jeudi 15 août 2024

Littérature française - La vie en nouvelles


Le regard acéré et amusé de Véronique Ovaldé s’est arrêté sur huit vies imparfaites, huit existences racontées en partie dans autant de nouvelles. Un genre à part, qui est plus risqué que le roman car l’auteur doit aller à l’essentiel, oublier le superflu, ne conserver que le meilleur.

Pour que le lecteur s’y retrouve, Véronique Ovaldé a imaginé que ces différents paumés se connaissent. Collègues ou parents, tous se croisent à un moment de leur vie. Cela commence en fanfare avec Auguste, renommé par ses amis Baraka tant la vie ne lui fait pas de cadeau. D’ailleurs, quand il croit avoir fait une bonne affaire immobilière, une simple grève va ruiner ses illusions dès le lendemain. Mais il aura au moins fait la connaissance d’Eva, trop bonne, trop C…

Elle aussi saura séduire le lecteur avec ses histoires de survie en milieu hostile (un boulot de commerciale et une adolescente à la maison).

Véronique Ovaldé, en racontant les imperfections de ces huit personnages, agit comme la coiffeuse à la fin de la séance en nous montrant l’arrière de notre tête. On constate alors qu’on ne se connaît pas sous cet angle. Ce n’est pas brillant, mais cela reste une facette de notre personnalité.

« À nos vies imparfaites », Véronique Ovaldé, Flammarion, 160 pages, 19 €

Cinéma - La vie imaginaire de “Mon parfait inconnu”

Introvertie, une jeune fille recueille un amnésique et s’invente une vie de couple. Film norvégien sur la mémoire, « Mon parfait inconnu » propose une belle réflexion sur la solitude.


Simple femme de ménage dans les vastes locaux du port d’Oslo, Ebba (Camilla Godø Kroh) n’est pas satisfaite de sa vie. Elle souffre de sa solitude affective. Pas de petit ami, malgré ses 17 ans, à cause d’une timidité maladive et d’un manque criant de confiance en soi dès qu’elle se retrouve en société. Le début du film de la cinéaste norvégienne Johanna Pyykkö prend le temps de plonger le spectateur dans cette vie morne.

Ebba voudrait faire mieux, s’imagine en train de discuter spirituellement avec ces étudiants en vacances autour d’une piscine. Mais cela ne dépasse jamais les limites de son imagination. Seule embellie dans sa vie, les propriétaires du sous-sol qu’elle loue, lui demandent de surveiller la villa durant leurs vacances au soleil.

Elle a presque l’impression d’habiter une demeure de riche, d’être cette jeune femme brillante et intelligente à qui tout réussit. Un assez long préambule pour comprendre pourquoi elle agit si étrangement quand elle découvre, une nuit en revenant du boulot, un homme blessé à la tête.

Au lieu d’appeler les secours, Ebba le ramène chez elle. Exactement dans la villa, pas dans son sous-sol sombre et riquiqui. Et quand il reprend ses esprits, constatant qu’il ne se souvient plus de qui il est, elle prétend être sa petite amie et vivre temporairement dans la villa de son oncle, architecte.

Du jour au lendemain, profitant de l’amnésie de ce Bulgare (elle a retrouvé ses papiers d’identité et les a cachés de même que son téléphone portable), elle réécrit sa vie en le rebaptisant Julian. Perdu, hagard, l’homme doute tout en profitant de cette convalescence. Un peu dans une histoire de la Belle et la Bête inversée, on assiste au prudent rapprochement entre Ebba la manipulatrice et Julian, l’innocent. Elle semble heureuse en sa présence. Lui, se laisse porter par cette jeune fille active et déterminée, sa petite amie donc, même si quelques flashes mémoriels instillent le doute.

Le film entre alors dans une construction de plus en plus proche du thriller. Julian tente de retrouver sa mémoire, sa vie d’avant. Ebba, discrètement, cherche elle aussi à comprendre qui il est véritablement. La confrontation avec la réalité va la replonger dans ce doute qui mine sa vie.
Mon parfait inconnu est un film multiple. Tout en étant complètement ancré dans la réalité norvégienne actuelle, il donne parfois l’impression d’être une expérience de réalité virtuelle dans le multivers. Et méfiance, s’imaginer une nouvelle vie n‘est pas sans risque quand on ne maîtrise pas tous les acteurs.


Film de Johanna Pyykkö avec Camilla Godø Krohn, Radoslav Vladimirov, Maya Amina Moustache Thuv

mercredi 14 août 2024

Cinéma - “Belle enfant”, mère toxique, sœurs aimantes


Auteur complet de bande dessinée, Jim a planté sa table à dessin à Montpellier. C’est de cette ville qu’est parti le projet de son premier long-métrage, Belle enfant. En plus des dizaines d’albums publiés en plus de 30 ans de carrière, Jim a signé quelques courts-métrages.

Ce projet de film, cela fait plus de 5 ans qu’il le porte à bout de bras. Un voyage en Italie, dans les eaux troubles d’une famille dysfonctionnelle, désunie et broyée par une mère toxique. Un film porté par la comédienne Marine Bohin, interprète d’Emily, la plus jeune fille de Rosalyne (Marisa Berenson). Cette dernière, mère célibataire essentiellement amoureuse de sa liberté, arrive au bout de sa dépression.

Prétendant être très malade, elle demande à ses trois filles de la rejoindre dans une villa en bord de mer près de Gênes. Une réunion familiale prétexte au cours de laquelle Jim va détailler les personnalités des trois sœurs. L’aînée, mère de remplacement, minée par la culpabilité ; la blonde, qui multiplie les aventures sans lendemain (comme maman) et Emily donc, la petite brune sauvage, rebelle, toujours énervée.

Elle croise en chemin Gabin (Baptiste Lecaplain), défouloir masculin, amoureux désespéré et seul à comprendre cette famille de dingues.

Le début du film apporte un peu plus d’humour que les BD de Jim. La suite est très mélodramatique. Un peu trop larmoyante même, pétrie de bons sentiments, très éloignée des albums qui mettent toujours en scène des femmes indépendantes, fières, à la recherche du grand amour.

Jim, tout en offrant des images lumineuses d’une Italie qu’il magnifie, ne retrouve malheureusement pas au cinéma cette petite folie qui transforme ses BD en bijoux d’intelligence et de beauté.

Film de Jim avec Marine Bohin, Baptiste Lecaplain, Marisa Berenson


En vidéo - “Robot Dreams” ou Mon ami robot


Adapté d’un roman graphique de Sara Varon (paru en France chez Dargaud), Robot Dreams est le premier film d’animation de Pablo Berger. Une histoire d’amitié touchante.

Dog, gentil chien vivant à Manhattan, se construit un robot car il se sent trop seul. Un robot de compagnie avec qui il passe de merveilleux moments. Mais un jour, Dog est obligé d’abandonner son robot sur la plage.

Le réalisateur de Blancanieves, récompensé par 10 Goyas en 2013, a souhaité explorer toutes les possibilités offertes par l’animation. Un film muet édité en vidéo chez Wild Side, d’une rare beauté et grande fluidité, nommé aux derniers oscars entre les productions américaines (Elémentaire et Spider-man) et le dernier Miyazaki.

mardi 13 août 2024

BD - XIII : Jones attaque


Un peu à la mode des productions ciné américaines, la série de BD XIII est devenue une franchise. Tout un monde à développer pour continuer à passionner les millions de fans. Yann, scénariste multitâches, développe le personnage de Jones pour le dessinateur TaDuc.

En trois albums, il va raconter comment cette militaire noire américaine, après une enfance marquée par la misère et l’errance, a été remise sur de bons rails par le général Carrington.


Elle ne connaît pas encore XIII, mais a déjà l’action chevillée au corps. Dans le second tome, elle est expédiée sur le pénitencier d’Alcatraz, occupé par des activistes amérindiens. Elle a pour mission de libérer des otages dont le général Carrington.

Le contexte politique, bien expliqué dans le premier tome, est un peu laissé de côté pour ce second volume essentiellement consacré à l’action. Jones, pour aborder l’île en toute discrétion, utilise un moyen d’approche très original. Et une fois sur place, elle doit assister à une scène traumatisante.

Toujours parfaitement dessiné par un TaDuc ne reniant rien à son style alors qu’il aurait pu faire du Vance, l’album se termine par une image forte, de celles qui donnent envie de lire le plus vite possible le 3e et dernier tome de cette trilogie.

« XIII Trilogy - Jones » (tome 2), Dargaud, 48 pages, 13 €

Polar – Enquête en Chine


Judicieuse réédition du premier roman policier de He Jiahong. Ce juriste chinois a fait une entrée fracassante dans le monde littéraire en 1995 avec la première enquête de son héros récurrent, l’avocat Hong Jun. Après une carrière aux USA, Hong revient à Pékin.

Il embauche une secrétaire, la facétieuse et pétillante Song Jia et se lance dans sa première affaire : tenter d’obtenir la révision du procès d’un homme condamné il y a 10 ans pour avoir violé puis assassiné la jeune fille qu’il aimait. L’action se déroule dans le nord-est du pays, loin de Pékin la moderne. Le roman prenant place dans les années 90, en plus de proposer une intrigue à la Sherlock Holmes, détaille la vie dans cette région rurale, comme hors du temps, encore très marquée par la Révolution culturelle et où les notables du parti ont tous les pouvoirs.

L’avocat va y croiser un ancien élève, le juge local, la famille du coupable, une folle et quelques chasseurs locaux. Les loups sont nombreux dans les forêts. En ville aussi…

Un polar très romantique car il y est aussi question d’amour impossible ou d’amour perdu, comme celui de Hong Jun, espérant retrouver cette étudiante qu’il a follement aimée dans sa jeunesse.

« Crime de sang », Mikros - L’Aube, 544 pages, 14,50 €

BD - Fantastique Jean Ray


Écrivain tombé dans l’oubli, Jean Ray a signé des centaines de romans populaires dont de très nombreux ayant pour héros Harry Dickson, surnommé le Sherlock Holmes américain. Pourtant ses aventures se déroulent à Londres et le romancier est Belge… Une littérature populaire, inventive, sans limite dans les trouvailles croquignolesques.


Doug Headline et Luana Vergari proposent des adaptations en BD des meilleurs récits. Après Mystérias, le tome 1, découvrez la suite, La cour d’épouvante, toujours avec Onofrio Catacchio. Le détective privé est sollicité par Hamilton, un riche industriel en proie à des rêves épouvantables. Chaque nuit, il se retrouve face à 11 juges masqués, la cour d’épouvante, qui veut lui faire payer ses exactions.

Délire ou mystification ? Harry Dickson, avec son fidèle adjoint Tom Wills, va passer quelques nuits dans le manoir de Hamilton et découvrir que derrière cette incroyable histoire il y a un chantage mené par le méchant de la série, Mystérias !

Si l’intrigue a un peu vieilli, on appréciera quand même la richesse de cet univers : hypnose, monde horrifique des forains, mythologie indienne et apologie de la modernité. Un étrange mélange fournisseur d’une intrigante nostalgie.

« Harry Dickson, La cour d’épouvante » (tome 2), Dupuis, 64 pages, 15,95 €

Roman jeunesse - Feu flippant


Les romans de la série Chasseurs de fantômes peuvent être lus dès 7 ans. Une entrée idéale pour donner envie aux enfants de se plonger dans un petit livre richement illustré. Garçon ou fille, ils se reconnaîtront dans Andres, un gamin très peureux qui a un don pour attirer les fantômes.

Car dans ce monde raconté par l’Américain Andres Miedoso, illustré par l’Espagnol Victor Rivas, les spectres et autres monstres ne se cachent pas sous le lit des enfants mais leur apparaissent régulièrement. Comme Zax par exemple. Ce fantôme, rencontré dans les précédents livres, est devenu l’ami d’Andrès et le suit partout. Ainsi quand les parents du petit héros trouillard décident de camper dans les bois, ils emmènent Andrès, Léo, son meilleur copain, mais aussi Zax, spectre invisible mais très utile parfois.

Le roman, le 8e de la série, se déroule essentiellement le soir, autour du feu de camp. Les deux gamins et Zax tentent de se faire mutuellement peur en se racontant des histoires horribles.

Comme toujours, c’est Léo qui l’emporte avec son face-à-face avec une araignée vampire géante. Facile à lire, bien illustré, ce roman horrifique fait surtout rire.

« Chasseurs de fantômes, peur bleue au coin du feu », PKJ, 128 pages, 6, 80 €

Roman historique - Oranges et frontière


Paru en 2005, Quai des oranges de Nicole Zimermann est un superbe portrait de femme. De celles qui n’acceptent pas de marcher droit dans les pas du patriarcat. Rose, le personnage principal du roman, est une jeune Catalane vivant à Cerbère. Nous sommes dans les années 20 et le village frontière est essentiel dans les échanges commerciaux entre Nord et Sud de l’Europe.

Rose est transbordeuse d’oranges. Dans la gare, elle vide les wagons espagnols de ces fruits très recherchés et remplit les trains français. Un travail harassant mais bien payé. Rose, trop romantique, cède aux avances d’un garçon du cru et se retrouve fille-mère. Une infamie à l’époque.

Elle va cependant aller contre sa famille et la communauté, s’imposer dans son métier et permettre aux autres femmes de s’imaginer un meilleur futur. Le roman, très documenté, raconte aussi comment Rose a été envoyée au Pays basque pour former les ouvrières locales à ce travail ingrat mais essentiel.

L’occasion de détailler une petite compétition régionale : « Dures à l’ouvrage, vives et concentrées, les Basques mettent tout leur amour-propre à apprendre vite et à ne pas se laisser distancer » par les Catalanes.

« Quai des oranges » de Nicole Zimermann, Privat, 295 pages, 21 €

lundi 12 août 2024

Cinéma - Un problème d’invitée dans le “Dîner à l’anglaise”

Une jolie maison à Londres, deux couples aisés, amis depuis l’université, un dîner et une invitée surprise, Jessica. Une comédie grinçante et caustique signée Matt Winn. 


L’humour anglais, comme la Royauté, a encore de belles années devant lui. Pour s’en persuader, il suffit d’aller voir le film de Matt Winn dont le titre original, The Trouble With Jessica, est moins typique que le Dîner à l’anglaise retenu par le distributeur français, mais plus représentatif de l’ambiance générale. Car plus on progresse dans le film, plus les problèmes s’accumulent.

Cela donne des sortes de chapitres dans le film, scènes brillamment maîtrisées par des comédiens au diapason. On passe donc du problème avec les amis au problème avec les forces de l’ordre jusqu’au définitif problème de la culpabilité.

Sarah (Shirley Henderson) et Tom (Alan Tudyk) sont inquiets. Ils tentent de finaliser la vente de leur superbe maison londonienne. Tom, architecte, a besoin de cet argent pour terminer son grand projet. Sinon c’est la banqueroute, hypothèse qui met Sarah dans un état d’anxiété absolu. Pour la dernière fois, donc, ils vont recevoir dans cette maison leurs meilleurs amis, Beth (Olivia Williams) et Richard (Rufus Sewell). Mais ces derniers amènent avec eux Jessica (Indira Varma).

Une journaliste, célibataire, très délurée, qui rencontre enfin le succès avec son premier roman. Le succès mais pas l’apaisement intérieur car entre la poire et le dessert, elle va se pendre dans le jardin de Sarah. En découvrant le corps, cette dernière panique : jamais l’acheteur potentiel ne déboursera un million de livres pour une maison où une femme s’est suicidée. Dès lors, elle va tenter de persuader son mari et ses amis qu’il faut déplacer le corps, ramener Jessica chez elle pour ne pas faire capoter l’opération immobilière.

Le film de Watt Winn débute comme une satire sociale très classique d’un milieu aisé britannique. Critique qui va aller en s’amplifiant et virer au thriller quand le spectateur découvre que Sarah, parfaite femme au foyer, est prête à tout pour conserver son train de vie, ses signes extérieurs de réussite. Les autres ont un peu plus de difficultés à avaler le suicide et ses conséquences.

Notamment Richard, avocat, sachant parfaitement ce qu’il risque s’il participe à l’opération.

Mais il a quelques casseroles et des secrets inavouables qui vont permettre à Sarah d’imposer son scénario de l’horreur. Pour compliquer le tout, interviennent deux policiers aussi typiques que suspicieux, une voisine curieuse, l’acheteur de la maison et un… clafoutis qui aura au final une grande importance. Une comédie sur la vanité, le mensonge et le paraître.

Tout ça à cause de Jessica. Oui, un véritable problème pour ses amis.

Film de Matt Winn avec Rufus Sewell, Shirley Henderson, Olivia Williams, Alan Tudyk, Indira Varma