Du choix cornélien entre le fric ou l'amour d'une belle, tel pourrait être le résumé de ce roman de Laurent Chalumeau.
D'emblée le décor est planté. Un superbe hôtel cannois, pas vraiment destiné aux « gens du peuple ». Pour y séjourner, il faut de la thune, dirait l'auteur Laurent Chalumeau, de l'oseille, bref, faire partie d'une certaine élite. On y croise d'ailleurs des stars de cinéma, des comtesses, des marquis, et que sais-je encore. Castric, directeur de l'établissement, est d'ailleurs passé maître dans l'art des courbettes, aussi vomitives que la couleur de ses vestes.
Envers du décor, le personnel, trié sur le volet bien sûr, sauf pour Benjamin, passé on ne sait trop comment entre les mailles des vérifications d'antécédents en tous genres, homme de maintenance, surnommé Tortue dans un hôtel de moindre catégorie, si l'on peut dire, avec barreaux aux fenêtres et promenade une heure par jour. Le hasard faisant bien les choses, Tortue rencontre par hasard à Cannes un ex-compagnon de cellule, escroc à la petite semaine, qui se fait appeler Jorge Gomez et qui justement n'a rien sur le feu en ce moment.
De la « fraîche »
Une des caractéristiques de l'hôtel – et qui lui donne un cachet supplémentaire d'après le directeur – se distingue par le fait que Castric refuse catégoriquement chèques ou cartes bleues. Tous les règlements s'effectuent en espèces sonnantes et trébuchantes, ce qui, vu les tarifs prohibitifs, constitue à la fin de la journée un joli petit matelas, qui tourne autour d'un demi-million d'euros. Castric, toujours bavard comme une pie, confie à certains clients que jamais au grand jamais il n'a oublié le code de la combinaison du coffre, changé tous les mois. L'info tombe par hasard dans l'oreille de Tortue, qui cogite sur le sujet.
Un jour où il se retrouve seul dans le bureau du dirlo, il tente le coup. Mois et année pour la combinaison. Bingo ! Depuis ce moment, il n'a de cesse de trouver un truc imparable pour voler tout ce bel argent.
C'est là que l'ami Jorge intervient, prenant une chambre à l'hôtel en se faisant passer pour un richissime homme d'affaire espagnol, accompagné d'une plantureuse blonde, qui ne fera d'ailleurs pas long feu. Parce que le lendemain de l'arrivée de Jorge, débarque la comtesse Monica de Sant'Ippolito, belle à couper le souffle et seule, atout non négligeable. Exit la blonde, remerciée proprement pour services rendus et priée de laisser la place vacante. Malheureusement pour notre petit Espagnol, une autre résidant ne paraît pas insensible non plus aux charmes de la divine créature, en la personne du baron Adrien Laouhénan de Queréon. En l'occurrence, les deux hommes se retrouvent aux pieds de la belle pour l'inviter à dîner le soir même. Monica, que la situation amuse, s'exclame, « et pourquoi ne dînerions-nous pas tous les trois ? » Dès lors, le trio ne se quitte plus, pourtant, le pauvre Jorge a bien du mérite à résister aux critiques acerbes, cyniques et permanente du baron.
Et Tortue dans tout ça?
Jorge en oublie le pourquoi de son séjour, le casse du coffre-fort. Il n'a qu'un petit rôle à jouer, mais capital. Débrancher pendant deux minutes une caméra de surveillance et ouvrir une porte à Tortue, une fois celui-ci en possession du magot. Malheureusement ce soir-là, le baron invite Monica à dîner dans un charmant petit village de l'arrière-pays et Jorge, n'écoutant que son cœur chaviré, part avec eux en laissant en plan son copain, ne voulant à aucun prix laisser le baron seul avec sa dulcinée et lui laisser prendre l'avantage.
« Les arnaqueurs aussi » foisonne de personnages, tous plus caricaturaux les uns que les autres. Un certain Mario, qui s'occupe des demandes « inhabituelles » de certains clients; son associée Corinne, culturiste sur le retour qui s'avère bénéficier d'une droite redoutable; Calzer, ancien flic reconverti en responsable de la sécurité de l'hôtel et d'autres tout aussi pittoresques.
Dès la première page, on sourit, puis on se marre pour finir par se bidonner franchement. L'écriture est enlevée, sans jamais de lourdeurs, le scénario cocasse, les acteurs bien campés transforment le roman de Chalumeau en petit bijou digne des meilleurs scénaristes comiques. Jouissif.
« Les arnaqueurs aussi », Laurent Chalumeau, Grasset, 20,90 €