ORPHELINE. Quatre actrices pour interpréter la vie d’une même femme blessée
Trop souvent, les films français manquent de finition et de maîtrise. Quelques fausses notes dans l’interprétation, un montage à la serpe, des éclairages de téléfilms... « Orpheline » est l’antithèse de ces approximations qui gâchent le plaisir du cinéphile, voire le désespèrent. Mais la maîtrise absolue de la réalisation ne doit pas faire oublier le message.
Arnaud des Pallières, réalisateur primé du ténébreux « Michael Kohlhaas » a trouvé l’équilibre parfait entre forme et fond. Pourtant le parti était risqué de raconter la vie d’une femme sur quatre périodes de sa vie, avec autant d’actrices différentes et en reculant dans le temps.
■ Féminismes
S’il a mis plus de trois années à écrire le scénario, le découpage, trouver la distribution, tourner et reprendre à plusieurs reprises le montage final, ce n’est pas du luxe. Juste la volonté que le spectateur soit happé par l’existence de cette femme tentant de survivre dans un univers dominé par le genre masculin, sa violence, son désir et in fine l’asservissement des femmes.
Dénoncé par certaines féministes pour son côté voyeurisme et sexiste, « Orpheline » est pourtant un film de femmes, pour les femmes, contre les hommes. Exactement contre la « marchandisation » des femmes par certains hommes. Leur formatage aussi dès l’enfance, à vé- nérer le mâle tout puissant, à n’envisager leurs vies qu’à l’abri de leur prétendue protection.
Passée cette longue introduction pour expliquer pourquoi il faut absolument aller voir « Orpheline », sachez qu’en plus vous aurez l’occasion de voir réunies trois des meilleures actrices de la nouvelle génération. Avec, par ordre d’entrée en scène, Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos et Solène Rigot. Elles interprètent le même personnage, toujours en fuite sous diverses identités. Renée (Adèle Haenel) est institutrice. Avec son compagnon Darius (Jalil Lespert), elle tente d’avoir un enfant. A recours à la fécondation in vitro et va enfin devenir mère à 27 ans. Mais un matin, la police défonce la porte et arrête Renée. Jugée, condamnée, emprisonnée, elle doit répondre des agissements de Sandra, la jeune femme de 20 ans qui a commis un important vol.
■ Blessure d’enfance
Sandra (Adèle Exarchopoulos) prend le relais du récit. Montée à Paris, elle a répondu à une petite annonce d’un homme cherchant à adopter une fille. Relation trouble avec ce bookmaker qui en plus lui trouve un emploi dans un hippodrome. Là où elle commet son vol avec la complicité de Tara (Gemma Arterton).
Comment Sandra est-elle arrivée à Paris, nouveau recul dans le temps. Elle se nomme Karine (Solène Rigot), à 13 ans, en paraît 18, est tabassée par son père (Nicolas Duvauchelle), sort la nuit et couche avec tout ce qui lui tombe sous la main. Pourquoi, comment ? Voilà Kiki (Vega Cuzytek), petite fille de 6 ans, jouant à cache-cache dans une casse de voitures.
Un film à rebrousse-poil, dans lequel on recule dans le temps comme quand on en appelle à ses souvenirs et qu’au fur et à mesure de la réflexion, on recule de plus en plus dans son enfance, se souvenant des bons et mauvais moments. Pour l’héroïne d’Arnaud de Pallières, on comprend au dé- but du film que sa future maternité est le premier signe positif d’une vie couverte de plaies et de coups. Une lueur d’espoir, une occasion inespérée de s’amender, de se fixer, d’envisager l’avenir avec sérénité.
Reste que le déterminisme de notre société, malgré une réelle évolution des mentalités, ne laisse que peu de latitudes aux femmes en recherche d’émancipation. Il est là le message du film, charge puissante contre les hommes, par un homme qui avoue avoir eu l’impression de devenir une femme lors de l’écriture et du tournage du film.
_________________
Trio magique
La virtuosité cinématographique permet de passer très rapidement sur le pari le plus audacieux du film : faire interpréter l’héroïne par trois actrices différentes en fonction de son âge. Pari d’autant plus risqué qu’elles ont toutes les trois quasi le même âge. Mais la personnalité de chacune, leurs qualités de comédiennes font que l’on ne remet jamais en cause ce concept. Et grâce à une construction millimétrée, le passage d’une époque à l’autre se fait en douceur, avec la volonté affichée (et maîtrisée) du réalisateur « d’avoir un temps d’avance sur le spectateur ».
L’autre difficulté pour les interprètes était de tourner leur partie sans avoir vu les autres. Un peu comme si elles se contentaient d’un court-métrage. Solène Rigot dans la peau de Karine (13 ans), n’avait aucune idée de la prestation de ses deux amies. Elles se sont contenté d’une lecture du scénario en commun avant le tournage. Quelques éléments matériels ont permis de les rapprocher, mais c’est surtout l’œil du réalisateur qui a permis l’identification.
La répartition des rôles s’est fait comme une évidence. Solène Rigot, la plus menue, fragile, interprète cette adolescente en pleine période de rébellion contre son père. Et comme pour mieux se soustraire à sa domination, elle se donne au premier venu, fuguant, découchant, trompant les hommes rencontrés sur son véritable âge. Elle est crédible sans être vulgaire.
Adèle Exarchopoulos aurait pu interpréter le rôle de Renée. Mais finalement le réalisateur a préféré lui donner celui de Sandra, la vingtaine, paumée à Paris et prête à tout pour prendre sa chance et se sortir de cette vie sans but.
Adèle Haebnel, dans le rôle de la femme mûre, celle qui semble avoir tiré un trait sur son passé mouvementé, est particulièrement émouvante. Car elle semble marquée par une malédiction venue de la petite enfance. Elle qui n’a pas eu de mère, élevée à la dure par son père ferrailleur, rêve de donner tout son amour à l’enfant qu’elle porte enfin. Mais le passé la rattrape et une nouvelle fois elle prend la fuite pour ne pas devoir accoucher en prison.
Au-delà de l’histoire, forte et basée en partie sur la véritable vie de la co-scénariste, Christelle Berthevas, « Orpheline » est de ces rares films qui offrent des rôles en or à des comédiennes, loin des comédies hystériques ou des biopics améliorés. La vie d’une femme. Simplement.
Quelques chroniques de livres et BD qui méritent d'être lus et les critiques cinéma des dernières nouveautés. Par Michel et Fabienne Litout
Affichage des articles dont le libellé est haenel. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est haenel. Afficher tous les articles
mercredi 29 mars 2017
mardi 18 octobre 2016
Cinéma : La toubib et « La fille inconnue »

Jenny Davin (Adèle Haenel), médecin généraliste remplaçante, découvre son métier dans un petit cabinet de Liège en Belgique. Le soir, harassée, quand on sonne au cabinet une heure après la fermeture, elle ne va pas ouvrir. Et interdit à son stagiaire Julien (Olivier Bonnaud) d'y aller.
Le lendemain, des policiers sont devant son cabinet. Ils veulent récupérer les images de la caméra de vidéosurveillance de l'entrée du cabinet. Une jeune femme a été retrouvée morte de l'autre côté de la rue. La tête fracassée sur un bloc de béton au bord du canal. Jenny découvre avec effarement que c'est elle qui a sonné la veille. Sur les images, la fille inconnue est en panique, comme poursuivie. On ne voit pas la cause de sa terreur. Prise d'une culpabilité à rebours, Jenny va tout faire pour que l'inconnue ait une sépulture descente. La police n'a aucun indice. L'enquête piétine. Alors la jeune médecin va interroger tous ses patients pour finalement trouver un embryon de piste. Le film, social, forcément social avec les Dardenne, est pourtant construit comme un thriller. Mensonges, intimidations, Jenny joue un jeu dangereux. Mais c'est le prix à payer pour qu'elle retrouve une dignité et confiance en soi. Le travail de l'actrice principale est remarquable. Elle porte tout le film sur ses interrogations, doutes et envie de vérité. Cassante au début du film (notamment avec son stagiaire), elle s'humanise et découvre le véritable pourquoi de sa vocation.
samedi 23 août 2014
Cinéma - Le nouvel Eden des « Combattants »
Un homme, une femme, la nature. Le premier film de Thomas Cailley parle d'amour, de survie et de la place des jeunes dans la société.
Le premier contact entre Madeleine (Adèle Haenel) et Arnaud (Kevin Azaïs) est des plus rugueux. Sur une place, au coeur de l'été, l'armée française organise des jeux pour tenter de recruter des jeunes susceptibles de s'engager. Arnaud, inscrit par des amis, doit se mesurer à Madeleine dans un corps-à-corps. Madeleine, musclée et entraînée, a vite le dessus. D'autant qu'Arnaud rechigne à se battre avec une femme. Bloqué, il n'a pas d'autre moyen que de mordre son adversaire pour lui faire lâcher prise. Ils se séparent en se lançant des regards de haine. Fin du prologue de ce film entre naturalisme et survivalisme.
Arnaud recroise le chemin de Madeleine quelques jours plus tard. Il aide son frère à construire des abris de piscine en bois. Les parents de la jeune fille, riches bourgeois aisés, en achètent un et c'est Arnaud qui va le construire. L'ouvrier va travailler tout en surveillant la jeune femme qui fait des longueurs dans la piscine. Intrigué par sa nage particulière, il s'approche du bord. Quand Madeleine émerge, avec ce ton cassant qui la caractérise elle l'apostrophe : « Tu me mates? » La situation tendue se débloque quand Madeleine demande à Arnaud s'il peut la conduire sur la plage, là où les militaires ont planté leur podium d'information. L'incompréhension mutuelle va lentement se transformer en fascination. Surtout du fait d'Arnaud qui reste sans voix face à cette fille qui sait ce qu'elle veut. Madeleine, persuadée que le fin du monde est proche, cherche à s'aguerrir pour survivre. La meilleure façon, selon elle, est d'intégrer l'armée française, un bataillon de parachutistes, les mieux entraînés.
La forêt sur grand écran
Avant un stage de deux semaines, elle fait ses classes avec Arnaud en coach : nage avec sac à dos chargé et préparation aux nourritures les plus abjectes (elle petit-déjeune avec un maquereau cru passé au mixer...). Arnaud aussi fera ce stage et leur destin se trouvera alors irrémédiablement lié.
Tourné dans les forêts landaises, certaines scènes du film font penser à un nouvel éden. Voire à deux naufragés volontaires loin de la civilisation. L'amour a-t-il sa place dans cet environnement hostile ? La survie est-elle plus facile seule ou en couple ? Ce long-métrage, présenté à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, tout en abordant des thèmes éternels, est particulièrement bien ancré dans son époque.
_________________________________________________________________
Femme forte
Si Arnaud semble beaucoup hésiter sur l'orientation à donner à se vie future, Madeleine ne doute pas une seconde.
Quand elle accepte de venir manger chez Arnaud (elle venait pour lui offrir des poussins morts et congelés à donner à manger à son furet...), elle explique calmement qu'on est tous condamnés. Entre la faim dans le monde, le réchauffement climatique ou les catastrophes nucléaires, rien n'est épargné aux convives. S'engager dans l'armée, c'est se préparer à survivre. Problème, cette individualiste survivaliste ne supporte pas l'autorité. Son stage de commando tourne rapidement au fiasco.
Pour interpréter cette femme forte et fragile, Adèle Haenel a mis de côté son charme et son joli minois. Elle ne sourit quasiment jamais, semble toujours sur la défensive et aboie plus qu'elle ne parle. Une jolie performance pour une actrice déjà primée aux Césars avec le prix du meilleur second rôle en 2014 dans « Suzanne ». Elle est également au générique de “L’homme qu’on aimait trop“ d’André Téchiné, toujours à l’affiche.
Inscription à :
Commentaires (Atom)




