Comment aider une amie qui vient de perdre un être cher ? Comment partager la douleur, se demande Brigitte Kernel dans ce roman.
Léa aime Louise. Léa et Louise sont deux journalistes parisiennes et se cachent. Car même dans les milieux les plus ouverts, les plus progressistes, leur histoire d'amour a du mal à passer. A moins qu'elles ne trouvent une certaine excitation à ces cachotteries. Travaillant dans le même service de cette radio nationale, elles n'ont parlé de leur amour secret qu'à la narratrice du roman, elle-même animatrice sur cette même antenne.
En plein mois d'août, l'année de l'éclipse, dans un appartement parisien, Léa et Louise dînent en compagnie d'Olivier et de sa compagne, l'animatrice qui va raconter toute l'histoire, tout le drame. Ils ne le savent pas, mais c'est le dernier repas qu'ils prendront tous les quatre ensemble. Louise, grand reporter, a l'occasion de partir dans un pays en guerre, pour un reportage au plus près des combats. C'est dangereux, mais elle désire ardemment aller sur place, témoigner. Léa, plus jeune, très amoureuse, se résigne.
Pendant l'éclipse
Pour oublier cette petite période de solitude, elle accepte d'aller admirer l'éclipse dans la maison de campagne normande d'Olivier. Totalement obnubilée par l'événement, elle décroche de l'actualité, voulant vivre pleinement ce phénomène, unique dans le siècle. Alors que le soleil commence à se voiler, la narratrice reçoit un coup de fil de son réalisateur. Louise a eu un problème en reportage. Quelques minutes plus tard les précisions arrivent : elle est tombée dans un guet-apens, avec deux autres collègues elle a été dévalisée et froidement assassinée d'une rafale de kalachnikov. Un jour historique, un jour damné.
Comment annoncer la nouvelle à Léa ? Est-ce à elle de le faire ? Comme souvent dans les circonstances exceptionnelles, l'esprit humain tente de trouver une solution qui après coup semble dérisoire. Elle va tenter de préserver Léa, lui laisser quelques heures de répit, pour qu'elle profite de l'éclipse, elle est si joyeuse, si enthousiaste. La narratrice voudrait tant que cela ne soit pas la triste réalité : « Comment faire rebasculer le temps en arrière ? Comment effacer ce mauvais film, revenir à la scène de lundi, empêcher Louise de partir dans ce pays ? J'avais froid, le ciel s'obscurcissait, lourd de nuages. »
Face à la douleur
Mais alors qu'elles sont chez un éleveur de chiens (Olivier vient d'offrir à sa compagne un cocker) Léa apprend la nouvelle, par hasard. La jeune femme accuse le choc quand elle a la certitude que la journaliste assassinée est bien l'amour de sa vie. « Le corps de Léa, secoué de tremblements et de hoquets, c'est encore aujourd'hui insoutenable à évoquer. Devant une telle douleur, on a honte d'être impuissant, simple humain, incapable de rien d'autre que de prendre par la main, dans les bras, de caresser les cheveux. Souffrir avec l'autre n'est pas mourir avec lui. Je croyais le contraire avant cet événement ».
Brigitte Kernel, connue par ailleurs pour ses émissions nocturnes ou estivales sur France Inter, signe un roman poignant, plein de tristesse et de fureur. Si la première partie est consacrée à la mort de Louise, la seconde se focalise sur Léa, survivante malgré la douleur. Avec en témoin, puis en actrice, la narratrice, beaucoup plus touchée par cette disparition qu'elle ne le croit au début.
« Fais-moi oublier », Brigitte Kernel, Flammarion, 18 €