tome 1), Dupuis, 56 pages, 12,95 €

mardi 4 juin 2024

BD - Le meunier dans les bois

 


Tiré du roman d'Arto Paasilinna, Le Meunier hurlant, nouvelle création de Nicolas Dumontheuil se déroule dans le Nord de la Finlande. Après le succès de la transcription en BD de La forêt des renards perdus, l'auteur de L'Idiot (récemment réédité chez Futuropolis) se plonge avec délectation dans ce monde où la nature occupe une place centrale. La guerre vient de se terminer.

L'armée finlandaise a vaincu les nazis et les communistes. Dans ce petit village entouré de forêt, un moulin est sur le point de sombrer dans la rivière. Quand arrive Gunnar Huttunen, surnommé aussi Nanar. Cet échalas, très habile de ses mains, retape la bâtisse, remet la roue en service et recommence à moudre le grain produit localement. Ce serait parfait si Gunnar, parfois, se prend pour des animaux. Il imite les poules, les cochons, parfois des Humains mais surtout, la nuit, hurle comme des loups en chaleur.

Une folie qui n'est pas au goût des notables qui voudraient dormir en paix. Le roman raconte comment un original se retrouve rapidement ostracisé, rejeté et pourchassé par la masse. Seule la belle et compréhensive conseillère rurale Sanelma Käytämö trouve un certain charme au Meunier hurlant. Un charme certain même quand ils passent une nuit en amoureux sur une île isolée dans la nature pas si sauvage que ça.

On apprécie particulièrement les descriptions de Nanar quand il imite les animaux, mais aussi ses longues vadrouilles dans la forêt, loin des hommes agressifs, au plus près des animaux qu'il comprend tellement mieux.  

«Le meunier hurlant», Futuropolis, 152 pages, 24 €


lundi 3 juin 2024

BD - Découverte de la nature

 


Ambiance radicalement différente pour Murmures des sous-bois par rapport au Dieu-Sauvage. L'auteur canadien Kengo Kurimoto a découvert dans cette nature préservée des signes innombrables de poésie à l'état pur. Pour prendre conscience de ce monde merveilleux si proche, même des urbains, il prend pour exemple une jeune fille, Poppy, obligée de promener son chien Pepper dans les rues de la ville.

Elle tient la laisse mais ne fait pas attention à son animal. Casque sur les oreilles, regard rivé sur son smartphone, elle est ailleurs. Il faut que Pepper s'échappe et pénètre dans un terrain vague jouxtant une forêt à l'abandon pour qu'un monde nouveau s'ouvre aux yeux de Poppy. Elle va entendre les oiseaux, découvrir de nouveaux arbres, sentir les parfums des fleurs et même observer les traces laissées par les animaux sauvages grâce aux indications de Rob un jeune garçon qui « profite » de la nature depuis bien plus longtemps.

Cet album, sorte de longue contemplation de tous les miracles et beautés de la nature, est une source infinie de sagesse, de zénitude et de calme. Comme Poppy, on a envie une fois cet album à l'italienne refermé, aller à la découverte de lieux si proches et pourtant inconnus.  

«Murmures des sous-bois», Rue de Sèvres, 216 pages, 18 €


dimanche 2 juin 2024

BD - La vengeance du singe blanc

 


Dessinateur de Jazz Maynard, Roger, auteur espagnol, n'a plus rien à prouver. Son talent éclate à chaque case. Il lui fallait un projet en béton pour retrouver l'envie de se mettre à la table à dessin. Fabien Vehlmann le lui a apporté. Le lecteur ne peut que les remercier une fois qu'il se retrouve avec un exemplaire de l'album Le Dieu-Fauve entre les mains.

Le scénariste de Seuls ou du Dernier Atlas s'est plongé dans un monde entre héroic fantasy, préhistoire et aventures exotiques. Un récit complet raconté par quatre personnages à tour de rôle. Le premier est un singe blanc vivant dans cette nature sauvage d'un autre temps.

Muet, surnommé Sans-Voix, il a été adopté par une tribu qui tente de survivre malgré la sécheresse. Il suit sa horde pourchassant un immense crocodile mourant. Il va au-delà du monde sûr. C'est là que Sans-voix brille, gagne sa place. Mais aussi perdra sa liberté, capturé par des hommes qui vont le transformer en machine de combat, tueur impitoyable dans des duels sanglants.

Sans-Voix devient le redouté Dieu-Fauve. Cette métamorphose est racontée par sa dresseuse. Se greffe à cette intrigue un exil, une lutte pour le pouvoir, des esclaves qui tentent de s'affranchir, des Maîtres à l'agonie.

La violence est présente à chaque planche, permettant à Roger de signer de véritables œuvres d'art où le rouge est omniprésent. Le Dieu-Fauve est sans conteste possible le meilleur titre paru depuis le début d'année.  

«Le Dieu-Fauve», Dargaud, 112 pages, 21,50 €


samedi 1 juin 2024

Cinéma - L’amour s’étiole comme avancent lentement “Les tortues”

 Après trente ans de vie commune. Un couple se retrouve au bord de la rupture quand Henri prend sa retraite. Comment retrouver la passion des débuts ? 

Réflexion sur la difficulté de se retrouver à la retraite après une vie active mais aussi comédie sentimentale sur l’amour qui fane au fil des années, Les tortues, film du Belge David Lambert déconcertera certains car le couple examiné sous toutes ses coutures est gay. Thom (Dave Johns) et Henri (Olivier Gourmet), deux sexagénaires tout ce qu’il y a de plus typiques.

Rien dans leurs relations ou leurs façons d’être ne les différencie d’un autre couple hétéro. Henri, policier, a rencontré le Britannique Thom quand il est venu à Bruxelles chanter dans un cabaret. Il se travestissait. Mais par amour, pour Henri, Thom a abandonné sa carrière, ses robes fourreau et les paillettes pour se reconvertir comme brocanteur dans le célèbre quartier de Marolles. Pour le premier jour de retraite de Henri, Thom lui offre un petit-déjeuner royal au lit. Mais contre toute attente, Henri s’effondre en larmes.

La vie en vase clos

Ce film, tout en conservant sa catégorie affirmée de LGBT +, aborde des problèmes sociétaux plus généraux. Combien de jeunes retraités, une fois déchargés de leurs responsabilités ou de leur utilité besogneuse s’écroulent, comme s’ils prenaient conscience de leur brusque inutilité ? Henri va tenter de remonter la pente.

Avec l’aide de Thom. Même si ce dernier, trop présent, va lui faire plus de mal que de bien. Littéralement, il se sent étouffer. Là aussi, le thème est beaucoup plus général. Vivre à deux, durant des décennies, oblige à faire des concessions Mais il faut aussi conserver un jardin privé, une certaine autonomie.

On comprend dès lors que Les tortues, tout en parlant d’un couple gay, est un film universel, qu’on peut aller voir en oubliant totalement les orientations sexuelles des personnages principaux. Il reste cependant quelques situations mais qui fonctionneraient tout aussi bien avec un homme et une femme (drague sur les applis, rencontre à la piscine…). Il n’y a que la scène dans le cabaret, là où Thom tente de retrouver sa jeunesse et sa célébrité qui est ouvertement marquée gay.

Reste la plus belle parabole de ce film délicat à la bande originale riche et mélancolique, celle de ces deux tortues, léguées par un ami au couple avec la maison qu’ils partagent depuis si longtemps. Deux tortues enfermées dans un aquarium. Mais incapables de vivre l’une sans l’autre malgré l’exiguïté de leur habitat. Comme Thom et Henri, comme tant de couples, plus souvent victimes des habitudes que véritablement encore amoureux.

Comédie sentimentale de David Lambert avec Olivier Gourmet, Dave Johns