mardi 31 mai 2022

BD - Mai 68 dans le Beaujolais en compagnie de "Ce garçon"


Maby, avocat, a décidé de raconter un pan de son enfance sous forme d’une bande dessinée illustrée par Valentin Maréchal. En plein Mai 68, le jeune Jean-Jean fuit Paris paralysé avec sa mère et ses deux sœurs. Réfugiés dans la grande maison de campagne du Beaujolais. 


L’occasion de découvrir les secrets de cette maman qui a perdu une jambe, fervente gaulliste et fumeuse invétérée. Le petit Jean, privé de ses amis qui eux vont toujours à l’école, surprend une nuit un géant dans la cuisine. Qui est cet ogre recherché par la police. Une belle histoire de solidarité et de résilience. .

« Ce garçon », Steinkis, 19 €

BD - Danse salvatrice pour aller "Au-delà des étoiles"

Troisième et dernier tome du premier cycle des aventures d’un groupe de hip-hop dans une ville qui ressemble fort à Carcassonne. Normal, la scénariste, CeeCee Mia réside dans la préfecture audoise. 

Dans ces 60 dernières pages dessinées par Lesdeuxpareilles (des sœurs jumelles canadiennes), le crew des Étoiles va sauver le quartier populaire où ils évoluent de promoteurs immobiliers avides. 

Les histoires d’amour vont se conclure ou naître et on espère que la petite bande de danseurs reviendra dans un second cycle. 

« Au-delà des étoiles » (tome 3), Dupuis, 12,50 €

lundi 30 mai 2022

BD - Quand la Mort se retrouve au chômage

Très intrigante histoire que ce comics de Ram V et Filipe Andrade. Toutes les morts de Laila Starr  se déroule dans un futur proche en Inde. Le jour où une jeune étudiante, Laila Starr meurt défenestrée, la déesse de la Mort apprend son licenciement. 

Dieu a décidé de tester l’immortalité pour les Humains.  Exactement c’est un certain Darius qui va découvrir un remède miracle. La Mort, redescend sur Terre, prend le corps de Laila et va tenter d’empêcher Darius de lui enlever son job. Un thriller qui glisse vers le conte philosophique. 

« Toutes les morts de Laila Starr », Urban Comics, 19 €


BD - Petites nouvelles de l’espace


El Diablo et Romain Baudy s’essaient à la SF courte et délirante. Ce Space Connexion propose quatre histoires complètes de rencontres entre humains et extraterrestres. Sans déflorer les fins, sachez que cela ne se termine jamais bien pour les premiers. 

La première histoire, Abduction, raconte l’enlèvement de brillants scientifiques par des aliens. Ils sont testés et malgré leur savoir immense, se trouvent finalement catalogués comme primates agressifs, justes bons à être dégustés au repas du soir.   

« Space connexion » (tome 1), Glénat, 15,50 €

dimanche 29 mai 2022

Roman - Duchess, la petite hors-la-loi

Entre thriller, polar et roman social, Duchess de Chris Whitaker est avant un grand roman américain, de ceux qui vous prennent aux tripes avec des personnages qui longtemps vont hanter votre mémoire. Il y a bien évidemment Duchess, l’adolescente qui donne son nom au livre, son frère, Robin et puis Walt, le flic qui tente d’avoir raison contre tout le monde, impuissant dans un monde qui ne tourne plus rond.

L’action se déroule à Cape Haven, une petite station balnéaire de Californie, perchée au bord du Pacifique. Premier drame : une petite fille disparaît. Son corps est retrouvé par Walt, encore enfant. Sissy est morte par la faute de Vincent King, le meilleur ami de Walt et amoureux de Star, la sœur de Sissy. Dans ce petit paradis, ce drame va durablement marquer les esprits. La suite du roman se déroule 30 ans plus tard. Vincent va sortir de prison. Walt est devenu le policier municipal de Cape Haven et Star, alcoolique, a deux enfants, Robin et Duchess. Cette dernière fait office de maman de substitution. Dure au mal, déterminée, elle s’accroche à une certitude : ses ancêtres étaient des hors-la-loi. 

Elle aussi sort du cadre, provoque, dynamite tout ce qui l’approche : « Duchess préférait Cape Haven en hiver, quand une certaine honnêteté décapait le vernis et laissait apparaître une petite ville ordinaire. Elle détestait les étés, longs, beaux, affreux. » Ce roman propose le meilleur portrait d’une adolescente depuis très longtemps. À la psychologie compliquée. « Le bruit flottait jusqu’à elle et lui glissait dessus. Elle avait cette capacité à se sentir complètement seule sur une plage noire de monde ou dans une classe remplie d’élèves. » 

Duchess qu’on aimerait pouvoir aider, protéger. Mais c’est une boule de nerfs qui n’a plus confiance en personne.  Duchess, qui tente de sauver sa mère du naufrage et de préserver son petit frère. Mais le retour de Vincent King va provoquer un nouveau drame. Le roman prend alors une dimension supplémentaire dans la douleur.

« Duchess » de Chris Whitaker, Sonatine, 23 €

Roman - Espions made in Gallimard

Les histoires d’espionnage ont lentement mais sûrement disparu du paysage littéraire français une fois la Guerre froide morte et enterrée. Pourtant le genre n’est pas totalement tombé dans l’oubli et connaît même une jolie renaissance chez Gallimard dans une collection dirigée par Marc Dugain. Un premier titre très actuel, sur la lutte des services secrets français contre les terroristes islamistes de Daech, avec un clin d’œil à l’Ukraine, l’un des personnages principaux étant originaire de ce pays, carrefour européen de tous les espions depuis des décennies. 

Des hommes sans nom est signé Hubert Maury et Marc Victor. Deux plumes qui connaissent particulièrement leur sujet. Le premier a longtemps été militaire puis diplomate, le second, journaliste, a longtemps été en reportage en Afghanistan et au Pakistan. Pour comprendre les enjeux de cette guerre secrète menée par ces « hommes sans nom », les auteurs imaginent les débuts dans la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) d’une jeune Française, Victoire Le Lidec. Une analyste qui sera formée par Nikolaï Kozel, ancien légionnaire intransigeant, son aîné de 20 ans. Ayant fui l’Ukraine avec sa mère, Nikolaï après quelques bêtises, s’est engagé dans la Légion. Il a servi son nouveau pays, est devenu Français et a intégré les services secrets. Une brillante carrière d’officier traitant, ternie par sa dernière affectation en Tunisie. Son meilleur agent infiltré est mort accidentellement en Libye. Depuis il végète à Paris, suspecté par sa hiérarchie d’avoir provoqué cet accident. Nikolaï va accepter d’aller avec sa mère en pèlerinage en Ukraine.

Nous sommes en 2017, le pays redevenu libre est bouillonnant. Il le redécouvre : « Ce qui pourrait définir cet univers physique, ce territoire, ce pays, se dit-il, ce serait une tonalité, une qualité de lumière, une couleur plus ressentie que réelle : une illumination, intense mais subtile, une noblesse sans afféterie, brute, bienveillante, un air, dans tous les sens du terme, l’atmosphère, le climat affectif… qui lui ferait éprouver par l’âme et par la peau, par le cœur et par les yeux, qu’il était bine d’ici. » Mais Kiev n’est qu’une étape vers Kaboul. 

Nikolaï est la pièce maîtresse d’une manipulation compliquée mise en place par Victoire. Il va devoir persuader un jihadiste repenti de permettre à une espionne française d’infiltrer une école coranique du Pakistan qui forme des kamikazes femmes. Sur le terrain, l’action s’accélère et se complique car, Victoire le constate à ses dépens, « Le facteur humain n’était pas un mythe. Une bombe à retardement aussi instable que de la nitroglycérine. » Les 50 dernières pages offrent un dénouement plein d’action et de retournements de situations. 

Un roman très réaliste, loin de James Bond ou d’OSS 117, beaucoup plus proche de l’excellente série télé du Bureau des légendes.

« Des hommes sans nom » d’Hubert Maury et Marc Victor, Gallimard, 18 €

samedi 28 mai 2022

BD - Austin en Écosse


Kathy Austin, héroïne imaginée par Léo et Rodolphe et dessinée par Marchal, poursuit son exploration de l’inexpliqué. Après des phénomènes observés en Afrique et en Amérique du Sud, la belle anglaise revient sur ses terres natales d’Écosse. 

Cette espionne d’un genre un peu particulier de la fin des années 40, est officiellement à Kilwood pour prendre possession d’un manoir légué par sa grand-mère. Mais très vite elle va être intriguée par des mystères attirant quelques espions dans les parages. 

Une aventure moins mouvementée, plus psychologique, qui lève un peu le voile sur la jeunesse de Kathy. Étonnamment il ne se passe pas grand-chose durant ces 46 pages, mais c’est passionnant et palpitant. Vivement la suite.

« Scotland » (tome 1), Dargaud, 12 €

BD - Campagne électorale dessinée au jour le jour


Véritable exploit des six dessinateurs qui ont suivi la campagne présidentielle de 2022 : ils ont sorti leur BD de 240 pages avant même la nomination du nouveau gouvernement d’Élisabeth Borne. C’est Mathieu Sapin, habitué du reportage politique qui a lancé et coordonné le projet. Mais au lieu d’y aller en solo, il s’est entouré de cinq collègues. Louison pour Anne Hidalgo et Christine Taubira, Dorothée de Monfreid pour Yannick Jadot, Kokopello pour Valérie Pécresse et Jean Lasalle, Lara pour Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel et Morgan Navarro pour Marine Le Pen et Éric Zemmour. 

Le patron s’est réservé le président sortant, Emmanuel Macron. Le tout, raconté chronologiquement, permet de comprendre une campagne du début à la fin. On commence avec les parrainages (au salon des maires), mais aussi les primaires quand il y en a. Kokopello, au passage, a eu chaud car Xavier Bertrand, le favori chez Les Républicains, semblait très hostile au projet. On revit les hauts et les bas de ces six mois, avec crise sanitaire et surtout guerre en Ukraine. On rit parfois, on comprend aussi ces artistes un peu perdus dans un monde politique impitoyable. Mais au final, on en apprend beaucoup plus sur l’élection qu’en visionnant des heures de débat langue de bois sur les plateaux des télés en continu.  

« Carnets de campagne », Dargaud - Seuil, 22.50 €

vendredi 27 mai 2022

BD - Rires historiques sous l'égide des Profs de Pica et Sti


Bien que son dessin ait un peu perdu de sa fluidité, c’est toujours un grand plaisir de retrouver un album dessiné par Pica. Celui qui a débuté sous le nom de Pierre Tranchand a connu le succès avec Les Profs. 

Un AVC l’a empêché de dessiner durant de longues années. Il a récupéré et peut de nouveau se mettre devant sa planche à dessin. Il a laissé la série originelle à Léturgie mais continue de raconter l’Histoire de France sous le prisme de l’éducation. 

Ce 2e volume propose des histoires écrites par Sti. On retrouve nos chers profs dans des versions préhistoriques, du temps de Charlemagne (l’inventeur de l’école, ne l’oublions pas), avec des Mousquetaires ou dans les tranchées. Jamais l’Histoire n’aura été aussi divertissante. 

« Les profs refont l’Histoire » (tome 2), Bamboo, 11,90 €

BD - Yoko Tsuno, toujours


Immense carrière que celle de Roger Leloup. A près de 90 ans il signe le 30e tome des aventures de Yoko Tsuno après avoir débuté dans les années 50 avec Jacques Martin (Alix) et Hergé. Si le trait est moins précis, les visages un peu modifiés, l’esprit de la série reste le même. 

La jeune japonaise reçoit un cadeau de ses amis Vinéens, les extraterrestres à peau bleue. Un vaisseau spatial avec lequel elle rejoint les anneaux de Saturne. Là, elle fera une découverte qui remettra en cause le passé des Vinéens. En plus d’explications techniques très précises et de vaisseaux d’une exceptionnelle beauté, on retrouve au sein de cette histoire le thème de la famille, toujours aussi cher à Roger Leloup. 

« Yoko Tsuno » (tome 30), Dupuis, 10,95 €

jeudi 26 mai 2022

BD - Guy Lefranc et les avions futuristes


Ce 33e titre des aventures du journaliste Guy Lefranc est directement inspiré du synopsis d’un scénario de Jacques Martin, le créateur de la série. C’est Seiter qui a finalisé le script et Régric s’est chargé de la mise en images. 

En 1940, alors que les divisions blindées allemandes déferlent sur la France, deux avions détruisent les chars nazis. 16 ans plus tard, Lefranc est chargé par son rédacteur en chef d’enquêter sur cet exploit militaire oublié et de retrouver un des avions qui s’est abîmé dans un étang dans l’Est de la France. Mais l’armée française va tout faire pour que Le scandale Arès (titre de l’album), ne soit pas révélé dans la presse. 

Une aventure qui allie Histoire et futurisme. 

« Lefranc » (tome 33), Casterman, 11,95 €

BD - Bulles d’espoir dans le désert de Liu Cixin


Nouvelle adaptation en BD d’un texte de Liu Cixin, écrivain chinois qui bénéficie d’une collection à son nom. Valérie Mangin (scénario) et Steven Dupré (dessin), proposent Pour que respire le désert, un texte autour du réchauffement climatique. Dans un futur proche, la Chine s’étouffe. L’eau devient rare. 

Des utopistes tentent de créer une nouvelle ville au Nord-Ouest, mais la sécheresse fait capoter le projet. 

Pensant que son père tente de trouver des solutions pour sauver la ville nouvelle, sa fille, Yuanyuan préfère jouer à faire des bulles de savon. Jusqu’à devenir une scientifique réputée et utiliser ces bulles pour sauver le climat. 

Un récit inventif et optimiste. 

« Pour que respire le désert », Delcourt, 17,95 €

mercredi 25 mai 2022

DVD - "355", union musclée d’espionnes

Les films d’action et d’espionnage sont souvent d’énormes clichés de testostérone et de machisme. Et mettent en vedettes des hommes qui consomment les femmes comme d’autres des cacahuètes à l’apéro. 355, film de Simon Kinberg qui vient de sortir en DVD et blu-ray chez M6 Vidéo, prend le contre-pied total de cette réalité. Son film s’appuie sur un casting exclusivement féminin. Des espionnes essentiellement, venues des quatre coins de la planète et interprétées par des stars comme Jessicca Chastain, Diane Kruger, Penélope Cruz, Lupita  Nyong’o et la Chinoise Bingbing Fan. 

Le scénario, assez monotone, explique comment ces femmes, d’abord adversaires, vont s’unir pour récupérer une arme technologique redoutable. Le film va encore plus loin dans la sororité puisqu’on s’aperçoit au fil des rebondissements que les hommes sont généralement vénaux et très prompts à la trahison. 

L’action se déroule en partie à Paris. L’équipe américaine a trouvé des décors originaux qui donnent une autre image de la capitale. Vous pourrez aussi assister à de belles bastons au Maroc et en Chine.

Roman - L’adieu à sa mère

Nous sommes de plus en plus à devoir affronter le vieillissement de nos parents. Leur perte d’autonomie nous transformant en garde-malades. Caroline Lamarche raconte dans ce récit la fin de vie de sa mère. 

Une femme qui ne peut quasiment plus bouger, devenue aveugle mais qui vit toujours seule dans sa grande maison. Entre souvenirs des jours heureux (quand la mère s’occupait de ses ruches) et description minutieuse de cette longue agonie, la romancière belge explique le pourquoi de cette confession : « Comme je marche, j’écris. J’écris pour tenir le choc du vieillissement accéléré de ma mère. J’écris pour être, avec elle, plus douce. »

« La fin des abeilles » de Caroline Lamarche, Gallimard, 18 €

mardi 24 mai 2022

Série télé - "Baraki" et "Clan" : plus belge la vie


La Belgique, avec l’Angleterre, a toujours eu un humour très particulier. Une certaine noirceur teintée d’un désespoir latent, comme pour mieux dédramatiser une situation sociale calamiteuse, une météo peu clémente et un environnement dépressogène. Deux exemples sont en ce moment à l’affiche sur des plateformes de streaming : Baraki, série récente en français sur Netflix et Clan, datant de 2012, en flamand, et proposée par Arte.tv. 

Un Baraki, en Belgique, est un peu le Gabatch des Catalans ou l’Ariégeois des Toulousains. On est pas loin de l’insulte. Les Barakis, espèce typique de la Belgique, sont une partie de la population la plus pauvre, la moins instruite, la plus rustre. La série en 20 épisodes de Julien Vargas et Peter Ninane raconte le quotidien de la famille Berthet, de purs Barakis. Il y a la mère, ses trois fils, la fille et la grand-mère. Le ressort comique est essentiellement porté par un des fils, Didier (Pierre Nisse), qui accumule gaffes et bévues. Chômeur professionnel, il vit un peu aux crochets de sa petite amie Cynthia (Laura Sepul), coiffeuse, seule à avoir un emploi… 

Didier trempe dans nombre de magouilles, malgré une inefficacité totale quand il s’agit de voler ou d’arnaquer les bourgeois. Le grand frère, Yvan (Julien Vargas), est le roi des mythomanes. Il passe son temps à inventer des histoires à dormir debout. Yvan le plus sympa de la bande, souvent victime de sa famille, qui va devenir papa après sa rencontre avec Nathalie, la fille de la grande bourgeoise qui l’emploie, au black, pour entretenir son jardin. Se greffe sur ce duo une sœur lesbienne experte en boxe, un petit dernier fan de musique électronique, sa copine gothique, des fans de tuning et une grand-mère accro au téléshopping. 

On y parle de coupe mulet, de fricadelles, d’écrans plats tombés du camion ou de descente des services sociaux. Mais si on rit des excès des Barakis, on apprécie surtout leur humanité. Ils vivent simplement, sans se soucier du regard des autres. Une philosophie comme une autre. 

Sur Arte c’est le pan flamand de l’humour belge qui est mis en lumière avec Clan de Malin-Sarah Gozin. Encore une histoire de famille entre les cinq sœurs Goethals. Devenues adultes, elles continuent à se voir régulièrement. Sauf celle qui est mariée à un odieux homme. Solution trouvée par les quatre autres : éliminer l’importun. Là aussi, c’est de l’humour belge très noir qui est proposé aux spectateurs français qui manquent un peu de cette denrée dans la production télévisuelle nationale. 

 


Roman. Olivia Ruiz raconte Carmen dans « Écoute la pluie tomber »

Escota quand plóu en occitan, Écoute la pluie tomber en français, tel est le titre du second roman d’Olivia Ruiz. L’Audoise, après le succès fulgurant de son premier livre témoignage, la commode aux tiroirs de couleur, prolonge l’histoire romancée des femmes de sa famille. On retrouve Rita, le café de Marseillette mais surtout Carmen, personnage central de cette histoire qui va de Narbonne aux environs de Madrid, parle de danse, de tauromachie, de traversée de l’Atlantique en paquebot et de mort prématurée. Carmen, une de sœurs Ruiz, est la plus libre. Elle se rend utile en nettoyant l’hôtel-restaurant de Marseillette, et profite de la vie en se donnant aux garçons de la région. Une féministe indépendante avant la lettre. Pas forcément heureuse de son sort, mais trop humaine pour rejeter cette vie familiale. 

« Ce café c’est aussi le mien. C’est là que j’ai commencé à dévorer la vie avec mon appétit d’ogresse. […] J’essaie de m’en extraire, mais il est irrésistible, ce café, avec sa galerie de gueules cassées. Ce sont des figures. Des atypiques. Des authentiques. Chargés de leur terre, d’une histoire. Et riches des enseignements qu’elles leur ont laissés. » 

Il y a donc toute une partie sur cette Aude si attachante dans le roman. Mais la vie de Carmen bascule quand un matador madrilène fait étape à l’hôtel. Elle partira avec lui, vivre quelques mois dans son hacienda où il forme des jeunes, élève des toros… et trafique avec la mafia. Elle finira en prison. Pas facile les geôles pour femmes sous Franco. C’est la partie dure du roman, même si Carmen en ressort radicalement changée : 

« J’ai beaucoup lu. Moi qui suis peu causante et qui ne m’intéressais à rien ni personne, ça m’a permis de rester en vie. De ne pas céder aux idées noires qui m’envahissaient. » 

Ensuite, à son retour à Marseillette, Carmen va retrouver le petit Escouto. Un gitan, quasiment muet qui ne sait dire que « Escota quand plóu » d’où son surnom, qui a longtemps travaillé sur un paquebot. Malgré la différence d’âge, c’est une belle histoire d’amour qui se noue avec Carmen. Une note d’espoir dans un roman plein de bruit, de fureur et de passion.

« Écoute la pluie tomber » d’Olivia Ruiz est publié chez Lattès et coûte 19,90 €

lundi 23 mai 2022

Série télé - Stranger Things, encore plus noire et effrayante


Disponible depuis vendredi sur Netflix, la première partie de la saison 4 de la série Stranger Things a tout pour devenir le succès estival de ces vacances. Sans dévoiler les principaux ressorts de l’intrigue, sachez que Netflix, pour faire durer le plaisir (et monnayer les abonnements), propose les 9 épisodes en deux volumes. 

Vous pouvez découvrir dès à présent les 7 premiers, mais vous devrez attendre le mois de juillet pour découvrir les deux volets finaux. Première surprise, la scène d’ouverture se déroule dans le passé, quand Onze/Elfe était une enfant cobaye dans le centre secret qui tentait de développer ses capacités psychiques hors normes. On la retrouve ensuite en Californie adolescente, durant ces années 80 si nostalgiques, tentant de retrouver une vie normale. 

D’une façon générale, cette 4e saison marque la scission du groupe en plusieurs parties. Il y a le groupe resté à Hawkins dans l’Indiana, les Californiens et le pauvre Hopper, propulsé dans un goulag russe. Trois arcs en parallèle, assez équilibrés et surtout l’arrivée d’un nouveau grand méchant à Hawkins qui va permettre aux créateurs de la série, les frères Duffer, de distiller une bonne dose d’angoisse et d’images terrifiantes. Les fans ne seront certainement pas déçus.

 


BD - Bug final pour Bilal


Trois ans après la sortie du tome 2, voici enfin le 3e volet de Bug, série de SF d’Enki Bilal. Dans un futur proche (2042), tout ce qui est numérique ne fonctionne plus. La société s’écroule littéralement. 


Seul espoir : un homme, un astronaute de retour de l’espace, marqué par la couleur bleu et qui peut réparer les connexions. Cette 3e partie intrigue par des séquences dignes de la prémonition : il y est question d’un nouveau tsar et les entretiens se font autour d’une table immensément longue. 

« Bug » (tome 3), Casterman, 18 €

dimanche 22 mai 2022

Cinéma - Deux hommes, deux femmes, deux films


Deux des films français en compétition officielle ou présenté en première au festival de Cannes sont sortis cette semaine en salles. Deux œuvres ambitieuses s’appuyant sur des comédiens investis, des oppositions entre homme et femme. Si Frère et sœur d’Arnaud Desplechin explore la haine entre Marion Cotillard et Melvil Poupaud, Don Juan de Serge Bozon est une variation sur la séduction avec Virginie Efira et Tahir Rahim.

Que s’est-il passé durant l’enfance de Louis (Melvil Poupaud) et Alice (Marion Cotillard) ? Ils se détestent au point de ne plus supporter d’être ensemble dans la même pièce. Aujourd’hui adultes, la grande comédienne et le romancier provocateur restent irrémédiablement sur leurs positions. Même quand leurs parents meurent. Bloc de haine et d’incompréhension, le film d’Arnaud Desplechin nous questionne profondément sur nos rapports avec la famille. Sur nos blessures inguérissables aussi. La tension, la haine, entre frère et sœur donne une ambiance lourde à cette histoire de rupture. Un film magnifié par deux comédiens au sommet de leur art. Marion Cotillard, loin de ses ratés américains, retrouve toute la subtilité de ses débuts. Sa fragilité aussi, cachée par une rudesse de façade. Melvil Poupaud, encore plus atteint, plus déchiré par cette situation, est plus qu’à la hauteur de sa partenaire.

Virginie Efira  se démultiplie

Don Juan de Serge Bozon n’est pas en compétition. Présenté dans le cadre de Cannes Première, le film est sorti ce lundi. Un homme, une femme : le schéma est classique pour ce drame qui flirte avec la comédie musicale. Laurent (Tahir Rahim), comédien, va se marier avec Elise (Virginie Efira). Mais sur le seuil de la mairie, elle fait marche arrière. Désespéré, le comédien tente de séduire toutes les femmes qu’il croise. Car elles ressemblent à Elise. Mais ce n’est pas parce qu’il interprète Don Juan qu’il a du succès. Cette légende inversée (l’homme est rejeté par les femmes), est un peu laborieuse. Virginie Efira est merveilleuse de duplicité, Tahir Rahim moins à l’aise dans ce rôle d’homme déstructuré.

Frère et sœur, film français d’Arnaud Desplechin avec Marion Cotillard, Melvil Poupaud

Don Juan, film français de Serge Bozon avec Virginie Efira et Tahir Rahim 

BD - Chocolat amer pour "Les damnés de l'or brun"


Le cacao est une matière première qui permet de survivre à des millions de travailleurs en Afrique. Salaires de misère contre profits records des actionnaires des grands groupes. Mais c’est déjà mieux qu’au début de l’exploitation de cet « or brun » puisque les fèves étaient cultivées et récoltées par des esclaves. 

Une histoire peu glorieuse racontée par Alcante et Rodhain avec Vallès au dessin. Dans l’esprit des Maîtres de l’orge, c’est aussi la saga (prévue en trois tomes) d’une famille, les Da Costa Bourbon et d’une esclave, Maira.  

« Les damnés de l’or brun » (tome 1), Glénat, 14,95 €

samedi 21 mai 2022

DVD - La pièce rapportée, de l'amour à l'humour

DVD et Blu-ray. « La pièce rapportée » (Diaphana vidéo) d’Antonin Peretjatko est une comédie désopilante. En décidant de se moquer des très riches bourgeois qui vivent entre eux, cloîtrés dans des hôtels particuliers parisiens, le réalisateur de La loi de la jungle, force le trait de la caricature. 

Josiane Balasko interprète la très guindée et paralysée (elle est en chaise roulante après un accident de chasse à courre) Adélaïde Château-Têtard, veuve d’un industriel qui a fait sa fortune en travaillant avec nombre de dictateurs. Le second est son fils, Paul (Philippe Katherine), quadra célibataire, rivé à son smartphone, à jouer à des jeux débiles. 

Quand Paul décide d’épouser Ava (Anaïs Demoustier), guichetière dans le métro, la reine mère déprime. Une comédie, très visuelle, bourrée de références, foisonnante et hilarante.

BD - Légende pirate


Loin de n’être que des bandits sanguinaires, les pirates représentent aussi une certaine forme de liberté et de démocratie. Ces marins mutinés ont souvent tenté de mettre en place des sociétés égalitaires. 

C’est une de ces utopies qui est au centre du gros et remarquable roman graphique de 224 pages écrit par Vincent Brugeas et dessiné par Ronan Toulhoat. 

Le combat dans cette mer des CaraÏbes, vers 1718, d’un pirate, Olivier de Vannes et d’une femme noire, n Maryam, reine d’un peuple d’esclaves en mal de vengeance.

« La république du Crâne », Dargaud, 25 €


vendredi 20 mai 2022

DVD - Les "Tromperies" selon Desplechin et Philip Roth


DVD et Blu-ray.
Philip Roth, écrivain juif américain, est le personnage principal de « Tromperie » (Le Pacte Vidéo) film d’Arnaud Desplechin, tiré du roman du même nom sorti en 1990. Philip (Denis Podalydès), écrivain originaire de New York, vit en exil à Londres. Il quitte sa femme (Anouk Grinberg) tous les matins pour rejoindre un studio qui lui sert de bureau. Là, il écrit. Il passe surtout des heures en compagnie de sa maîtresse anglaise (Léa Seydoux). Ils font l’amour et parlent. 

Léa Seydoux, lumineuse, d’une beauté incandescente dans les bras de son romancier qui sait si bien l’écouter, alterne moments de pur bonheur (quel sourire craquant), à d’autres de tristesse infinie. Car Philip, tout en lui conseillant de divorcer, de quitter son mari qu’elle n’aime plus, ne peut rien lui offrir que ces moments de plaisirs charnels doublés de longues discussions.

BD - Détective à marier


Le détective privé créé par Dodier, Jérôme K. Jérôme Bloche va-t-il se marier ? Oui dans ce 28e tome très dense (70 pages) mais pas avec sa fiancée de toujours, Babette. La scène d’ouverture le voit accepter la main d’une certaine Rebecca. Cérémonie interrompue par Babette, armée d’un couteau et bien décidé à reprendre son amoureux. 


Cette aventure dévoile une facette de la personnalité de Jérôme assez méconnue : il peut tout à fait se faire manipuler à cause de sa trop grande naïveté. Mais Babette veille.

« Jérôme K. Jérôme Bloche » (tome 28), Dupuis, 13,95 €

jeudi 19 mai 2022

Cinéma - Bruce Willis, du meilleur au pire


L’évolution de la carrière de certaines stars d’Hollywood n’est pas à l’image de leurs débuts. L’exemple de Bruce Willis est un cas d’école. Lui qui vient d’annoncer qu’il ne tournerait plus pour des raisons de santé, est apparu ces cinq dernières années dans une cinquantaine de productions de piètre qualité, autant de cachets faciles à encaisser pour un comédien qui a fait fructifier jusqu’au bout sa popularité, au risque de se perdre dans des navets d’anthologie. 

Tout débute quand ce bad boy, révélé dans Clair de Lune, une série télé très sarcastique, explose littéralement dans la franchise Die Hard (Piège de cristal). Il enchaîne ensuite quantité d’excellents films avec des cinéastes de renom. Bruce Willis, une super-star des années 80-90 qui tape dans l’œil de Tarantino, M. Night Shyamalan, Michael Bay ou Luc Besson. Peu de déchets dans une carrière éclectique, du thriller à la SF en passant par la comédie. Avec des rôles qui resteront dans l’histoire du cinéma américain comme ce psychiatre dans Sixième sens qui discute avec ce qu’il croit être le fantôme d’un enfant. Ou en interprétant James Cole, homme qui doute dans un futur sinistre imaginé par Terry Gillian dans L’armée des 12 singes. 

Pourtant au fil des ans, les bons rôles se raréfient. La bascule semble se faire en 2006. Il est du générique de 7 longs-métrages. Il commence à privilégier le nombre à la qualité. Bruce Willis est aussi moins regardant sur les scénarios. Il commence à devenir la caricature de lui-même. Pratique car cela demande un minimum de travail. Même en endossant le rôle principal, les durées de tournages se réduisent. 

Ensuite ce sera la course au chiffre. Souvent dix films par an, avec un record de onze en 2021. Du pain béni pour les plateformes de streaming qui mettent toujours le nom du comédien en exergue, oubliant de préciser que les films sont dramatiquement médiocres pour ne pas dire totalement nuls. Sur Prime Vidéo, on peut découvrir, plus pour la curiosité que le plaisir, Anti-life, film de SF signé John Suits, sorte de sous-alien fauché, où Willis dégomme du monstre avec un lance-flammes dans un vaisseau spatial en perdition. Plus terre à terre, Fortress de James Cullen Bressack. Bruce Willis y est un agent secret à la retraite qui doit reprendre du service (rien à voir avec Expendables…). Quitte à découvrir Bruce Willis dans sa version caricaturale de héros primaire bas du front, autant profiter sur Netflix de Planète Terreur de Robert Rodriguez. C’est du mauvais Bruce Willis, mais dans un bon film.

Roman - 666, l’histoire du Sphinx

Que restera-t-il des deux quinquennats d’Emmanuel Macron. Alors qu’il vient d’être investi hier pour son second mandant, c’est un autre président de la République, François Mitterrand, lui aussi élu à deux reprises, qui se retrouve au centre du second thriller signé Jérémy Wulc. L’action se déroule pourtant de nos jours. Sur le parvis lu Louvre, à quelques mètres de la fameuse pyramide, le corps d’une jeune touriste japonaise est découvert. Si elle est morte noyée, l’homicide ne fait aucun doute au vu des blessures infligées sur son corps. 

Avec un scalpel, l’assassin a pris le temps de graver à même la chair le chiffre de « 666, un pentagramme, et sur le côté, le compas et l’équerre, les symboles maçonniques. » Début tout en horreur pour cette enquête menée par Stanislas Diaminck. Ce policier très expérimenté est à la dérive. Il adore son boulot. Au point qu’il a négligé sa famille. Quand sa femme le quitte avec pertes et fracas en emmenant avec leurs deux enfants, il prend conscience combien il passait à côté de sa vie. Depuis il ne dort plus, passe ses nuits dans sa voiture, devant le nouvel appartement de son ex, à regarder, désespéré, ses fils partir à l’école. Cette enquête devrait le remettre en selle. Même si la pression est maximale car la jeune morte est la fille d’une sommité nipponne. 

Problème, dès le lendemain, un autre corps est découvert, avec les mêmes signes macabres, dans le réseau d’évacuation d’eau des colonnes de Buren. Un tueur en série qui risque de paniquer la capitale et faire beaucoup de dégâts dans le milieu très lucratif du tourisme culturel parisien. 

Justine chez les satanistes

Ce polar, assez classique dans son intrigue, devient plus original dans sa distribution. En plus du dépressif et très destroy Stan, on retrouve son adjoint, Khalid, jeune, compétent et dévoué. S’y ajoute une jeune policière, repérée par Stan sur la seconde scène de crime, Justine. Un sacré caractère qu’il décide, sur un coup de tête, d’intégrer à l’enquête. Le trio, très complémentaire, va se partager les pistes. Stan chez les Francs-Maçons, Justine dans les milieux satanistes qui vénèrent le diable et son chiffre, le 666. 

Quasiment deux romans en parallèle, qui n’ont parfois plus rien à voir l’un avec l’autre. Mais finalement la piste de François Mitterrand va permettre à Stan de résoudre l’affaire. Un héros sombre par certains côtés (son divorce, ses envies de suicide), mais si attachant par d’autres quand il compense son mal-être à coups de kebabs, de hamburgers et de litres de sodas. Reste le cas de Justine. Elle aussi fait partie de ces héroïnes qui marquent dans ce genre de littérature. 

Reste à savoir si Jérémy Wulc décidera d’en faire un personnage récurrent. Malgré quelques indices contraires, le lecteur ne peut qu’en avoir envie.     

« 666 » de Jérémy Wulc, Pygmalion, 19,90 €


mercredi 18 mai 2022

Série télé - Jane the virgin, fausse télénovela, vraie comédie

Certaines séries télé américaines cachent bien leur jeu. On pense être face à une énième variation sur les amours compliquées d’une jeune Américaine typique alors que se cache derrière une intrigue teintée de rose une comédie loufoque, caustique et totalement foutraque. 

Si Jane the virgin en est à sa 5e saison, ce n’est pas pour sa romance sans fin mais pour l’originalité de l’histoire, de la narration et des personnages. Sans oublier la facétie des scénaristes qui semblent s’amuser comme des fous à imaginer des rebondissements incroyables, pires que les trouvailles des feuilletonistes français du début du XXe siècle. Jane Villanueva (Gina Rodriguez) vit le parfait amour avec Michael (Michael Cordero Jr). Elle est serveuse dans un grand hôtel à Miami, lui policier. Amis d’enfance, ils sont en couple depuis trois ans, mais à la demande de sa grand-mère, Jane entend préserver sa virginité pour sa nuit de noces. 

La vie de Jane bascule quand une gynécologue, au lieu de lui faire un frottis, l’insémine avec la semence de Rafael (Justin Baldoni), le patron de l’hôtel. Une vierge enceinte ! Dans la communauté hispanique de Floride ! Alléluia ! La suite est une caricature des télénovelas d’Amérique du Sud, avec intrigue policière à rebondissements et histoires d’amour contrariées. Car Jane, enceinte de Rafael, va se découvrir des sentiments pour ce beau gosse très riche. Pas étonnant quand on découvre qu’il est marié à une méchante de la pire espèce, interprétée par Yael Grobglas, excellente actrice franco-israélienne.

 Cinq saisons plus tard et une centaine d’épisodes tous disponibles sur Netflix, les fans se demandent s’il y aura un jour une 6e et dernière partie à cette série définitive hors normes. 

 

Polar - De si bonnes mères

Céline de Roany vit en Australie. Mais elle est originaire de la région de Nantes, décor des aventures de Céleste Ibar. Cette policière marquée par la vie, pour sa seconde enquête, découvre les charmes de la Brière, un marais très touristique. Une jeune femme vient d’y être découverte assassinée. Comme il y a des similitudes avec un premier meurtre dont s’occupe Céleste, elle hérite de l’affaire. Mais en duo avec les gendarmes locaux.  L’entente est compliquée. Pourtant tout avance rapidement et dans ce petit milieu où tout le monde se connaît, un suspect est interpellé. Reste le mobile. Et surtout la découverte de fœtus de bébés. Et si la maternité était la cause de ce déferlement de violence ?  Un polar parfaitement documenté, crédible et plein de rebondissements. Avec une héroïne de plus en plus attachante.

« De si bonnes mères » de Céline de Roany, Presses de la Cité, 21 € 

mardi 17 mai 2022

Cinéma - “Les folies fermières” : un joyeux cabaret rural

De la botte de paille au flacon de paillettes, tout est bon pour sauver l’agriculture française.


Le monde agricole se meurt. Cette réalité impitoyable, si bien expliquée dans Petit Paysan, est au cœur d’un autre film sur ce sujet. Mais le réalisateur, Jean-Pierre Améris, dans Folies fermières, traite le sujet avec une bonne dose d’optimisme en s’inspirant d’une histoire vraie.

Dans le Cantal, l’exploitation de vaches laitières  de David (Alban Ivanov) est sur le point d’être placé en liquidation judiciaire. Il obtient du juge une ultime chance, deux mois de sursis au cours desquels il doit prouver la rentabilité de l’affaire. Très déprimé, après une tournée des bars d’Aurillac, il tombe par hasard sur une petite salle de spectacle proposant magie et danseuses. C’est l’illumination pour ce trentenaire trop longtemps considéré comme un rêveur par son grand-père (Guy Marchand). Il va transformer la grande grange inutilisée en cabaret, le premier implanté en pleine campagne. Ce seront les Folies fermières, mais il va falloir aller vite et surmonter nombre d’obstacles.

Casting improbable

Pour la partie artistique, il persuade  Bonnie (Sabrina Ouazani) de s’impliquer dans l’aventure. Sans doute la partie du film la plus comique. Car cette danseuse, toujours en minijupe et talons hauts, découvre boue, fumier et toiles d’araignée. Ce n’est pas son monde. David devra batailler pour la persuader. Et c’est ensemble qu’ils vont recruter les « talents » locaux qui vont constituer l’affiche du spectacle. Une magicienne muette, des danseuses jumelles désaccordées, un hypnotiseur souffrant de narcolepsie et un travesti qui chante du Dalida, mais que les chansons tristes car il trouve trop kitsch la période disco (un comble…). 

Bref il y a du travail, mais à force de répétitions, de sacrifices et de volonté, la mayonnaise va prendre et David va pouvoir entraîner dans son projet sa mère (Michèle Bernier) et son ancienne petite amie, Laetitia (Bérengère Krief), coiffeuse à domicile. Alban Ivanov domine de la tête et des épaules ce film humain et positif. Sa bonne bouille de candide est parfaitement adaptée à ce personnage d’agriculteur, fier de son métier, mais conscient que pour s’en sortir, de nos jours, il faut forcément s’adapter et faire des concessions. Une évolution inacceptable pour le grand-père, seul grain de sable dans la belle mécanique, dernier représentant de cette vieille école paysanne rétrograde et hostile à tout changement.

"Folies fermières", film français de Jean-Pierre Améris avec Alban Ivanov, Sabrina Ouazani, Michèle Bernier, Bérengère Krief

De choses et d’autres - Eurovision tripatouillée

Je n’ai pas regardé, ce samedi, le concours de l’Eurovision. D’abord, car je ne suis pas très chanson. Aussi, car si, durant quelques années, je me suis délecté de visionner au second degré ce show grotesque, persuadé que la majorité des millions de téléspectateurs avaient le même état d’esprit que moi, j’ai finalement compris que non ; le public apprécie au premier degré ces musiques formatées, ces chorégraphies ridicules et ce nationalisme à tous crins qui embrigaderait la culture.

Et puis, de toute manière, ce n’était pas la peine de regarder cette année puisque tout le monde savait qu’à la fin, c’était l’Ukraine qui l’emporterait.

Pourtant, dès le dimanche, des voix se sont élevées, en Europe, pour crier à la tricherie. La Roumanie, par exemple, a expliqué que son vote a été modifié. Les fameux 12 points (« twelve points ») avaient été normalement attribués à la Moldavie. Mais le jury de l’Eurovision, ayant détecté une possible manipulation avec « certains schémas de vote irréguliers », a modifié le résultat. Six pays ont vu leur classement rectifié. Au profit de l’Ukraine qui devait, quoi qu’il arrive, être déclarée gagnante. Un tripatouillage qui n’honore pas l’Europe, à l’heure de la chasse aux fake news, aux tentatives de manipulation de l’opinion.
Dans cette Eurovision 2022, une seule chose n’a pas changé, les candidats français ont terminé dans les profondeurs du classement. Pour l’emporter une nouvelle fois (remember Marie Myriam et son Oiseau et l’enfant), il ne reste qu’une solution : que l’Espagne, l’Italie ou la Belgique nous déclarent la guerre et tentent de nous envahir.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le vendredi 20 mai 2022

lundi 16 mai 2022

Cinéma - Les clichés de l’amour

"On sourit pour la photo", film français de François Uzan avec Jacques Gamblin, Pascale Arbillot, Pablo Pauly, Agnès Hurstel


Les comédies françaises sur la famille inspirent toujours autant les scénaristes. Cette fois c’est François Uzan qui écrit et réalise On sourit pour la photo, chronique d’un divorce annoncé et de vacances catastrophiques en Grèce. Un film un peu déstabilisant par moments, passant de la grosse rigolade efficace aux séquences émotion plus laborieuses. 

Dans la famille Hamelin, le père, Thierry (Jacques Gamblin), jeune retraité, cherche à s’occuper. Il se lance donc dans la numérisation de toutes les photos de famille. Une marotte qui a le don de prodigieusement énerver son épouse, Claire (Pascale Arbillot), médecin toujours en activité qui se découvre mariée à un homme ayant perdu toute son originalité. Les enfants aussi, devenus adultes, trouvent ce papa pénible. Quand Claire annonce à Thierry son intention de divorcer, il décide le tout pour le tout afin de reconquérir son épouse et retrouver la joie d’antan. Il tombe sur une photo d’eux quatre en Grèce lors de vacances en 1998. Il décide d’organiser le même périple estival, 20 ans plus tard. 

Le ressort comique doit beaucoup aux enfants. Karine (Agnès Hurstel), avocate, sérieuse et bosseuse, fiancée avec son amour d’enfance, posé et sentencieux, est l’exact opposé d’Antoine (Pablo Pauly), éternel ado tentant de lancer des start-up improbables tous les trois mois. Voulant respecter à la lettre le voyage de 1998, Thierry va devoir faire face à la révolte du reste de la famille. Pour tenter de s’en sortir, il va se lancer dans une spirale de mensonges aux lourdes conséquences. 

Loin d’être transcendant, ce premier film est gentil, parfois comique (merci Pablo Pauly, Agnès Hurstel et Ludovik dans le rôle du fiancé de Karine), mais ressemble souvent un peu trop à une sorte de film publicitaire décalé pour la Grèce, ses plages, ses restaurants et (un peu moins) ses hôtels.

De choses et d’autres - Nourriture évolutive

Quand on fait des métiers peu glorieux, il suffit parfois d’en changer l’orthographe pour en redorer le blason. A Montreuil, un jeune restaurateur a décidé de lancer son affaire. Mais comme ses compétences culinaires semblent assez limitées, il se contente d’ouvrir un énième kebab. Comment, dès lors, se démarquer de ses milliers de concurrents qui, eux, ont déjà pignon sur rue ?

Simple, il suffit de placer la barre de viande à l’horizontale, de nommer le restaurant Horizontal et de préciser en lettres très classes à côté sur la devanture : « artisan quebabiste ». Rien à voir avec le kebab : chez Horizontal, on sert des quebabs artisanaux à la viande cuisinée dans une cheminée, tel un gâteau à la broche aveyronnais. La diffusion sur les réseaux sociaux de la photo de la devanture du restaurant a été beaucoup commentée, permettant au génial « artisan quebabiste » de bénéficier d’une campagne publicitaire.

L’idée est si bonne qu’il serait idiot de ne pas la décliner, pour surfer sur la vague de la gastronomie renommée. J’imagine parfaitement un restaurant en spécialités anglaises servant des « Fiches Andes Ships » soit du poisson pané et des frites, mais présentés dans des fiches bristol fabriquées en Colombie et pliées en forme de petit bateau.

Accepteriez-vous de goûter à une Pizza Princesse ? C’est comme une pizza reine, mais un peu plus jeune, moins cuite quoi…

Et dans l’Aude, attendez-vous à voir arriver sur les tables sélectes le K-soulet. Comme le plat typique de Castelnaudary, mais avec des haricots et des saucisses en provenance de Corée. À déguster, en écoutant de la K-pop, évidemment.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le jeudi 19 mai 2022

dimanche 15 mai 2022

Cinéma - Les belles années des “Passagers de la nuit”

À quoi ressemblait  la famille dans les années 80 ? Réponse avec "Les passagers de la nuit", très beau et très sensible film de Mikhaël Hers.


La nostalgie, camarade ! Les passagers de la nuit, film de Mikhaël Hers, s’ouvre le 10 mai 1981, soir de l’élection de François Mitterrand. Sans doute la dernière fois que le France, toutes origines confondues, était en fête. Depuis il y a eu d’autres victoires, mais pas de fête. Encore moins de grand soir. La politique est omniprésente dans cette histoire qui dépeint une famille parisienne dans ces insouciantes et très optimistes années 80. Pourtant, rien ne va plus dans la vie d’Élisabeth (Charlotte Gainsbourg), la mère de deux grands adolescents, Mathias (Quito Rayon Richter) et Judith (Megan Northam). 

Son mari vient de la quitter. Elle se retrouve seule dans cet immense appartement d’une encore plus grande tour du quartier de Beaugrenelle. Une mère au foyer qui va devoir rapidement trouver du travail. Grande insomniaque, elle va tout simplement solliciter Vanda (Emmanuelle Béart), l’animatrice de l’émission de confidences nocturnes “Les passagers de la nuit” qu’elle écoute régulièrement. C’est là, alors qu’elle filtre les appels au standard, qu’elle va rencontrer Talulah (Noée Abita), une jeune un peu paumée, allant de squat en squat. Elle va lui proposer une chambre et agrandir temporairement la famille. 

Après le très remarqué Amanda, avec Vincent Lacoste, Mikhaël Hers récidive dans la chronique sociale. Mais en plaçant son récit dans ces années 80 (de 1981 à 1988 exactement, un septennat…), il offre également à nombre de spectateurs une appréciable bouffée de nostalgie. Que la vie était simple et pleine d’opportunités à cette époque. Élisabeth, avec son don pour l’écoute des autres, va s’épanouir à la radio.  

Mathias peut se rêver en poète ou écrivain. Il a un emploi alimentaire mais propose toujours ses écrits aux maisons d’éditions, attendant avec impatience les réponses par courrier. Judith poursuit ses études et a envie de faire de la politique. A gauche évidemment. Quant à Talulah, petit oiseau fragile, elle va se reposer dans ce havre de paix, mais ses démons intérieurs la font culpabiliser de ce bonheur qu’elle estime ne pas mériter. Quatre parcours de vie typiques de ces années 80, libres et enthousiastes, une période que le réalisateur regrette tant de ne pas avoir vécu à l’âge de Mathias ou Judith. 

Film de Mikhaël Hers avec Charlotte Gainsbourg, Quito Rayon Richter, Noée Abita, Emmanuelle Béart

De choses et d’autres - Ne pas dépasser les bornes

La nomination d’Élisabeth Borne à Matignon a suscité une déferlante de réactions. Rarement favorables, il faut bien le reconnaître. Car dans la masse de commentateurs encartés de la politique française, il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes. Or, pour ces derniers, la nomination de l’ancienne ministre du Travail au poste de chef du gouvernement est, avant tout, un coup de griffe à leurs privilèges.

D’entrée, le communiqué de l’Élysée a parlé de « Première ministre ». Une féminisation de la fonction qui en dit long et que beaucoup ont eue toutes les difficultés à appliquer. Mais en ces temps de parité et d’égalité, difficile de s’attaquer frontalement au genre de la Première ministre. Alors, ils se sont lâchés en trouvant quantité de jeux de mots ou références se voulant comiques autour du nom.

En français, cela a permis à certains de faire remarquer que Macron, pour recharger les batteries de son gouvernement, doit passer par la borne. En anglais, c’est le « Borne out » qui a eu le plus de succès. D’abord lancé en pâture par Fabien Roussel, ancien candidat du parti communiste : « Cette nouvelle première ministre, c’est le borne out immédiat pour tous les Français. »

Quasiment la même formulation de la part de Jean-Luc Mélenchon (comme quoi, parfois, communistes et Insoumis peuvent se trouver des points communs) « A la SNCF, ils l’appelaient madame burn-out. »

La misogynie a donc fait un retour en force, en France, ce lundi. Mais il y a deux ans, c’était la glottophobie (la haine des accents) qui s’imposait dans l’intelligentsia parisienne pour se moquer de l’arrivée de Jean Castex à Matignon.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le mercredi 18 mai 2022