Notre époque dénigre trop souvent les films qui affichent des « bons sentiments ». Pourtant, ils font un bien fou en ces périodes troubles. Marie-Line et son juge de Jean-Pierre Améris est l’exemple parfait. Une jeune fille, de milieu modeste, peu cultivée, se retrouve au tribunal pour une affaire de violence (elle a bousculé son amoureux). Marie-Line (Louane Emera) écope de prison avec sursis et d’une amende.
Sentence prononcée par un juge (Michel Blanc), taciturne et sinistre. Il va pourtant lui donner une chance et lui proposer de se transformer en chauffeur personnel durant un mois. Ce duo improbable va confronter ses différences, tenter d’apprivoiser l’autre et finalement comprendre que la rédemption peut être plus facile avec l’aide d’un tiers.
Marie-Line va tout faire pour décider enfin de son existence, quant au juge, il va oser regarder son passé avec courage pour tourner la page. Un film attachant, comme les deux comédiens, excellents dans ces rôles de composition.
Un film français de Jean-Pierre Améris avec Michel Blanc, Louane Emera et Victor Belmondo.
Plus qu’une madeleine pour quelques générations, le journal Tintin représente souvent une découverte du monde, de la culture, de la lecture et d’une façon générale de la bande dessinée. Avec son slogan « pour les jeunes de 7 à 77 ans », il ne pouvait que rebondir à l’occasion de son… 77e anniversaire.
Disparu depuis de trop longues décennies, l’hebdomadaire revient pour un numéro exceptionnel de près de 400 pages.
Au sommaire de longs articles sur la revue, les personnages emblématiques et l’univers de Hergé, bien entendu, mais surtout des dizaines de BD permettant à des auteurs actuels de rendre hommage aux grands anciens. Nob, par exemple, signe des gags de Modeste et Pompom. Avec deux exceptions : Hermann dessine une histoire complète de la très regrettée Comanche et Crisse reprend pour quelques pages son adorable Nahomi.
« Journal Tintin, numéro spécial 77 ans », collectif, Le Lombard, 400 pages, 29,90 €)
Nouvelle série très nature pour Jean-Claude Servais. Le dessinateur ardennais va présenter en plusieurs tomes La faune symbolique. Premier à entrer en scène, le renard. Renard rusé est composé de plusieurs petites histoires courtes, souvent tirées de croyances populaires.
Le fil rouge est constitué par les réflexions d'une jeune femme qui se demande quel est son animal-totem. Après un exercice de dessin, elle trouve dans ses gribouillis la silhouette du fameux goupil. Goupil, associé parfois aux fées, réputé malin et très intelligent. On découvre avec plaisir la légende des queues des animaux. Sans appendice, tous les animaux en voulaient une jolie. Or la plus belle est revenue au rusé renard. Une distribution très imagée, notamment quand Servais évoque la queue des lapins ou des cochons.
Un album qui se termine par un texte d'Adrien de Prémorel sur les aventures de Renard, l'ardennais. Texte très poétique illustré de croquis au crayon, en noir et blanc, de Servais, excellent dessinateur animaliste.
Deux petits héros adorables. Les deux meilleurs amis du monde, toujours à l’écoute l’un de l’autre. Ourson et Pinson, un petit ours et une minuscule oiseau, seront parfait pour éveiller l’esprit des petits lecteurs. Ce premier album regroupe quatre histoires indépendantes.
Dans la première, Pinson se retrouve prisonnier dans une grande fleur. Il appelle à l’aide Ourson, mais ce dernier, le bêta, croit que c’est une fleur qui parle. Ensuite ils vont faire un pique-nique, s’essaient à la peinture et enfin se partagent, après bien des péripéties, une couverture « si chaude, si douillette ».
Cette dernière histoire issue de l’imagination de Jarvis (textes et dessins) est une excellente occasion pour expliquer aux plus petits qu’il est important d’apprendre à partager, même ce que l’on aime plus que tout.
« Ourson et Pinson », Ecole des Loisirs, 72 pages, 12 €
Au début du roman La leçon du mal du romancier japonais Yûsuke Kishi, comme ses élèves, on est sous le charme de Seiji Hasumi. Ce professeur d’anglais dans un lycée de la banlieue de Tokyo a tout pour plaire. Jeune, sportif, investi dans le fonctionnement de son lycée. La première partie du roman ressemble à un documentaire sur la vie rêvée dans un lycée japonais.
Mais on devine rapidement que Hasumi n’est qu’une façade. Que derrière cet homme prévenant se cache un être plus torturé. Et plus l’intrigue progresse, plus on découvre que ce petit monde lycéen est très sombre. Car en plus d’Hasumi on découvre des élèves violents, des enseignants imposteurs et même une infirmière nymphomane.
Un thriller d’une exceptionnelle noirceur.
Étonnant et surtout très émouvant petit livre publié par François Schuiten. Le dessinateur des Cités Obscures raconte dans Jim, la relation fusionnelle qu’il a entretenu avec son chien.
C’est à sa mort, en janvier dernier qu’il a ressenti le besoin de dessiner cet animal de compagnie qui a partagé sa vie durant plus de 13 ans. Comme pour en conserver le souvenir éternellement.
Il y a quelques images de bonheur, mais aussi des compositions d’une grande tendresse et d’autres qui dépeignent la tristesse qui s’est abattue sur la vie de François Schuiten. Un petit livre essentiel qui bouleversera tous ceux qui ont déjà perdu un animal de compagnie adoré.
Si l’extrême gauche est encore loin du pouvoir en France, cela n’a pas été le cas en Haute Volta quand le jeune capitaine Thomas Sankara a pris le pouvoir en 1983. Un militaire radicalement différent comparé aux dizaines de putschistes qui régulièrement se bombardent président dans les anciennes colonies françaises ou britanniques.
Le parcours de cet homme, un « rebelle visionnaire » toujours vénéré par une partie de l’Afrique et de nombreux partis progressistes ailleurs dans le monde, est raconté par Pierre Lepidi, journaliste au Monde et Françoise-Marie Santucci, elle aussi journaliste passée par Elle et Libération.
Pour illustrer ce roman graphique, ils ont fait appel à Pat Masioni, dessinateur congolais, seul illustrateur africain qui a signé des comics américains. Thomas Sankara, il en reste une trace immense à Ivry, en région parisienne, une fresque géante qui popularise le visage éternellement juvénile de cet homme humble, mort tragiquement après la trahison de son meilleur ami, Blaise Compaoré.
Le lecteur découvre le parcours de Sankara avec les yeux de Léa, écolière métisse et contemporaine d’une Française et d’un Burkinabé. En préparant un exposé sur la politique très en avance mise en place par Sankara une fois au pouvoir, elle apprend que le capitaine était féministe avant la vague #MeToo, écologiste avant les Verts (il a lancé un vaste plan de reforestation du pays) et militait pour l’annulation de la dette, boulet accroché aux jeunes démocraties africaines par les anciens colons.
Un idéaliste qui se déplaçait à bicyclette, fier d’être moins payé en tant que président que sa femme, simple fonctionnaire. Une rigidité fatale : la classe moyenne n’a pas supporté de perdre ses petits privilèges.
Une biographie exemplaire car elle n’occulte pas le côté pervers de la révolution burkinabé, ce manque de nuance dans les réformes qui a provoqué la perte de ce visionnaire dont la pensée mériterait d’être plus étudiée, en Afrique comme dans les pays colonisateurs.
Ceux qui trouvent les députés de La France Insoumise un peu trop extrémistes devraient réviser leur histoire de France contemporaine. Notamment les années 70 et 80, quand l’extrême gauche ne siégeait pas au Parlement mais battait le pavé, attaquait les banques et enlevait les symboles du grand capital.
En suivant le parcours militant de trois jeunes militants de la Gauche Prolétarienne, Philippe Richelle et Pierre Wachs (scénario et dessin) redonnent vie à cette période où les idéaux et le désir du Grand Soir (la révolution ouvrière triomphe comme en Chine populaire) ont donné l’envie à certains d’utiliser la violence.
On apprend surtout dans ce roman graphique en noir et blanc que ces idéalistes ont beaucoup été manipulés par la police gaulliste et les renseignements généraux. Certaines actions ont directement été fomentées dans les cabinets ministériels, pour affaiblir le Parti communiste trop proche du pouvoir puis discréditer ces mouvements qui prenaient un peu trop d’ampleur dans les couches populaires.
Au final, si certains militants ont abandonné leurs idéaux et ont simplement profité d’une vie simple de gentils bourgeois, d’autres ont franchi la ligne jaune et multiplié les actions spectaculaires, basculant dans le terrorisme pur et dur d’Action Directe. Une BD très documentée (comme toujours avec Philippe Richelle), au style graphique épuré pour mieux faire passer cette ambiance un peu vintage du siècle dernier.
Plus qu’une parabole sur l’évolution, « Le règne animal » de Thomas Cailley est un film sur la tolérance, la famille, la perte des êtres aimés et surtout une certaine forme de résilience.
Ils sont trop rares les films de science-fiction à la française. Souvent ratés aussi, il faut le reconnaître. Le règne animal fait figure de belle exception. On trouve dans ce long-métrage visionnaire de Thomas Cailley une qualité cinématographique associée à une profondeur de réflexion qui fait trop souvent défaut aux grosses productions américaines.
On ressort de la salle forcément plein de questions, mais aussi bouleversé par le destin de ce mari et père constatant que sa vie ne sera plus jamais comme avant. Il va cependant tenter de l’accepter, les larmes plein les yeux, le cœur brisé, un peu comme le spectateur qui ne peut rester indifférent à cette histoire.
Tout commence dans une voiture bloquée dans un embouteillage. François (Romain Duris) se dispute avec son fils Émile (Paul Kircher). Ils seront en retard pour le rendez-vous avec le médecin qui s’occupe de Lana, la femme de François et mère d’Émile.
Tout à coup, les portes d’une ambulance explosent. En sort un homme aux bras recouverts de plumes. Première apparition d’une « bestiole », ces humains qui, dans ce monde futuriste, se transforment en hybrides animaux. C’est aussi le cas de Lana, devenue agressive. Elle est transférée dans un centre dans les Landes, près d’une forêt, loin de la population parisienne. C’est dans ce cadre que le film prend toute son ampleur. Dans ces paysages sauvages, Lana va s’échapper, trouver refuge avec d’autres monstres dans les sous-bois. François va tenter de la retrouver, malgré le danger. Émile aussi pénétrera dans les bois inquiétants. Mais pour une autre raison : il vient de débuter son processus de transformation.
Thomas Cailley a intelligemment entremêlé les deux lignes de développement du film : les recherches du mari, la transformation du fils. Quand l’un conserve l’espoir de retrouver son épouse, de la voir redevenir normale grâce aux progrès de la science, le second constate, rageur, qu’il est en train de perdre sa part humaine au profit d’un instinct animal.
La panique des premiers instants se transforme en excitation en découvrant ses nouvelles sensations en compagnie de l’homme-oiseau, interprété par un Tom Mercier (La bête dans la jungle), méconnaissable. Face à la violence des humains, essentiellement motivée par la peur de l’inconnu, on voit toute la force des « bêtes », solidaires, ne cherchant qu’à se défendre.
Un film sur la peur et le rejet de ceux qui ne nous ressemblent pas ? Le règne animal a une dimension politique indéniable, preuve que la science-fiction, depuis toujours, est un genre très pratique pour faire passer certains messages subliminaux.
Autre planète, autres habitants dans le premier tome de la série Noir Horizon écrite par le très prolifique Philippe Pelaez (scénariste qui sort en moyenne deux nouveautés chaque mois depuis un an…) et dessinée par Benjamin Blasco-Martinez.
Sur Kepler-452b, l’armée est en butte à un gros problème. Une source d’énergie est détectée, mais elle est derrière un mur constitué de matière noire. Et dès qu’un commando tente de la franchir, il est exterminé, comme haché par des mandibules de créatures géantes et cruelles.
Pour tenter de découvrir ce qui se passe derrière ce Noir horizon, des gradés ont l’idée de faire appel à quelques têtes brûlées qui purgent des peines de prison au fond d’un bagne perdu dans les confins de la galaxie. On assiste à la classique formation de l’équipe de choc, composée de deux terroristes, de deux meurtriers sanguinaires et d’un tueur à gages. Eux, vont parvenir à franchir le mur, mais ce qu’ils vont découvrir de l’autre côté leur ferait presque regretter les quatre murs de leur cellule.
Du grand spectacle aux confins de l’espace, sans limite, par un dessinateur réaliste capable d’imaginer tout un univers (engins, vaisseaux, armes, créatures) cohérent et très angoissant. Une série prévue en trois tomes.