lundi 19 août 2024

Roman français - Le « manque » perpignanais de Jean-Noël Pancrazi


L’arrivée des rapatriés d’Algérie est une étape importante dans l’histoire de la région. Beaucoup de romanciers (ou de cinéastes) ont profité de cette matière pour signer des œuvres importantes. Dans Les années manquantes qui viennent de sortir en poche, Jean-Noël Pancrazi rajoute une bonne dose d’autobiographie.

Il raconte Perpignan et ce Roussillon que le jeune Algérien découvre, contraint et forcé dans les années 60. Il a rebaptisé ces souvenirs Les années manquantes, comme s’il avait en partie cessé d’exister durant cette période bouleversée. Dans ces années 60, les parents du petit Jean-Noël, après avoir quitté l’Algérie, décident d’y retourner. Mais par prudence décident de laisser leur fils en métropole.

Pas dans la famille corse du père mais celle, catalane, de la mère. Jean- Noël découvre alors l’immense et silencieuse maison de sa grand-mère Joséphine. À Thuir, pas loin de cet asile des fous qui va marquer la famille. La première partie du roman est un long portrait de Joséphine, femme très pieuse, comme figée dans un passé, incapable d’aimer ce petit-fils. Un second traumatisme associé à ce département : le divorce de ses parents.

Ce livre, à l’écriture fulgurante, prouve que les pires épreuves peuvent se transformer en œuvre d’art.

« Les années manquantes », Folio, 128 pages, 6,90 €

Cinéma - "Trap" : un tueur piégé dans une foule de fans

Il aime piéger ses victimes mais cette fois c’est lui qui est acculé. Un tueur en série contre des milliers de fans, tel est le thème de « Trap », nouveau film de M. Night Shyamalan. 


Spécialiste de l’histoire tordue, de la fin inattendue et du contre-pied absolu, M. Night Shyamalan n’arrive plus à surprendre le public comme à ses débuts. Mais il a toujours cette virtuosité et inventivité qui transforment chacun de ses films en expérience peu commune.

Dans Trap, il explore une nouvelle fois le thème de la famille. A deux niveaux. L’histoire raconte la relation fusionnelle entre un père et sa fille adolescente. Et professionnellement, le réalisateur, pour camper la star de la chanson du film, sollicite sa fille, musicienne, chanteuse et donc pour la première fois comédienne.

Riley (Ariel Donoghue), adolescente américaine de base, est surexcitée : son père Cooper lui a offert une place au concert de Lady Raven (Saleka Shyamalan), la chanteuse à la mode dont elle connaît tous les titres et pas de danse par cœur. Cooper lui, est moins enthousiaste, même s’il fait tout pour le cacher à sa fille. Ce concert est un gros risque pour sa « carrière ».

Cooper est connu du public sous le sobriquet du « Boucher », tueur en série impitoyable, rendant ses victimes à la police en pièces détachées. Quand il constate que l’immense salle de concert est sous étroite surveillance de la police, il sent que la soirée ne va pas être aussi cool et familiale que prévue. Mais il ne veut pas décevoir sa fille, persuadée, comme toutes les jeunes filles, que son papa est le meilleur du monde…

Une fois dans la place, Cooper va tenter de se rendre invisible, de passer sous les radars. Et improviser pour sauver sa peau. Tout en supportant le concert de Lady Raven. C’est la faiblesse de l’ensemble, trop de musique et de cris de fans enamourés.

Le tour de force aurait été de faire tout le film durant le concert. Mais finalement le réalisateur (et scénariste) de Trap propose un peu plus. Comme s’il s’était aperçu que le personnage interprété par Josh Harnett offrait une quantité incroyable de possibilités qu’il aurait été dommage de ne pas exploiter à fond.

Conséquence, M. Night Shyamalan semble avoir toutes les difficultés d’abandonner le Boucher. Il filme une fin, tout à fait acceptable, mais y rajoute un coup de théâtre et en propose une nouvelle dans la foulée… puis encore une autre. Une sorte de mouvement final perpétuel. On se sent presque obligé d’attendre que la salle se rallume pour être persuadé que cela ne va pas repartir. Et ça, on ne le trouve que dans les films de M. Night Shyamalan.

Film de M. Night Shyamalan avec Josh Hartnett, Ariel Donoghue, Saleka Shyamalan

Cinéma - “Almamula”, l’Argentine entre religion et croyance


Premier film de Juan Sebastian Torales, Almamula a des airs de conte fantastique. De tragédie aussi. Dans le nord de l’Argentine, Nino (Nicolás Díaz) est le souffre-douleur de ses camarades.

A 14 ans, il voit le monde différemment derrière ses lunettes. Son air efféminé, ses silences, loin des vociférations des petits mâles, le placent en dehors de la société machiste et très religieuse de cette province d’Amérique du Sud. Presque lynché, il est mis à l’abri par sa mère Natalia (Martina Grimaldi) à la campagne avec le reste de la famille. 

Un village perdu, juste à côté d’une immense forêt, le repaire de l’Almamula, une créature légendaire effrayante. Elle prendrait ceux qui commettent des péchés. Une croyance ancestrale, combattue par les curés et bigotes nombreuses dans la région, mais qui continue à faire peur à la jeunesse. Nino, face à son rejet d’une société dans laquelle il ne semble pas avoir sa place, fait tout pour que l’Almamula s’occupe de lui.

Ce film sur le désespoir d’un jeune homme différent et rejeté est paradoxalement d’une grande beauté. Juan Sebastian Torales, après quelques courts-métrages, signe une première réalisation ambitieuse rayonnante. Les scènes dans la forêt sont à couper le souffle. Par leur grandeur mais aussi leur côté angoissant.

Ce n’est certes pas du cinéma d’horreur classique, mais la peur est omniprésente. Un petit plus non négligeable dans un ensemble essentiellement porté parle le message de tolérance envers toutes les minorités. Ce n’est pas brillant en France, mais l’Argentine semble encore plus mal lotie.

 Film de Juan Sebastian Torales avec Nicolás Díaz, Martina Grimaldi, Maria Soldi.

“Dead for a dollar”, un western de Walter Hill en DVD et blu-ray


Walter Hill, vétéran du cinéma américain (Driver avec Isabelle Adjani, toute jeune, ou 48 heures), malgré ses 83 ans n’a pas raccroché la caméra. Il réalise Dead for a dollar, un western pur et dur qui sort directement en vidéo (DVD et blu-ray chez M6 Vidéo).

Presque un hommage au genre. Une caricature pour les moins gentils. Le casting propose deux rôles en or à Christoph Waltz et Willem Dafoe. Une histoire de chasseur de primes engagé par un mari dont la femme a été enlevée.

Dans le désert du Nouveau-Mexique, il retrouvera la femme et le kidnappeur (Rachel Brosnahan et Elijah Jones) ainsi que son pire ennemi. Les explications seront mouvementées, le final tonitruant. Comme dans tout western qui se respecte…

dimanche 18 août 2024

Roman - Pâquerettes en fête


Les Pâquerettes où se déroule l’action du roman de Corinne Hoex, c’est une maison, ou home, de retraite en Belgique. En France on parle d’Ehpad et c’est tout de suite moins poétique. Et de la poésie, voire des moments de détente, ou de bonheur, il n’y en a plus beaucoup dans la vie de ces pensionnaires, surnommées affectueusement par l’autrice Les reines du bal.

Pourtant, malgré les décennies qui pèsent sur les articulations et empêchent la bonne circulation des idées entre les neurones, elles semblent pleines d’esprit et parfois très vertes. En chapitres très courts, Corinne Hoex aborde différents aspects de la vie des pensionnaires. De leurs incompréhensions face aux évolutions de la vie moderne comme cette pauvre Mme Prunier, constatant qu’à la banque un code n’est plus nécessaire, seules ses empreintes digitales sont exigées. Empreintes totalement effacées par une vie de labeur. « Mes doigts sont trop usés pour l’avenir » constate-t-elle dépitée.

Certaines sont un peu plus déboussolées, « débranchées » comme l’explique un médecin à Mme Chapelier pour lui faire comprendre qu’elle est atteinte de sénilité.

Le meilleur reste la passe d’armes entre Simonard et Prunier à propos de dignité. Pas commodes les reines du bal quand elles ne sont pas d’accord.
« Les reines du bal », Corinne Hoex, Grasset, 96 pages, 14 €

BD - Tohar s’interroge


Artiste israélienne, Tohar Sherman-Friedman est une boule de questions existentielles qui lui compliquent trop souvent la vie quotidienne. Après des études de design dans une grande école de Tel-Aviv, elle se lance dans la carrière de bédéaste. Et en profite pour mettre en mots et en images les interrogations qui l’obsèdent.


Après Les filles sages vont en enfer, elle propose le second roman graphique tournant autour de sa vie. Sans le moindre tabou, dans des chapitres courts et dénués de langue de bois, elle parle de sexe, de vie en couple, de religion, d’art et de son envie d’être mère.

Élevée dans une famille très religieuse implantée dans une colonie en Cisjordanie, Tohar s’est un peu éloignée du judaïsme, mais ne cache pas sa joie quand arrivent les fêtes et ce bon prétexte pour retrouver sa famille. Sa sœur notamment, encore plus écorchée vive qu’elle, en pleine dépression.

L’album, entre saynètes de la vie quotidienne d’une jeune femme de nos jours en Israël et souvenirs de l’étudiante peu sûre d’elle, bascule dans une autre dimension quand avec son mari, Daniel, ils envisagent d’avoir un enfant. Ce sera la conclusion de l’album, comme un point final aux séances chez son psy. À trois, même dans un pays en guerre, la vie semble encore plus belle et enthousiasmante.
« Mon âme vagabonde », Delcourt, 152 pages, 20,50 €

Témoignage - Vélo et Pyrénées


Envie de revivre les exploits du Tour de France ? Plongez dans le récit de Pierre-Nicolas Marquès intitulé Mémoire en roue libre. Il n’a pas participé à la Grande Boucle mais a parcouru les routes abruptes des Pyrénées. Pour ce passionné des mots et de la poésie, connu sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme « Motsdumarquis », enfourcher un vélo et pédaler est la meilleure des thérapies en cas de coup dur comme un chagrin ou une déception.

Il a donc entrepris de traverser cette montagne du Sud, sur des routes légendaires, en partant de Canet, dans les Pyrénées-Orientales, pour rejoindre Biarritz au Pays basque. Une étape à Prades et il attaque les difficultés en rejoignant Ax-les-Thermes en passant par le col de Jau en Ariège. Il raconte ce périple et propose rencontres et réflexions tout au long de ce texte long de 800 kilomètres et composé de 16 cols et d’un dénivelé positif de 16 473 mètres.

Chaque étape compose un chapitre, mais le livre offre encore plus avec des souvenirs autour du vélo. Comme cette rencontre avec Marc Cavendish, à Libourne, en 2023. Cavendish qui vient de boucler, ému et la tête pleine d’images fortes, son dernier tour de France. Comme un clin d’œil à l’autre utilité de ce livre : lever des fonds pour la Fondation Recherche Alzheimer.
« Mémoire en roue libre », Cairn, 360 pages, 17 €

BD - Spirou à Cuba


Après Spirou chez les Soviets de Fabrice Tarrin, le Narbonnais, place à Spirou à Cuba (La baie des Cochons est le véritable titre) par Elric, le néo-Perpignanais. Une aventure du groom rouge lançant véritablement la collection « Classique ». En clair, des auteurs actuels proposent des suites à des albums du grand Franquin.

La baie des Cochons est le prolongement de l’album Le prisonnier du bouddha. Écrite par Clément Lemoine et Michael Baril, l’histoire débute par la venue à New York de Spirou et Fantasio, envoyés spéciaux de leur journal, le Moustique, pour le discours de Fidel Castro à la tribune de l’ONU.


Nous sommes en 1961 et la Guerre froide bat son plein. Spirou, suspecté d’être un espion américain est enlevé par les Castristes et envoyé en prison à la Havane. Fantasio, avec l’aide d’agents US, va tenter de le libérer tout en participant à l’opération militaire de la baie des Cochons.

Un mélange très fluide entre histoire contemporaine, fiction et gags essentiellement amenés par Fantasio. L’album se laisse lire, même s’il est très loin de la maestria de Franquin. Un hommage dans l’esprit pour une collection qui annonce deux autres titres à paraître dont un très appétissant Le trésor de San Inferno scénarisé par Trondheim et dessiné par Fabrice Tarrin, seul héritier graphique de Franquin à la hauteur.
« La baie des Cochons », Dupuis, 64 pages, 13,50 €

Polar - La quête du shérif


Dans son nouveau roman policier, R. J. Ellory plonge le lecteur dans la base du système policier des USA. Victor Landis est shérif. Il gère les désordres d’une petite ville de Géorgie, près de la frontière avec le Tennessee. Son jeune frère, Frank, est lui aussi shérif. Ils sont brouillés mais Victor est obligé de le rencontrer une dernière fois. Pour reconnaître son corps. Écrasé par un chauffard. Volontairement. Un meurtre.

Même si ce n’est pas de sa compétence, il décide d’enquêter dans le dos des fédéraux et va découvrir que cette région des Appalaches, très pauvre, est gangrenée par la corruption et les trafics de toutes sortes. Un polar classique qui prend une dimension de plus quand Victor découvre que son frère a été marié, a divorcé mais qu’il laisse derrière lui une petite fille, Jenna.

Le shérif Landis se retrouve avec un frère mort cachant de nombreux secrets, une nièce attachante qui va rapidement le vénérer et des cadavres d’adolescentes dans une autre affaire qui finalement pourrait avoir un rapport avec l’assassinat de l’autre shérif.

De la grande littérature noire par un auteur anglais qui a fait de l’Amérique son terrain de jeu préféré.
« Au nord de la frontière », R. J. Ellory, Sonatine, 496 pages, 24 €

samedi 17 août 2024

BD - Relire André Juillard


Triste nouvelle au cœur de l’été : André Juillard est décédé à l’âge de 76 ans. Dessinateur réaliste qui savait parfaitement allier rigueur et douceur du trait, il a enchanté des générations d’amateurs de BD historiques avec sa saga écrite par Cothias, Les 7 vies de l’épervier, éditées par Glénat puis Dargaud.


La belle Ariane, l’héroïne de cette série se déroulant entre France de Louis XIII et le Canada nouvellement découvert, fait partie des plus belles héroïnes du 9e art. André Juillard a aussi signé plusieurs albums de Blake et Mortimer ces 20 dernières années. Son dessin académique collait parfaitement avec le style de Jacobs, mais avec ce petit plus moins rigide et figé.

La très longue carrière d’André Juillard a débuté à la fin des années 70. Il s’est rapidement spécialisé dans les récits historiques, de Bohémond de Saint-Gilles à l’histoire des Cathares (scénario Convard), petit album paru en 1980 où on devinait déjà son immense talent. Des œuvres de jeunesse peu rééditées mais par contre ses séries plus abouties sont toutes disponibles, en album simple ou en intégrales.

Sa mort laisse un grand vide dans le monde de la BD, quantité d’auteurs se sentant orphelins d’un maître qui les a souvent motivés pour se lancer et progresser. Son ultime album, Signé Olrik, un titre de Blake et Mortimer se déroulant dans le Sud de la Grande-Bretagne, sortira cet automne.