samedi 17 août 2024

Cinéma - “MaXXXine” met Hollywood à feu et à sang

Maxine touche au but. Elle va enfin passer du porno au vrai cinéma. Un film d’horreur sur Hollywood, dernier d’une trilogie sur une jeune femme forte prête à tout pour réussir.


Et de trois. Troisième film de Ti West avec Mia Goth dans le rôle de Maxine Minx. Après X et Pearl, sortis en vidéo, le dernier volet de cette saga bénéficie d’un gros budget et passe enfin par la case cinéma. Petit rappel pour ceux qui ont raté les chapitres précédents. Maxine, comédienne aspirante, a vécu l’enfer durant son premier tournage X dans une ferme au Texas où toute l’équipe a été massacrée. Pearl, second film, raconte son enfance auprès de son père, un fou religieux.

On retrouve la jeune comédienne au cœur des années 80 dans MaXXXine alors qu’elle remporte un beau succès dans le porno. Mais elle veut plus, devenir une idole, une star de cinéma. Elle passe donc un casting et obtient le premier rôle d’un film d’horreur, la suite d’un premier opus plébiscité par le public. La chance de sa vie. Problème, c’est pile le moment où un tueur en série aux références sataniques terrorise Los Angeles et qu’un inconnu tente de la faire chanter.

Un film d’action, intelligent et bourré de références, MaXXXine c’est beaucoup de scènes gore, souvent très réussies, une présentation clinique et glauque de l’industrie du porno mais surtout une plongée dans les rouages de Hollywood, l’usine à films qui tourne à plein régime.

Le film intéressera plus particulièrement les cinéphiles amateurs de productions américaines car une bonne partie des scènes se déroule dans les studios Universal, avec façades en trompe-l’œil de ces villes désertes, seulement traversées par des machinistes ou quelques gardiens perdus. Ti West s’est fait plaisir en utilisant des décors mythiques comme le motel Bates et la maison de Psychose. Sans oublier les collines de Hollywood.


Un film dominé par la performance de Mia Goth mais qui offre une belle brochette de seconds rôles, de la cinéaste ambitieuse (Elizabeth Debicki) obligée de se battre avec les producteurs, tous des hommes avides d’argent et de chair fraîche, au détective ripou (Kevin Bacon) qui prend pas mal de coups, essentiellement de Maxine en passant par l’agent de la comédienne, plus humain qu’il n’y paraît (Giancarlo Esposito) et le formidable duo de flics composé par Michelle Monaghan et Bobby Cannavale. Entre hommage et véritable film d’horreur, plongée dans les années 80 et mise en avant de la lutte des femmes pour une meilleure reconnaissance dans la société, MaXXXine détonne dans la programmation assez morne de cet été 2024.

Film de Ti West avec Mia Goth, Elizabeth Debicki, Kevin Bacon, Bobby Cannavale, Michelle Monaghan

 

Cinéma - “Comme le feu”, seuls dans la forêt canadienne

Grande bouffée d’air pur et de chlorophylle grâce à ce film canadien de Philippe Lesage. La nature comme révélateur des émotions de l’adolescence. 


Le cinéma permet de voyager tout en restant près de chez soi, dans le confort des salles obscures. Une évidence si vous achetez une place pour voir le film canadien de Philippe Lesage, Comme le feu. 2 heures et 30 minutes d’évasion. Dans les forêts encore sauvages du nord du Québec, ou dans les psychés des protagonistes, réunis pour quelques jours, loin de tout. Un périple dans l’inconscient d’hommes et de femmes aux parcours diversifiés, en fonction de leur âge, une expédition dans la nature primitive, quand on doit retrouver ses réflexes de chasseurs pour survivre.

Blake (Arieh Worthalter), réalisateur, invite dans un chalet accessible uniquement en hydravion, son vieux complice scénariste Albert (Paul Ahmarani). Ce dernier arrive en compagnie de sa fille Aliocha (Aurélia Arandi-Longpré) et d’un ami de son fils, Jeff (Noah Parker). C’est l’été, les vacances, l’insouciance. Mais on sent très vite une tension entre Jeff et Aliocha. Le jeune homme, timide et réservé, n’est pas insensible à la fougue et l’intelligence de la jeune fille. Qui elle n’a d’yeux que pour Blake. Pourtant ce dernier doit subir les remontrances de son vieil ami, Albert. Un combat de coq entre adultes, suivi d’une autre confrontation entre le réalisateur et le jeune amoureux.

Le film est très écrit, tout en maîtrise. C’était pourtant une gageure car les repas dans le chalet, à trois reprises, sont de longs plans-séquences où les comédiens, alternant texte écrit et improvisation, insufflent une vie à des scènes qu’il faudrait montrer dans toutes les écoles de cinéma.


Pour faire le pendant à ces huis clos d’une tension absolue, le réalisateur choisit la nature, les grands espaces. Mais là aussi les petites vies de ces minuscules personnages semblent dérisoires face à des paysages grandioses, présents depuis des décennies, des siècles, immuables, inébranlables. On prend une énorme bouffée de chlorophylle et d’air pur en plongeant dans la forêt touffue, en grimpant sur ces rochers surplombant les vallées, en dévalant les rapides à bord de frêles canoës ballottés par les eaux en perpétuel mouvement. On peut y mourir à tout moment. On y meurt au cours du film.

La fin, ouverte, voire anecdotique, ne frustre pas le spectateur. Elle lui donne juste l’envie, s’il n’a pas peur de se retrouver face à ses propres démons, d’affronter lui aussi la nature, de quitter le confort moderne et retourner, à l’image des personnages de Comme le feu, le temps de quelques jours (et nuits), à la virginité naturelle du creuset de l’Humanité.

Film de Philippe Lesage avec Noah Parker, Aurélia Arandi-Longpré, Arieh Worthalter, Paul Ahmarani

 

En DVD et blu-ray - “Boulevard”, film de Julien Duvivier avec Jean-Pierre Léaud


Parmi les derniers films de Julien Duvivier, Boulevard profite, en 1960, du succès de Jean-Pierre Léaud, découvert par Truffaut, pour proposer l’adaptation du roman de Robert Sabatier, véritable ode à la jeunesse.

C’est une version remarquablement restaurée par Pathé, en 4K, qui est éditée en vidéo, en DVD ou blu-ray. Le portrait d’un jeune garçon qui erre entre enfance et adolescence.

On retrouve dans la distribution Pierre Mondy et Magali Noël. Un film sombre sur la découverte du monde des adultes par un jeune homme déjà marqué par la vie. On retrouve dans les suppléments trois courts reportages : une petite biographie de Julien Duvivier (6 min), Boulevard, un film entre deux époques (9 min) et Une adaptation moins fidèle qu’elle n’en a l’air (11 min).

vendredi 16 août 2024

BD - Yslaire dans le dur


Suite de l’adaptation en bande dessinée des romans dits « durs » de Simenon. Cette fois c’est Yslaire qui s’attaque à un des chefs-d’œuvre du créateur de Maigret : La neige était sale. Sur un scénario de Fromental, le créateur de Sambre retrouve les couleurs basiques de son univers sombre et romantique.

Paru en 1948, le roman décrit le parcours de Frank. Une petite frappe de 17 ans. Il vit chez sa mère, mère maquerelle d’un établissement assidûment fréquenté par les officiers de l’armée d’occupation.


On a l’impression que c’est Paris et les Nazis, mais Simenon a donné une portée plus universelle à son récit. Franck, dans cette ambiance entre paranoïa et collaboration, règne en maître sur le quartier. Il vole, bat, spolie avec une morgue en constante progression. Il ne lui reste plus qu’une dernière marche à franchir : tuer. Pour les beaux yeux de sa voisine, innocente dans ce monde gangrené, il va poignarder à mort un officier trop confiant.

Une histoire désespérante, entre aveuglement et fatalisme. C’est Franck qui raconte, du début à la fin. Mais cela ne le rend pas plus sympathique. Humain, peut-être, mais à ranger définitivement dans la catégorie des affreux. Une BD éblouissante pour une ambiance poisseuse.

« La neige était sale », Dargaud, 104 pages, 23,50 €

Polar historique - L’éventreur d’Amiens défie Jules Verne


La mode du polar historique ne faiblit pas. Bien au contraire. Depuis quelques années on constate une recrudescence de romans se déroulant au XIXe siècle ou au début du XXe. Et le jeu des auteurs est de prendre pour héros des personnalités connues.

Céline Ghys apporte sa pierre à l’édifice avec Jules Verne contre Nemo. L’intrigue a pour décor Amiens en 1882. La nuit, un mystérieux tueur masqué éventre plusieurs notables de la préfecture de la Somme. A quelques rues de la maison de Jules Verne, célèbre écrivain. Pour résoudre cette affaire, le ministère expédie un de ses meilleurs éléments, le commissaire Gaston Chastagnol. Il est moderne, cherche les indices sur les scènes de crime et tente de dresser le profil psychologique de l’éventreur d’Amiens qui signe ses forfaits Nemo.

Un peu comme Claude Delafuye, jeune journaliste récemment arrivé en provenance de Paris. Deux fins limiers qui deviennent trois quand Jules Verne décide de leur donner un coup de main. Un polar enlevé, bourré d’anecdotes réalistes, avec plusieurs intrigues en parallèle, notamment sur les amours de Claudine, la jeune nièce du romancier.

Sans oublier un message social et moderne, sans doute éloigné de la pensée du véritable Jules Verne mais qui donne un attrait de plus au roman.

« Jules Verne contre Nemo », Céline Ghys, Fayard, 342 pages, 20,90 €

BD - L’horreur parquée de « Dark Ride »


Durant vos vacances, vous avez peut-être prévu de faire un tour dans un parc d’attractions. Reste à en définir le thème. Si dans la réalité on n’a pas trop le choix, (Disney ou Astérix) dans le comics américain Dark Ride de Joshua Williamson (scénario) et Andrei Bressan (dessin), il n’y a qu’un parc qui mérite le détour : Devil Land.

On paie cher mais on s’y amuse à se faire peur. Son créateur, Arthur Dante, est passionné depuis toujours par l’horreur. Dans son parc, vous pourrez croiser démons, goules, zombies et autres vampires. Faux bien évidemment. À moins que…


Owens, jeune fan, enthousiaste à l’idée de travailler dans le parc (il nettoie les vomis…), découvrira dès son premier jour que la réalité dépasse la fiction. Sa sœur va tenter de savoir ce qui est arrivé à son petit frère (vite disparu) et ce qui se trame exactement dans les coulisses du parc.

Une BD à grand spectacle, avec scènes horrifiques à ne pas montrer aux plus jeunes. Le dessinateur, un Brésilien surdoué, déjà repéré dans Birthright, arrive à rendre terrifiants les personnages en peluche chargés d’animer les files d’attente des attractions. Une série terminée aux USA et proposée en trois gros recueils aux fans français.

« Dark Ride », Delcourt, 128 pages, 15,95 €

Souvenirs - Enfance insouciante de Philippe Bonilo


Vous souvenez-vous de vos grandes vacances quand vous étiez enfants ? Et de ces copains qui venaient remplacer ceux de l’école ? Dans un court texte d’une grande sensibilité, Philippe Bonilo se souvient de ces étés, quand il courait la campagne en compagnie de son cousin Pierre et de Pauline.

Trente années plus tard, celui qui est devenu éditeur, revient dans le pays merveilleux de son enfance. Un tout petit village, Les talus en Saône-et-Loire, où ses parents tenaient un café épicerie. Les premières pages décrivent ce qu’est devenu le lieu, victime de l’inexorable désertification de cette France rurale à l’agonie. Alors, très vite, il s’échappe, par la plume, dans les champs et forêts, jouant aux pirates ou aux cow-boys avec Pierre et Pauline. Une petite fille, voisine qui ne venait au lieu-dit des Talus que durant les vacances.

Il l’imagine devenue danseuse. L’auteur l’adorait. L’aimait ? Il voudrait tant la retrouver cette petite Pauline car « je ne serais en effet pas l’homme que je suis aujourd’hui, dans ce que j’ai de meilleur, si je n’avais été dans mon enfance l’ami de cette petite fille. » Texte sur les souvenirs, les vies rêvées, l’imagination, ce premier roman nous plonge dans cet état si doux dit de la nostalgie.

« Pauline ou l’enfance » de Philippe Bonilo, Arléa, 120 pages, 19 €

BD - Mages débutants


Si l’on vous donne du miel et des cailloux, que pourriez-vous en faire ? Rien de bien utile sans doute. Sauf si vous avez la connaissance d’Iris, apprentie magicienne experte en dissimulation et tortures en tous genres. Elle fait partie des quatre qui ont l’insigne honneur de bénéficier du savoir des Preux, quatre magiciens qui ont sauvé le Royaume en leur temps.

Un apprentissage secret, dans un petit village perdu, ce qui a le don de désespérer Tomas (le bagarreur), Lamia (la jeteuse de sorts) et Ephraïm (le guérisseur).


Un quatuor obligé de sauter quelques leçons pour aller secourir les Preux. Cette grosse histoire complète de fantasy est signée Olivier Gay, excellent dès qu’il s’agit de saupoudrer l’action de gags multiples, variés et souvent hilarants. Pour donner vie à ce monde médiéval pas si manichéen qu’il n’y parait, il s’est associé à Olivier Boiscommun. Son dessin oscillant entre caricature gros nez et réalisme dans l’action permet un dosage précis et idéal pour ce type de série.

Et si le succès est au rendez-vous, les apprentis devraient revenir nous faire rire pour une seconde épopée. Quant à connaître l’utilité du miel associé à des cailloux, nous n’en dirons rien dans ces lignes. A vous de le découvrir en lisant la BD !

« Les apprentis », Drakoo - Bamboo, 96 pages, 18,90 €

jeudi 15 août 2024

Littérature française - La vie en nouvelles


Le regard acéré et amusé de Véronique Ovaldé s’est arrêté sur huit vies imparfaites, huit existences racontées en partie dans autant de nouvelles. Un genre à part, qui est plus risqué que le roman car l’auteur doit aller à l’essentiel, oublier le superflu, ne conserver que le meilleur.

Pour que le lecteur s’y retrouve, Véronique Ovaldé a imaginé que ces différents paumés se connaissent. Collègues ou parents, tous se croisent à un moment de leur vie. Cela commence en fanfare avec Auguste, renommé par ses amis Baraka tant la vie ne lui fait pas de cadeau. D’ailleurs, quand il croit avoir fait une bonne affaire immobilière, une simple grève va ruiner ses illusions dès le lendemain. Mais il aura au moins fait la connaissance d’Eva, trop bonne, trop C…

Elle aussi saura séduire le lecteur avec ses histoires de survie en milieu hostile (un boulot de commerciale et une adolescente à la maison).

Véronique Ovaldé, en racontant les imperfections de ces huit personnages, agit comme la coiffeuse à la fin de la séance en nous montrant l’arrière de notre tête. On constate alors qu’on ne se connaît pas sous cet angle. Ce n’est pas brillant, mais cela reste une facette de notre personnalité.

« À nos vies imparfaites », Véronique Ovaldé, Flammarion, 160 pages, 19 €

Cinéma - La vie imaginaire de “Mon parfait inconnu”

Introvertie, une jeune fille recueille un amnésique et s’invente une vie de couple. Film norvégien sur la mémoire, « Mon parfait inconnu » propose une belle réflexion sur la solitude.


Simple femme de ménage dans les vastes locaux du port d’Oslo, Ebba (Camilla Godø Kroh) n’est pas satisfaite de sa vie. Elle souffre de sa solitude affective. Pas de petit ami, malgré ses 17 ans, à cause d’une timidité maladive et d’un manque criant de confiance en soi dès qu’elle se retrouve en société. Le début du film de la cinéaste norvégienne Johanna Pyykkö prend le temps de plonger le spectateur dans cette vie morne.

Ebba voudrait faire mieux, s’imagine en train de discuter spirituellement avec ces étudiants en vacances autour d’une piscine. Mais cela ne dépasse jamais les limites de son imagination. Seule embellie dans sa vie, les propriétaires du sous-sol qu’elle loue, lui demandent de surveiller la villa durant leurs vacances au soleil.

Elle a presque l’impression d’habiter une demeure de riche, d’être cette jeune femme brillante et intelligente à qui tout réussit. Un assez long préambule pour comprendre pourquoi elle agit si étrangement quand elle découvre, une nuit en revenant du boulot, un homme blessé à la tête.

Au lieu d’appeler les secours, Ebba le ramène chez elle. Exactement dans la villa, pas dans son sous-sol sombre et riquiqui. Et quand il reprend ses esprits, constatant qu’il ne se souvient plus de qui il est, elle prétend être sa petite amie et vivre temporairement dans la villa de son oncle, architecte.

Du jour au lendemain, profitant de l’amnésie de ce Bulgare (elle a retrouvé ses papiers d’identité et les a cachés de même que son téléphone portable), elle réécrit sa vie en le rebaptisant Julian. Perdu, hagard, l’homme doute tout en profitant de cette convalescence. Un peu dans une histoire de la Belle et la Bête inversée, on assiste au prudent rapprochement entre Ebba la manipulatrice et Julian, l’innocent. Elle semble heureuse en sa présence. Lui, se laisse porter par cette jeune fille active et déterminée, sa petite amie donc, même si quelques flashes mémoriels instillent le doute.

Le film entre alors dans une construction de plus en plus proche du thriller. Julian tente de retrouver sa mémoire, sa vie d’avant. Ebba, discrètement, cherche elle aussi à comprendre qui il est véritablement. La confrontation avec la réalité va la replonger dans ce doute qui mine sa vie.
Mon parfait inconnu est un film multiple. Tout en étant complètement ancré dans la réalité norvégienne actuelle, il donne parfois l’impression d’être une expérience de réalité virtuelle dans le multivers. Et méfiance, s’imaginer une nouvelle vie n‘est pas sans risque quand on ne maîtrise pas tous les acteurs.


Film de Johanna Pyykkö avec Camilla Godø Krohn, Radoslav Vladimirov, Maya Amina Moustache Thuv