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jeudi 24 août 2023

Cinéma - “Anatomie d’une chute” et doute assourdissant

La justice décortiquée, dans ses doutes et ses raccourcis, grâce au film de Justine Triet, Palme d’Or à Cannes.


Palme d’Or plus que méritée au dernier festival de Cannes, Anatomie d’une chute de Justine Triet est un thriller judiciaire captivant. On ne voit pas passer les 2 h 30 du film tant la tension et l’intrigue sont minutieusement distillées par la réalisatrice et ses interprètes. L’histoire d’une romance qui finit mal, dans le sang qui tache la neige. 

En hiver, dans la région de Grenoble, Sandra (Sandra Hüller), romancière allemande, vit dans un chalet isolé en compagnie de son mari, Samuel, originaire de la région, professeur d’université. C’est leur fils, Daniel (Milo Machado Graner) qui, au retour d’une balade avec son chien Snoop, découvre son père, mort devant la maison. Il était en train de faire des travaux dans les combles. 

Chute mortelle ? Les gendarmes doutent. La veille, Sandra et Samuel se sont violemment disputés. À l’issue d’une enquête compliquée, Sandra est accusée du meurtre et se retrouve aux assises. La première heure du film permet de contextualiser les rapports de la famille. Comprendre notamment que Daniel est aveugle après un accident dont Samuel serait responsable. 

Le doute omniprésent

Vient ensuite l’heure du procès. Le corps du film, filmé en plans resserrés, avec tous les effets de manche comme autant de trucs de comédiens de théâtre. L’avocat général (Antoine Reinartz) multiplie les questions piège pour acculer Sandra dans ses derniers retranchements. Car elle n’a pas tout dit aux enquêteurs. 

Elle pourra compter sur le calme et la rigueur méthodique de son avocat, Vincent (Swann Arlaud), qui a bien connu Sandra dans sa jeunesse. Cette partie est brillamment réalisée. Justine Triet y déploie sa science des cadrages, des dialogues et des silences parlants pour amener le spectateur à se poser les mêmes questions que les jurés : Sandra est-elle coupable ? A-t-elle tué son mari depuis la terrasse ? A moins que ce dernier ne se soit tout simplement suicidé en sautant dans le vide ? 

Malgré l’enquête, les avis des experts certifiés qui défilent à la barre, les déclarations de Daniel qui raconte ce qu’il croit avoir entendu, les arguments de la défense comme de l’accusation, le déroulement des faits reste une simple hypothèse. Pas de preuves formelles. 

On est alors pris d’un doute, incapable de savoir ce qu’il s’est véritablement passé. Pourtant tout procès doit, au final, délivrer son verdict. C’est aussi la grande leçon de ce film qui place la justice à son véritable niveau : une simple approximation.

Film français de Justine Triet avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner


mercredi 19 avril 2023

De choses et d’autres - Houellebecq débouté, Houellebecq dégoûté

Ne jamais signer un contrat en ayant trop bu. Michel Houellebecq aurait dû faire sienne cette maxime, quand il a accepté la proposition d’un artiste néerlandais. Dans le but de prouver que l’amour peut réconcilier la gauche et la droite, Stefan Ruitenbeek propose à l’écrivain français, catalogué à droite, voire un peu plus, de se laisser convaincre par une jeune militante de gauche de faire l’amour avec lui ; il est séduit par l’idée. Le tout filmé et diffusé.

En compagnie de sa femme (c’était aussi une sorte de cadeau de mariage…), le romancier tourne quelques scènes qualifiées de pornographiques. Mais quand un premier extrait est diffusé sur le net, Houellebecq veut tout arrêter. Il demande l’interdiction du film à la justice.

Le procès vient d’avoir lieu. Principal argument pour ne pas montrer ces scènes : l’accord a été obtenu alors que le romancier était « dépressif » et que son discernement était faussé car « sous l’emprise de l’alcool au moment de la signature ». Les juges, après avoir visionné la signature du contrat (Stefan Ruitenbeek a l’habitude de tout filmer, avant, pendant et après ses expériences artistiques), ont convenu que Michel Houellebecq n’était pas spécialement ivre. Et qu’il semblait parfaitement au courant des intentions du réalisateur.

Bref, il est débouté. Dégoûté aussi puisqu’il doit payer les frais de justice, près de 1 400 euros.

Il compte faire appel. Mais en attendant, le montage du film avance et tous ceux qui sont allergiques au romancier provocateur dans ses écrits, attendent avec délectation de le voir dans un rôle inhabituel et pas forcément à son avantage.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le jeudi 30 mars 2023

mercredi 8 mars 2023

Cinéma - "Je verrai toujours vos visages" ou quand la justice aide à réparer les âmes


Extraordinaire film témoignage sur la justice restaurative. Un casting prestigieux au service d’une démarche qui redonne foi en l’Humanité.

Film choral maîtrisé de bout en bout, Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry fait partie de ces œuvres qui, en plus de bouleverser le spectateur sur le moment, va longtemps rester présent dans sa mémoire, comme une étincelle de vie et d’espoir indestructible qui redonne foi en l’avenir face aux errements de notre époque.

Pourtant le sujet n’est pas des plus folichon. La justice restaurative propose à des victimes de dialoguer dans des conditions sécurisées avec des auteurs d’infraction en train de purger leur peine de prison. Des rencontres au long cours, préparées en amont par des encadrants, souvent des bénévoles.

Le film de Jeanne Herry suit deux dossiers. Le premier, classique, permet à trois victimes (Miou-Miou, Gilles Lellouche et Leïla Bekhti) de demander des explications à trois agresseurs (Birane Ba, Fred Testot et Dali Benssalah) qui eux tentent de prendre conscience des dégâts causés par leur violence. Des face-à-face longuement préparés et encadrés par Fanny et Michel (Suliane Brahim et Jean-Pierre Darroussin).

Du chef d’entreprise cambriolé et saucissonné chez lui à la caissière de supermarché menacée durant un braquage ou du toxico prêt à tout pour se payer sa dose au jeune de banlieue persuadé que la manière forte permet d’avoir réponse à tout, l’incompréhension, au début, est totale. On subit d’ailleurs des silences pesants ou des colères homériques. Avec cependant toujours présente cette volonté d’écouter l’autre.

Ces scènes, de témoignages puis de confrontations, sont d’une incroyable force. On se croirait dans un documentaire. Les comédiens gomment complètement leurs tics ou artifices du métier pour jouer une partition d’une exceptionnelle justesse et vérité. Avec au final une ultime rencontre qui explique toute la finalité et surtout l’utilité de ces démarches.

L’autre dossier du film concerne Chloé (Adèle Exarchopoulos). Elle veut mettre les choses au point quand elle apprend que son demi-frère, qui l’a agressée sexuellement quand elle était enfant, est sorti de prison et vit de nouveau dans la même ville qu’elle. Judith (Élodie Bouchez), de la justice restaurative, va jouer les intermédiaires pour leur permettre de trouver un terrain d’entente.

Là aussi, la scène finale, la rencontre entre la victime et son bourreau, ne peut laisser personne indifférent. Un très grand film qui devrait faire date dans le cinéma français de qualité.


Film français de Jeanne Herry avec Adèle Exarchopoulos, Dali Benssalah, Leïla Bekhti, Jean-Pierre Darroussin, Suliane Brahim, Miou-Miou, Gilles Lellouche, Élodie Bouchez, Fred Testot, Birane Ba
 

jeudi 25 juin 2020

De choses et d’autres - Faille temporelle

Vous souvenez-vous de l’année 1994 ? Pas forcément, si ce n’est pas une étape importante de votre vie du genre naissance, dépucelage, mariage ou divorce. De toute manière c’est du passé révolu. 26 ans, plus d’un quart de siècle. Pourtant, il y en a au moins un, en France qui n’a pas passé le cap. Comme s’il était pris dans une faille temporelle dans laquelle il fait du surplace. 

Tout débute quand l’ancienne cheffe du parquet national financier a évoqué des « pressions » dans l’affaire Fillon. Eric Ciotti, éminent membre de l’Opposition, tendance Les Républicains, a écrit à la garde des Sceaux pour que soit ouverte une enquête judiciaire pour « forfaiture ». Forfaiture, le grand mot. Mais, comme l’inculpation, devenue mise en examen, la forfaiture n’existe plus en droit français. Et ce, depuis le 1er mars 1994. 

Donc, pour Eric Ciotti, si l’on suit sa logique temporelle, le président de la République s’appelle toujours François Mitterrand, le Premier ministre, Edouard Balladur, Ciotti n’a que 29 ans et se souvient encore que c’est grâce à un piston de François Fillon qu’il a été exempté du service militaire. Eric Ciotti n’a pas de page Facebook, ni Twitter, « choses » qui n’existent pas encore dans son présent.

 Il lit en cachette Charles Bukowski, aujourd’hui âgé de 99 ans et moins vert que dans ses jeunes années, admire toujours autant Ayrton Senna (60 ans), recordman de titres de champions du Monde de Formule 1 (14 au total). Enfin, il voit d’un très bon œil l’investiture Républicaine de Kurt Cobain aux USA, l’ancien chanteur grunge qui a viré droite presque extrême après l’attaque des Twins Towers. Eric Ciotti, Mr Forfaiture, est un exemple parfait d’uchronie réelle.  

Chronique parue en dernière page de l'Indépendant le 25 juin 2020

mercredi 24 octobre 2018

DVD et blu-ray : l'avocat japonais tourmenté de "The Third Murder"

Un avocat japonais est chargé de défendre un homme accusé du meurtre de son patron. Pour tenter d’éviter la peine de mort, l’accusé prétend que c’est la femme du mort qui a commandité l’assassinat. Mais l’avocat doute de la véracité de la version officielle. Ce thriller de Hirokazu Kore-eda raconte avec minutie le travail d’un avocat. Son empathie pour aider le client, ses doutes et failles personnelles.

Un film noir et oppressant, à l’intrigue implacable.

➤ « The Third Murder », Le Pacte, 19,99 €

lundi 24 septembre 2018

De choses et d'autres - Scène imaginaire chez un expert psychiatrique qui n'a pas de chance...

La scène (imaginaire) se déroule dans la salle d’attente d’un médecin psychiatre. La porte s’ouvre, un homme, barbe bien taillée, costume classe, entre prudemment. Il regarde aux quatre coins de la pièce comme s’il inspectait une scène de crime. Il s’installe dans un coin et salue d’un bonjour laconique la seule personne présente, une femme entre deux âges. La blonde peu souriante tire avec avidité sur sa cigarette électronique malgré les messages d’interdiction.

Après dix minutes à se regarder en chiens de faïence, l’homme rompt le silence.

- Vous êtes là pour vous faire expertiser vous aussi ?

- Oui, décision de justice.

- Moi aussi. Comme si je n’étais pas plus équilibré que le juge qui tente de me faire tomber.

- À qui le dites-vous, répond la femme qui se déride un peu. Il paraît que j’ai un problème avec l’image de la violence...

- Je connais. Il suffit qu’on se montre un peu viril, tout le monde vous accuse de toutes les tares et on vous catalogue serial killer.

- Moi c’est juste un problème d’image. Je ne me suis jamais battue. Ce qui selon moi rend cette expertise encore plus idiote.

- Il paraît que l’expert va aussi nous interroger sur notre famille, pour comprendre d’où vient le mal.

- C’est sûr qu’avec mon père fallait filer droit. Il ne plaisantait pas. Mais j’essaie de couper avec lui. J’espère que cela m’aidera.

- Oh moi ma famille je lui dois tout. J’ai été bien élevé. Pas question que je dise du mal d’elle, même sous la contrainte.

Le psychiatre entre dans la salle d’attente. « Mme Marine Le Pen, c’est à vous. M. Alexandre Benalla, vous passerez juste après. »

Chronique parue en dernière page de l'Indépendant le lundi 2' septembre 2018

mardi 2 mai 2017

De choses et d'autres : calcul de justice


On se demande parfois combien « coûte » un vol. A partir de quelle somme dérobée risque-t-on la prison ? Il n’y a pas de règle. Seuls les juges sont décisionnaires « en leur âme et conscience » selon l’expression consacrée. Souhaitons à tous les justiciables qu’une récente décision du tribunal correctionnel de Laon dans l’Aisne ne se transforme pas en jurisprudence de calcul. La règle de trois est facile à appliquer dans le cas concret de cet homme condamné à 1 mois de prison ferme après avoir été pris en flagrant délit de vol par des gendarmes. Mauvaise idée aussi d’ouvrir la voiture d’un garagiste travaillant pour la maréchaussée et d’y dérober tout l’argent qui s’y trouvait. Un mois de prison ferme donc pour un butin de... 20 centimes. Même les élèves de primaire peuvent faire la conversion. Exemple de problème : « Vous ne payez pas le parking après avoir garé votre voiture en ville. Vous la laissez deux heures, sachant que le prix de l’heure est fixé à 1,20 euro. Combien de temps allez-vous passer en prison si le juge suit l’exemple de Laon ? » La ré- ponse à la question est proprement hallucinante : pour un « oubli » de 2,40 euros, vous pouvez vous retrouver une année complète derrière les barreaux. Imaginez la longueur de la peine de celui qui voit grand dans le détournement de fonds. Du genre plusieurs centaines de milliers d’euros de salaires d’un emploi fictif (680 000 à la louche). A ce tarif, il devrait être emprisonné durant 2833... siècles. 
(Chronique parue le 2 mai en dernière page de l'Indépendant)

vendredi 10 mars 2017

De choses et d'autres : Vestes retournées


Voilà qui ne va pas améliorer l’image des politiques auprès des Français. La semaine dernière, après une nouvelle salve du Canard Enchaîné autour des soucis judiciaires de François Fillon, des dizaines d’élus de droite et du centre annonçaient ne plus pouvoir soutenir le vainqueur de la primaire.
Au point que le site de Libération a mis en place le « compteur des lâcheurs de Fillon » avec en face des noms le tweet ou le communiqué annonçant leur décision. Mais Fillon s’accroche et n’en démord pas : il sera candidat. Résultat depuis dimanche et la manif du Trocadéro, le compteur diminue. Une bonne vingtaine de personnalités, dont Christian Estrosi ou Christine Boutin ont retourné leur veste. Sur le compteur leur nom est rayé d’un trait rouge, celui de leur pragmatisme, ou opportunisme dixit Jacques Dutronc.
Car tout bien considéré pour ces anciens « traîtres », Fillon est un bon candidat. Ses pratiques peu orthodoxes d’emploi de sa famille ? Les mensonges éhontés sur les plateaux de télé dénoncés par la presse ? La remise en cause des institutions ? Broutilles. Des faits alternatifs, sans plus. Une seule chose leur importe désormais : la victoire du projet. Et in fine leur possible élection aux législatives de juin. Voire pour certains la possibilité de rejoindre le gouvernement de François Baroin. Car à droite, tout est déjà programmé. Mais attention, certains électeurs aussi pourraient changer d’avis du jour au lendemain.

vendredi 15 avril 2016

Cinéma : Fritz Bauer, chasseur de nazis

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S'il est présenté comme un "héros allemand" dans le film de Lars Kraume, Fritz Bauer était bien seul quand il tentait de juger, en Allemagne, les nazis en fuite.

Un homme en colère et impuissant. Tel est Fritz Bauer (Burghart Klaubner), procureur chargé des enquêtes spéciales à la fin des années 50 en Allemagne de l'Ouest. D'origine juive, il a connu la prison durant les années 30 quand il était membre de la social-démocratie. Libéré, il trouve refuge au Danemark puis en Suède. On ne le sait pas toujours, mais des hommes ont tenté de s'opposer à la montée du nazisme. A la fin de la guerre, il fait partie des rares juifs à avoir choisi de revenir dans son pays. Pour le servir. Ce juriste d'exception n'a qu'une envie : que les criminels de guerre en fuite soient jugés dans leur pays. Une obligation si la nouvelle Allemagne veut tirer un trait sur ce passé d'abominations. Sa colère vient des oppositions rencontrées dans son travail. Beaucoup de fonctionnaires de la démocratie chrétienne sont en réalité des nazis blanchis qui continuent à protéger les responsables de la solution finale. "Nos enquêtes n'avancent pas" hurlent-ils à ses adjoints dont le jeune Karl Angermann (Ronald Zehrfeld).
Sur la piste d'Eichmann
Il tente de mettre en place le procès des gardiens d'Auschwitz (lire ci-contre) mais surtout espère capturer des officiers qui ont trouvé refuge en Argentine. La lettre d'un ancien déporté, lui-même exilé près de Buenos Aires lui redonne espoir. Adolf Eichmann, le grand organisateur de la déportation de millions de Juifs, vivrait tranquillement sous une nouvelle identité. Problème, si Bauer dit à la police allemande qu'il a repéré la cache de ce criminel, des taupes risquent de prévenir immédiatement le tueur nazi. Le film de Lars Kraume tourne autour de ce cas de conscience. Il existe une solution pour qu'Eichmann soit capturé : le Mossad israélien. Mais donner ses informations aux services secrets de Tel Aviv pourrait le conduire en prison. Il choisit finalement cette solution, se justifiant auprès d'Angermann "Si l'on veut sauver notre pays, il faut savoir le trahir". Eichmann sera capturé, jugé en Israël et pendu. Fritz Bauer poursuivra son combat. Jusqu'à sa mort en 1968. Plus qu'un biopic, ce film est une œuvre de salubrité publique pour les générations actuelles.
Fritz Bauer était effectivement seul contre tous à l'époque. Mais son opiniâtreté l'a transformé en héros allemand. Quant aux procès Auschwitz, ils ont duré de longues années. Un des derniers devait s'ouvrir aujourd'hui, mais Ernst Tremmel, qui avait 19 ans à l'époque des faits, est mort la semaine dernière, à 93 ans.
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 Un second film sur le même sujet sensible

Comme s'il fallait plusieurs générations pour comprendre, les jeunes cinéastes allemands actuels s'intéressent à cette période compliquée de l'après-guerre. La partition du pays entre Ouest et Est occupait tous les esprits. Le nazisme semblait une période à oublier. Place à la reconstruction. Mais dans les administrations, certains procureurs particulièrement attachés à la justice, se sont battus pour que les responsables et tous leurs auxiliaires soient jugés pour les millions de morts de la Shoah. "Le labyrinthe du silence" de Giulio Ricciarelli, sorti récemment en DVD (Blaq out), revient sur le même sujet que "Fritz Bauer, un héros allemand". Il raconte l'histoire d'un jeune procureur à peine sorti de l'école, cantonné aux infractions routières. Il découvre avec stupéfaction l'existence des camps d'extermination. Et les horreurs qui y ont été commises par l'armée allemande. D'une rigueur absolue, il considère que tout meurtrier doit être poursuivi. Même s'il a commis ses crimes en tant que soldat "obligé" d'obéir aux ordres de ses supérieurs. Il va tenter de retrouver le maximum de ces tortionnaires en recueillant le témoignage des rescapés. Mais le chemin est long, semé d'embûches, tel un véritable labyrinthe où il est vite fait de se perdre. Il croise à un moment le chemin de Fritz Bauer (interprété dans ce premier film par Gert Voss) qui ne pourra que lui conseiller de persévérer.

jeudi 29 octobre 2015

DE CHOSES ET D'AUTRES : Addition salée

Les grands cuisiniers français ne plaisantent plus. Lassés d'être battus dans les classements internationaux par des Catalans iconoclastes ou des Nordiques inventifs, ils sortent l'artillerie lourde. Mais au lieu de se défendre sur le fond (leur cuisine en l'occurrence), ils préfèrent s'attaquer à la forme.
En juillet 2013, dans la zone commentaires des PagesJaunes, un internaute a l'outrecuidance d'écrire à propos d'une adresse du groupe Bernard-Loiseau : "Restaurant très surfait. L'assiette la mieux garnie est celle de l'addition." Rien de bien méchant. Des critiques de ce genre foisonnent sur les sites spécialisés. Il est tellement plus facile de critiquer que d'encenser. Mais cette appréciation n'a pas été digérée du tout par les propriétaires qui ont décidé de porter l'affaire devant les tribunaux.
Résultat, deux ans plus tard, la Justice après avoir longuement recherché dans les méandres des adresses IP l'identité du commentateur, vient de condamner ce dernier à 2 500 euros d'amende plus 5 000 euros de frais. Celui qui se plaignait d'addition salée se retrouve avec une facture encore plus gratinée. En lisant cette histoire, je m'apprêtais à dénoncer la grave atteinte à la liberté d'appréciation quand j'ai compris pourquoi le tribunal avait eu la main si lourde. Le commentaire est obligatoirement "faux et malveillant" puisque posté cinq jours avant l'ouverture du restaurant. Non seulement le condamné est de mauvaise foi, mais il est bête comme ses pieds.

mercredi 15 avril 2015

DE CHOSES ET D'AUTRES - Faux Polnareff, vraie plainte

Immenses lunettes de soleil rectangulaires aux montures blanches, tignasse indomptable : se transformer en Michel Polnareff est un jeu d'enfant. Pour peaufiner le personnage, nul besoin de chanter, témoigner d'un manque d'humour flagrant suffit. Pourtant, le chanteur pop exilé aux USA pour cause de bisbilles avec le fisc connaît parfaitement les rouages de la publicité décalée. Mais il n'apprécie pas les plaisanteries envers une image qu'il a mis des décennies à construire. Quatre ans après la première diffusion, il poursuit la marque Cetelem pour atteinte « au droit à l'image, au droit patrimonial et à la dignité dans le cadre d'une utilisation commerciale de sa personne ». 
En cause, ces films où des sosies de stars planétaires discutent en toute décontraction. Son « clone », il est vrai, a l'air un peu idiot. Clairement une caricature. L'ancienne vedette aurait pu apprécier d'être mise sur le même plan que Marilyn Monroe ou Elvis Presley. Non, il se sent « ridiculisé »... 
Difficile à croire de la part de celui qui a montré ses fesses à toute la France sur des affiches géantes ! Comme toujours, cette crise d'ego semble essentiellement motivée par une histoire de gros sous. Polnareff réclame un million de dommages et intérêts. Il a de fortes chances d'obtenir gain de cause car Cetelem ne lui a jamais demandé son avis. Pour payer, l'organisme de crédit n'aura plus qu'à s'endetter auprès d'une banque. Et le chanteur, tout avantage à faire don de ses gains à une oeuvre caritative, au risque de perdre le peu de crédibilité qui lui reste.

lundi 4 août 2014

Livre - Justice à retardement

Un industriel allemand est assassiné dans sa chambre d'hôtel. Le tueur, Fabrizio Collini reconnaît le meurtre mais refuse de s'expliquer. Son avocat va enquêter dans le passé.

La société allemande, tout en triomphant mondialement au niveau sportif ou économique, n'en finit pas de solder son passé. Il y a moins de 70 ans, la terreur nazie s'abattait sur la totalité de l'Europe. La défaite a permis de juger certains responsables, mais d'autres sont passés à travers les mailles du filet. De simples exécutants, loyaux à leur supérieurs et leur pays, ou des hommes et femmes, en état de juger et donc complices actifs de crimes de guerre et de génocide ?
Cette interrogation, sorte de devoir d'inventaire jamais véritablement achevé, est au centre du terrible roman de Ferdinand von Schirach, « L'affaire Collini ». L'auteur, par ailleurs avocat au barreau de Berlin depuis 1994, est un fin connaisseur de la justice de son pays. Une partie du roman porte d'ailleurs sur les droits des accusés, la façon dont les affaires criminelles sont instruites et la méthode de désignation des avocats commis d'office.
Tout débute en 2001. Dans une chambre d'hôtel à Berlin, un homme se faisant passer pour un journaliste, prend rendez-vous avec Hans Meyer, industriel allemand. Une fois en tête à tête, Fabrizio Collini, le faux journaliste et véritable force de la nature, sort un révolver de son manteau, fait agenouiller Meyer et l'abat de plusieurs balles dans la tête. Puis, « de sa chaussure, il retourna le corps. Soudain, il asséna un coup de talon dans la face du cadavre, le regarda, puis lui donna un autre coup. Il ne pouvait plus s'arrêter, il tapait et tapait encore, sang et substance blanche giclaient sur son pantalon, sur le tapis, sur le bois du lit. » Un meurtre horrible, un émoi considérable.

Meurtre inexplicable
Collini s'étant constitué prisonnier dans le hall de l'hôtel, l'instruction peut débuter immédiatement. Il faut cependant lui trouver un avocat. Le jeune Leinen, installé à son compte depuis quelques semaines, est de permanence. Malgré sa totale inexpérience des procès d'assises il accepte de prendre la défense du géant muet. Cet homme, d'origine italienne, est venu travailler en Allemagne durant les années 50, fuyant la misère de son pays. Sans casier judiciaire, discret, il est à la retraite depuis peu.
Rien ne semble pouvoir expliquer de coup de folie. Même à son avocat il ne dit rien de son mobile. Leinen, qui a accepté de défendre Collini sans connaître l'identité du mort, a un gros coup au moral en découvrant qu'il s'agit d'Hans Meyer. Il a côtoyé cet homme durant sa jeunesse. C'était le grand-père de son meilleur ami. De Johanna aussi, son amour de jeunesse inachevé, qui se concrétise finalement à la faveur des événements tragiques. Pris entre son amitié avec la famille de la victime et sa détermination d'avocat, Leinen va aller jusqu'au bout. En creusant dans le passé de Hans Meyer, il risque de perdre Johanna, mais aussi y trouver le mobile, l'explication qui pourrait inverser les rôles, Collini devenant la victime de ce drame.
Écriture puissante, passion tourmentée, professionnalisme à toute épreuve : ce roman ne manque pas d'intérêt. Reste avant tout de cette « Affaire Collini » une leçon d'Histoire et l'exhumation de pratiques peu glorieuses dans une Allemagne qui, des années après la fin de la guerre, a bien caché son double jeu.

« L'affaire Collini », Ferdinand von Schirach (traduction Pierre Malherbet), Gallimard, 16,90 €

jeudi 15 octobre 2009

Roman - La fête des juges dans "Parquet flottant" de Samuel Corto

Portrait au vitriol d'une partie de la magistrature, ce « Parquet flottant » basé sur une expérience réelle est édifiant et un peu inquiétant.


Qui ne craint pas la justice ? Et notamment le parquet, ces juges qui accusent, demandent réparation. Samuel Corto (il s'agit d'un pseudonyme) a décidé de transformer son expérience de substitut du procureur en un roman acidulé. L'homme, qui se revendique aujourd'hui écrivain à temps complet, a débuté de l'autre côté des prétoires. Avocat, il a perdu de ses convictions au fil des années et des affaires. Il tente une reconversion dans le camp de l'adversaire : juge au parquet.

Le roman débute donc par l'arrivée d'Etienne Lanos, en plein été, dans ce petit tribunal de province. La justice, il connaît. Le parquet, il découvre. Et de détailler par le menu ce petit monde, imbu de sa personne, fonctionnaire jusqu'au bout des ongles, respectueux de la hiérarchie et prêt à tout pour plaire à son chef. Le roi, c'est le président. Vient ensuite le procureur. Etienne a le défaut de ne pas jouer le jeu. N'étant pas passé par le moule de l'Ecole nationale de la Magistrature, il ne pense pas comme ses collègues. Ou du moins, lui, il pense, comprend ce qu'il fait, quelles sont les conséquences de ses décisions.

Il explique ainsi que toute ouverture de dossier doit déboucher sur, au minimum, une mise en examen. La garde à vue, cela fait mieux dans le dossier pour l'avancement. Mais attention, le pire c'est la relaxe au moment du procès. Mais il y a peu de risque : même si leur fonction est tout autre, les juges du siège rendant les décisions sont souvent amis et solidaires de ceux rattachés au Parquet. Magouille ? Non, simplement de la bonne intelligence entre amis et connaissances. Une connivence visible dès le cérémonial. « Précédés d'une sonnette d'un autre temps, nous étions entrés en rang d'oignons, solennellement et dans un ordre immuable, avant de nous installer derrière nos bureaux-bunkers, empêtrés dans nos panoplies de corbeau, l'air grave. Devant nos allures de comédiens professionnels, n'importe quel esprit raisonnable pourrait croire que ce protocole usé, nous ne ferions que le subir, comme un tribut dû à l'Histoire. Qu'il se détrompe immédiatement : rien n'est plus important que ces privilèges d'autorité visuelle. »

Un peu trop misogyne

Rapidement Etienne va se rebeller contre ce système qui écrase les justiciables. Il va notamment prendre en grippe une collègue femme. C'est aussi la partie la plus criticable du roman, une certaine forme de misogynie semblant justifier toutes ses positions. Valérie, qui « prenait régulièrement fait et cause pour les justiciables de ses dossiers », serait avant tout une féministe se vengeant des hommes. « Le massacre était en piste, ronronnant, légal, conforme à l'esprit du siècle : toutes les plaintes des femmes, même les moins étayées, les plus farfelues, aboutissaient directement devant le tribunal, avec la bénédiction bienveillante de la hiérarchie tout à ses statistiques ministérielles. » Certes la Justice s'est féminisée depuis quelques années. Mais force est de reconnaître qu'il faudra encore pas mal de siècles pour rattraper le déséquilibre qui a frappé le sexe dit faible. Il n'y a pas très longtemps, les femmes soupçonnées de sorcellerie étaient brûlées en place publique alors que les notables, violeurs de soubrettes, ou les prêtres, notoirement pédophiles, étaient donnés en exemple...

Reste que ce roman, si l'on met de côté ces attaques misogynes d'un autre âge, est une plongée dans un monde qui semble avoir oublié l'essentiel de son rôle : juger avec humanité.

« Parquet flottant », Samuel Corto, Denoël, 16 €