dimanche 9 février 2025

BD - Tanis, avant les pharaons


Valérie Mangin et Denis Bajram partagent leur passion de l’Égypte ancienne dans cette nouvelle série dessinée par Stéphane Perger. Tanis est une jeune femme aux cheveux blancs. Un signe tabou dans ce village paisible installé près de trois pyramides monumentales.

Personne ne doit toucher Tanis sous peine de malédiction. Le jeune Sépi, amoureux de Tanis, respecte la consigne et freine ses envies d’aventure. En découvrant une entrée dans la pyramide, Tanis va changer le destin de Sepi. Il deviendra l’égal d’un dieu.

Un récit fluide permet de découvrir la vie en Égypte avant les pharaons.

Et la naissance de certains dieux ainsi que leur origine. Le tout dans une présentation graphique de très grande qualité.
« Tanis » (tome 1), Dupuis, 72 pages, 17,50 €

En vidéo, « Emmanuelle » version Audrey Diwan


Film très attendu, le remake d’Emmanuelle par Audrey Diwan a beaucoup déçu. Après le très politique L’événement (tiré du récit d’Annie Ernaux), la réalisatrice voulait revisiter le livre et le film, symboles de l’érotisme d’une certaine époque, en histoire de recherche du plaisir du point de vue féminin.

Noémie Merlant interprète donc cette jeune femme qui se rend à Hong Kong, seule, pour un voyage professionnel. Dans un hôtel de luxe, elle collectionne les expériences. Tout change quand elle fait la rencontre de Kei (Will Sharpe), un homme insaisissable.

Si la majorité des spectateurs loue la beauté de l’image, elle regrette aussi la lenteur et la faible intrigue. Quant à l’érotisme, il semble le grand absent de ce remake qui sort en vidéo chez Pathé.

Littérature jeunesse - Quintus Octavius, partagé entre deux mondes

Peut-on échapper à son destin ? Tel est en filigrane le message de ce roman jeunesse, à partir de 9 ans, écrit par Kiah Thomas à l’imagination foisonnante.


La vie serait tellement plus simple si pour obtenir ce que l’on désire, il suffisait de le vouloir… Ce monde existe. C’est Elipson, contrée magique décrite dans ce roman signé de l’Australienne Kiah Thomas. Il suffit de prononcer le mot banane pour qu’un fruit, mûr à point, apparaisse et s’offre à notre gourmandise.

Enfin, ce pouvoir n’est pas donné à tous. « Mander quelque chose, c’est le faire exister par la force de sa seule volonté, explique Quintus Octavius, le héros du récit, c’est le faire apparaître à partir de rien. » Seuls les Mandeurs peuvent maîtriser le Mandement. Quintus doit normalement faire partie de cette caste. Sa mère est la cheffe du conseil des Mandeurs, sa sœur une des plus puissantes. Pourtant, lui, n’arrive pas à réveiller son don. Pas la moindre banane. Or, s’il ne passe pas avec succès le test, il risque la déchéance. Et sa mère la honte…

Le début du roman, en plus de décrire cette société parfaite, où personne ne travaille puisqu’il suffit que les Mandeurs agissent pour avoir objets et nourriture du quotidien, raconte la grande confusion de Quintus. Le jeune garçon veut bien faire. Pour sa famille. Pour lui. Mais il est impuissant.

Et la nuit, il fait d’étranges rêves. Il plane sur un monde différent, où le vert domine. Il ne le sait pas encore, mais c’est Ivantra, l’autre partie de ce monde imaginaire. Il y est propulsé par Allie, secondehéroïne de cette fantaisie magique très manichéenne.

Deux mondes, deux conceptions de la vie, des exploités et des exploiteurs… Quintus comprend qu’il peut passer de l’un à l’autre. Dès lors, il va devoir choisir son camp, déterminer en toute indépendance son destin. Une parabole intéressante sur l’inné et l’acquis.

« Quintus Octavius et le monde interdit » de Kiah Thomas, PKJ, 224 pages, 15,90 €

samedi 8 février 2025

BD - Partage du pouvoir au sommet de l'Etat


En France, depuis la Ve République imaginée par les Gaullistes pour leur chef, l’essentiel des pouvoirs sont concentrés entre les mains d’un seul homme, élu au suffrage universel. Ce président est le symbole du pouvoir. Un homme (pas de femme encore élue), qui comme aux USA, doit composer avec son épouse, la Première dame.

Tronchet, observateur sarcastique de la vie politique française, a imaginé une bascule du pouvoir vers dette épouse, souvent dans l’ombre, mais toujours omniprésente dans le quotidien du président. Un gros album de plus de 250 pages dessinées par Peyraud dans un style caricatural, mais pas trop.


Car si rien n’est vrai dans cette histoire, on devine cependant que quelques bribes de réalité ont été recyclées pour faire comprendre au lecteur que finalement, ce scénario assez abracadabrantesque pourrait tout à fait arriver. Ou aurait pu. Le président actuel, considéré par les progressistes comme un « vieux con de droite », se voit plutôt en « jeune con du centre ».

Ancien rugbyman, originaire du Sud-Ouest, il a profité d’un concours de circonstance (et de sa belle gueule) pour prendre l’Élysée. Mais à un an de l’élection présidentielle, ses conseillers sont inquiets. La réélection s’annonce mal, son ministre de l’Intérieur semble de plus en plus lorgner sur le poste. De plus, son ex-femme va sortir un livre sanglant sur leurs relations. Il faut tourner la page. Un communiquant imagine alors de lui trouver une nouvelle épouse, belle et célèbre. Un mannequin.

L’idylle est programmée pour débuter dans une soirée ou le président est apostrophé par une jeune actrice, militante de gauche pour les droits de l’Homme. Coup de foudre mutuel. Ce changement de première dame va bousculer la République. Une belle utopie, avec rendez-vous nocturnes secrets en scooter, faux scoops de la presse people et magouilles des adversaires.

De Hollande à Sarkozy en passant par l’actuel locataire de l’Élysée, tous peuvent se reconnaître dans cette synthèse des conséquences de l’amour sur le pouvoir. Et sur la force des femmes qui, si elles ne sont pas encore ouvertement au pouvoir, trouvent d’autres moyens beaucoup plus intelligents et efficaces pour le partager avec les hommes.
« Première dame », Glénat, 272 pages, 25 €

vendredi 7 février 2025

BD - Police du réel examinée dans "Anatomie d'un commissariat"

Démarche très journalistique de Mikael Corre, reporter à La Croix. Après plusieurs reportages sur les violences policières pour le quotidien, il a voulu approfondir le sujet, comprendre pourquoi la police française est à ce point décriée par une bonne frange de la population.

Il a donc passé une année en immersion dans un commissariat. Des séjours de quelques jours à Roubaix, pour rencontrer tous les policiers, du simple planton chargé de l’accueil au grand chef en passant par les hommes de terrains, ceux qui luttent contre les trafiquants d drogue ou les violences du quotidien.

Un récit transformé en roman graphique (reportage graphique plus exactement), par Bouqé. Un dessin simple et rond, comme pour adoucir le quotidien de ces forces de l’ordre si souvent confrontées à l’horreur, la mort. Car ce qu’il ressort principalement de cet album c’est derrière l’uniforme ou la plaque de tout flic, il y a un homme ou une femme, tentant de servir leur pays, de protéger leurs concitoyens, avec plus ou moins de moyens. Certains reconnaissent que leur action est vaine. Pas assez nombreux, dépassés, peu aidés par les politiques. La politique du chiffre cache un marasme important.

Les auteurs constatent une crise profonde, tout en reconnaissant que le système tient le choc malgré les crises, les insuffisances.
« Anatomie d’un commissariat », Bayard Graphic’, 168 pages, 28 €

jeudi 6 février 2025

BD - Fantômes espagnols dans les fosses communes du franquisme


À la fin de la guerre civile en Espagne, en 1939, les Républicains qui n’ont pas pu prendre la fuite ont été emprisonnés et très souvent fusillés par les Franquistes. Des procès expédiés en quelques minutes, des corps jetés dans des fosses communes.

Plusieurs décennies après, les descendants de ces martyrs ont obtenu du gouvernement que les corps soient retrouvés et bénéficient d’une sépulture décente. Ce combat est raconté dans l’enquête de Rodrigo Terrasa, journaliste à El Mundo à Valence. Une série d’articles déclinés en roman graphique mis en images par Paco Roca.


L’abîme de l’oubli
se déroule en grande partie dans le cimetière de Paterna dans la banlieue de Valence. Un village placé entre deux prisons, une caserne et un champ de tir. Le chemin le plus court pour rejoindre ce cimetière où durant des années des fosses communes ont été remplies des corps des condamnés à mort. Pepica, une vieille dame de 70 ans, a obtenu une subvention pour retrouver les ossements de son père, fusillé le 14 septembre 1940 par l’armée de Franco.

Les auteurs, en plus du travail des archéologues, parviennent à retracer le parcours de ces hommes et femmes dont le sel tort a été de se trouver dans le camp perdant. L’émotion est présente durant les fouilles, mais aussi quand on revit l’arrestation, l’emprisonnement et l’exécution des Républicains.

Un roman graphique qui sert de témoignage inaliénable d’une barbarie sans nom. D’une volonté de retrouver les dépouilles des suppliciés, de leur permettre de trouver la paix.
« L’abîme de l’oubli », Delcourt, 296 pages, 29,95 €

Cinéma - Jane Austen est-elle soluble dans le vaudeville ?


L’Amour, le grand, absolu, plein et définitif, est omniprésent dans les romans de Jane Austen ; un peu moins dans la vie d’Agathe (Camille Rutherford), libraire à Paris dans un magasin qui ne propose que des livres… en anglais. Elle vénère Jane Austen et connaît l’œuvre de la romancière anglaise sur le bout des doigts. Durant ses loisirs, elle tente de terminer un roman. En vain, persuadée que ce qu’elle rédige est mauvais. « Je ne souffre pas du syndrome de l’imposteur, affirme-t-elle à son meilleur ami et collègue Félix (Pablo Pauly), je suis l’imposture ! » Pourtant, ce dernier lui dérobe sa plus récente production, l’envoie en Angleterre et voilà Agathe admise à une résidence d’écriture de 15 jours dans la demeure de Jane Austen, tous frais payés.

De l’autre côté du Channel, elle devra affronter la page blanche, l’amour de Félix et les attaques d’un Britannique aussi insupportable que vieux jeu. Mais si séduisant…

Premier film de Laura Piani qui a beaucoup écrit pour la télévision, cet hommage aux comédies romantiques et à la bonne littérature, celle qui influe sur notre quotidien, notre destin, Jane Austen a gâché ma vie (titre génial, c’est assez rare pour être signalé) fait partie de ces films simples et positifs, véritables bouées de sauvetage dans une production cinématographique trop souvent déprimante.

Certes, il y est question de choix entre deux hommes pour une femme qui doute (le vaudeville n’est pas loin), mais la force de Jane Austen transforme ce qui aurait pu tourner en gaudriole à trois en très intelligente réflexion sur l’utilité de la littérature, des héroïnes en tenues de bal et des films s’achevant sur un long baiser d’amoureux.

Film de Laura Piani avec Camille Rutherford, Pablo Pauly, Charlie Anson.


En vidéo - “Quand vient l’automne” de François Ozon


Deux vieilles amies (Hélène Vincent et Josiane Balasko) cherchent des champignons dans les forêts de Bourgogne quand vient l‘automne. Ces retraitées ont travaillé ensemble à Paris. Elles partagent ainsi un secret qui perturbe leurs familles.

Ce film de François Ozon, sur la fin de vie, les remords et la réputation, est profondément humain. Il permet à deux « anciennes » du cinéma français de rendre une copie parfaite.

La sortie en vidéo chez Diaphana est l’occasion d’une floraison de bonus. Les classiques entretiens avec réalisateur et comédiennes, les scènes et prises coupées ou les essais des costumes.

Enfin, vous pourrez voir le clip de la chanson Le large, interprétée par Françoise Hardy et réalisé par François Ozon.

Thriller - Un meurtre, des conséquences dans « Les morsures du silence » de Johana Gustawsson

Duo de flics franco suédois pour démasquer le ou les coupables de plusieurs meurtres sur l’île de Lidingö, banlieue chic de Stockholm. Un thriller ancré dans notre époque signé Johana Gustawsson. 


Après un prologue choc, une femme se suicide dans une classe de l’école de Lidingö, le roman Les morsures du silence entre dans sa phase d’enquête racontée par les voix de deux policiers, à la première personne. Le premier, Aleks, commissaire du cru, est en charge de la nouvelle enquête qui défraie la chronique de cette île à proximité de Stockholm. La seconde, Maïa, Française, également commissaire en France mais en disponibilité, vit dans la maison de son mari à Lidingö.

Aleks, après l’appel d’un jeune qu’il entraîne au foot, est le premier à découvrir le cadavre et la mise en scène. « Ce que j’ai pris pour une robe est une aube. Une couronne de feuillages piquée de cinq bougies LED lui barre la moitié du visage et souligne la partie défoncée de son crâne. […] Ce n’est pas une fille, allongée là, en habits de sainte Lucie, le crâne fracassé. C’est un garçon. » Sainte Lucie. Une fête religieuse fêtée en Suède par la jeunesse mi-décembre.

Un meurtre et deux suicides

Aleks se souvient. Il y a plus de 20 ans, jeune policier, il a participé à une enquête éclair. Le soir de la fête, la jeune fille qui avait endossé la robe de la sainte pour la traditionnelle procession, était retrouvée assassinée dans les bois. Son petit ami du moment, Gustav, a été condamné à une longue peine de prison. Mais il a toujours nié. Et s’est suicidé récemment, quelques mois avant sa sortie. Sa mère aussi, quelques jours plus tard. Dans la salle de classe.

Aleks va revivre l’affaire. Maia la découvre après que la mère de la suicidée et grand-mère du condamné lui demande de refaire l’enquête. Maia saute sur l’occasion. Si elle s’est retirée en Suède, c’est en raison de la mort accidentelle, il y a un peu plus d’un an, de sa fille.

L’autrice ne donne pas de détails. Mais la policière est très affectée, elle culpabilise. « Quand ma fille est morte, je prenais une douche en me réjouissant d’avoir la maison pour moi toute seule. La banalité de ce moment a longtemps rajouté un poids énorme à ma peine. Pendant que ma fille criait peut-être mon nom comme le font les soldats avant de mourir, moi, je n’ai entendu que mon propre désir de solitude. » Maia trouve dans cette enquête une petite occasion pour tenter de sortir de son marasme.

Des investigations officieuses avec l’appui d’Aleks, bourru mais compréhensif. À deux, ils vont tenter de faire le lien entre les victimes d’aujourd’hui (un autre adolescent est retrouvé quelques jours plus tard, toujours habillé d’une aube, toujours la tête fracassée), et le premier meurtre.

La mort d’un enfant n’est pas sans conséquence. L’assassinat de deux adolescents non plus. Aleks et Maia vont donc unir leurs compétences mais aussi leurs solitudes, douleurs et malheurs, pour plonger dans les entrailles du passé, tenter de démêler les mensonges de l’époque, amplifiés par ceux d’aujourd’hui. Briser cette loi du silence.

Le nouveau thriller de Johana Gustawsson, Française installée en Suède, est encore plus sombre que les précédents. Elle profite de cette histoire pour mettre en lumière les différences de gestion par la police des affaires de violences sexuelles. Et souligne que si la France a encore bien des progrès à faire, la Suède est exemplaire, mais depuis peu de temps. À méditer.

« Les morsures du silence », Johana Gustawsson, Calmann Lévy, 378 pages, 20,90 €

mercredi 5 février 2025

BD - Jonathan Munoz se souvient de son (abominable) adolescence

De 1996 (12 ans) à 2004 (20 ans), Jonathan Munoz a vécu ce qu'il nomme gentiment "L'âge bête". Il a transformé ces années d'apprentissage entre collège, lycée et glandouille en "âge bite", car Jonathan Munoz, illustre auteur de BD de Fluide Glacial, aime provoquer, se moquer et rire de tout, en priorité de soi. Il a déjà évoqué sa petite enfance dans un précédent album, mais cette fois cela devient sérieux. 

Le petit Jonathan va devoir se coltiner le monde des grands (le collège...) avec ses racailles sa loi du plus fort et les mauvais exemples. Timide, vivant seul avec sa maman (son père meurt d'un coup d'un seul provoquant un séisme dans la vie de Jonathan, seul passage de la BD où l'émotion l'emporte sur le rire), sans véritablement d'amis si ce n'est d'autres losers. 


Il va cependant faire quelques découvertes intéressantes, racontées avec facétie comme Internet, le vol à l'étalage, le mensonge, comment embrasser (avec la langue) ou la masturbation...

Quand il arrive au lycée, nouveau gros choc : les filles ! Dans sa classe il tombe immédiatement amoureux de quatre filles : Vanessa, Anaïs, Marion et Laurie, même si pour cette dernière ce sont surtout ses gros seins qui lui ont tapé dans l'œil. 

Et puis il y a aussi le skate, les premières soirées entre potes, les jeux vidéos et sa première relation stable. En se dévoilant, Jonathan Munoz raconte la jeunesse de cette époque (d'il y a 20 ans), entre espoir et défaitisme. On rit souvent. Même si on peut aussi en tirer des enseignements philosophiques sur la vie en général, sauf le gag du sex-shop, vraiment dégoutant...

"L'âge bête" de Jonathan Munoz, Fluide Glacial, 56 pages, 13,90 €