Judicieuse réédition du premier roman policier de He Jiahong. Ce juriste chinois a fait une entrée fracassante dans le monde littéraire en 1995 avec la première enquête de son héros récurrent, l’avocat Hong Jun. Après une carrière aux USA, Hong revient à Pékin.
Il embauche une secrétaire, la facétieuse et pétillante Song Jia et se lance dans sa première affaire : tenter d’obtenir la révision du procès d’un homme condamné il y a 10 ans pour avoir violé puis assassiné la jeune fille qu’il aimait. L’action se déroule dans le nord-est du pays, loin de Pékin la moderne. Le roman prenant place dans les années 90, en plus de proposer une intrigue à la Sherlock Holmes, détaille la vie dans cette région rurale, comme hors du temps, encore très marquée par la Révolution culturelle et où les notables du parti ont tous les pouvoirs.
L’avocat va y croiser un ancien élève, le juge local, la famille du coupable, une folle et quelques chasseurs locaux. Les loups sont nombreux dans les forêts. En ville aussi…
Un polar très romantique car il y est aussi question d’amour impossible ou d’amour perdu, comme celui de Hong Jun, espérant retrouver cette étudiante qu’il a follement aimée dans sa jeunesse.
« Crime de sang », Mikros - L’Aube, 544 pages, 14,50 €
En plus de découvrir la rude vie des marins-pêcheurs canadiens, ce roman policier de Roxanne Bouchard offre une exploration poétique et naturaliste de la Gaspésie, région située à l’est de Montréal.
Le froid s’accorde parfaitement avec le roman policier. Les polars nordiques (Suède, Norvège, Danemark) ont conquis la France, puis l’Islande a imposé sa noirceur. Toujours plus à l’Ouest, découvrez les enquêtes de Joaquin Morales, policier québécois sorti de la plume de Roxanne Bouchard et déjà croisé dans son premier roman, Nous étions le sel de la mer.
Morales est toujours en poste à Caplan, au sud de la Gaspésie. La belle Catherine a mis les voiles. Le voilà seul à se demander si son mariage avec Sarah peut être sauvé.
La routine est bousculée quand il est envoyé en renfort à Gaspé pour devenir l’enquêteur principal chargé de la disparition d’Angel Roberts. Cette femme, marin-pêcheur à la barre d’un homardier, a disparu la nuit du 10e anniversaire de son mariage. Signe particulier : elle avait revêtu sa robe de mariée. Le bateau est retrouvé au large, moteur arrêté, vide. La mariée a-t-elle été enlevée ? Ou plus probablement est-elle tombée à l’eau. Une course contre la montre s’engage car en cette fin septembre, l’eau est froide. Mortelle.
Secrète Gaspésie
Le début du roman se consacre à ces recherches et l’arrivée de l’enquêteur Morales, passablement perturbé. Car en plus de la disparition de sa maîtresse, il a dû abandonner à Caplan son ami Cyrille, pêcheur, mourant d’un cancer en phase terminale. Sans compter sur l’arrivée inopinée de son fils aîné, Stéphane, ivre mort, cuisinier à Montréal mais lui aussi en bisbille avec sa blonde.
Il a donc l’esprit ailleurs quand il rencontre les agents qui vont le seconder. Et là aussi, Roxanne Bouchard propose des personnages hauts en couleur. Lefèbvre, agent tire-au-flanc, qui détester aller sur le terrain préférant de loin le désordre de son bureau. Simone, membre de la police de la pêche, experte de ce milieu très fermé, cassante, limite arrogante avec Morales, ce policier venu de la ville aux origines.. mexicaines. Rajoutez au cocktail la famille de la disparue, une aubergiste trop joyeuse et une prof de yoga trop belle et vous avez tout pour concocter un roman policier haletant.
Reste le décor, le plus important dans l’œuvre de Roxanne Bouchard, cette Gaspésie, reculée, sauvage, hermétique. Morales tente de comprendre le territoire et ses habitants. Difficilement car « la Gaspésie le défie par sa lenteur, mais aussi par la douloureuse expérience de l’intimité. Ici il faut avoir une compréhension intime des gens pour résoudre une affaire. En ville, tout est cru, plus dur : on tue avec violence pour de la drogue, de l’argent. Les criminels qui assassinent des inconnus parlent d’exécution, de vengeance, et crachent sur leurs victimes. Ici, les meurtriers souffrent tellement de leur méfait que la prison devient un châtiment juste, presque apaisant. » Les hommes, la nature, la mer. Plonger dans un roman de Roxanne Bouchard c’est partir en voyage dans des contrées inconnues, rudes mais avant tout poétiques.
Avec Joaquin Morales on se découvre l’envie de courir sur les falaises avec la mer pour seul horizon, de sentir ces embruns, voir ces fous de Bassan plonger ou explorer des forêts noires et secrètes. Par contre, vu la rudesse du métier, on a moins envie d’aller attraper du homard ou des crevettes au large. Pourtant c’est sans doute là que se trouve la solution à l’énigmatique disparition.
Bandana rouge sur sa tignasse blanche, barbe fournie, le verbe haut, l’accent fier : Daniel Herrero ne passe pas inaperçu. Que cela soit au bord d’un terrain de rugby (sa première cour de récréation), à la télévision où dans ses livres, l’homme aux racines occitanes entre Toulon et Narbonne a voulu, dans ce livre d’entretiens avec José Lenzini, journaliste au Monde, raconter son pays, sa région, sa mer. Car Herrero ne se définit pas en fonction d’une langue, d’un pays ou d’une religion. Lui, il est Méditerranéen et le répète à l’envi dans ce livre d’une centaine de pages enrichi de peintures et croquis tracés par cet artiste multifacettes lors de ses périples tout autour de cette « Mare Nostrum » qui berce depuis la nuit des temps les peuples de notre région. « Partout en Méditerranée, sur ses terres, sur ses bords de mer, sur ses côtes, partout je suis chez moi ». Une affirmation qui prend toute sa mesure en ces temps de vastes migrations, politiques, religieuses ou économiques. Cette région de la planète a de tout temps été un lieu de vie, de passage, d’échanges. De conflit aussi et Daniel Herrero ne l’occulte pas. Mais a aussi la farouche volonté d’en faire une force : « Le métissage ne m’effraie pas. J’ai quarante-deux mille ans de pères et de mères, de frères et de sœurs qui sont du bassin méditerranéen. » Un message d’espoir à ne pas négliger en ces temps difficiles de repli sur soi. L’ancien rugbyman de Toulon, revient aussi sur son fameux look, identifiable, comme un de ces Indiens qui perdaient trop souvent dans les vieux westerns. « Ce bandeau rouge est-il un signe ? Oui. Ostentatoire ? J’espère que non, mais de fait possiblement, probablement même. » ■ « Sur toutes les bordures » Dans le livre, Daniel Herrero parle beaucoup de son Papé, ce grand-père qui ne parlait quasiment pas le français, fier pourtant de son pays d’adoption. Un homme simple, authentique, vrai, comme on n’en rencontre plus beaucoup de nos jours. Enfin chez nous, car ailleurs Daniel Herrero en a croisé plusieurs, de la Kabylie à la Palestine. Et il n’a pas fini d’aller à leur rencontre : « Je vais passer ma vie à aller ailleurs, aller autour au sens propre du terme ; autour, parce que en plein centre, j’y vais peu. Je suis peu allé sur la mer mais j’ai mis les pieds sur toutes les bordures, avec l’idée qu’il y a encore un truc que je ne connais pas et qu’il faut que j’aille voir ». Alors M. Herrero, encore merci de nous emmener un peu dans vos voyages lumineux. Comme la Méditerranée… ➤ « Mes Méditerranées » de Daniel Herrero, L’Aube, 12 €
Roman rural et familial, « La maison Bataille » d’Olivier Szulzynger, connu pour avoir longtemps coordonné les scénarios de « Plus belle la vie », est un regard assez cru sur la désertification de la montagne catalane. A cause de la crise agricole mais aussi et surtout de la mésentente dans certaines familles obligées de fuir la misère et incapables de trouver un terrain d’entente pour assurer une transmission d’héritage sereine. « La maison est ramassée sur elle-même. La façade est en pierre sèche. Il n’y a pas d’ouverture au rez-de-chaussée, et seulement une rangée de quatre fenêtres au premier et au deuxième étage. Les fenêtres, étroites comme des meurtrières, sont fermées par des volets verts en bois. La peinture s’écaille. Le noir rouille des ardoises contraste avec le gris jaunâtre du mur. Pierres contres pierres. Minéral. » Telle est la maison Bataille plantée sur les hauts de Camporeils dans ce Capcir si redoutable en hiver. Frédéric, compositeur atteint d’une tumeur au cerveau, compte se retirer dans cette demeure familiale qu’il n’a fréquentée que de rares étés. C’est là qu’a débuté la saga des Bataille. Maniant à la perfection la narration avec une quantité importante de personnages, l’auteur, dont c’est le premier roman, fait le pari de délaisser la chronologie pour multiplier les allers-retours aux différentes époques. ■ Regard lucide Il y a André, le patriarche, celui qui a imposé les Bataille comme les maîtres du Capcir dans l’entre-deux-guerres. Puis ses enfants, Jeanne, Marie, Pierre et Louis. Enfin les petits enfants dont André, Sylvie et Frédéric. C’est ce dernier qui sert de pivot au roman. Son retour à Camporeils et ses souvenirs de son père et de ses tantes.
L’essor des Bataille débute par une déception. André, en 1920, veut quitter ces montagnes pour l’Argentine et ses immenses plaines propices à l’élevage de masse. Son père refuse. Il reste donc sur l’exploitation et transforme sa frustration en ambition politique. Elu maire, il rayonne sur la région, envisage d’avoir des responsabilités nationales. La seconde guerre le fauche en pleine gloire. Sa fille, Jeanne reprend le flambeau. Mariée à un employé de banque, elle va œuvrer en coulisses pour sa promotion, devenant une cadre du Crédit Agricole, de ces responsables qui ont œuvré pour la modernisation de l’agriculture française. A l’opposé, Marie vivote à Narbonne, ne revenant à la maison familiale qu’en été, pour les vacances d’été. Une écriture concise, précise, donne toute sa force à cette saga qui pourrait s’étaler sur des heures à la télévision. Mais Olivier Szulzynger sait faire court et direct. Exemple avec le sentiment de Frédéric, partagé entre sa réussite artistique et ses attaches paysannes : « En sautant d’un monde à l’autre, on court le risque de trébucher et de tomber dans le vide. » Histoire d’une maison, d’une famille, d’une région, ce roman est un regard lucide sur l’évolution des mentalités d’une génération à l’autre. ➤ « La maison Bataille », Olivier Szulzynger, Editions de l’Aube, 22 €