vendredi 21 mars 2025

BD - "La veuve" cherche la rédemption

Elle court, seule, dans la forêt. Epuisée, apeurée, sans autre but que de survivre. Elle a trop vu de morts ces derniers temps. Derrière elle pas très loin, deux hommes armés et un chien. Les chasseurs. Elle est la proie. Début de récit tout en tension, dans une nature sauvage et inhospitalière. 

Pourtant ce n'est que le début de la longue fuite en avant de l'héroïne de ce roman graphique de Glen Chapron tiré du roman "La veuve" de Gil Adamson. Le Canada du début du XXe siècle. Terre en devenir, encore inexplorée, de plus en plus exploitée. 

La veuve que l'on suit est une jeune femme de 19 ans. Elle a perdu son bébé. Et dans la foulée a tué son mari. Un ivrogne, violent, arrogant. Il avant l'habitude, en rentrant de la chasse, de lui confier son fusil pour qu'elle le nettoie. Ce soir-là, elle s'est contenté de le recharger et de lui tirer dessus. Les deux hommes qui la poursuivent, ce sont ses beaux-frères. Ils veulent se venger. Les jours passent, elle survit dans la forêt, rencontre un trappeur qui va l'aider. L'aimer aussi un peu. Mais la veuve ne veut plus s'attacher. 

Elle continue son chemin, débarque dans une ville de mineurs, devient l'aide d'un pasteur. Ce roman, d'une puissance rare, tant par le récit que les dessins en noir et blanc d'une densité et d'une brutalité extrêmes, se dévore. Du grand art par un artiste majuscule.

"La veuve" de Glen Chapron (adapté du roman de Gil Andamson), Glénat, 176 pages, 25 €

jeudi 20 mars 2025

BD - Une famille unie lancée dans "Le grand monde"

Roman paru chez Calmann-Lévy et vendu à des milliers d'exemplaires, Le grand monde de Pierre Lemaitre est adapté en BD. Toujours par Christian de Metter qui avait déjà proposé une version graphique de la précédente trilogie débutée par Au revoir là-haut. Pas toujours évident de proposer une version illustrée d'un texte si riche. Le dessinateur a pourtant trouvé les ressources pour transformer ce roman fleuve en passionnante saga familiale, aux décors multiples et rebondissements encore plus nombreux.

La famille Pelletier est au centre de ce témoignage du monde de la la fin des années 40. La guerre vient à peine de s'achever. La tension est encore palpable à Paris. C'est là que les ennuis débutent pour Jean, François et Hélène, trois des enfants du couple Pelletier connu pour sa prospère savonnerie installée à Beyrouth. Les trois enfants Pelletier, tous majeurs, sont arrêtés et interrogés par la police. Ils ont bien des choses à se reprocher. Mais ne savent pas exactement pourquoi ils se retrouvent en position d'accusés. 

Jean et sa femme magouillent dans le textile. Des tissus achetés à vil prix aux artisans juifs, quelques années plus tard, quand il fallait trouver de l'argent pour quitter cette France occupée de plus en plus antisémite. 

Hélène a des relations douteuses. Des drogués qui braquent des pharmacies. Quant à François, journaliste, il est sur le point de dévoiler un gros scandale financier lié à la piastre indochinoise. Trois histoires entrecroisées, parfaitement amenées et développées, de Paris au Liban en passant par l'Indochine, colonie en guerre où le quatrième fils Pelletier, Etienne, tente désespérément de retrouver le grand amour de sa vie. 

On ne doit pas en dire trop pour ne pas gâcher les rebondissements et liens entre les différentes affaires (et même romans de Pierre Lemaitre). D'ailleurs c'est le gros problème de ces adaptations dessinées. Ceux qui ont lu le roman sont toujours un peu désappointé. Et une fois l'album refermé, on a envie de lire le roman, tout en sachant à l'avance ce qu'il va se passer. Par chance, certaines oeuvres sont plus fortes que tout. Le grand monde en fait partie. 

"Le grand monde", Rue de Sèvres, 184 pages, 25 €

mercredi 19 mars 2025

BD - Quand Cuba était sous influence

Cuba est redevenu une destination touristique prisée malgré la dictature. C'était déjà le cas dans les années 50, avant que Fidel Castro et ses "barbudos" ne fassent chuter Batista. Le premier tome de cette série écrite par Frédéric Brrémaud et dessinée par Vic Macioci débute en 1958. Dans une capitale cubaine en pleine effervescence (un match de base-ball passionne les foules), les deux employés de l'agence de détective Valdès sont chargés d'accueillir au port la fille du patron, Lily, une jeune Américaine. 

Son père, aux prises avec une branche de la mafia locale, doit accomplir une mission risquée pour effacer une dette. Il va charger ses deux employés, John Botia (un ancien agent de la CIA) et José Cojones (un local couard et lâche, l'élément comique du trio), d'enlever la femme d'un rival. Lily voudra apporter son aide, comme pour prouver son amour pour ce père qu'elle n'a quasiment pas connu. Entre le gouvernement corrompu, la police violente, les gangsters encore plus sadiques, les manoeuvres de déstabilisation de la CIA et les attaques des Révolutionnaires, les trois compères vont avoir beaucoup de difficultés à sauver leur otage et leurs fesses. 

Tout en étant un véritable polar, ancré dans la réalité historique, c'est avant tout une BD d'action au second degré, avec de nombreux gags et des situations hautement risibles, même si le danger est réel. La mise en place est un peu longue, mais une fois la course lancée sur l'île, les scènes s'enchaînent et le trait ferme et plein de force de Vic Macioci fait le idéalement le job. 

Vivement le second tome pour savoir si John, José et Lily vont parvenir à sauver Valdès. Quant à l'avenir de Cuba, de Batista et de Castro, il fait désormais partie de l'histoire du XXe siècle.   

"Havana Split" (tome 1), 96  pages, 17,50 €

mardi 18 mars 2025

BD - Quand Brigitte Bardot faisait fantasmer la province


Qui ne rêve pas de rencontrer Brigitte Bardot ? Pas aujourd'hui, la star de cinéma préfère ne plus sortir de chez elle (et de parfois avoir des positions politiques assez limites), mais dans les années 50 et 60. Conrad Knapp, jeune Parisien travaillant dans le milieu du cinéma, est en quête d'un lieu de tournage authentique. Il rencontre les habitants de Trougnac, village typique de l'époque, l'action se déroule en 1960. La tornade BB comme Brigitte Bardot fait des ravages chez les hommes. Un peu moins chez les femmes. Tous rêvent de la rencontrer. 

Conrad Knapp explique alors que des producteurs l'ont chargé de trouver un village pour accueillir ce nouveau film réunissant une seconde fois Jean Gabin et Brigitte Bardot après l'immense succès (et scandale) d'En cas de malheur de Claude Autant-Lara. Pour vendre son projet aux autorités, il fait miroiter notoriété et affaires florissantes. Pour les simples quidams, il a un atout dans la manche : il a une photo tirée d'une scène censurée du film. Quand la jeune femme remonte sa jupe pour séduire le vieil avocat, elle va jusque au dessus de la taille. On voit donc très nettement les fesses de Brigitte Bardot. Cela semble peu aujourd'hui, mais pour la fin des années 50, c'est une image sulfureuse. D'ailleurs c'est le curé du village qui sera le plus ferme opposant à la venue de BB à Trougnac. 

Cette gentille histoire s'inspirant un peu de Don Camillo dans l'opposition entre religieux conservateurs et progressistes ouverts, est signée Philippe Pelaez. Ce scénariste BD très prolifique est un grand spécialiste du cinéma. Américain mais aussi classique français. Chaque chapitre s'ouvre par une citation extraite de ces dialogues que l'on ne retrouve plus nulle part. Conrad Knapp, avec un scénario, une photo et quelques belles paroles va convaincre tout le monde de l'importance de son rôle dans le choix des décors. Et se laisser acheter sans trop de scrupules. 

Un roman graphique savoureux, dessiné par Gaël Séjourné, à la fin étonnante, dernier clin d'oeil à ces villages de France aux noms si étranges.   

"Les fesses à Bardot", Bamboo Grand Angle, 160 pages, 22,90 €

lundi 17 mars 2025

BD - Les horribles découvertes de Randolph Carter

Randolph Carter, intrépide héros américain engagé dans la Légion étrangère française, imaginé par H. P. Lovecraft, bénéficie d'une adaptation de ses péripéties en bande dessinée. Au scénario, Simon Treins, pseudonyme d'un auteur qui a déjà quelques centaines d'albums à son actif. Les dessins ont été confiés à Jovan Ukropina, auteur Serbe au trait enlevé et dynamique, parfait dans la retranscription des horribles cauchemars sortis des pires situations imaginées par Lovecraft. 

La seconde partie est orientale. Carter, après les tranchées françaises de la première guerre mondiale, rejoint Beyrouth. Il est recruté par un militaire français qui veut espionner les forces turques. La situation politique et militaire dans ce Moyen Orient déjà très agité est très incertaine. Les clans locaux doivent faire avec les vues impérialistes des Français et des Anglais. 

En pénétrant dans le désert, la petite troupe tombe sur des créatures, des goules, assoiffées de sang. Et en se réfugiant dans des cavernes, Carter et ses amis découvre des monstres gagnant en méchanceté et en grandeur. Bref, ce voyage "Par-delà les portes d'ivoire et de corne" (titre du second volume de la série), restera longtemps dans la mémoire des rares survivants. L'histoire est assez obscure et compliquée, mais on ne peut qu'admirer les dessins d'Ukropina.

"Randolph Carter" (tome 2), Soleil, 56 pages, 15,95 € 

dimanche 16 mars 2025

Romans policiers - Des employées envahissantes dans "La Nounou" et "Dream Girl"

Une nounou dans le roman d'Evelyn Piper et une infirmière dans celui de Laura Lippman: quand les employées de maison deviennent de véritables cauchemars.


Bien que parus à plus de 60 ans d'écart, ces deux polars américains ont quelques points en commun. Dans La nounou d'Evelyn Piper (paru aux USA en 1966), la femme chargée d'éduquer l'enfant d'un riche couple semble exemplaire dans sa mission. Mais alors pourquoi le jeune Joey a-t-il si peur d'elle ? De la même façon, l'infirmière de nuit chargée de veiller sur Gerry, célèbre écrivain riche à millions grâce au succès de son roman Dream Girl, immobilisé après une chute, semble moins bête qu'elle s'échine à le faire croire. Deux employées qui vivent chez leur patron, devenues intimes, indispensables. Mais quel est leur but exactement ? Des relations complexes devenant au fil des chapitres de plus en plus anxiogènes.

La nounou fait partie de ces romans noirs ciselés comme un bijou de luxe. Evelyn Piper signe un polar où la paranoïa est en permanence sous-jacente. La faute à cette nounou anglaise au service de la famille depuis des décennies. Elle se charge de l'éducation de Joey. Un petit garçon de 6 ans qui redoute revenir à la maison après un séjour dans une clinique psychiatrique. Accidentellement, il a tué son petit frère. Quand il prétend que la nounou lui en veut, ses parents, son médecin et les voisins n'y croient pas. Le lecteur, lui, se doute que l'enfant n'est pas fou et qu'au contraire la vieille fille est bizarre. Joey va-t-il convaincre quelqu'un, a-t-il une chance de s'en sortir ? Le roman, sous une forme très classique (un peu démodée même), amène le chaud dans une ambiance glaciale. 

Paranoïa aussi pour Gerry Andersen, l'écrivain au centre du roman Dream Girl de Laura Lippman se déroulant dans un appartement au sommet d'une tour à Baltimore. Gerry est romancier. Un vieil intellectuel qui regrette ces années 80 et 90 quand tout semblait permis. Il vient de chuter dans l'escalier. Jambe cassée, le voilà immobilisé pour plusieurs semaines. 

Gerry va devoir remettre son quotidien entre les mains de son assistante, une jeune étudiante fan de ses écrits et une infirmière de nuit, qui passe son temps à regarder des niaiseries à la télé. Gerry, marié trois fois, récemment séparé et qui vient d'enterrer sa mère. Un homme amorphe, ayant perdu l'inspiration, étonné quand il reçoit un coup de fil d'une certaine Aubrey. Elle prétend être la femme qui lui a inspiré le personnage de son best seller. Et lui réclame la moitié de sa fortune. Qui est cette Aubrey ? Ne devient-il pas sénile et un peu fou, comme sa mère ? Ni son assistante, ni l'infirmière ne se souviennent de ces appels. 

Ce thriller, à l'intrigue particulièrement tordue, se transforme parfois en jeu de piste littéraire. L'occasion de découvrir les dessous d'un milieu pas toujours très net. C'est un des atouts de ce thriller écrit dans un style fluide et savant, comme quoi l'intelligence, parfois, devient contagieuse.

« Dream Girl », Laura Lippman, Actes Sud, 368 pages, 22,80 €

« La nounou », Evelyn Piper, Denoël, 280 pages, 22,50 €

samedi 15 mars 2025

Polar - « Python » piquant sous la plume de Sébastien Gendron

Ce roman intitulé « Python » est le second de la série de Sébastien Gendron modestement baptisée  « Le grand livre des animaux ». Après le chevreuil, vision hallucinée de la campagne française, place à ce python venu semer le trouble dans le lotissement trop calme d'une ville moyenne française. Le serpent ne fait que de la figuration, le centre de l'attention est occupé par Constance, mère d'Hippolyte, 5 ans. Le portrait en miniature de son père, un sale con puissance mille. Constance n'en peut plus. Elle envisage de disparaître, abandonnant sa famille pour se cacher en Inde. Mais comme c'est Sébastien Gendron qui est aux manettes, tout dérape très vite. Un dentiste est assassiné, le mari de Constance meurt d'un AVC, un drôle d'ouvrier transforme une piscine en bunker... Un roman noir d'une méchanceté absolue, du pur esprit Hara-Kiri : bête et méchant. Assez jouissif aussi pour le lecteur qui s'ennuie dans son quotidien morne.

« Python » de Sébastien Gendron, Gallimard, 336 pages, 20 €

vendredi 14 mars 2025

BD - Tous les rieurs se tournent vers l'Ouest

Allergiques au western, cette BD va peut-être vous réconcilier avec le genre.  Manichéen, plein de bons sentiments et de violence gratuite, le western est la nouvelle tragédie pour certains. Un tissu de clichés pour d'autres. Les seconds vont donc se précipiter sur cette parodie championne de l'absurde. Olivier Supiot au scénario et Damien Geffroy au dessin proposent donc le second recueil d'histoires courtes. Des récits prépubliés dans Fluide Glacial, ce qui donne une idée du pourcentage d'humour dans les planches. 

Pour lier ces petits contes abscons, les auteurs ont pondu quelques pages et dessins de liaison mettant en scène un certain Starwild Ranger, un cowboy masqué, amateur de duels et de belles pépées. Un Ranger aujourd'hui à la retraite, grabataire et cloué dans son fauteuil roulant (qu'il prend pour un mustang !). Il tente de séduire (trousser à la hussarde exactement), l'aide soignante qu'il prend pour Suzie, une de ses conquêtes de quand il était jeune et vigoureux. En fait il s'adresse à Micheline qui a bien du mérite de supporter les délires du vieux. 

Entre une soupe et un suppositoire (on vous passe le changement de couches), Starwild raconte l'histoire du trappeur Kevin Croquette, un Canadien qu'il ne faut pas confondre avec Davy Crockett, de Charlie, pistolero impitoyable très à cheval sur l'hygiène ou du soldat Carrington, pris en défaut dès sa première mission chez les Indiens. Quelle idée aussi de fumer un calumet de la paix rempli d'herbes hallucinogènes. 

Des récits courts, de quatre pages maximum, qui parfois auraient pu contenir dans une seule planche de gag. Mais ce serait dommage car cela permet à Damien Geffroy de développer son graphisme. Il soigne ses planches, les décors sont dignes d'un Giraud ou d'un Hermann. Mais côté "héros", c'est plutôt du gros nez rigolo. Une opposition qui donne aussi tout son charme à une BD portant la parodie du western à son summum.

"Les cowboys sont toujours à l'Ouest" (tome 2), Fluide Glacial, 56 pages, 15,90 €

Retrouvez ici la critique du tome 1       

jeudi 13 mars 2025

Récit - Jean-Noël Pancrazi pleure sa sœur


Retour à Perpignan pour Jean-Noël Pancrazi. L'écrivain semble inexorablement attiré par la ville de son enfance. Cette fois il quitte Paris pour soutenir sa sœur, Isabelle, qu'il aime tant. Elle a préféré rester dans la région et vit toujours au Moulin-à-Vent. Mais plus pour longtemps : un cancer est en train de tuer à petit feu. 

Ce sont ces derniers instants, dans la dignité et la force, que l'écrivain couche sur le papier. Il se souvient de leur enfance en Algérie, des combats de sa sœur, de sa vie si active dans le département. Cela donne quelques jolis passages sur la vitalité du cinéma Castillet, « le plus beau cinéma d'art et d'essai dont la programmation l'emportait sur tous les autres » ou les rencontres littéraires organisées dans la nouvelle librairie de Port-Vendres. 

Un texte tendre et charnel, universel face à la mort. 

« Quand s'arrêtent les larmes », Jean-Noël Pancrazi, 128 pages, 17 €

Science-fiction - Le confinement de l'apocalypse

Et si le confinement avait mal tourné ? Sur cette interrogation, Eliott de Gastines imagine une France qui plonge dans le chaos. Un cauchemar raconté dans « La frontière sauvage ».

La Normandie, ses vaches, sa quiétude, ses vallons verdoyants, ses fermes isolées... son califat de Lisieux. Eliott de Gastines, en décrivant cette France d'après confinement qui tourne mal, ne fait pas dans la dentelle. Au contraire il force le trait dans l'horreur, le désordre, la violence. Les 20 premières pages ont tout du roman de confinement. Eliott et sa compagne, Florence, vivent dans un appartement d'une petite ville de Normandie. Quand un virus fait son apparition en Chine puis en Italie, ils ne s'inquiètent pas. Quand le gouvernement décrète le confinement, ils en rigolent.

Mais dans ce roman d'anticipation, les fake news vont changer la perception de la pandémie. Une mutation rendrait le virus plus virulent. Plus mortel aussi. Le droit de retrait est invoqué dans la santé, la sécurité, le commerce. Le pays se dérègle, sombre dans l'anarchie. Certains en profitent, se transformant en pilleurs-tueurs-violeurs. Eliott et Florence fuient dans les bois alentours. Et tombent, au bord d'une rivière, sur la nouvelle réalité de la Normandie : « Sur la grève s'entassait un amas de corps impossibles à dénombrer. On pouvait clairement distinguer dans ce tas partiellement carbonisé des membres, des bouts de vêtements en tous genres, des visages figés dans un cri, d'autres paisibles à jamais. (…) Des corps de jeunes enfants, là les courbes d'une femme en petite tenue, ici ce qui ressemblait à des notaires de province ramenés en cubes les chevilles par-dessus les épaules. » Le roman bascule dans l'horreur. Bien que peu adapté à la survie, le couple va passer un été relativement tranquille dans un pigeonnier perdu dans une vallée.

Aux premiers froids, face à la difficulté, ils feront le choix de la sécurité en demandant refuge au califat de Lisieux, enclave musulmane où Eliott, grâce à son talent en calligraphie, va devenir essentiel dans la propagande du « ministère de l'information ». Ce semblant de sérénité (au coût exorbitant : conversion à l'Islam le plus radical, accepter d'avoir des esclaves) ne durera pas longtemps. Car la vision d'Eliott de Gastines, radicalement pessimiste, ne nous laisse que peu d'espoir si par malheur sa fiction devenait réalité. Il y a un peu d'humour dans ce roman enlevé, mais le ton est avant tout triste et nostalgique. Comme pour mieux nous faire prendre conscience combien nous vivons dans un monde privilégié, loin de tout danger mais incapables de profiter de ce bonheur simple.

« La frontière sauvage » d'Eliott de Gastines, Albin Michel, 320 pages, 21,90 €