mercredi 8 janvier 2025

Cinéma - Avec sa version de “Nosferatu”, Robert Eggers sort les griffes

Gothique et effrayante, Robert Eggers signe une version modernisée mais fidèle du Nosferatu de Murnau.


Le 25 décembre 2024, ce n’est pas le Père Noël qui arrive sur les écrans des cinémas mais la pire créature, la plus effrayante, imaginée par le 7e art. Nosferatu le vampire, un peu plus d’un siècle après le film de Murnau, revient hanter les nuits des spectateurs.

Un remake signé de Robert Eggers, prodige américain au style affirmé. Révélé par The Witch, il a depuis étonné et déçu. Ce retour aux sources du cinéma a de quoi réjouir les esthètes. D’entrée, la première séquence place la barre très haut.

Un cauchemar de la jeune héroïne (Lily-Rose Deep), tourmentée par une créature monstrueuse. Scène choc, alliant horreur, gothisme et dramaturgie. Le tout grâce à des images construites comme des tableaux. Le comte Orlok, Nosferatu (Bill Skarsgård) sous son aspect le plus horrible, n’apparaît que très fugitivement. Suffisamment cependant pour que l’on redoute son retour.

Les griffes du vampire

Ce sera dans son château des Carpates, quand il accueille le mari (Nicholas Hoult) de la femme qu’il convoite. Il vient lui faire signer les papiers d’une soi-disant acquisition immobilière. La séquence dans les montagnes enneigées et les ruines du manoir, sont terrifiantes. Ce n’est pourtant que le début de la tragédie.

De retour en Allemagne, le jeune homme va tenter de sauver son épouse. Mais cela paraît bien trop tard. Sous emprise de Nosferatu, elle semble possédée. Cela donne des passages nocturnes où l’on retrouve la terreur provoquée par la simple ombre planante d’une main prolongée par des ongles pointus, tels des griffes aiguisées comme des rasoirs, sur une Lily-Rose Deep en chemise de nuit blanche. Contraste plus efficace que tous les effets spéciaux numériques. Même s’ils ne sont absents de ce film, notamment dans la transformation du Comte en Nosferatu.

Plus qu’un hommage à l’œuvre originale de Murnau, le Nosferatu de Robert Eggers est un film personnel très abouti. Les décors sont minutieusement reconstitués, l’éclairage (naturel) provoque un effet angoissant supplémentaire, certains plans séquences apportent un plus au suspense et l’effroi surprend, même si on s’y attend. En plus de remplir son contrat de nous faire peur, Nosferatu est un exemple pour tous les réalisateurs qui oublient que le cinéma est un art et qu’ils peuvent, juste avec un peu de talent, transfigurer tout scénario, même le plus connu.

Film de Robert Eggers avec Lily-Rose Depp, Bill Skarsgård, Willem Dafoe, Nicholas Hoult

mardi 7 janvier 2025

Cinéma - “Joli joli” : duo en chantant

Complètement tombé aux oubliettes durant plusieurs décennies, le genre de la comédie musicale connaît un surprenant revival depuis quelques années. Et même les Français se mettent à jouer avec cet exercice compliqué, magnifié par Jacques Demy. Après les frères Larrieu ou Jacques Audiard, c’est Diastème qui apporte sa contribution, avec la complicité d’Alex Beaupain à la musique. Sans oublier les débuts, sur grand écran, d’une des nouvelles étoiles de la chanson française : Clara Luciani.

Comédie musicale et histoire d’amour ont toujours fait bon ménage. Joli Joli ne fait pas exception à la règle. Un écrivain (William Lebghil) est en panne d’inspiration. La nuit du nouvel an, alors que 1977 va arriver dans quelques heures, il se lamente sur sa nullité. Et décide d’aller boire un verre dans un bar. Il croise une ravissante blonde (Clara Luciani), arrive à la faire sourire et ils tombent amoureux.

Après une nuit d’amour, elle part au petit matin. L’écrivain, coupé du monde n’a pas reconnu la star de cinéma. Par contre sa bonne Myrette (Laura Fulpin), secrètement amoureuse du romancier, l’a reconnue et voit d’un mauvais œil cette rivale trop glamour. Elle va tout faire pour briser le couple, casser cet amour.

Le film, tourné dans des décors superbement reconstitués, est un hommage au cinéma, à la romance, aux coups de foudre. Plus la relation du principal couple se complique, plus autour d’eux (réalisateur, producteur, comédien, infirmière…) Cupidon fait des ravages.

Un scénario ouvertement romantique, mais avec quelques touches d’humour (Thomas VDB ou Jean-Jacques Vanier) et moments de tension. Le tout en chansons, toutes interprétées par les acteurs et déjà disponibles dans un double album.

"Joli joli", comédie musicale de Diastème (musique d’Alex Beaupain) avec Clara Luciani, José Garcia, William Lebghil, Laura Felpin, Vincent Dedienne, Grégoire Ludig.


lundi 6 janvier 2025

Vidéo - “Borderlands”, film spectaculaire adapté d’un jeu vidéo


Les films tirés d’une franchise de jeu vidéo sont souvent décevants. Intrigue limitée, personnages stéréotypés : difficile de surprendre le spectateur. Même quand c’est un excellent réalisateur comme Eli Roth, maître de l’horreur et du gore, qui relève le challenge.

Borderlands offre son lot de scènes spectaculaires, de dialogues hilarants (merci Jack Black…) et de bastons infernales. Malgré tous les ingrédients, la mayonnaise ne prend pas. C’est divertissant, mais on éprouve des difficultés à s’enthousiasmer, s’enflammer pour un univers foisonnant mais déjà vu.

La sortie en vidéo chez M6 se décline en simple DVD, blu-ray ou boîtier steelbox avec blu-ray et version 4 k en ultra HD. Par contre, les amateurs de bonus seront déçus : pas la moindre nouveauté à se mettre sous la dent…

dimanche 5 janvier 2025

Littérature – Quelques grands romans à redécouvrir dans des versions festives

Rééditions de prestige pour des romans d’anthologie. La fin de l'année est  aussi l’occasion de redécouvrir des histoires intemporelles qui ont marqué leur époque.


Sorti en 1984, Talisman de Stephen King et Peter Straub fait partie de ces grands romans fantastiques dont le héros, Jack Sawyer, gamin de 12 ans, devient un ami intime tant on vibre à ses aventures à la recherche du Talisman dans les Territoires pour sauver sa mère, malade.

Au début des années 80, Stephen King est déjà très célèbre. Peter Straub, dans un genre encore plus horrifique, est lui aussi considéré comme un grand romancier. L’envie de collaborer est immédiate et la trame du roman est trouvée dans un kebab londonien. C’est Stephen King lui-même qui l’affirme dans l’interview qui précède le roman dans cette très belle réédition chez Albin Michel (800 pages, 29,90 €). Raconte comment ils ont écrit à tour de rôle les chapitres, se les envoyant par modem (internet n’existait pas encore) par-dessus l’Atlantique.

Le texte final est d’une grande fluidité, une quête regorgeant d’inventions et d’épreuves.


Autre style littéraire avec le recueil de romans de Patrick Modiano intitulé Paris des jours et des nuits, paru chez Gallimard dans la toujours très élégante collection Quarto (1 020 pages, 27 €). Cette édition, réalisée par l’auteur, reprend de façon chronologique une dizaine de romans parus entre 1982 (De si braves garçons) et 2019 (Encre sympathique). 

Leur point commun : Paris, la ville que Patrick Modiano a sillonné depuis des décennies en long, en large et en travers, y puisant son inspiration.

Le Prix Nobel de littérature en 2014 propose en début de volume des photographies des divers lieux que l’on croise dans ses romans, des abattoirs de Vaugirard à la gare Saint-Lazare en passant par le bal de La Marine ou les Tuileries.



Classique un peu oublié de la littérature française, La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils est de nouveau disponible chez Calman-Lévy (240 pages, 25 €) dans une édition collector, couverture cartonnée avec préface de Claude Schopp. Inspirée de sa propre liaison avec Marie Duplessis, cette dramatique histoire d’une femme qui se sacrifie par amour a été adaptée au théâtre.

On peut notamment découvrir la scène finale au début du film Sarah Bernhardt, la Divine, actuellement au cinéma, interprétée par une Sandrine Kiberlain possédée par son personnage. Une tirade inoubliable de la belle Marguerite : « J’ai toussé et craché le sang toute la nuit. Aujourd’hui je ne peux plus parler, à peine si je peux remuer les bras. Mon Dieu ! Mon Dieu ! je vais mourir. Je m’y attendais, mais je ne puis me faire à l’idée de souffrir plus que je ne souffre, et si… » Un des sommets du romantisme.

samedi 4 janvier 2025

De la poésie - Rimbaud est vivant


Si la poésie de Rimbaud a traversé les siècles, son image est rare. Un portrait du poète à 17 ans est le plus connu. C’est s’appuyant sur ce visage que Luc Loiseaux a fabriqué des photos d’époque de Rimbaud. Des clichés criants de vérité pour raconter les cinq ans de créativité intense, de 1870 à 1875.

On a droit au jeune Rimbaud en pleine fugue avec un sac à dos, allongé dans un lit d’hôpital, s’enivrant avec Verlaine, joyeux dans des cafés où l’alcool coule à flots. Un texte enrichi de poèmes et citations pour mieux comprendre l’évolution de son œuvre. Un beau livre utilisant intelligemment les technologies modernes.
« Rimbaud est vivant » de Luc Loiseaux, Gallimard, 272 pages (100 illustrations), 39 €

vendredi 3 janvier 2025

Une anthologie - Mots et merveilles des Pyrénées

La nature inspire les écrivains. Encore plus quand il s’agit de la nature grandiose des Pyrénées. Jean-Paul Azam, spécialiste de cette chaîne montagneuse allant de l’Atlantique à la Méditerranée, propose un beau livre répertoriant les plus beaux passages de la littérature autour de ces sommets.

Baudelaire à Barèges, Victor Hugo au Pays basque… Dans la région, ne manquez pas l’ode de Saint-Exupéry à la « neige rose » qu’il voit en atterrissant à Perpignan ou l’aveu de Kipling : « Mais je trouvai le Canigou, je découvris la montagne enchanteresse entre toutes, et je me soumis à son pouvoir. »

« Mots et merveilles des Pyrénées », Papillon Rouge, 164 pages, 29,90 €

jeudi 2 janvier 2025

BD - Lou de A à Z


20 ans. Lou, la jolie héroïne imaginée par Julien Neel a 20 ans. Un anniversaire dignement célébré avec la parution de ce beau livre regorgeant de dessins inédits et de trois récits courts inédits. Le plus intéressant restant la longue interview de l’auteur par Carole, sa propre femme, coloriste de la série.

Il revient en détail sur chaque album, racontant comment il a imaginé ce monde et l’évolution de la fillette qui vit seule avec sa maman. Il se livre aussi, expliquant douter de la pertinence de son art : A la sortie de son premier album, « je ne me sentais absolument pas légitime par rapport à la qualité du dessin et du travail de mes collègues. J’avais l’impression d’être un escroc total. »


Pourtant il va vendre des millions de BD, entraînant dans le sillage de Lou toute une génération d’adolescents qui se sont reconnus dans ce monde, poétique mais aussi très compliqué et exigeant. Quant à la qualité de ses dessins, il suffit de lire ce livre pour être persuadé qu’il est plus que doué. Il teste sans cesse de nouveaux styles et techniques dans des carnets.

L’éditeur a puisé dans 120 de ces trésors graphiques pour montrer monstres, études anatomiques, délires de science-fiction ou êtres fantasmagoriques. Un régal pour les esthètes complété par une histoire de Sidéra, son héroïne glamour du futur, un récit qui fait le lien entre les albums 7 et 6 et enfin le prologue du tome 3 de la suite des aventures de Lou, Sonata 3.
« Génération Lou ! », Glénat, 304 pages, 25 €

mercredi 1 janvier 2025

BD - Les Sisters déménagent

Déjà le 19e tome des aventures des Sisters, ces deux nanas inspirées des propres filles du dessinateur, William. Il a sollicité Cazenove pour finaliser ces gags qui ont conquis des millions de lecteurs. Enfin, surtout des lectrices. Wendy (l’aînée) et Marine (la petite peste), vont voir leur quotidien chamboulé : la famille déménage.

Par chance, c’est un simple saut de puce, les parents ayant décidé de faire construire à quelques dizaines de mètres de l’ancienne maison, toujours à proximité un viaduc de Millau. Ce déménagement est une source importante de gags, notamment pour Marine qui ne comprend pas le concept, persuadée qu’elle aurait désormais deux maisons et que sa sœur resterait dans l’ancienne.

On rit beaucoup à ses mots de fillette naïve et inventive.
« Les Sisters » (tome 19), Bamboo, 48 pages, 11,90 €

mardi 31 décembre 2024

BD - Une intrépide coboye dans les plaines de l'enfance

Avant de devenir dessinatrice de bande dessinée, Cécile était une fillette pleine d’imagination vivant à la campagne avec sa maman. Le prototype du garçon manqué, admirant les aventuriers de la grande période de la conquête de l’Ouest américain.

Voilà pourquoi, en son for intérieur, elle est avant tout une Coboye. La corde à sauter est reconvertie en lasso, la jolie tête à coiffer offerte par sa mamie en Totem du camp indien, après un scalp traditionnel. Quand sa maman part faire des courses, elle demande régulièrement qu’elle lui achète des bâtons de « dinamit », des « alumetes » et aussi quelques « chouinegom ».

Sous forme de gags en une ou deux images par page, on découvre toutes les bêtises que la fillette a réalisées au grand désespoir de sa maman, rebaptisée le « shérif » dans son monde imaginaire. Un album qui sent bon l’innocence de la jeunesse, magnifiée par des aquarelles lumineuses.

« Coboye », Delcourt, 144 pages, 17,50 €

lundi 30 décembre 2024

Cinéma - Sarah Bernhardt et Lucien Guitry, la divine romance

La grande comédienne Sarah Bernhardt n’a eu qu’un seul véritable amour : Lucien Guitry. Guillaume Nicloux en fait un film brillant avec un rôle époustouflant pour Sandrine Kiberlain.


Monstre sacré du théâtre, première star mondiale française, Sarah Bernhardt était aussi surnommée « La Divine ». C’est ce dernier terme que Guillaume Nicloux a retenu pour le titre de son film. Mais en ces temps où les biopics sont de plus en plus nombreux, il a choisi de ne pas raconter toute la carrière de la comédienne (interprétée par Sandrine Kiberlain) mais la grande histoire d’amour de sa vie.

Femme éprise de liberté, elle faisait partie de ces esprits ouverts qui vivaient au jour le jour, jamais avare de plaisir. Elle a eu des dizaines, des centaines d’amants. Certains très célèbres comme Edmond Rostand. Pourtant, le film explique qu’elle n’en a aimé qu’un seul et unique : Lucien Guitry (Laurent Lafitte). Comme elle, c’est une gloire du théâtre français de cette fin du XIXe siècle. Ils ont joué ensemble La dame aux camélias. Sandrine Kiberlain, au début du film, rejoue la scène finale avec Laurent Lafitte qui lui tient la main.

Amants sur et en dehors des planches, ces deux surdoués vont se découvrir, se perdre puis se retrouver. Une romance au cœur du film de Guillaume Nicloux, racontée par une Sarah Bernhardt, affaiblie après son amputation, à Sacha, le fils de Lucien et futur grand auteur de théâtre et de cinéma. Plusieurs flashbacks jusqu’à la pire journée vécue par l’actrice, celle au cours de laquelle l’amant rompt officiellement avec sa maîtresse car il désire épouser une jeune comédienne.

Avant cela, on découvre leur relation libre et assumée, dans ce Paris en train de se dévergonder et véritable capitale culturelle mondiale. Sarah Bernhardt sublime ses rôles. Certains écrits pour elle. D’autres issus de grands classiques, de Racine à Shakespeare. Dont certains d’hommes, preuve que la grande dame du théâtre a très rapidement trouvé un peu étriqués les personnages féminins proposés.

Féministe avant l’heure, elle s’affiche avec la peintre Louise Abbéma (Amira Casar), collectionne les animaux (du boa au lynx en passant par les rapaces), et on apprend également qu’elle combat l’antisémitisme et pousse Émile Zola à prendre position dans l’affaire Dreyfus.

Personne complexe, torturée par une enfance malheureuse, toujours sur la brèche, exubérante et cherchant sans cesse la lumière, Sarah Bernhardt a marqué son époque. Le film de Guillaume Nicloux la ressuscite en grande amoureuse, capable du pire comme du meilleur pour conserver les faveurs de son amant.

Biopic de Guillaume Nicloux avec Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte, Amira Casar, Pauline Étienne, Laurent Stocker.