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jeudi 24 août 2023

Cinéma - “Anatomie d’une chute” et doute assourdissant

La justice décortiquée, dans ses doutes et ses raccourcis, grâce au film de Justine Triet, Palme d’Or à Cannes.


Palme d’Or plus que méritée au dernier festival de Cannes, Anatomie d’une chute de Justine Triet est un thriller judiciaire captivant. On ne voit pas passer les 2 h 30 du film tant la tension et l’intrigue sont minutieusement distillées par la réalisatrice et ses interprètes. L’histoire d’une romance qui finit mal, dans le sang qui tache la neige. 

En hiver, dans la région de Grenoble, Sandra (Sandra Hüller), romancière allemande, vit dans un chalet isolé en compagnie de son mari, Samuel, originaire de la région, professeur d’université. C’est leur fils, Daniel (Milo Machado Graner) qui, au retour d’une balade avec son chien Snoop, découvre son père, mort devant la maison. Il était en train de faire des travaux dans les combles. 

Chute mortelle ? Les gendarmes doutent. La veille, Sandra et Samuel se sont violemment disputés. À l’issue d’une enquête compliquée, Sandra est accusée du meurtre et se retrouve aux assises. La première heure du film permet de contextualiser les rapports de la famille. Comprendre notamment que Daniel est aveugle après un accident dont Samuel serait responsable. 

Le doute omniprésent

Vient ensuite l’heure du procès. Le corps du film, filmé en plans resserrés, avec tous les effets de manche comme autant de trucs de comédiens de théâtre. L’avocat général (Antoine Reinartz) multiplie les questions piège pour acculer Sandra dans ses derniers retranchements. Car elle n’a pas tout dit aux enquêteurs. 

Elle pourra compter sur le calme et la rigueur méthodique de son avocat, Vincent (Swann Arlaud), qui a bien connu Sandra dans sa jeunesse. Cette partie est brillamment réalisée. Justine Triet y déploie sa science des cadrages, des dialogues et des silences parlants pour amener le spectateur à se poser les mêmes questions que les jurés : Sandra est-elle coupable ? A-t-elle tué son mari depuis la terrasse ? A moins que ce dernier ne se soit tout simplement suicidé en sautant dans le vide ? 

Malgré l’enquête, les avis des experts certifiés qui défilent à la barre, les déclarations de Daniel qui raconte ce qu’il croit avoir entendu, les arguments de la défense comme de l’accusation, le déroulement des faits reste une simple hypothèse. Pas de preuves formelles. 

On est alors pris d’un doute, incapable de savoir ce qu’il s’est véritablement passé. Pourtant tout procès doit, au final, délivrer son verdict. C’est aussi la grande leçon de ce film qui place la justice à son véritable niveau : une simple approximation.

Film français de Justine Triet avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner


samedi 18 février 2023

DVD - Rire des riches, le credo de "Sans filtre"


Palme d’or à Cannes, en course pour plusieurs Oscars aux USA (meilleur film, scénario et réalisateur), Sans filtre (M6 Vidéo) du Suédois Ruben Östlund est une satire impitoyable de la société du paraître. Les riches, nouveaux et héritiers, en prennent pour leur grade dans ces trois heures de virtuosité cinématographique. Un long métrage découpé en trois parties.

On découvre dans un premier temps le milieu de la mode et les réussites du couple Carl et Yaya (Harris Dickinson et Charlbi Dean Kriek, décédée peu de temps avant la sortie du film en salles, à 32 ans). Un couple loué par sa beauté, invité pour briller sur une croisière de luxe avec de très riches industriels.

Dolly de Leon, une des comédiennes de Sans filtre.
  M6 Vidéo


La suite est un véritable massacre de classe, jouissive en ces temps où le peuple gronde dans la rue contre les superprofits des grands groupes capitalistiques. DVD et blu-ray offrent de jolis bonus pour un film dont l’achat se justifie déjà à lui tout seul. En plus d’un gros quart d’heure de scènes coupées (notamment l’histoire de la bague de fiançailles offerte par Carl à Yaya), deux longues interviews réalisées à Cannes sont proposées ; la comédienne Dolly de Leon et le réalisateur, espiègle quand il explique tout le plaisir qu’il a éprouvé en filmant le repas durant la tempête sur le bateau, prouesse cinématographique qui restera dans les annales du 7e art. 

lundi 5 septembre 2022

Cinéma - “Sans filtre” massacre le capitalisme et le luxe

Palme d’or à Cannes, Sans filtre est une féroce satire des dérives de la société capitaliste et consumériste

Le dîner du commandant (Woody Harrelson) va virer à la farce macabre. Plattform-Produktion


Rarement un film aura aussi bien démasqué les dérives de notre société capitaliste occidentale. Sans filtre, de Ruben Östlund, est d’une méchanceté qui n’a d’égale que sa justesse. Un pamphlet féroce qui est reparti de Cannes avec la Palme d’or. Méritée, même si le long-métrage (2 h 30) est parfois inégal. 

La première partie, sur la relation déséquilibrée entre deux mannequins (une femme et un homme), tout en abordant le problème des inégalités salariales, inversées dans ce cas précis, est un peu répétitive. Le final, sur une île déserte, avec quelques rescapés d’un naufrage, aurait mérité un film à lui tout seul. Certains regretteront, d’ailleurs, une fin un peu trop ouverte.  Reste la prouesse de ce Sans filtre, toute la partie se déroulant sur un yacht de luxe réservé à des croisières destinées aux ultra-riches. On retrouve, à bord, les deux mannequins, par ailleurs influenceurs, Carl (Harris Dickinson) et Yaya (Charlbi Dean Kriek). 

Ils vont côtoyer un oligarque russe, fier de clamer partout qu’il a fait fortune en « vendant de la merde » (il commercialise des engrais), le patron très coincé d’une start-up ou un couple de vieillards anglais, charmants, polis et prévenants, si ce n’est qu’ils ont gagné des milliards en vendant des mines antipersonnel à toutes les dictatures de la planète. Sur ce bateau, loin du bruit du monde et surtout des pauvres, les clients ont tous les droits. Quand la femme du Russe décide que les employés doivent aller se baigner, la décision est immédiatement validée par la responsable du personnel. 

Un monde feutré, où Carl et Yaya font un peu figure de tâches car, eux, ne sont pas encore riches à millions. La croisière leur est offerte, en échange de photos et de vidéos dithyrambiques. Un seul problème sur ce bateau : le capitaine (Woody Harrelson). Lors du classique et très attendu repas du commandant, il reçoit à sa table les plus riches. Mais ce soir-là, la mer est démontée. 

Rapidement, caviar, champagne, poulpe et autres mets raffinés se transforment en jets de vomis à l’effet burlesque absolument réjouissant. Ruben Östlund semble prendre beaucoup de plaisir à filmer ces très distingués capitalistes transformés en simples outres nauséeuses, glissant et roulant tels des ballots à l’abandon dans le roulis de la coursive répugnante de dégueulis et de merde. 

Le capitalisme dans toute son horreur. Sans filtre.

Film de Ruben Östlund avec Harris Dickinson, Charlbi Dean Kriek, Dolly de Leon, Woody Harrelson, Jean-Christophe Folly


mercredi 15 décembre 2021

DVD - « Titane » vaut de l’or


Le second film de Julia Ducournau, « Titane », est revenu de Cannes avec la Palme d’Or. Certes cette variation sur la maternité est brillante et dérangeante, mais on est quand même loin du chef-d’œuvre qui restera dans les annales du cinéma mondial. Reste que « Titane » qui sort chez Diaphana Vidéo, avec ses scènes fortes et parfaitement maîtrisées, reste longtemps dans notre mémoire. 

Victime d’un accident de la route, une fillette est rafistolée avec une plaque de titane dans la tête. Devenue adulte, son rapport avec les voitures, symboles absolus de la virilité, n’est pas allé en s’arrangeant. Elle est danseuse topless dans des exhibitions de belles mécaniques. Et le soir, elle fait l’amour avec ces monstres vrombissants. La suite est plus étonnante, entre fantastique et apologie de l’esthétique « pompiers ». La prestation d’Agathe Rousselle, très physique, apporte beaucoup à l’ensemble.

jeudi 18 mai 2017

Cinéma : Monica Bellucci se met à nue



Elle illuminera ce soir de sa grâce et de sa beauté la cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes. Monica Bellucci est une icône du cinéma moderne. Une actrice internationale, une star dans toute sa splendeur. Mais derrière l’image parfaite, il y a une femme. Sensible. Intelligente.
Guillaume Sbalchiero, journaliste et écrivain, a voulu aller plus loin que les apparences. Un jour il a sollicité un entretien avec la comédienne. À son grand étonnement, elle a accepté. Elle s’est livrée un peu la première fois. Mais comme elle a accepté d’autres rendezvous (sept au total) elle a totalement cassé l’armure pour se livrer. « Rencontres clandestines » est le récit de ces entretiens, sur plusieurs années, avec quelques pages de liaison où l’interrogateur raconte les circonstances des rencontres et sa vision de ce travail de fond. Un texte magnifique, d’une grande profondeur parfois, qui nous apprend beaucoup sur cette femme libre, mère, épouse et muse de grands cinéastes.
Difficile de tirer des extraits tant tout est intéressant ; mais on peut mettre en lumière cette réponse sur une question portant sur son « raffermissement de caractère » : « Je souffre d’un sentimentalisme exacerbé. Je pardonne beaucoup. Trop... Certaines personnes en ont profité. J’essaie désormais d’être sentimentale sans tomber dans le piège du sentimentalisme ». Ou cette pirouette sur la vieillesse, sur l’âge qui fait que l’on est « moins désirée » : « Je ne sais pas... Il y a toujours de bons gérontophiles ! »
➤ « Rencontres clandestines » entre Monica Bellucci et Guillaume Sbalchiero, éditions l’Archipel, 15 €

mercredi 17 mai 2017

Ouverture de Cannes : le festival arrive presque chez vous avec la sortie du film d'Arnaud Desplechin

LES FANTÔMES D’ISMAËL. Le nouveau film d’Arnaud Desplechin en ouverture du festival et déjà à l'affiche dans les salles de la région.

Le festival de Cannes, en plus d’être le rendez-vous mondial du cinéma de qualité, est une opportunité forte pour mettre en lumière certains longs-métrages. Une sélection au festival, si elle se combine à une sortie dans la foulée dans les salles françaises, assure une visibilité maximale car ce sont des centaines de journalistes français qui couvrent l’événement. Avec un bémol, l’impossibilité de voir les œuvres avant leur première diffusion au Palais.
C’est le cas des « Fantômes d’Ismaël », film d’Arnaud Desplechin hors compétition mais qui a le grand honneur d’être présenté en ouverture, avant le début des choses sé- rieuses. Présenté ce mercredi soir, il est aussi à l’affiche dans des centaines de salles. Dans la région il est programmé au Castillet à Perpignan, au Colisée à Carcassonne et au Cinéma (théâtre) de Narbonne. On retrouve en tête de distribution trois vedettes françaises habituées des grands rendez-vous. D’abord la star incontestée, Marion Cotillard, souvent décriée pour ses apparitions dans les grosses productions américaines après le succès de « La Môme », mais qui gère avec une grande classe et un réel talent ses films d’auteurs (Mal de Pierres, Juste la fin du monde). Elle interprète la femme disparue, et qui revient on ne sait d’où. C’est elle qui va hanter Ismaël, le cinéaste qui a refait sa vie avec une femme plus jeune. Mathieu Amalric endosse l’habit du veuf (mais pas trop) torturé. Charlotte Gainsbourg est l’espoir, le renouveau, l’avenir. Un trio classique ? Pas du tout, Arnaud Desplechin est à la manœuvre et le réalisateur de « Trois souvenirs de ma jeunesse » n’est pas un adepte du vaudeville.



■ Cinq films en un
Dans des notes de production, seules indications sur le film résumé par la phrase sibylline « À la veille du tournage de son nouveau film, la vie d’un cinéaste est chamboulée par la réapparition d’un amour disparu… », Arnaud Desplechin explique que « Les Fantômes d’Ismaël » est un film comprenant cinq films. « C’est le portrait d’Ivan, un diplomate qui traverse le monde sans n’y rien comprendre. C’est le portrait d’Ismaël, un réalisateur de film qui traverse sa vie sans n’y rien comprendre non plus. C’est le retour d’une femme, d’entre les morts. C’est aussi un film d’espionnage… Cinq films compressés en un seul, comme les nus féminins de Pollock. Ismaël est frénétique. Et le scénario est devenu frénétique avec lui ! Pourtant, Ismaël dans son grenier essaie de faire tenir ensemble les fils de la fiction… »
Les autres films de Cannes, notamment les étrangers, ne sont pas encore programmés. Par contre deux autres créations hexagonales seront diffusées en salles le jour même de leur présentation au jury présidé par Pedro Almodovar.
Mercredi 24 mai (au Castillet et au Cinéma (théâtre) de Narbonne), découvrez le « Rodin » de Jacques Doillon avec Vincent Lindon et Izia Igelin. Un biopic du célèbre sculpteur dans lequel on retrouvera avec curiosité Séverine Caneele, la jeune Nordiste, ouvrière en usine, qui a débuté sa carrière cinématographique dans « L’Humanité » de Bruno Dumont en remportant, à la surprise générale, le prix d’interprétation féminine.
Enfin à partir du 26 mai (programmé au Castillet) place à « L’amant double » de François Ozon. En compétition, il pourrait faire beaucoup parler de lui pour son côté sulfureux, écopant même d’une interdiction aux moins de 12 ans avec avertissement. Chloé (Marine Vacth), une jeune femme fragile et dé- pressive, entreprend une psychothérapie et tombe amoureuse de son psy, Paul (Jérémie Rénier). C’est peu de dire que nous sommes impatients de découvrir la nouvelle pépite du réalisateur toujours novateur de « Frantz » (en noir et blanc) ou « Une nouvelle amie » (avec Romain Duris en travesti).

vendredi 14 avril 2017

De choses et d'autres : Cannes en séries

Le cinéma a-t-il pris du plomb dans l’aile ? Hier, lors de la présentation de la sélection officielle du prochain festival de Cannes (du 17 au 28 mai), en plus des films d’habitués comme Michael Haneke ou Doillon, Ozon et Coppola (Sofia), les organisateurs ont annoncé la projection en exclusivité de deux séries télé. Loin des « Sous le soleil » ou « Riviera », abominations tournées dans les parages, les deux œuvres n’ont rien à envier en qualité aux films primés ces dernières années. Première à entrer en scène : Jane Campion. La saison 2 de « Top of the Lake » y sera présentée en intégralité. Cette histoire policière très sombre, tournée dans la Nouvelle-Zélande profonde, a remporté quantité de prix et un beau succès d’audience lors de sa diffusion sur Arte, co-productrice. En présence de son créateur David Lynch, la projection aux festivaliers chanceux des deux premiers épisodes de la saison trois de « Twin Peaks » représentera l’autre événement « télévisuel ». Considérée comme la première série qui casse les codes, « Twin Peaks » perd l’effet de surprise, mais le gé- nie de Lynch devrait toujours accomplir des merveilles. C’est dans la longueur, par définition, que les séries peuvent dépasser les films. Longueur pour développer la psychologie des personnages, pour mieux exploiter les décors ou les seconds rôles. Une série entre les mains d’un bon cinéaste c’est simplement plus de rêve, d’émotion, de surprises ou de rires.

jeudi 30 mars 2017

De choses et d'autres : une photo de Claudia Cardinale, retouchée pour l'affiche du festival de Cannes, fait polémique


Et si pour une fois on ne se penchait pas sur ce qui va se passer le 7 mai mais plutôt le 17. Ce jour-là, après des mois à s’interroger sur l’identité du locataire de l’Élysée, plus personne ne s’y intéressera. Le 17 mai débute le 70e festival de Cannes. Strass, paillettes, fêtes auront pris le dessus sur les affaires, costumes et autres trahisons. Même s’il faut se méfier des certitudes. Premier problème, le président du jury Pedro Almodovar ne cache pas sa passion pour la corrida. Et les « vegans » de demander son boycott. De plus, comme cette année 2017 semble définitivement placée sous le signe de l’embrouille, la présentation de l’affiche officielle a immédiatement dé- généré en polémique. On y voit Claudia Cardinale, jeune, virevoltant dans une large jupe fendue. Une photo prise en 1959 sur un toit de Rome.
Photo connue qui a fait tiquer certains. En effet, si l’on compare le document original et l’affiche, on constate que la star a perdu une taille après un rabotage des cuisses et des hanches grâce aux pinceaux électroniques d’un logiciel de retouche photographique.
Le culte de la maigreur a atteint de tels sommets en ce XXIe siècle, qu’un « créatif » s’octroie le droit de modifier la perfection. Car n’en déplaise à ces néo-esthètes, les courbes de Claudia Cardinale incarnent l’idéal de la beauté.
Alors par pitié, trafiquez tous les mannequins anorexiques que vous voulez (et qui provoquent de toute manière plus d’effroi que de rêve), mais laissez les légendes intactes. 

jeudi 8 décembre 2016

Cinéma : Corruption à tous les étages dans "Baccalauréat"

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Bienvenue en Roumanie, ses villes grises et dé- pressogènes, sa délinquance, ses chiens errants. Et sa corruption. Surtout sa corruption, au centre du nouveau film de Cristian Mungiu. Roméo (Adrian Titieni), mé- decin dans une petite ville de province, ne vit que pour sa fille Eliza (Maria Dragus), lycéenne sur le point de passer son baccalauréat.

Pour cette surdouée, bosseuse et brillante, ce ne sera qu’une formalité. Mais il faut qu’elle ait au minimum 18 dans toutes les matières pour confirmer sa bourse universitaire. Pas n’importe laquelle : celle qui lui permettra d’intégrer l’université de Cambridge, la porte pour une vie forcément meilleure loin de cette Roumanie, plus communiste mais toujours horriblement étriquée et gangrenée par la corruption.
Pour Roméo, il n’y a plus d’avenir dans ce pays. Étudier en Angleterre c’est sortir du ghetto. La veille du bac, en allant au lycée pour les dernières révisions, Eliza est agressée. Un homme tente de la violer. Elle se défend. Se blesse au poignet. Roméo voit l’œuvre de sa vie s’écrouler. Si Eliza ne peut pas passer son bac, c’en est terminé de Cambridge. Bien que traumatisée, elle va aux examens, mais son poignet luxé ne lui permet pas d’écrire aussi vite.
Roméo, en se confiant à un ami policier chargé de l’enquête, va mettre le doigt dans l’engrenage de la corruption. Car en Roumanie, avec quelques appuis, tout est possible. Il suffit de rendre service à la bonne personne pour que cette dernière fasse le nécessaire pour arranger vos affaires. Roméo s’est battu toute sa vie contre ces pratiques. Mais pour sa fille, pour son avenir, il va faire une exception. Le film de Cristian Mungiu, d’une logique extrême, démontre que parfois, même les honnêtes gens n’ont pas le choix. Roméo le résume par cette métaphore « pour se battre, parfois, il faut utiliser les mêmes armes que les autres ». En l’occurrence cette corruption présente partout, à tous les niveaux de la société.
Le metteur en scène, déjà primé à Cannes, a de nouveau été récompensé cette année avec le prix de la mise en scène. Adian Titieni, présent sur 90 % des plans, aurait pu obtenir celle de l’interprétation masculine tant son personnage, plein de doute, dé- chiré dans ses convictions, marque cette œuvre d’un réalisme implacable. 

jeudi 1 décembre 2016

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Une mère de famille a quelques heures pour rassembler une grosse somme qui lui permettra de sortir de prison. La corruption aux Philippines, sans le moindre filtre.
   
   
    Ma' Rosa
   



Film engagé, violent et sans concession, « Ma’ Rosa » de Brillante Mendoza dresse le portrait des Philippines actuelles. On comprend mieux dès lors pourquoi un populiste comme Duterte a été élu à la surprise générale uniquement en promettant d’éradiquer corruption et trafic de drogue. La vie est dure pour Ma’ Rosa (Jaclyn Jose, prix d’interprétation féminine à Cannes), épicière dans un quartier populaire. Son labeur permet de faire vivre toute sa petite famille, son mari et ses quatre enfants. Mais vendre des soupes en sachet, des bonbons et quelques cigarettes ne suffit pas. Bien malgré elle, elle est devenue revendeuse de drogue. De petites quantités de cristal fournies par un plus gros trafiquant.
Tout bascule quand, sur dénonciation, la police débarque dans son échoppe et l’arrête avec son mari. Les policiers, en civil, saisissent la drogue, l’argent liquide et menacent le couple s’il ne donne pas son fournisseur. La mère, qui a laissé les enfants seuls à la maison s’inquiète et accepte le marché.
■ La solidarité à la rescousse
Mais les policiers, qui semblent agir en dehors de tout contrôle de leur hiérarchie, veulent plus. Un gros pot-de-vin et tout rentrera dans l’ordre. Ce bref résumé du début du film semble un portrait à charge d’un pays en totale déliquescence. Les pauvres, de plus en plus pauvres, oublient en se défonçant. Les commerçants ne s’en sortent qu’en participant au trafic. Quant à la police, elle s’engraisse odieusement sur cet état de fait, préférant rançonner les dealers que de les emprisonner et les juger. Pas sûr que l’office du tourisme des Philippines apprécie.
Heureusement il y a beaucoup plus dans ce film à ne pas prendre au premier degré. Car derrière cette noirceur, il existe des solidarités réelles. Les enfants vont tout faire pour récolter la somme demandée. Solliciter les parents éloignés, payer de leur personne, vendre leurs biens les plus précieux. Cette course contre la montre donne un rythme et une force indéniables au film. Il paraît que les Philippines changent. Espérons que ce formidable esprit d’entraide et de solidarité n’en pâtisse pas trop. 

jeudi 10 novembre 2016

Cinéma : L’insécurité sévit aussi en Iran selon "Le client", film primé à Cannes


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LE CLIENT. Sélectionné à Cannes et doublement primé, en course pour les Oscars, le nouveau film d’Asghar Farhadi raconte la vie quotidienne en Iran, entre problème de logement et insécurité.


Prix du scénario et prix d’interprétation masculine à Shahab Hosseini, Asghar Farhadi, une nouvelle fois, n’aura pas fait le voyage pour rien au dernier festival de Cannes. Déjà primé à Cannes pour « Le Passé » en 2013, il avait connu la consécration internationale en 2011 avec «Une séparation », Ours d’or à Berlin et Oscar du film étranger. En grand habitué des festival, il a pourtant tourné « Le client » en raison du blocage temporaire de son grand projet espagnol avec Penelope Cruz et Javier Bardem. Mais visiblement ce retour au pays («Le Passé» avait été tourné en France) l’inspire. Il filme la ville de Téhéran avec une grande acuité. Une ville tentaculaire, en pleine mutation.
C’est d’ailleurs le point de départ de l’histoire. Un matin, tous les habitants d’un immeubles doivent évacuer la bâtisse. Des travaux dans la rue ont fragilisé les fondations, les murs se fissurent, les vitres éclatent. Emad (Shahab Hosseini) et Rana (Taraneh Alidoosti), jeune couple, doivent eux aussi trouver un autre logement. Ils sont hébergés par des amis puis une connaissance d’Emad, professeur qui fait également du théâtre, lui propose un appartement dans un ensemble moderne. Seul problème, une pièce est toujours occupé par les affaires de l’ancienne locataire. Un soir, quelqu’un pénètre dans l’appartement et agresse Rana.
■ Réalité iranienne
Au ton intimiste et réaliste, ce film donne une vision bien différente de l’Iran trop souvent fantasmé par l’Occident. Les gens y vivent, s’aiment et parfois souffrent exactement pour les mêmes raisons que chez nous. Il y a certes quelques notes diffé- rentes comme cette énième réunion avec les autorités pour « couper » certains passage de la pièce que la troupe d’Emad joue. Un classique contemporain pourtant, « Mort d’un commis voyageur » d’Arthur Miller. Quand Emad découvre l’agression de sa femme, il n’a qu’une idée en tête : se venger. Trouver le coupable et faire justice.
La piste va le conduire vers l’ancienne locataire et les clients qu’elle recevait chez elle. Une partie enquête policière oppressante, en parallèle au retour à la maison de Rana, terrorisée, incapable de rester seule dans ces murs. Mais il semble si difficile de se loger à Téhéran.
Asghar Farhadi, avec un recul étonnant, montre des faits sans jamais juger. Il laisse ce luxe à ses interprètes. Si Shahab Hosseini est impressionnant de détermination, la composition de Taraneh Alidoosti est éblouissante. Et on découvre que la prétendue violence de la société iranienne ne semble pas s’appliquer à tout le monde. A moins que le pardon soit une valeur sacrée partagée par toutes les religions. On sort cependant du film avec un certain malaise. Comme si l’agression était excusable, presque normale. On veut bien tenter de comprendre une mentalité différente, mais dans ce cas, jamais on ne pourra se mettre à la place d’une femme iranienne.

mardi 18 octobre 2016

Cinéma : La toubib et « La fille inconnue »

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Parfois, on se demande vraiment si le jury du festival de Cannes a bien vu les mêmes films que ceux qui depuis quelques semaines sont à l'affiche dans les salles. Rien pour « Toni Erdmann », rien pour les acteurs de « Juste la fin du monde », rien pour « Aquarius ». Trois excellents films comme on en voit rarement. Et un quatrième grand oublié sort ce mercredi avec « La fille inconnue » des frères Dardenne. Ils auraient largement mérité une quatrième palme. Et Adèle Haenel un premier prix d'interprétation. Mais comme les trois autres films, à l'arrivée, « La fille inconnue » n'a rien obtenu... Franchement incompréhensible tant ce film d'une tension perpétuelle prend aux tripes.
Jenny Davin (Adèle Haenel), médecin généraliste remplaçante, découvre son métier dans un petit cabinet de Liège en Belgique. Le soir, harassée, quand on sonne au cabinet une heure après la fermeture, elle ne va pas ouvrir. Et interdit à son stagiaire Julien (Olivier Bonnaud) d'y aller.
Le lendemain, des policiers sont devant son cabinet. Ils veulent récupérer les images de la caméra de vidéosurveillance de l'entrée du cabinet. Une jeune femme a été retrouvée morte de l'autre côté de la rue. La tête fracassée sur un bloc de béton au bord du canal. Jenny découvre avec effarement que c'est elle qui a sonné la veille. Sur les images, la fille inconnue est en panique, comme poursuivie. On ne voit pas la cause de sa terreur. Prise d'une culpabilité à rebours, Jenny va tout faire pour que l'inconnue ait une sépulture descente. La police n'a aucun indice. L'enquête piétine. Alors la jeune médecin va interroger tous ses patients pour finalement trouver un embryon de piste. Le film, social, forcément social avec les Dardenne, est pourtant construit comme un thriller. Mensonges, intimidations, Jenny joue un jeu dangereux. Mais c'est le prix à payer pour qu'elle retrouve une dignité et confiance en soi. Le travail de l'actrice principale est remarquable. Elle porte tout le film sur ses interrogations, doutes et envie de vérité. Cassante au début du film (notamment avec son stagiaire), elle s'humanise et découvre le véritable pourquoi de sa vocation.


jeudi 12 mai 2016

Cinéma : faites votre propre festival de Cannes (vidéos)

Si les stars du cinéma sont à Cannes, quelques films présentés en exclusivités sur la croisette sortent dans la foulée. Woody Allen ce mercredi, Jodie Foster jeudi et le Bruno Dumont vendredi.
Jusqu'au 22 mai, la planète cinéma vivra sur le tempo imposé par le festival de Cannes. Des œuvres fortes, des auteurs originaux, des acteurs d'exception... Le tout réservé aux festivaliers. Enfin pas complètement car le Festival de Cannes, chaque année, permet à quelques films de profiter de cette exposition médiatique mondiale pour assurer une promotion à leur sortie française. Et cette année, le public est chanceux car de nombreux films, le jour même de leur présentation sur la Croisette, seront à l'affiche dans les salles.

Le film d'ouverture, hors compétition, sera le premier à ouvrir le bal dès aujourd'hui. "Cafe Society", de Woody Allen, se passe à Hollywood dans les années 30. Un jeune Américain, devenu coursier, tombe amoureux d'une starlette. Amours compliquées dans un milieu où tout est possible. Cette comédie au cours de laquelle Woody Allen retrouve les USA et l'époque bénie de la gloire du cinéma, met en vedette Jesse Eisenberg et Kristen Stewart. Du moins ce sont les têtes d'affiche jeunes et bankables présentées sur les marches. Dans le film, ce sont surtout Steve Carell et Blake Lively qui sont sur le devant.

Demain jeudi, nouvelle sortie décalée dans les cinémas de la région avec Monster Money, nouveau film de la très francophile Jodie Foster. Celle qui a fait ses premiers pas à Cannes dans les années 70, encore adolescente (notamment dans Taxi driver), revient présenter son film, lui aussi hors compétition. Casting de rêve pour ce film avec George Clooney et Julia Roberts. L'histoire d'un présentateur vedette de la télé américaine qui donne des conseils financiers à ses auditeurs. Mais l'un d'entre eux, ruiné, décide de prendre en otage en direct son mauvais conseiller. Le film a des airs de réquisitoire contre les médias et la finance. A découvrir dès demain.
Drôles de flics
Vendredi, place à Ma Loute" de Bruno Dumont. Premier film en compétition qui sort le jour même de sa présentation au jury présidé par George Miller (lire ci-contre). Cannes synonyme de prise de tête ? Pas toujours puisque dimanche c'est "The Nice Gys" qui sera dévoilé et programmé dans la foulée dans les cinémas de la région.

Le film de Shane Black est une comédie qui s'annonce désopilante avec deux monstres du cinéma américain en contre-emploi : Ryan Gosling et Russel Crowe. Ils interprètent des détectives privés calamiteux chargés d'enquêter sur le prétendu suicide d'une starlette. Humour à tous les niveaux avec côté féminin la sublime Kim Basinger et la non moins charmante Margaret Qualley, vue dans Palo Alto et fille d'Andy McDowell.
Enfin mardi soir, sortie du nouveau Pedro Almodovar, "Julieta", également en compétition au festival. Mais nous en reparlerons la semaine prochaine...
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"Ma Loute", un Bruno Dumont burlesque
Certains réalisateurs, une fois primés à Cannes, reviennent régulièrement au festival. Cette année plusieurs habitués sont dans la sélection, de Xavier Dolan aux frères Dardenne en passant par Olivier Assayas et Bruno Dumont. Ce dernier, multiprimé avec La vie de Jésus, L'Humanité ou Flandres, change totalement de genre.

Vendredi "Ma Loute" sera diffusé pour la première fois et immédiatement programmé dans les cinémas de la région. Bruno Dumont, cinéaste du Nord (devenus "Hauts de France"...) plante une nouvelle fois ses caméras sur la côte d'Opale. Il abandonne le drame social pour le burlesque. Une seconde incursion après le feuilleton "Mon p'tit Quinquin" diffusé avec succès sur Arte. Dans les années 1910, il suit quelques extravagants bourgeois interprétés par Fabrice Luchini, Juliette Binoche et Valeria Bruni Tedeschi. Une histoire de passeurs, de belles maisons mais aussi de meurtre et d'enquête policière. Comme dans la série télé, les deux flics, interprétés par des acteurs amateurs, semblent totalement surréalistes. Un duo comique absolu où l'on retrouve toute l'originalité du réalisateur qui aime plus que tout les gueules cassées, sortant du cadre, du moule. C'est aussi le cas de Brandon Lavieville, incroyable interprète du personnage qui donne son nom au film. A ne pas manquer, dès vendredi dans vos salles !

vendredi 29 avril 2016

DE CHOSES ET D'AUTRES : TF1 en mode Ninja

tf1, ninja, warriors, beaugrand, cannes, brogniartLa télévision est parfois plus passionnante par ses coulisses que ses programmes. Prenez TF1, la chaîne la plus regardée en France. Un mastodonte de l'audiovisuel qui, pour la première fois depuis bien longtemps, est déficitaire sur les trois premiers mois de l'année.
Conséquence l'état-major a sonné le branle-bas de combat pour grappiller quelques parts de marché. Car même les valeurs sûres telles que Koh-Lanta (battu fin février par un match de rugby) ou The Voice donnent des signes de faiblesse. Alors il faut prendre des risques. Mais mesurés les risques. Face au buzz continuel autour de Cyril Hanouna et de son émission sur D8, TF1 ressort son atout maître : Arthur. Il lance une émission de distraction avec chroniqueurs autour d'une table, en hebdo dans un premier temps le vendredi soir, puis tous les jours à 17 heures. Nom de code : "5 à 7 avec Arthur". La grande déconnade assurée... entrecoupée d'un maximum de pubs.
Dans le même style, un nouveau programme va être diffusé. Rien de bien original puisqu'il s'agit de l'adaptation de "Ninja Warriors", jeu extrême de franchissement d'obstacles imaginé au Japon et déjà vu sur les chaînes de la TNT, à l'époque où elles achetaient n'importe quoi pour meubler l'antenne.
Retransmis en été mais tourné en une semaine sur le port de Cannes, il sera présenté par Christophe Beaugrand et Denis Brogniart, les Guy Lux et Léon Zitrone des temps modernes, avec Sandrine Quétier dans le costume de Simone Garnier. Que d'audace, la concurrence tremble.

samedi 31 octobre 2015

Cinéma : "The Lobster", cauchemar à deux


Prix du Jury au dernier festival de Cannes, le film de Yorgos Lanthimos interroge le public sur ses rapports à l'amour, la solitude et la vie à deux. Angoissant.


Le cinéma est un excellent endroit pour s'adresser aux couples qui ne sont jamais que deux anciens solitaires. Voir un film peut être une expérience à mener en solo ou à deux. Certains films sont même exclusivement réalisés pour des couples, amoureux de préférence. Cela pourrait être le cas de The Lobster, dernière réalisation du Grec Yorgos Lanthimos : toute l'histoire est centrée sur la recherche du "bon" partenaire. Dans un futur proche, tendance 1984, arrivé à l'âge adulte, il est obligatoire de vivre en couple. David (Colin Farrell) vient de se séparer de sa compagne. Il intègre directement un établissement spécialisé, entre hôtel de luxe et maison de convalescence, pour y chercher une remplaçante. Il a 45 jours pour trouver l'âme sœur parmi les autres pensionnaires. Passé ce délai, il sera transformé en animal de son choix. Pour David ce sera un homard, car "il vit jusqu'à cent ans et peut se reproduire toute sa vie".

Camp des solitaires
Pour rallonger sa villégiature, David à la possibilité, comme tous les autres pensionnaires, de gagner des jours. Il suffit de capturer dans les bois environnants des "solitaires", ces hommes et femmes rejetant le système et préférant vivre en sauvages, plutôt seuls qu'en couple. Deux mondes que tout oppose, disséqués par un cinéaste visionnaire dans les rapports humains. Incapable de s'intégrer, malgré une lamentable tentative de mensonge pour vivre avec une maître-femme, David fuit dans les bois. Il passe de l'autre côté, individualiste jusqu'au bout. Mais c'est finalement là qu'il rencontre le grand amour auprès d'une femme myope (Rachel Weitz). Une passion qu'ils devront cacher, au risque d'être bannis. Spécialiste des sujets complexes et tortueux, Yorgos Lanthimos s'était déjà fait remarquer par le très dérangeant "Canine". Il continue dans la même veine fantastique cauchemardesque, mais avec cette fois une distribution internationale. On retrouve dans les seconds rôles Ariane Lebed, Léa Seydoux, John C. Reilly et Angeliki Papoulia, seule actrice grecque de cette production entièrement tournée en Irlande.
Un film choc, qui aura obligatoirement des conséquences sur votre vision du monde. A deux dans le mensonge, seul et épanoui, en couple amoureux ou en solitaire malheureux : vous ne pourrez pas vous empêcher de vous questionner sur votre situation dans notre société.

La métamorphose de Colin Farrell


Habitué aux rôles de jeune premier et de beau mec musclé et bagarreur (Phone Game, Minoriry Report) Colin Farrel, un peu à l'image de Matthew McConaughey, multiplie les rôles décalés pour abandonner cette image un peu trop lisse. Dans 'The Lobster', la métamorphose est étonnante. Moustachu, portant lunettes, bedonnant, timide et empoté, il donne corps à ce solitaire s'interrogeant sur l'amour et la vie en couple. Avec une sobriété de tous les instants, il joue à merveille la résignation puis la fuite en avant. Un avant et un après à l'intérieur même du film, pour presque deux personnages différents.
Tourné au printemps 2014, c'est presque le même Colin Farrell qui avait déjà fortement étonné dans la saison 2 de 'True Detective'. Il y interprète un flic corrompu, miné par les regrets et l'alcool, incapable d'aimer son fils. Dans la série aussi son personnage subissait une évolution intellectuelle au fil des épisodes. Si cela continue, ce sera la nouvelle classification de cet acteur souvent génial.

mardi 26 mai 2015

DE CHOSES ET D'AUTRES - L'écume de Cannes

Le grand paradoxe du Festival de Cannes réside dans ce mélange de strass et de réflexion. Si la sélection officielle présente le fin du fin en matière de cinéma intellectuel (sans aucun préjugé péjoratif), la montée des marches demeure le moment le plus attendu du public qui en grande partie n'ira pas voir le film récompensé par la Palme d'or (le palmarès complet ici).

Que retenir de ce Festival de Cannes ? L'écume, comme toujours. Oubliée la charge virulente contre le sort réservé aux chômeurs dans La loi du marché. À la place tout le monde se souviendra de la fameuse petite culotte de Sophie Marceau. Membre du jury, l'actrice française, déjà prise en flagrant délit de sein baladeur, a cette fois été la victime consentante d'une bourrasque de vent. Forcément consentante, la robe entièrement ouverte ne pouvait rien masquer de son anatomie à un moment ou un autre. On se fait remarquer comme on peut. Depuis quelques années, Sophie peut peu.
Les larmes du public après le film de Nanni Moretti auraient pu constituer l'autre fait marquant de ce festival 2015. Perdu ! Retour sur les marches et un problème de hauteur de talons. Certaines invitées sont refoulées. Pas en raison de tenues à la limite de la décence ou du bon goût mais pour cause de chaussures trop plates.
En parlant de bon goût, les organisateurs auraient mieux fait de s'abstenir. La productrice Valeria Richter, amputée de la moitié du pied gauche, n'a vraiment pas apprécié cette exigence. Et on dit des stars qu'elles font des caprices.

samedi 23 mai 2015

Cinéma - Humiliations avant rupture dans "La loi du marché"

Filmé comme un reportage ou un documentaire, « La loi du marché » de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon montre l’âpreté du monde du travail actuel.


Présenté en compétition à Cannes lundi soir, « La loi du marché » de Stéphane Brizé est en salles depuis hier. Une sortie décalée pour un film au ton qui ne l’est pas moins. Vincent Lindon interprète Thierry, chômeur de 51 ans, à la recherche d’un emploi depuis près de deux ans. La première scène du film, un long plan séquence entre le chômeur et un conseiller de Pôle Emploi donne le « la ». Thierry vient de terminer une formation de grutier. Mais il constate qu’il ne sera jamais embauché car il n’a jamais travaillé dans le bâtiment auparavant. Et de demander pourquoi on lui a conseillé cette formation totalement inutile ? Le fonctionnaire n’a pas de réponse si ce n’est qu’il faudrait envisager une nouvelle reconversion, dans une autre branche, comme magasinier par exemple. Thierry, bouillonne intérieurement. On sent qu’il a envie d’exploser, de dire ses quatre vérités à ce rond-de-cuir incapable, juste bon à faire tourner un système moribond. Mais il prend sur lui. Ce n’est pourtant que le début de ses humiliations.

Humiliation publique
Faire un film sur la réalité d’un chômeur senior est un pari risqué. Le mélo se cache à chaque plan. Pour déjouer ces pièges, le réalisateur a fait le choix de la caméra à hauteur d’homme, comme un témoin de cette vie d’angoisse. Pas de fioritures dans la réalisation, une image brut de décoffrage. Comme l’existence de Thierry.
A Pôle Emploi, il doit suivre une formation pour mieux se “vendre” aux recruteurs. Il subit de plein fouet les critiques des autres stagiaires : trop froid, pas assez impliqué, regard fuyant... Il acquiesce. Une des scènes les plus dures, les plus démoralisantes. Tout le monde peut se retrouver dans la position de Thierry. Obligé de croire que si l’on ne trouve pas de travail, c’est en raison de sa personnalité trop éloigné de la caste des “gagneurs”.
A la banque aussi Thierry est acculé. Sa conseillère, après avoir tenté de lui faire revendre son appartement dont il n’a pas encore fini de payer les traites, veut lui faire souscrire une assurance décès. A 51 ans, une femme aimante et un fils handicapé moteur encore lycéen, il a l’impression qu’on lui propose de passer directement de la case chômage à celle de pierre tombale. A l’agonie financièrement il tente de revendre le mobile-home des vacances dans un camping au bord de la mer. Il tombe sur un de ces acheteurs persuadés que le marchandage est un art et qui trouvent normal de dénigrer le bien qu’ils guignent.
Alors Thierry accepte un nouvel emploi. Une nouvelle humiliation pour cet homme droit : vigile dans un grand magasin. De victime de la société capitaliste, il devient acteur du malheur des autres en démasquant petits voleurs, retraités chapardeurs et caissières indélicates. Mais à quel prix ?
Vincent Lindon, seul professionnel de la distribution, signe une véritable performance d’acteur dans cette chronique sociale d’un homme au bord de la rupture.
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Le social-style

Dans un style qui ressemble parfois à celui des frères Dardenne, Stéphane Brizé fait une première incursion dans le film social. Un genre très à la mode depuis quelques mois. On retrouve un peu dans « La loi du marché » l’ambiance de « Discount » et les personnages de « Jamais de la vie ». Mais si les deux longs-métrages de Louis-Julien Petit et Pierre Jolivet sont des œuvres de fiction s’appuyant sur un monde réaliste, le film présenté à Cannes en compétition ressemble plus à un documentaire, sans effet de style, grandes envolées et dénouement heureux (ou malheureux). Juste la captation de quelques mois dans la vie d’un homme fatigué moralement de se battre pour tenter de rester digne, de survivre dans un monde de plus en plus déshumanisé. L’impression donnée au spectateur d’être le témoin-voyeur des affres du cinquantenaire au chômage puis malheureux dans son boulot dénué de toute compassion, est renforcée par la réalisation volontairement peu sophistiquée. Toujours en retrait, la caméra filme rarement Thierry de face. Comme si lui aussi était le témoin de son existence. Les flous ou les aller-et-retour lors des dialogues, comme des travellings non maîtrisés, donnent une impression de spontanéité absolue. De même, l’utilisation des images des caméras de surveillance du magasin, aux images pixelisées et de mauvaise qualité, renforcent le côté sinistre de l’histoire.

lundi 16 février 2015

Cinéma - Des « Merveilles » italiennes fantasmagoriques et oniriques

Une famille se décompose face aux défis du futur.


Récompensé du Grand Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, « Les Merveilles » d’Alice Rohrwacher est un film hors du temps, gracieux, onirique et fantasmagorique. Un diamant à l’état brut, qui brille dans l’obscurité, aveugle même en plein soleil. De ces œuvres qui restent longtemps dans les mémoires, comme des souvenirs enfouis au plus profond de notre mémoire mais qui jamais ne s’effacent complètement. Il y est question de merveilles mais surtout de mémoire, du temps passé, de l’oubli et de la perte d’identité. Une somme de thématiques, toutes abordées avec cette subtilité italienne si efficace quand elle est utilisée à bon escient.


La maison est délabrée. Toute la famille y vit un peu entassée, comme les anciennes tribus. Il y a le père (Sam Louwyck), la mère (Alba Rohrwacher, sœur de la réalisatrice) et leurs trois filles. La plus grande, Gelsomina (Maria Alexandra Lungu) devrait profiter de son adolescence. Mais elle est sans cesse réquisitionnée par son père pour les travaux de l’exploitation. La famille vit du miel produit par quelques dizaines de ruches disséminées dans cette campagne de la région d’Ombrie. Il faut le collecter puis, à la ferme, l’extraire et le conditionner. Un travail quasi 24 heures sur 24 qui obsède Gelsomina.
Ce quotidien parfaitement réglé, loin de l’agitation de la ville et de la vie moderne, est brouillé par deux événements. Pour gagner un peu plus d’argent, le père accepte d’accueillir un jeune délinquant allemand placé par une association. Martin, silencieux et casanier, en plus de rapporter une petite somme, sera parfait pour réaliser les travaux de force dans l’exploitation. Au même moment, une équipe de télévision vient faire des repérages dans cette campagne préservée pour tourner une émission de téléréalité sur la richesse de ce terroir préservé. Gelsomina et sa sœur Marinella sont subjuguées par la présentatrice, Milly Catena (Monica Bellucci), sorte de déesse des temps anciens à la tunique immaculée et aux longs cheveux blonds.

La réalisatrice va lentement dérouler son intrigue, entre hésitations des filles, renoncement du père, et envie d’émancipation de la mère. Comme si la conjugaison de tous ces événements marquait la fin d’une époque, d’une vie. Les images sont d’une rare beauté, notamment quand interviennent les milliers d’abeilles, symboles de cette campagne en pleine déliquescence pour cause de modernité. Un film beau, tout simplement.

lundi 15 décembre 2014

Cinéma : “Timbuktu”, beauté contre barbarie


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Injustement oublié au palmarès du festival de Cannes, le film d’Abderrahmane Sissako est un témoignage fort contre la barbarie de l’islamisme radical.


Abderrahmane Sissako parle de son film « Timbuktu » tel un sage africain : avec mesure, gravité et poésie. Sa parole porte, comme ses images, belles et horribles à la fois. Belles comme ces paysages du Mali, ces rues gorgées de soleil, ces dunes aux courbes féminines. Horribles comme les hommes en armes qui ont pris la ville, y font régner la terreur de leur religion intransigeante, jugeant et tuant au nom d’un dieu très éloigné de la miséricorde. « On peut emprisonner l’amour et la musique mais on ne peut pas les tuer », explique le réalisateur malien persuadé que « l’amour vaincra le djihadisme ». Sans être à proprement parler un film politique, Timbuktu est avant tout un témoignage, une trace « pour qu’aucun enfant ne puisse apprendre plus tard que leurs parents peuvent mourir parce qu’ils s’aiment ».

Lapidation
« Timbuktu » fait partie de ces films qui ont eu toutes les peines du monde à se monter. À la base, Sissako voulait réaliser un documentaire sur la lapidation d’un couple dans un petit village. En juillet 2012, un homme et une femme ont été tués à coups de pierres car ils n’étaient pas mariés devant Dieu. Ils avaient deux enfants. Le pays était toujours en guerre, il a renoncé et s’est tourné vers la fiction. « Timbuktu » devait à la base ne raconter que le quotidien des habitants de la ville placés, du jour au lendemain, sous le joug de ces hommes venus du Nord. Mais un autre fait divers a de nouveau modifié la trame du film. Kidane (Ibrahim Ahmed, dit Pino) vit paisiblement dans les dunes en compagnie de sa femme Satima (Toulou Kiki) et sa fille Toya (Layla Walet Mohamed). Il possède un petit troupeau de vaches confié à un jeune berger. En les abreuvant, au bord d’un lac, l’une d’entre elles détruit les filets d’un pêcheur. Ce dernier la tue. Kidane réclame une indemnisation, les esprits s’échauffent et le fermier tue accidentellement le pêcheur. Ce sont les djihadistes qui vont juger Kidane. Selon la charia.
Le drame progresse lentement, inexorablement. Dans cette ville où toute tradition ancestrale est devenue interdite. Plus de cigarettes, ni de musique. Les femmes doivent être voilées, porter des chaussettes et des gants, les enfants n’ont plus le droit de jouer au football...
Le film n’est pourtant pas dénué de nuances. « J’ai humanisé les djihadistes », admet Sissako. La nuit, quand ils font la chasse aux musiciens, avant d’intervenir, ils écoutent longuement ces mélodies si belles. Un autre pose ses armes et danse en compagnie de Zabou la folle (Kettly Noël), formidable personnage, bouffée de liberté sous cette chape d’interdits. Le film, en plus de mettre en lumière l’Islam tolérant, réalité de cette Afrique sahélienne, porte également un message d’espoir. La terreur djihadiste est vouée à sa perte. « Mais, prévient Abderrahmane Sissako, la victoire ce n’est pas l’armée. La victoire ce sont ceux qui résistent, ceux qui chantent. »


Un projet en Chine

Grand oublié du Festival de Cannes, Abderrahmane Sissako avoue « cinq minutes de déception » à l’énoncé du palmarès. « Ce qui compte surtout pour moi, c’est l’accueil du public. » Il y a dans le film plusieurs moments de grâce absolue, un côté poétique qui tranche avec la violence d’autres scènes. Un match de foot sans ballon reste dans les mémoires. La nuit, dans la douceur d’une pièce recouverte de tapis et de coussins, deux jeunes couples jouent de la musique. Les femmes chantent. C’est beau, émouvant. Mais interdit.

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Le lendemain, la chanteuse, habillée de noir de la tête aux pieds, est fouettée en public. Du chant mélodieux aux hurlements de douleur...
Encore en projet, Sissako pense à un film sur la Chine. « Je voudrais raconter comment un Chinois revient en Afrique pour y retrouver sa fille illégitime. La Chine est en Afrique comme l’Afrique est en Chine. Des histoires se nouent. Il va falloir faire avec ce nouveau monde » C’est une réalité incontournable pour Sissako. « La Chine construit des ponts et des routes en Afrique. De 1960 à aujourd’hui, la France n’a plus rien fait en Afrique. L’Occident a délibérément choisi d’appauvrir l’Afrique. »

vendredi 26 septembre 2014

Cinéma : « Leviathan » ou la Russie crépusculaire


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Si la Russie a gagné quelques libertés individuelles en rejetant le communisme, les féodalismes locaux ont la vie dure.


En compétition au dernier Festival de Cannes, « Léviathan » d'Andreï Zviaguintsev a remporté la palme du scénario. L'histoire, simple et noire à souhait, permet de décrire la situation réelle de ce pays, débarrassé de la dictature communiste mais pas des petites féodalités. Le personnage principal, Kolia (Alexeï Serebriakov), ancien parachutiste, s'est retiré dans une petite ville du grand nord, au bord de la mer de Barents, pour y exploiter un garage accolé à la maison familiale depuis quatre générations. Il y vit en compagnie de son fils Roma, adolescent en pleine période de rébellion, et Livia (Elena Liadova), sa jeune et nouvelle épouse. Il aurait tout pour être heureux si le maire (Roman Madianov) n'avait pas décidé de construire à l'emplacement de sa maison un centre de télécommunications.
Après avoir tenté de trouver un arrangement avec Kolia, il passe à la manière forte. Expropriation et indemnités ridicules. Acculé, Kolia se souvient d'un collègue d'armée devenu depuis avocat à Moscou. Dmitri vient passer quelques jours chez son ami avec de nouveaux atouts dans sa manche. La police et la justice locales étant totalement inféodées au maire - caricature d'un Eltsine (pour son alcoolisme et ses rondeurs) mâtiné de la morgue d'un Poutine et de la violence d'un Staline - Dmitri va devoir aller chercher des appuis très haut pour tenter de faire plier l'élu.

Le faible et le fort
Le film, lent et parfois contemplatif, se découpe en plusieurs longues séquences. Elles peuvent présenter la nature sauvage et déserte de cette partie de la Russie, ou les rapports compliqués entre les habitants du cru, tous très portés sur la vodka, alcool qui coule à flot et en permanence. Kolia boit beaucoup. Et devient rapidement violent. Le maire, toujours accompagné de plusieurs nervis, n'est pas en reste. Cela donne cette scène surréaliste où il vient, en pleine nuit, menacer Kolia devant femme et enfant. Toute la noirceur de ce pays, offert aux affairistes et aux mafias locales est résumée dans cet affrontement du faible contre le fort.
Pourtant on y croit à un moment. Dmitri, en plus du soutien d'un homme qui fait trembler rien qu'à l'évocation de son nom, a un dossier circonstancié sur les horreurs commises par le maire.
Un chantage à la vérité qui tourne court. La Russie décrite par Andreï Zviaguintsev a tout de la république bananière ou du comté moyenâgeux. Il n'y fait pas bon vivre avec l'espoir d'une once de liberté. Par contre, on y meurt facilement. Une œuvre forte, à la narration maîtrisée et aux images soignées. Les acteurs sont tous excellents avec cependant une mention spéciale à Elena Liadova, faible et fragile dans cet univers d'hommes rudes et Roman Madianov, archétype de l'homme corrompu par le pouvoir, aussi infime soit-il.