dimanche 15 septembre 2024

Cinéma - “Le procès du chien”, comédie et farce tragique

Film de et avec Laetitia Dosch et aussi François Damiens, Jean-Pascal Zady, Kody le chien, Anne Dorval.

Pour son premier grand rôle au cinéma, Kody frappe les esprits. Sa composition, tout en nuance, très expressive, profonde quand il va tenter de retrouver ses racines, son cri primal, a justement été récompensée d’un prix au dernier festival de Cannes. Kody est la véritable vedette du premier film de Laetitia Dosch, Le procès du chien. Kody, 9 ans, est un griffon croisé. Un chien qui crève l’écran dans cette comédie douce-amère sur la folie des hommes.

Avril (Laetitia Dosch), avocate des causes perdues, accepte de défendre Dariuch (François Damiens), maître malvoyant du chien Cosmos (Kody). Cosmos a mordu une femme, la défigurant. Avril veut éviter l’euthanasie et plaide la responsabilité de Cosmos. Le juge la suit et le canidé se retrouve accusé en personne, risquant de nouveau l’endormissement définitif.

Ce premier film un peu bordélique par moments, presque trop riche, offre d’excellents moments de comédie (François Damiens méconnaissable, Jean-Pascal Zadi parfait en comportementaliste animalier), mais ne nous fait pas oublier la gravité du sujet. En creux, la comédienne et réalisatrice traite de la montée de l’extrême-droite, des brimades faites aux femmes, des violences contre les enfants et du simple respect de la vie, toutes les formes de vie. Avec en point d’orgue ce questionnement : pourquoi, du point de vue juridique, les animaux de compagnie ont encore de nos jours le statut d’objets, de mobilier dans un foyer ?

Tout propriétaire d’un chien, et pas forcément aussi intelligent et craquant que Kody, ou d’un autre compagnon, appréciera ce film qui quitte la comédie pure dans sa dernière partie pour se transformer en farce tragique.

samedi 14 septembre 2024

DVD et Blu-ray - “Late night with the Devil”, télé satanique



Exercice de style très réussi, Late night with the Devil des frères Cairnes sort directement en vidéo chez Wild Side.

Un film d’horreur qui lorgne vers la comédie satirique.

Jack Delroy (David Dastmalchian) est le présentateur d’un show télé quotidien sur une télé américaine dans les années 70. Son audience faiblissant, il organise une émission spéciale pour Halloween. Avec l’ambition d’invoquer Satan pour une interview ultime. Le film prend la forme de cette émission de direct, avec coulisses lors des coupures pub. On y découvre toute la morgue de l’animateur et de son producteur.

La dernière partie, véritablement horrible, permet de s’interroger : Pour rester au firmament, un animateur doit-il vendre son âme au Diable ? Certaines « vedettes » françaises devraient se poser la question.

vendredi 13 septembre 2024

Rentrée Littéraire - Reine pour toujours


Y a-t-il une vie après le départ de ses enfants ? Nos rejetons, une fois devenu adultes, nous enlèvent-ils l’envie de survivre au quotidien ? Cette question est au centre de Un jardin pour royaume, roman de Gwenaëlle Robert. Alors que la cadette quitte le domicile familial, la narratrice se retrouve presque seule dans sa grande maison.

Trois enfants qui volent de leurs propres ailes, un mari souvent absent car sous-marinier : comment occuper ses journées ? Elle décide de reprendre sa thèse sur Rousseau abandonnée pour cause de maternité. Elle se rend à Ermenonville, au château de Girardin, là où l’écrivain philosophe est mort.

A quelques kilomètres de la maison d’enfance de la romancière. Rousseau, souvenirs, solitude : ce mélange donne un texte délicat, lucide, un peu nostalgique et parfois sombre. Comme cette réflexion : « Longtemps, quand les enfants me regardaient vivre, quand mes faits et gestes étaient soumis à leur juridiction, j’ai imaginé ce que je pourrais faire quand je serais sans témoin. Maintenant j’ai la réponse : je regarde les plafonds, j’y projette mon angoisse du vide, l’impression de ne plus exister du tout. »

Une remise en cause balayée par la fabuleuse histoire de Rousseau et de son dernier bienfaiteur, Girardin.
« Un jardin pour royaume » de Gwenaëlle Robert, Presses de la Cité, 208 pages, 20 €

jeudi 12 septembre 2024

BD - L’autre Thorgal, héros de la Saga


Thorgal se démultiplie. Après les aventures parallèles (Jeunesse, Louve, Kriss…), place à la Saga. Une autre façon de satisfaire les fans de la série imaginée par Van Hamme et Rosinski. L’occasion pour certains auteurs de s’emparer d’un personnage et d’un monde dans des romans graphiques plus longs.

Le 3e titre de la collection voit le retour de deux experts des aventures du Viking : Yann et Surzhenko. Ils se proposent de combler un trou dans les albums de la série d’origine. Shaïgan raconte la vie du Thorgal devenu amnésique et « reconditionné » par la perfide Kriss de Valnor en Shaïgan-sans-merci, le sanguinaire pirate.


Un épisode prenant place juste avant Géants, paru en 1996. De plus en plus incapable de tuer, Thorgal-Shaïgan demande conseil à un sorcier qui peut lire le passé. Il lui promet de lui révéler sa véritable identité contre une épée magique enterrée avec la dépouille d’un roi. Après une présentation du contexte, le reste de l’album multiplie les combats et découvertes sur une île défendue par des morts vivants. Des combats, à terre mais aussi sur les flots, qui permettent à Surzhenko de signer de superbes planches.

Le scénario de Yann, bourré de références, est avant tout un hommage au travail de Van Hamme. Une Saga dont on ne se lassera jamais.
« Thorgal Saga - Shaïgan », Le Lombard, 88 pages, 21,50 €

mercredi 11 septembre 2024

Rentrée littéraire - Trouver sa propre lumière


Son premier roman, écrit avec ses « tripes », À l’ombre des choses d’Anatole Édouard Nicolo est un superbe témoignage sur les errements de certains jeunes, déboussolés, incapables de trouver leur voie dans une société de plus en plus exigeante et rapide. Longtemps, Anatole a été à l’ombre de son grand frère, G., devenu un célèbre chanteur de rap. Anatole cherche lui aussi à prendre un peu de lumière et raconte dans ce texte écrit à l’encre acide, comment il s’y est pris après de multiples échecs.

Un roman confession aussi, où il met à plat ses relations avec ses parents. Une mère volontaire, bosseuse, mais qui n’a pas pu éviter la case Foyer pour indigents quand elle s’est retrouvée seule avec ses deux garçons adolescents. Un père excentrique, assez absent, artiste, vivant dans un squat. Avant de s’en sortir avec le sport et l’écriture, Anatole s’appuie sur sa bande de potes.

Des jeunes de banlieue, sans grand avenir, mais unis. Capables du pire comme du meilleur. « Nous ne faisions que marcher au bord du précipice, convaincus que nous ne tomberions jamais. » Jusqu’à cette garde à vue pour vandalisme… Un texte rugueux comme du béton brut, qui sent la rue, la sueur et se lit en écoutant du rap. A fond.


« À l’ombre des choses » d’Anatole Edouard Nicolo, Calmann-Lévy, 160 pages, 18 €

mardi 10 septembre 2024

BD – Comment se moquer de l’Amérique profonde


Le rêve américain, son cinéma inégalable, ses petites villes perdues, ses flics bêtes et bornés… Tel est le menu de recueil d’histoires courtes parues dans Fluide Glacial et reprises dans un album augmenté de quelques gags intermédiaires pour lier le tout.

Maddie Edwards est officiellement la shérif du comté de Badger, chef-lieu Chapatanka. Mais son rêve est de devenir romancière. Au lieu de rédiger les rapports de ses enquêtes de routine (très routinières), elle ambitionne de pondre un best-seller. Un polar évidement. Problème : elle n’a aucune imagination. Alors elle va s’inspirer de son quotidien. Nouveau problème, le roman débute par cette phrase peu accrocheuse : « Chapatanka, une ville sans histoires. »


Pourtant, si elle était un peu plus à l’affût, elle en trouverait des idées si l’on en croit les auteurs de la BD, B-Gnet et Joret. L’histoire de ces petites filles, des jumelles, perdues dans la forêt et qui survivent en tuant et mangeant des touristes, cet écrivain fou qui séquestre sa femme dans un hôtel isolé, cette famille de freaks, typique de ce Midwest où la dernière mode est de porter un masque en peau humaine.

Chaque histoire est une relecture, très humoristique, de grands classiques du cinéma US. De Rambo à E.T.
« Chapatanka », Fluide Glacial, 56 pages, 15,90 €

Rentrée littéraire - L’art des retrouvailles


Lire La barque de Masao, roman d’Antoine Choplin, c’est s’embarquer pour un voyage artistique et émotionnel au Japon. Masao est ouvrier sur l’île de Naoshima. Une vie anonyme, discrète, sans éclat. Son seul plaisir : lire de la poésie.

Un soir, en quittant son poste de travail, sa fille Harumi l’attend. Cela fait plus de dix ans qu’il ne l’a pas vue. Devenue architecte, elle est dans la région pour la construction d’un musée dans une autre île distante de quelques kilomètres. Retrouvailles hésitantes entre le père et la fille. On ne sait pas pourquoi mais on devine un traumatisme. L’auteur, grâce des retours en arrière où il donne directement la parole à l’ouvrier, raconte la rencontre avec Kazue, une artiste, le seul amour de Masao, la mère d’Harumi. Kazue qui occupe encore l’esprit de Masao, notamment quand il avait une barque et voguait au hasard à la recherche de celle qui désirait tant « marcher dans la mer ».

Entre le père et la fille, les souvenirs sont douloureux ; l’art va les atténuer. On visite indirectement deux musées d’exception, celui de Chichu, fantastique plongée sensorielle dans les éléments et la Matrice, le musée supervisé par Harumi, œuvre d’art unique où le visiteur est au centre d’émotions insoupçonnables.
« La barque de Masao » d’Antoine Choplin, Buchet-Chastel, 208 pages, 19,50 €

lundi 9 septembre 2024

BD - Sa(ta)n Francisco



Parmi les nouveautés de la rentrée BD 2024, le second tome de la série American Parano de Bourhis et Varela était très attendu. Le premier tome, paru en mai dernier, présentait l’héroïne (une jeune policière à San Francisco à la fin des années 60) et sa première enquête, un meurtre sur fond de secte satanique.

La suite, sortie vendredi dernier, confirme l’excellente impression faite par l’ensemble. Kim Tyler arrive de l’école de police. Elle est affectée à San Francisco au même commissariat que son père. Mais ils ne travailleront pas ensemble, le paternel est mort récemment. Kim suspecte Baron Yerval, fondateur de l’Église de Satan, d’être l’ordonnateur du meurtre d’une jeune femme lors d’un rite qui a mal tourné.



Ce bon polar, quasiment historique, montre un San Francisco en pleine ébullition. Les hippies investissent les vieux quartiers, la drogue circule librement, les mœurs sont débridées, tous les excès permis. Kim tente de trouver sa place dans ce monde si différent de son enfance.

La jeune femme devra faire face à de véritables démons tout en affrontant ceux, intérieurs, qui lui pourrissent la vie. Le dessin de Varela, entre ligne claire élégante et effets très seventies, colle parfaitement à la série.
« American Parano » (tome 2), Dupuis, 64 pages, 16,50 €

dimanche 8 septembre 2024

Cinéma - “À son image” et les fractures de la lutte corse

En retraçant la vie d’Antonia, photographe corse d’un journal local, Thierry de Peretti filme l’évolution d’une jeunesse de plus en plus révoltée, de plus en plus violente. 

« Vie et mort d’un idéal » aurait aussi pu convenir comme titre au nouveau film de Thierry de Peretti. Après Une vie violente, sur la montée de la lutte armée radicale dans les milieux nationalistes corses, c’est de nouveau dans ce terreau fertile en tragédies que le réalisateur puise son inspiration pour A son image. Adapté du roman éponyme de Jérôme Ferrari, il propose une vision différente des événements. En racontant la vie d’Antonia (Clara-Maria Laredo), jeune corse devenue photographe de presse, il propose une lecture plus féminine. Antonia, à 18 ans, tombe follement amoureuse de Pascal (Louis Starace). Des allures de Jésus, mais avec une conscience politique très marquée.

Rapidement il passe à l’action violente. Premier séjour en prison. Antonia l’attend. Il revient. Replonge. Elle se résigne, vivote de ses reportages photos dans le journal local. Baigne dans ce milieu nationaliste, toujours remonté contre les « colonisateurs ». Mais jamais ne s’engagera. Par conviction, mais aussi car cela ne semble pas être dans la tradition corse.

En creux, dans ce film retraçant quinze années de la vie d’Antonia, on comprend que la lutte armée n’empêche pas le machisme. Quand Antonia annonce à Pascal, de nouveau en prison, qu’elle ne va plus l’attendre cette fois, il explose. Comme si elle devait pour toujours lui être fidèle.

Le film, de témoignage sur l’évolution de la mentalité de la jeunesse corse, bascule vers une charge contre de traditions patriarcales. Antonia, à qui l’on refuse de couvrir les événements liés au terrorisme dans son île, décide d’aller photographier la guerre des Balkans. Une grosse prise de risque, nécessaire si elle veut sortir de son marasme personnel, retrouver goût dans son métier. Ne pas se contenter de clichés d’assemblées générales ou de parties de pétanque. Elle reviendra très déçue de Belgrade, encore plus amère et désespérée de devoir admettre que ses photos ne servent à rien, même quand elles montrent toute l’horreur du monde.

Une constatation qui devrait faire parler dans les couloirs des expositions du festival Visa pour l’image qui se déroule actuellement à Perpignan.

La suite est encore plus sanglante. Le FLNC se divise. Les assassinats, à l’intérieur du mouvement, entre factions opposées, marque un tournant. Antonia s’éloigne encore plus de cette mouvance et semble s’épanouir en créant sa petite société. Mais à quel prix ?

Le film, lumineux par certains côtés (prise de conscience, émancipation…) est aussi profondément pessimiste face à une île et une jeunesse, perdant tout idéal, ne trouvant que la violence pour se faire entendre.

Film de Thierry de Peretti avec Clara-Maria Laredo, Marc’Antonu Mozziconacci, Louis Starace

BD - Le Découpeur frappe


Jean-Charles Gaudin, s'il n'a pas le succès d'Arleston, est tout de même un des scénaristes les plus productifs des éditions Soleil. Et ses séries durent, preuve que le public est au rendez-vous. 

Meilleur exemple avec les Arcanes de Midi-Minuit qui en est à son 8e titre, presque un exploit chez l'éditeur toulonnais particulièrement prompt à interrompre la vie d'un héros ne touchant pas rapidement un large public. Jim et Jenna, les héros de ces histoires entre SF et fantasy, ont la particularité de ne jamais être vus ensemble. 

En fait il s'agit d'une seule et même personne, pouvant laisser la place à son double simplement grâce à un miroir. Si cette trouvaille était mise en avant dans les premières enquêtes, c'est moins vrai pour cette « Affaire Trinski ». Les deux agents sont envoyés dans une province du Royaume victime du coup d'Etat du chef des armées. Il terrorise la population. 

De même que le Découpeur, tueur sanguinaire armé de deux sabres et exterminateur de la résistance. Jim et Jenna auront fort à faire pour mettre hors d'état de nuire ces deux terreurs. 

Trichet, au dessin, aime les femmes sensuelles aux courbes généreuses. Un vrai plaisir pour les yeux...

« Les Arcanes du Midi-Minuit » (tome 8), Soleil, 13,50 €

samedi 7 septembre 2024

Roman français - « L’hôtel du Rayon Vert » au cœur de la rentrée littéraire

Le mythique palace de Cerbère à la frontière entre France et Catalogne sert de décor au roman de Franck Pavloff. Des personnages forts et entiers y croisent les fantômes d’Antonio Machado et de Walter Benjamin. 

Difficile de ne pas tomber amoureux de ce paquebot immobile. L’hôtel du Rayon Vert continue de veiller sur Cerbère. Et les nombreux fantômes qui continuent à errer sur ses coursives. Un décor de choix pour le roman de Franck Pavloff, un des titres très attendus de cette rentrée littéraire.

Un voyage à plusieurs proposé par le romancier. Dans l’hôtel et la gare de triage en contrebas, il va minutieusement organiser la rencontre de quelques égarés. Trois humains qui doutent, mais croient en la force de la vie. Sous l’égide d’un libraire, spécialiste de Machado et d’un cheminot, syndicaliste, une photographe, un violoniste et une fugueuse vont partager quelques moments. « C’est la saison des rencontres imprévues » fait remarquer à la photographe le cheminot. « Aujourd’hui vous, hier une jeune inconnue en sweet à capuche avec qui j’ai partagé un café thermos, et le jour d’avant un violoniste qui connaît aussi bien les poésies de Machado que ses partitions. » Ils vont découvrir la ville frontière, endormie en cette arrière-saison.

La photographe va saisir des moments de vie et s’installer dans un des appartements du Rayon Vert. Le violoniste, hanté par ses origines, recherche la valise de Machado. Il voudrait y trouver la preuve que sa mère est la fille illégitime du poète mort à Collioure. La fugueuse refait le dernier trajet de Walter Benjamin, le philosophe juif allemand, recherché par les nazis. Il a traversé les Albères, épuisé, et s’est donné la mort dans un hôtel à Portbou, en Catalogne.

Les fantômes de ces deux grands hommes, morts chacun de part et d’autre de la frontière après une fuite effrénée, planent sur le roman. Et quand les personnages se retrouvent de l’autre côté des Albères, Franck Pavloff, avec une étonnante clairvoyance, constate que « la Catalogne est le pays des mémoires égarées. » La force du texte réside dans le parallèle fait entre le passé et notre présent.

La jeune fille suit le sentier Walter Benjamin car elle veut savoir par où est passée une réfugiée africaine aidée quelques semaines auparavant à Toulouse. Et le violoniste dort dans le même wagon abandonné en gare de Cerbère que celui où Machado a repris des forces avant son arrivée à Collioure.

Un roman de l’espoir d’aujourd’hui, nourri des souffrances du passé.

« L’hôtel du Rayon Vert » de Franck Pavloff, Albin Michel, 240 pages, 20,90 €

Franck Pavloff sera à Cerbère ce 7 septembre à 18 heures, rencontre suivie d’une séance de dédicaces à l’Hôtel Belvédère du Rayon Vert, en partenariat avec la librairie Oxymore de Port-Vendres.

vendredi 6 septembre 2024

Rentrée littéraire - Les solitudes d’Yves Harté

Yves Harté, journaliste, a rencontré nombre de solitaires dans le cadre de ses reportages. Il se souvient d’eux dans ce livre hommage où il parle aussi de la mort de son père et de sa propre solitude.

Ils sont partout mais on ne les voit pas. On les ignore. Certains le vivent mal. D’autres apprécient. Dans toute société, il y a des solitaires, des êtres qui ne s’épanouissent que dans la solitude, l’ignorance des autres. Dans son nouveau roman, Parmi d’autres solitudes, Yves Harté dresse le portrait de quelques-uns de ces hommes et femmes, perdus dans la foule tout en étant totalement ignorés d’elle.

Le journaliste à Sud-Ouest doit régler les dernières affaires de son père, mort dans un accident de la circulation. Notamment vider la maison où il s’était retiré entre Béarn et Landes, une fois à la retraite. Inventaire d’une fin de vie et dans les papiers personnels un classeur contenant les ébauches de portraits écrits des années auparavant par Yves Harté. Tout en racontant son père, Yves Harté reprend ces embryons de nouvelles du réel ayant pour point commun la solitude des personnes rencontrées. Il y a un clochard malchanceux, estropié par un camion, un fils de bonne famille, caché car alcoolique, un vieux paysan au bout du rouleau a près la perte de sa femme puis de sa chienne de chasse.
Seule femme dans le lot, Mademoiselle Anne, institutrice dans les Charente. Sa solitude est différente des autres. Car c’est dans la multitude des amants d’un soir qu’elle affirme cette envie d’oubli. Adolescente, elle était amoureuse de son grand frère. Pour contrer le sort, elle décide qu’à partir de 21 ans elle aura plein d’amants. Elle met son plan à exécution un été. « Le premier fut un homme d’un soir, à Canet-Plage, où elle passait des vacances au camping avec sa meilleure amie. Il avait une voiture de sport. Il la laissa le cœur barbouillé, un peu malheureuse et vaguement soulagée. A son retour, elle n’en parla à personne. »
Tranches de vies et exploration familiale font de ce roman un texte qui parle à tout le monde.

« Parmi d’autres solitudes » d’Yves Harté, Le Cherche Midi, 176 pages, 19 €
 

jeudi 5 septembre 2024

Rentrée littéraire - Le retour de Coué


Simple petit pharmacien de province, il est devenu en quelques années une véritable célébrité mondiale. En 1923, quand il arrive à New York, la foule et la presse américaine l’accueillent comme une star. Quel incroyable destin que celui d’Émile Coué, fils de cheminot, devenu l’inventeur d’une méthode pour aller mieux, pour retrouver santé et joie de vivre.

Aujourd’hui, la méthode Coué est au mieux moquée, au pire décriée. Pourtant ce n’est que du bon sens, de l’autosuggestion, les premiers principes de développement personnel.

Étienne Kern, romancier, a plongé dans les archives pour retracer ce parcours atypique. Un roman comme une enquête, plus qu’une biographie, une analyse de personnalité. Doublée d’une réflexion sur la perte, l’oubli. Écrit dans une rare économie d’effets, ce texte acéré fait la genèse des recherches du pharmacien utopiste, des premières séances d’hypnose au texte ultime, « ce qui ne sera pas une technique parmi d’autres, pas un traitement, mais une méthode, LA Méthode, la sienne. »

A-t-il guéri des milliers de patients ? Ou leur a-t-il fait croire qu’ils allaient mieux ? L’auteur ne répond pas. Personne n’a la réponse. Il reste juste des hommes et des femmes qui y croient. Aujourd’hui encore.
« La vie meilleure » d’Étienne Kern, Gallimard, 192 pages, 19,50 €

BD - Sauvages mélomanes


Au XVIe siècle, en découvrant l’Amazonie, les navigateurs européens avaient plusieurs buts : trouver de l’or, étendre les possessions des monarques, évangéliser les populations. David B., au scénario, revient sur un épisode de la vie de Nicolas Leclerc.

Ce marin, en arrivant sur le territoire des Tupinambas, une tribu locale, est capturé. Déshabillé (ils vivent tous nus), on lui offre une femme, Pépin, et beaucoup de nourriture car il faut l’engraisser. Dans un an, il sera dégusté par toute la tribu.


Les Tupinambas ne sont pas cannibales, ils ont simplement l’habitude de manger leurs prisonniers. Ce qui sauve Nicolas, c’est sa voix. Il chantonne pour passer le temps, les « sauvages » découvrent qu’il parle comme les oiseaux. L’épargnent.

Par contre ses anciens compagnons décident de le récupérer, de l’emprisonner. Il s’enfuit et va errer avec la tribu dans la jungle à la recherche de la Terre sans mal, le paradis local.

Mis en images par Eric Lambé, ce périple au cœur de l’enfer vert montre combien les Occidentaux se fourvoient, incapables de comprendre ces civilisations si différentes. D’autant que les missionnaires, entre aveuglement et folie (certains voulaient convertir les singes), tuent sans la moindre hésitation car, selon la célèbre maxime : « Dieu reconnaîtra les siens ».
« Antipodes », Casterman, 112 pages, 22 €

Rentrée littéraire - Star du cosmos


Un moment historique, une énigmatique déclaration. Quand, le 12 avril 1961, Youri Gagarine devient le premier homme dans l’espace, il déclare : « Je salue la fraternité des hommes, le monde des arts et Anna Magnani. » Suffisant pour que Mikaël Hirsch, romancier, décide de raconter d’où vient cette phrase et d’en imaginer les suites. Il va donc enquêter sur le cosmonaute, sa vie au service de la propagande soviétique, sa célébrité mondiale transformant le pilote de chasse en sorte d’idole de la jeunesse, bien avant le Beatles.

L’auteur, avec la même rigueur, va retracer la vie de la comédienne italienne. Anna Magnani, au début des années 60, est déjà sur la pente descendante. Son oscar est loin, les nouvelles stars, encore plus talentueuses et voluptueuses (Sophia Loren, Gina Lollobrigida…), lui prennent les meilleurs rôles. Ce coup de projecteur venu de l’espace est une aubaine inespérée.

Mais Gagarine et Magnani se sont-ils rencontrés par la suite ? Car Mikaël Hirsch soupçonne l’homme du cosmos d’être aussi le premier à avoir tenté un plan drague depuis… l’espace. Un roman marqué par une grande nostalgie de l’Italie de cette époque.

Et une interrogation pour l’auteur : Gagarine a-t-il véritablement parlé de Magnani dans l’espace ? « Je devais éclaircir tout cela et ainsi, mon roman est devenu malgré moi une sorte d’enquête policière, non sur un crime irrésolu, mais bien sur une phrase devenue célèbre. » Alors, fantasme ou véritable histoire d’amour ?


« L’effet Magnani », Mikaël Hirsch, Dilettante, 160 pages, 17 €

mercredi 4 septembre 2024

BD - À deux, au fond…


Après un roman graphique historique, Alicia Jaraba, jeune autrice espagnole, va puiser dans ses propres démons pour signer une œuvre singulière, pleine et aboutie. L’histoire d’un couple qui ne sait plus trop où il en est.

Aimée et Ulysse. C’est la première qui raconte ce road-trip vers le sud de l’Espagne. Ulysse a une passion : la plongée. Un but ultime : voir un poisson-lune. Il est donc impatient de partir, au volant de son combi aménagé en camping-car, vers Cabo de Gata, station balnéaire aux fonds sous-marins remarquables. Aimée va le suivre. Mais sans enthousiasme.


Elle n’aime pas quitter sa zone de confort. À peur de l’eau. Encore plus de la plongée. Dès les premiers kilomètres la tension est palpable. Une panne va provoquer encore plus de remous entre les deux amants. Il faudra l’intervention d’un drôle de retraité, Paco, pour remettre un peu d’ordre dans le voyage chaotique. On apprécie l’enchaînement des rebondissements, les doutes d’Aimée, les rêves d’Ulysse.

Un roman graphique sur les choix que l’on doit faire dans la vie pour être heureux, sur l’écoute de l’autre, les petits arrangements et concessions pour rendre le tout plus lisse, plus acceptable. Une belle histoire servie par un dessin simple, aussi fluide que l’eau de la mer.
« Loin », Bamboo Grand Angle, 136 pages, 19,90 €

Rentrée littéraire - Monstre et danseuse


Dans un minuscule village de Savoie, tout le monde connaît tout le monde. Les familles qui se retrouvent à l’épicerie tenue par Dali et sa mère, handicapée depuis une chute.

Tous vivent en bonne intelligence. Excepté Mathias. C’est le Maudit, celui qui n’a jamais eu de chance. Le bouc émissaire parfait, en toute occasion. Un colosse, bûcheron, célibataire de 38 ans, marqué par la vie. Sa sœur, encore adolescente, a été assassinée alors qu’il n’avait que 8 ans. Puis ses parents sont morts dans un accident de la circulation. Depuis il vit en ermite, dans une ferme au-dessus de l’hôtel Le Douglas, tenu par les parents de Luce.

À l’opposé du Maudit, Luce, 17 ans, n’est que grâce et légèreté. Une future danseuse professionnelle, recrutée au Canada. Elle apprend la bonne nouvelle la veille de la mort de sa petite sœur, Maud, assassinée, comme la sœur du Maudit.

Ce roman de Johanna Krawczyk débute comme une belle tranche de vie montagnarde. La mort, les mensonges, les secrets, transforment le tout en enquête policière aride. Avec un face-à-face entre la Belle et le Maudit. Deux âmes incomprises, reliées par l’amour de la poésie. Un remarquable roman par ses personnages et sa forme, la poésie adoucissant les faits.
« La Danse des oubliés », Johanna Krawczyk, Éditions Héloïse d’Ormesson, 192 pages, 18 €

BD - Dragons militaires


Quoi de plus redoutable qu’un dragon déchaîné ? Dans cette série entre fantastique et histoire, imaginée par Jarry et Istin, la première guerre mondiale voit s’affronter les premiers avions aux derniers dragons. Tout un monde que l’on retrouve dans l’image de couverture du second tome : un dragon, gueule ouverte, dents acérées, tente de croquer un biplan, fragile mécanique pilotée par un homme forcément inconscient. Car il faut être suicidaire ou fou pour prétendre se mesurer à ces monstres d’écailles et de feu, aux ailes démesurées.


Frank Luke fait partie de ces courageux qui ont choisi de quitter les États-Unis pour rejoindre l’escadrille Lafayette sur le front français. Un jeune pilote qui agit par vengeance. Fils d’éleveur, il a vu la vie de son père s’écrouler quand un dragon a poussé tout le troupeau dans un précipice. Faillite, désespoir, suicide… Frank veut donc bouffer du dragon et s’engager est la meilleure occasion pour descendre les bêtes domestiquées par l’armée allemande. Il veut particulièrement s’attaquer au Schwartzlord, le plus puissant et meurtrier des dragons.

Un récit très guerrier dans lequel le héros frôle souvent la mort. Prévue en quatre tomes, cette série concept, aux histoires indépendantes, est illustrée cette fois par Emanuela Negrin, dessinatrice italienne.
« Guerres et dragons » (tome 2), Soleil, 60 pages, 15,95 €

mardi 3 septembre 2024

BD - Ohio, rivière et frontière


Méconnue du grand public, la conquête d'Ouest américain a d'abord été une guerre entre France et Angleterre. Les deux puissances colonisatrices désiraient imposer leur loi pour profiter des richesses de ces immenses territoires vierges. Mais pas déserts. Hurons et Iroquois, ennemis héréditaires, se partagent eux aussi la région.

Le contrôle de la navigation sur la rivière Ohio devient rapidement un enjeu majeur. Les Français y voient l'opportunité de faire communiquer leurs deux grandes provinces, le Canada et la Louisiane. Les Anglais vont s'y opposer par les armes.

C'est cette guerre qui sert de toile de fond à la nouvelle série historique de Fred Duval et dessinée par Brada. En 1754, un trappeur français, Jacques de la Salle, va se retrouver au centre du conflit. Il va tenter de sauver sa peau aidé par un Iroquois, Loup Blanc.

La beauté des berges sauvages magnifie cette série qui veut rendre hommage aux nations indiennes, victimes de la querelle entre grands d'Europe. Un récit humaniste, avec son lot de surprise et de coups de théâtre, car Loup Blanc, comme le trappeur, ancien pirate, ont de lourds secrets dans leurs besaces.
« Ohio, la belle rivière » (tome 1), Delcourt, 56 pages, 13,50 €

BD - Nazis au frais dans le Valhalla Bunker


Action, humour et dérision : la série Valhalla Hôtel de Pat Perna et Fabien Bedouel avait marqué les esprits lors de sa parution (trois tomes en 2021 et 2022). Suite des aventures de ces très pittoresques chasseurs de nazis dans Valhalla Bunker, série elle aussi prévue en trois tomes.

Cette fois, Bedouel est seul aux commandes. Il conserve l'esprit de la première série et multiplie les gags en référence à la première trilogie.


Dix années après le carnage au motel de Flatstone dans le Nouveau-Mexique, le shérif, bête comme ses pieds, est devenu président des États-Unis. Très contrarié par sa couleur (blond vénitien tirant sur le jaune trumpien), il demande aux anciens de reprendre du service car une secte nazie est de nouveau sur le point de faire vaciller la démocratie américaine, ou du moins ce qu'il en reste...

El Loco, Betty, Meli et Lemmy vont donc mettre le cap sur l'Alaska et pénétrer dans les tréfonds d'un bunker grouillant de nostalgiques du IIIe Reich.

On rit beaucoup des dialogues surréalistes entre les héros, on apprécie les cascades, combats et autres cabrioles effectuées, sans doublures, par les héros. Et on retrouve avec plaisir des nazis rigides, racistes et complètement débiles.
« Valhalla Bunker » (tome 1), Glénat Comix Buro, 64 pages, 16,50 €

lundi 2 septembre 2024

BD - Lycéens en pleine mutation


Marseille, son port, ses calanques... ses monstres. Série imaginée par Oliver Gay, Métamorphes est un bon mix de fantastique et de quotidien d'adolescents en pleine puberté. Même s'ils sont dans la même classe, Ambre et Lucas ne sont pas amis. Logique tant leurs mondes sont différents.

Ambre, blonde au corps parfait, règne sur une cour de semblables, arrogantes, mauvaises langues et pas très intelligentes.

Lucas, lui, est le geek parfait, guitariste dans un groupe de rock, adepte des jeux de rôles.

Un soir, par le plus grand des hasards, ils vont être contaminés par des produits chimiques expérimentaux. Et, chacun de leur côté, vont développer des mutations. Ambre va se transformer en loup-garou, Lucas en vampire. Forcément, dans l'adversité, ils vont se rapprocher et tenter de comprendre ce qui leur arrive. Un premier épisode rondement mené, parfaitement équilibré entre gags ou situations comiques et montée d'adrénaline quand le monstre qui est désormais en eux prend le pouvoir.

Un monde très prometteur dessiné par Jonathan Aucomte, au trait moderne, classique par certains côtés mais aussi dans le coup et au goût du jour.
« Métamorphes » (tome 1), Bamboo Drakoo, 64 pages, 13,90 €

BD - Exploratrice avant la lettre


En 1920, il restait encore de nombreuses régions du monde complètement inexplorées. Nombre d'archéologues européens faisaient la chasse au financement pour monter des expéditions au plus profond de ces zones encore vierges.

James Harnett est un célèbre explorateur anglais. Il est persuadé que la civilisation maya est le chaînon manquant qui lui permettra de retrouver les vestiges de l'Atlantide.


Quand il s'envole vers le Honduras britannique en Amérique centrale (devenu aujourd'hui Belize), il ne se doute pas que sa fille, Amy, 13 ans à peine, va s'imposer comme assistante. Amy est la véritable héroïne de cette nouvelle série écrite par Aucha et dessinée par Isabelle Lemaux-Piedfert. Une blonde impétueuse, aventurière, téméraire et qui n'en fait qu'à sa tête.

Aidée par un jeune indigène, elle va découvrir une salle cachée dans une pyramide et revenir au camp de son père avec un crâne de cristal. Le début d'une plus grande aventure, encore plus dangereuse.

Si le dessin et l'histoire sont un peu trop formatés pour le public ciblé (les adolescentes entre 10 et 15 ans), l'ensemble ne démérite pas et peut tout à fait intéresser des lecteurs bien au-delà de cette tranche d'âge.
« Les mondes perdus » (tome 1), Dupuis, 80 pages, 14,50 €

 

dimanche 1 septembre 2024

BD - Fantastique nucléaire dans le roman graphique "Retour à Tomioka"


Plus de 18 000 personnes ont perdu la vie dans le tsunami qui a ravagé la région de Fukushima au Japon le 11 mars 2011. Les parents de Osamu et Akiko font partie des victimes. Les deux enfants se retrouvent orphelins du jour au lendemain. Ils seront récupérés par leur grand-mère Bâ-chan qui a perdu son mari dans la catastrophe. Et sa ferme qui se trouve à Tomioka, dans la zone la plus contaminée par l'explosion de la centrale nucléaire.


Retour à Tomioka
, roman graphique écrit par Laurent Galandon et dessiné par Mickaël Crouzat, se déroule deux années plus tard. Osamu, petit garçon d'à peine dix ans, vit très mal ce bouleversement. Il s'est refermé, s'imagine un monde peuplé de lutins plus ou moins bienveillants, une réalité parallèle magique. Akiko, jeune adolescente, au contraire, va de l'avant. Passionnée de maquillage et de design, elle publie des vidéo de conseil et agrandit chaque jour la communauté qui la suit.

Quand la grand-mère meurt, les deux enfants doivent rejoindre une lointaine cousine à Tokyo. Mais avant, Osuma veut aller déposer les cendres de Bâ-chan dans la ferme familiale. Une zone encore fortement contaminée, impossible d'accès.

L'album raconte le périple dans ces paysages fantômes que les humains ont déserté pour laisser les animaux s'éteindre lentement. Osuma et Akiko, malgré la police et le danger invisible, vont respecter la tradition en croisant des chiens agressifs, des autruches, beaucoup de cadavres et quelques yôkai, ces fameux lutins, amis et protecteurs d'Osamu.

Une très belle histoire entre légendes et réalité, entre fantastique merveilleux et dangereux nucléaire.
«Retour à Tomioka», Jungle, 104 pages, 19 €

BD - Les plaies du CP


L'entrée au CP (cours préparatoire) marque le véritable début du parcours scolaire de milliers de petits Français. C'est dans cette classe qu'on apprend à lire, écrire, compter. Un véritable passage, essentiel pour la formation future. Lauriane Chapeau, dans ce roman graphique témoignage intitulé Petite grande et dessiné par Violette Benilan, tente de se souvenir de son année au CP.

Elle quitte une maîtresse adorée pour un maître qui la terrorise. Il est sévère. Comme tous les autres enfants de la classe, elle est sous son emprise. Captive. Silencieuse. Abusée... Elle ne dira rien de toute l'année scolaire, apprendra à mentir, à dissimuler son mal-être. Le scandale éclate quelques années pus tard quand la petite sœur de Lauriane est elle aussi victime du pédophile.


Elle réclame une salopette à sa mère Et ce n'est pas un caprice, c'est juste « pour que le maître il puisse pas me faire des câlins ». Au procès, Lauriane refusera de témoigner. L'instituteur sera écarté. Mais pas mis hors de nuire. La première partie de la BD raconte les faits.

La suite, c'est le récit de la reconstruction de la scénariste. Car personne ne peut sortir indemne d'une telle épreuve. Elle racontera son adolescence rageuse, ses études perturbées et ses doutes face au monde du travail. Comment elle cherchera sa voie professionnelle, la trouvera et pourra enfin oublier le traumatisme. Aujourd'hui elle veut témoigner, raconter, expliquer qu'on peut s'en sortir, aimer, avoir des enfants. Les aimer.

La Petite grande va vous émouvoir et aussi vous donner un bon coup de peps face aux petites (si petites comparées à d'autres...) contrariétés de la vie.
«Petite grande», Glénat, 136 pages, 22 €

BD - Le camion fantôme des "Ames noires"


La Chine reste le premier pays pollueur au monde. Essentiellement en raison de son usage intensif du charbon. Mais comment faire autrement pour des millions de gens qui sans le précieux minerai mourrait de froid en hiver ? Le charbon qui est au centre du roman graphique Les âmes noires. Yuan fait partie des presque privilégiés. Il possède un camion. De quoi permettre à sa famille (une femme et une petite fille) de vivre dignement.

Chaque jour, il se rend dans une mine (légale ou illégale, il n'est pas regardant), charge du charbon et l'amène à quelques kilomètres où il est déchargé et racheté par des commerçants. Toute une économie, où chacun prélève un salaire.


La vie de Yuan bascule quand son intermédiaire habituel lui propose un nouvel acheteur. Qui n'existe pas. C'est un guet-apens. Le camion est volé, Yuan laissé pour mort. Ce polar dans une Chine sombre, minéral, sans la moindre verdure ni espoir, est signé Ducoudray, scénariste amateur des mondes sombres où la misère tue autant que les maladies ou le capitalisme.

Si Yuan veut tant retrouver son camion, c'est avant tout pour pouvoir revenir chez lui et continuer d'assurer un semblant d'avenir à sa petite fille.

Fred Druart, au dessin, signe des planches d'une réelle beauté malgré les paysages lunaires et désertiques, la noirceur de l'ensemble et le pessimisme, seul sentiment qui réussit à émerger de sous la couche noire et charbonneuse qui recouvre ces vies tristes et fatalistes.
« Les âmes noires », Dupuis, 128 pages, 21,95 €