mercredi 2 avril 2014

Cinéma - Un million de rêves à réaliser dans "Nebraska" d'Alexander Payne

Que faire avec un million de dollars ? La question est au centre de Nebraska, film d'Alexander Payne.

Une camionnette neuve et un compresseur. Woody Grant, mécanicien à la retraite, n’a pas de grandes prétentions avec le million de dollars qu’il vient de gagner à la loterie. Tout ce qu’il désire c’est se payer une camionnette neuve et un compresseur pour remplacer celui qu’il a prêté (et jamais récupéré depuis 30 ans) à son associé de l’époque. Des envies bien peu utiles quand on sait qu’il ne peut plus conduire depuis une dizaine d’années et que le compresseur n’aura qu’une utilité toute relative lui qui ne travaille et bricole plus du tout. Mais Woody (Bruce Dern, prix d’interprétation au dernier Festival de Cannes) est déterminé. Il décide donc d’aller récupérer son argent à Lincoln, dans le Nebraska. A pied, depuis Billings dans le Montana, soit la bagatelle de 800 miles (126 heures de trajet d’après Google Maps...).

La démarche hésitante, comme absent, il marche sur une de ces voies rapides quand la police l’intercepte. Son fils, David (Will Forte), le récupère au commissariat et tente de le persuader, une énième fois, que ce million n’est que virtuel. Ce n’est pas une réelle loterie mais ces publicités attrape gogo qui écrivent en gros que vous avez gagné le million et en tout petit que vous ne touchez votre lot que si votre numéro est gagnant, ce qui n’arrive jamais... Woody n’en démord pas. Il veut aller toucher son lot. Et sans coup férir repart, toujours à pied, vers Lincoln, Nebraska.
David, lui-même en plein doute dans un métier peu valorisant et une rupture sentimentale douloureuse, va s’apitoyer sur ce vieillard qui cherche tout simplement un nouveau but dans la vie. Il accepte de le conduire en voiture, sous les lazzis de sa mère Kate (June Squibb) qui n’en peut plus et réclame à cor et à cri le placement du vieux fou dans une maison de retraite.

Comédie douce-amère
Ce road movie d’Alexander Payne, à travers quatre états du nord des USA, tourné en noir et blanc, est d’une grande beauté. Images léchées, cadrage savant, dialogues authentiques : le film raconte en quelques étapes riches en péripéties, toute la vie d’une famille de base américaine. Les relations père-fils bien entendu, mais aussi tout ce qui tourne autour, des cousins cupides (eux aussi croient que Woody a gagné un million de dollars) aux anciennes petites amies du père devenues des vieilles dames trop sages. Une Amérique profonde, blanche et croyante, hypnotisée par la mauvaise télévision, fataliste face à la crise. Ce long-métrage aurait pu être hautement dépressogène. C’est finalement une comédie douce-amère, avec juste ce qu’il faut de fantaisie pour faire passer la pilule : non, Woody n’a pas gagné un million de dollars...

mardi 1 avril 2014

DE CHOSES ET D'AUTRES - SMS et orthographe

Halte aux idées reçues. Le langage SMS ne nuit pas à l'orthographe des jeunes. Au contraire, affirment des chercheurs français en conclusion d'une étude récente menée sur 4524 SMS rédigés par 19 jeunes âgés de 12 ans, qui n'avaient jamais possédé ou utilisé de téléphone mobile avant le début de l'expérimentation.

En réalité, le nombre de fautes dans les SMS est directement proportionnel au niveau en orthographe. Ceux qui utilisent le plus de « textismes » (ces abréviations phonétiques très pratiques pour raccourcir les messages) sont plutôt ceux qui possèdent un bon bagage. Et les chercheurs d'expliquer que les SMS, au lieu de représenter une menace sur le résultat des jeunes Français, constituent une « occasion nouvelle et supplémentaire de pratiquer l'écrit. » Et carrément de suggérer que les SMS soient « utilisés comme support d'apprentissages scolaires ».
Pourquoi pas ? Soyons modernes que diable ! Les professeurs, au lieu de déchiffrer des manuscrits raturés et tachés, rendus en retard pour cause de tendinite du poignet, recevront les devoirs directement sur leur smartphone, parfaitement lisibles. Terminés les longueurs et hors sujet, au risque d'exploser les forfaits. Certes il conviendra de former les enseignants les plus rétifs à ces nouveaux codes.
Mais si les profs savent traduire « outil scripteur » en stylo, « référentiel bondissant » en ballon ou « apprenant » en élève (exemples les plus frappants du jargon technocratique de l'Éducation nationale), le langage SMS, à côté, c'est vraiment trop simple.

Chronique "De choses et d'autres" parue ce mardi en dernière page de l'Indépendant. 

BD - Angoissante prison sous-marine


Pour éviter les évasions, les Américains ont inventé Alcatraz, la prison, sur une île au large de San Francisco. Dans le futur décrit par Christophe Bec et illustré par Stefano Raffaele (dessinateur réaliste d'une rare efficacité), ils sont allés encore plus loin. La prison est une base sous-marine à 900 mètres de profondeur. Deepwater Prison, lieu d'une violence inégalée. Les gardiens et quelques caïds font régner la terreur. Pour la première fois depuis longtemps, une femme va y séjourner. Une scientifique qui enquête sur le naufrage d'une plateforme pétrolière à quelques encablures. 
Le premier tome de cette série qui aurait tout à fait eu sa place dans la collection « La grande évasion » plante le décor. Un héros, emprisonné par erreur, une femme belle et déterminée, une administration qui a beaucoup à cacher et quelques monstres marins démesurés. Il ressort de cette BD un sentiment d'angoisse et d'oppression très fort. Preuve que les auteurs ont parfaitement réussi leur coup. Car dans Deepwater Prison, personne ne peut être serein...

« Deepwater Prison » (tome 1), Soleil, 13,95 €

DE CHOSES ET D'AUTRES - Tabou, Tintin

Pas touche à la houppette ! Tintin, tel le dieu de la bande dessinée moderne, est devenu quasiment intouchable. Hergé, avant de mourir, a clairement dit qu'il ne voulait pas que son personnage lui survive. Sa veuve, Fanny, en fait encore plus. La moindre case extraite des albums est considérée comme une œuvre d'art, il est donc interdit de la reproduire sans l'autorisation de la fondation chargée de veiller sur l'héritage. Les avocats des éditions Moulinsart sont sollicités au moindre dérapage.
Dernier exemple en date un blog intitulé "Le petit XXIe", résumant l'actualité forte du jour en une seule image tirée des aventures du journaliste belge. Une idée pas vraiment novatrice, les animateurs du blog, journalistes à Libération, se contentent de prolonger au quotidien le numéro historique paru au lendemain de la mort d'Hergé (le 3 mars 1983), uniquement illustré de dessins du maître de la Ligne Claire.
Si les éditions Moulinsart sont dans leur bon droit, elles ont une nouvelle fois énervé les fans du petit reporter avec un jusqu'au-boutisme quasiment intégriste. Tintin, de héros contemporain, semble se figer dans un carcan passéiste de plus en plus rigide. Là où les majors américaines autorisent les fans à utiliser les images des super-héros (du moment que ce n'est pas pour les dénigrer), Moulinsart bloque toute initiative, même positive.
Cela n'augure rien de bon pour la parution, en 2052, d'un possible nouveau Tintin, une année avant que les droits patrimoniaux ne tombent dans le domaine public.
Chronique "De choses et d'autres" parue lundi en dernière page de l'Indépendant. 

lundi 31 mars 2014

BD - Gare au Ninja malvoyant de "Blind Dog Rhapsody"


Si vous aimez les dialogues qui claquent et font sourire, cette BD est pour vous. Eric Hanna, le scénariste, a visiblement pris beaucoup de plaisir à imaginer les échanges entre ce héros non voyant, son maître fantôme ayant l'apparence d'un raton laveur et la pauvre serveuse de bar au chômage dont la principale utilité est d'avoir... de gros seins. Ça a le format d'un comics américain, mais l'histoire ressemble plus à un manga
Le héros, sans nom précis, est généralement nommé « sale bâtard blanc infirme ». Une insulte qu'il n'apprécie que moyennement. Expert en art martial, bien qu'il soit aveugle, il peut décimer une armée en quelques secondes. Sur les 100 pages de ce premier tome, il y a bien 40 pages de baston pure, avec os broyés et cervelles apparentes. Redec, le dessinateur, excelle dans ces combats aux noms si poétiques comme « attaque surprise de la queue cachée du crapaud » ou « Botte secrète de la chaussure flottante ». On rit beaucoup à la maladresse du héros, aux idées salaces du raton laveur et à la mégalomanie du méchant. Quant à Maï, la serveuse à forte poitrine, elle a d'autres atouts pour fasciner le lecteur.

« Blind Dog Rhapsody » (tome 1), Delcourt, 15,95 €

samedi 29 mars 2014

BD - Brumes ensorcelantes


On a parfois l'impression que toutes les sagas de fantasy se ressemblent. Il est vrai que la trame est souvent la même. Un ou une élue, des dieux en colère, quelques vaillants guerriers le tout saupoudré de trahisons. « Les brumes d'Asceltis », série écrite par Nicolas Jarry n'échappe pas à la règle. Mais on y retrouve quelques détails qui font la différence. Même après le changement de dessinateur Leoni et Negrin), Elya la jeune sylve reste sympathique. Mais surtout il y a la petite fée Nahi, si gironde avec ses petites ailes. Et aussi Galea, la blonde qui va prendre soin d'un bébé au destin immense. 
Galea peu vêtue, servante puis prostituée, mais au cœur d'or et prête à se sacrifier pour sauver l'enfant. Ce sixième tome voit le regroupement de tous les personnages principaux, une « convergence » qui se transforme en passage vers un autre monde.

« Les brumes d'Asceltis » (tome 6), Soleil, 13,95 €

vendredi 28 mars 2014

DE CHOSES ET D'AUTRES - Comme NKM, allez voter, mais avec classe !


Acte essentiel de la démocratie, le vote peut devenir glamour. Carrément orgasmique pour certains. Dans le dernier VSD, découvrez Nathalie Kosciusko-Morizet dans un de ces "moments de grâce" dont elle a le secret. La main suspendue au-dessus de l'isoloir, l'enveloppe encore au bout de ses doigts fins, elle rejette la tête en arrière, yeux fermés, cheveux en plein mouvement, telle une star hollywoodienne.



Je ne sais si elle ferait une bonne maire de Paris, mais dans le cas où elle échouerait dans sa conquête de l'Hôtel de ville, sa reconversion en mannequin est assurée. Même quand elle fume une clope en compagnie de SDF elle est lumineuse. A moins que tout cela ne soit qu'une mise en scène savamment orchestrée. Dans le secret de l'isoloir, elle fait la gueule comme tout le monde, craignant la défaite. Voire déchire rageusement le bulletin de son adversaire...
Un secret bien gardé car NKM n'a pas posté sa "selfisoloir", phénomène récurrent et distrayant de la longue journée de vote du premier tour des municipales. De petits malins ont eu la drôle idée de se photographier en cachette, bulletin de vote apparent, une fois le rideau tiré. Et de publier le cliché sur Twitter, Instagram et autre réseau social. L'exercice manque de variété mais présente l'avantage de favoriser la participation. Je suis sûr que certains se déplaceront dimanche uniquement pour exhiber leur bobine sur internet dans l'isoloir. Histoire de montrer aux amis qu'on est à la pointe de la tendance...
Mais positivons, cette nouvelle mode (éphémère par définition) est quand même beaucoup moins débile qu'un Harlem Shake.

Chronique "De choses et d'autres" parue ce vendredi en dernière page de l'Indépendant.

jeudi 27 mars 2014

DE CHOSES ET D'AUTRES - Chroniques mort-nées

Trouver une idée, une réflexion, un sourire ; bref un sujet pour cette chronique quotidienne s'apparente parfois à un véritable chemin de croix. Quand le vide résonne dans mon crâne tel l'écho dans le gouffre de Padirac, je n'ai plus que deux solutions : jeter l'éponge (j'ai déjà grillé trois jokers depuis le début de l'année) ou me lancer dans une recherche tous azimuts espérant en ressortir quelque chose d'exploitable.
Hier donc, à moins de 60 minutes de l'heure limite, j'ai phosphoré sur quelques thèmes. Les triangulaires aux municipales ? J'ai plein d'idées. Mais le propos est trop sérieux (risqué plus exactement) pour en rire.
Sur Twitter je découvre la dernière nouveauté commercialisée par la société Dorcel : un vibromasseur avec caméra intégrée. Là c'est le côté scabreux qui m'arrête rapidement.
Pourquoi ne pas me lancer dans une descente en flèche de Johnny Hallyday, acteur dans le dernier Lelouch ? Problème, j'ai vu le film en avant-première et à mon grand étonnement, j'ai trouvé le rocker vieillissant touchant dans son rôle de père délaissé.

Se moquer des chanteurs qui rêvent de faire carrière au cinéma, représente un filon pour certains (dont moi, j'avoue). Réalité de plus en plus infondée. Patrick Bruel, par exemple, se montre excellent dans l'adaptation des "Yeux jaunes du crocodile", roman de Katherine Pancol.
Reste la téléréalité. Trop convenu.
Sur le point d'abandonner, je m'aperçois que je suis trop long. Une fois de plus...

Chronique "De choses et d'autres" parue ce jeudi en dernière page de l'Indépendant

Cinéma - George, marionnettiste en sursis dans "Aimer, boire et chanter", dernier film d'Alain Resnais

Trois couples et un malade. Avec cette configuration inhabituelle, Alain Resnais imagine nombre de combinaisons dans Aimer, boire et chanter, son dernier film.


George ! George ! George ! Elles sont trois, trois femmes mariées (Caroline Silhol, Sandrine Kiberlain et Sabine Azéma), toutes les trois de plus en plus obnubilées par ce fameux George, véritable vedette du dernier film d’Alain Resnais, « Aimer, boire et chanter ». Mais qu’a-t-il de si exceptionnel ce George dont tout le monde parle mais que l’on ne voit jamais ? Il est charmeur, vif, séduisant, plein d’allant... et condamné. Un cancer qui ne lui laisse que six mois à vivre.

Adaptée d’une pièce de théâtre anglaise, cette comédie met en scène trois couples. Colin (Hippolyte Girardot) est le médecin traitant de George. C’est lui qui vend la mèche à sa femme Kathryn qui s’empresse de le répéter à Jack (Michel Vuillermoz), meilleur ami du malade. Par ricochet, Tamara, femme de Jack l’apprend et l’annonce à Monica, l’ancienne compagne de George, aujourd’hui en ménage avec Simeon (André Dussollier), fermier. Des Britanniques aisés et cultivés, qui s’adonnent au théâtre en amateurs. Ils auront l’idée de proposer un rôle à George, histoire de lui changer les idées.
Quatre saisons
Alain Resnais a découpé son film au fil des saisons. L’annonce de la maladie se fait au printemps, les répétitions en été, les représentations en automne. L’hiver...
Rapidement, le rapprochement de George avec Tamara et Kathryn (actrices dans la pièce) va bouleverser leur quotidien. Elles vont tout faire pour l’aider et rapidement tomber sous le charme. Tamara, trompée par son mari, va se sentir désirée. Kathryn, qui s’ennuie mortellement, va redécouvrir la joie des imprévus. Quant à Monica, elle doute de plus en plus de son amour pour le paysan bougon et se met à regretter la vie avec George. Ce dernier, tel un marionnettiste se tenant hors cadre, manipule tout ce beau monde. Le paroxysme sera son idée de passer quinze jours de vacances à Ténérife. Il propose aux trois femmes du film de l’accompagner, séparément. Quand elles l’apprennent, elles sont sur le point de s’écharper. Les maris, trompés par anticipation, ils tombent dans les 36e dessous.
Comédiens impeccables, situations cocasses, rebondissement de dernière minute : “Aimer, boire et chanter” se laisse déguster comme un bon vin gouleyant, frais et plein de saveurs.
Alain Resnais s’est peut-être un peu reconnu dans cet homme de l’ombre, excellent directeur d’acteurs, obtenant ce qu’il veut d’hommes et de femmes fascinés par sa dextérité et son talent.

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Resnais ne nous fera plus rêver...

Film posthume, « Aimer, boire et chanter » sera donc l’ultime chapitre de longue et riche filmographie d’Alain Resnais. Décédé le 1er mars, il n’aura pas vu la sortie de son film. Mais savait qu’il était déjà apprécié puisqu’il a été récompensé au Festival de Berlin par le prix du “film ouvrant de nouvelles perspectives”. Une reconnaissance de modernité pour un cinéaste qui n’a jamais cessé d’innover. Malade, il n’était pas à Berlin. Il s’en désintéressait même. Son producteur a confié que Resnais pensait déjà au scénario de son prochain long-métrage.
A l’écoute des nouvelles tendances, Alain Resnais aimait la bande dessinée. Il a collaboré avec Bilal et pour cette comédie anglaise, il a fait appel à Blutch, dessinateur de Fluide Glacial. Les scènes se déroulent dans quatre maisons différentes. Après les images réelles, la liaison avec les décors de théâtre se fait par l’entremise de grandes illustrations de Blutch. C’est lui aussi qui signe l’affiche avec un George toujours aussi énigmatique, planant au-dessus des trois couples, la tête invisible, dans les étoiles.

mercredi 26 mars 2014

BD - Le flic et le vampire dans l'adaptation des "Vestiges de l'aube"


Énorme succès de librairie, le roman « Les vestiges de l'aube » de David S. Khara (Michel Lafon) bénéficie d'une jolie adaptation en BD. Côté textes, c'est Serge Le Tendre qui s'est frotté à cette histoire de flic américain et de vampire. Pour les dessins, Frédéric Peynet et son réalisme à toute épreuve dessine un New York noir à souhait. Barry Donovan est policier. Un bon. Fiable et efficace. Enfin, c'était vrai avant le 11 septembre. Dans l'attentat, il a perdu sa femme et sa petite fille. 

Depuis il erre de dépression en dépression, hanté par les images du bonheur passé. Quand il se retrouve sur une affaire de tueur en série, il ne se doute pas qu'un certain Werner Von Lowinsky l'observe. Il ne connait cet homme que par internet. Ils échangent sur des forums. Werner revit depuis la découverte du web. Il n'osait plus trop sortir de sa tanière, voir les humains s'agiter lui redonne un peu goût à la vie. Werner va donc aider Barry dans son enquête. Avec ses moyens. Werner est un vampire. 
Un mélange des genres qui passe parfaitement, entre romantisme et traque policière.

« Les vestiges de l'aube » (tome 1), Dargaud, 13,99 €