vendredi 17 novembre 2023

Cinéma - La nostalgie touchante du “Petit blond de la Casbah”

La reconstitution des derniers mois de la présence de la famille d’Alexandre Arcady à Alger, peu avant l’indépendance, raconte avec nostalgie le drame de tous les pieds-Noirs, notamment de la communauté juive.


Quand il reparle de l’immeuble de la rue du Lézard au cœur de la Casbah d’Alger, on sent une pointe d’émotion dans la voix d’Alexandre Arcady. Malgré le livre et le film, Le petit blond de la Casbah, qui raconte comment sa famille a fui face à la pression des attentats, une partie du gamin est restée dans l’appartement et les parties communes de ce bâtiment accueillant plusieurs familles de différentes origines. « Au 7 rue du Lézard, c’était la convivialité absolue, explique-t-il. Les portes étaient toujours ouvertes, on n’avait pas besoin d’invitation pour aller chez les uns ou chez les autres. Et les fêtes religieuses étaient les fêtes pour tout le monde. Mais ce n’était pas idyllique pour autant. Les communautés étaient cloisonnées, même si tous parlaient la même langue, l’arabe. »

Une entente cordiale racontée dans un film touchant, sensible et bourré de nostalgie. Antoine (Léo Campion), découvre le cinéma et décide à 10 ans qu’il en fera son métier. Il vit avec sa mère (Marie Gillain), sensible, attentive, parfois un peu trop protectrice, son père (Christian Berkel), ancien légionnaire, droit, rigide, désargenté et ses quatre frères. Il croise au quotidien Nicole (Iman Perez), jeune Algérienne adoptée par une cartomancienne, ses oncles et tantes plus ou moins fortunés et honnêtes (Pascal Elbé, Dany Brillant, Judith El Zein) et sa grand-mère Lisa, la mémoire algérienne de la famille, de l’immeuble, interprétée par un incroyable Jean Benguigui qui n’en est pas à son coup d’essai. Alexandre Arcady a pensé à lui en se souvenant d’un spectacle où il endossait les habits de sa mère et sa grand-mère pour raconter, déjà, l’Algérie d’antan.

Mais le véritable personnage principal du film reste la ville d’Alger. Reconstituée à l’identique des années 60, puis au début des années 2000, quand Alexandre Arcady est retourné de l’autre côté de la Grande Bleue pour présenter son film Là-bas mon pays, la ville bouillonne, resplendit, lumineuse et ensoleillée, culturelle et animée.

C’est ce Paradis perdu qu’Alexandre Arcady a voulu retrouver et offrir aux autres rapatriés, déracinés souvent inconsolables, en le reconstituant sur pellicule. Une nostalgie enfantine qui fait fi des décennies et de cette frontière de plus en plus infranchissable qu’est la Méditerranée.

Film d’Alexandre Arcady avec Léo Campion, Marie Gillain, Christian Berkel, Patrick Mille, Dany Brillant, Pascal Elbé, Jean Benguigui, Iman Perez

 

jeudi 16 novembre 2023

Sur Netflix - “The Killer”, sobre et violent


La BD de Matz et Jacamon est un des best-sellers de ces 20 dernières années. Logique donc que Le Tueur (chez Casterman) devienne un film au cinéma. Repérée par David Fincher, la série est sortie le week-end dernier en format long-métrage. Mais pas au cinéma. Directement sur Netflix, producteur et diffuseur.

Dommage car les péripéties de ce tueur à gage méthodique, interprété par Michael Fassbender, méritent le très grand écran. Mise en scène léchée, décors variés (Paris, Floride, République dominicaine), casting relevé (Tilda Swinton en « méchante » absolue) ; on apprécie surtout la fidélité à l’excellente BD, notamment dans la première partie, lors de l’attente, quand le Tueur développe en voix off sa philosophie de la vie. Enfin, surtout de la mort des autres…
 

mercredi 15 novembre 2023

Quatre chiens et les rêves australiens

 

Le duo Crisse - Paty se reforme et part explorer d'autres rivages. Après la verte Irlande, ils installent l'action de leur nouvel album, Uluru, dans l'Australie de la fin du XIXe siècle. 

Un grand voilier, en provenance d'Angleterre, est pris dans une tempête au large des côtes australiennes. Le jeune propriétaire de quatre chiens, un couple et leurs deux chiots, préfère les sauver en les mettant dans une barrique qui dérive jusqu'au rivage. Les animaux se retrouvent seul dans ce monde inconnu et vont partir à la recherche de leur petit maître. Une aventure animalière, les canidés croisant des dingos, des kangourous, varans et autres animaux étranges et exotiques. Surtout, ils vont aussi découvrir le monde des rêves, celui qui donne cette spiritualité unique aux Aborigènes. 

Sous couvert de saga, les deux auteurs sensibilisent les lecteurs à l'importance du monde des songes. Les dessins de Paty donnent une clarté et une beauté uniques à cet album très original dans la production habituelle. 

"Uluru", Soleil, 64 pages, 15,95 €

mardi 14 novembre 2023

Cinéma - “Et la fête continue !” pour Robert Guédiguian


Le nouveau film de Robert Guédiguian parle de misère sociale à Marseille, d’hôpitaux débordés, d’immeubles vétustes qui s’écroulent, de guerre en Arménie… Et pourtant, le titre transpire l’optimisme : Et la fête continue ! Explications du scénariste et réalisateur dans ses notes d’intention : « Le titre a existé tout de suite. Nous avions pris la décision irrévocable de faire un film qui se terminerait bien. » Un parti pris assumé avec un final digne d’une love story, avec belles promesses de partages et de découvertes. Mais ne vous effrayez pas, le réalisateur qui a fait de Marseille et de l’Arménie son terrain de prédilection ne s’est pas reconverti dans les sirupeux téléfilms de Noël. Au contraire, cette opposition permet de mieux faire ressentir la force de la mobilisation populaire après le drame du 5 novembre 2018.

Le film débute par les images des journaux télévisés montrant cette montagne de gravats. Deux immeubles vétustes viennent de s’écrouler, 8 personnes sont retrouvées mortes. Dans un grand méli-mélo de ses sujets d’inspiration, Robert Guédiguian filme la mobilisation des habitants du quartier, menée par Alice (Lola Naymark). Une intermittente du spectacle qui est amoureuse de Sarkis (Robinson Stévenin), patron d’un bar arménien et fils de Rosa (Ariane Ascaride), infirmière à l’hôpital, engagée à gauche avec les écolos et candidate aux municipales.

Des vies de lutte (contre l’insalubrité, le génocide arménien, l’abandon du secteur de la santé) qui n’empêchent pas l’amour de tout bousculer. Notamment quand Henri, le père d’Alice (Jean-Pierre Darroussin), jeune retraité, s’invite dans la vie de Rosa, veuve depuis trop longtemps. Un film revigorant, qui redonne foi en l’avenir, fait passer des messages avec intelligence et se termine bien dans cette ville de Marseille filmée avec amour.

 Film de Robert Guédiguian avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Lola Naymark


lundi 13 novembre 2023

BD - Quand Jeremiah quitte ses propres aventures


Saluons enfin un dernier grand ancien de retour dans les bacs des librairies. Pas un héros, mais un auteur : Hermann. Celui que la profession surnomme « le sanglier des Ardennes » ne veut pas s’arrêter. A plus de 80 ans, il continue à donner vie à ses personnages préférés.

Lancé il y a plus de 40 ans sur les routes d’un monde postapocalyptique, Jeremiah a toujours été flanqué d’un compagnon électron libre : Kurdy. Ce dernier est omniprésent dans Ce qui manque. Et le manque, c’est justement Jeremiah. Kurdy, ivre, drogué, va dériver dans un monde brumeux et violent à la recherche de son ami disparu dans l’album précédent.

Le scénario, assez abscons, est plus une variation sur la survie en temps de crise qu’une aventure logique et censée. Kurdy est dans le brouillard. Avouons-le, le lecteur aussi parfois. Reste les dessins de Hermann et surtout son utilisation de la couleur directe.

« Jeremiah » (tome 40), Dupuis, 48 pages, 12,95 €

dimanche 12 novembre 2023

BD - La suite des aventures d'Alix, historique


Si Gaston a longtemps été un pilier des éditions Dupuis et du journal Spirou, Alix en a été de même pour les éditions Casterman et le journal Tintin. Mais pour le jeune Gaulois imaginé par Jacques Martin en 1948, pas d’éclipse. C’est de son vivant que le dessinateur a choisi ses repreneurs. Et cela continue avec plusieurs équipes pour animer cette BD historique passionnante.


Dans ce 42e titre de la série, on retrouve au scénario Roger Seiter et au dessin Marc Jailloux. Une aventure entre Égypte et Grèce. Alix quitte Alexandrie pour Rome. Mais en chemin, sur cette Méditerranée déjà très fréquentée, il est chargé par César d’une mission en Grèce. Il doit retrouver les vestiges d’Achille et tenter de juguler une révolte des provinces grecques contre l’empire romain. Beaucoup de mythologie dans ce récit, et d’ennemis pour Alix qui doit affronter les troupes de Pompée mais aussi l’avide Arbacès et les gardiens de la sépulture du célèbre Grec.

Comme toujours, un album d’Alix permet au lecteur d’en apprendre un peu sur l’histoire de Rome ou de la région. La reconstitution des décors, costumes et coutumes est toujours aussi minutieuse et les dessins de Jailloux dans la droite lignée de Jacques Martin quand il était au sommet de son art.

« Alix » (tome 42), Casterman, 48 pages, 12,50 €

samedi 11 novembre 2023

BD - Gaston Lagaffe, retour très fidèle


Avec une année de retard, Gaston Lagaffe fait son retour dans les librairies. Une renaissance compliquée, l’héritière de Franquin portant l’affaire devant la justice. Après accord avec les éditions Dupuis, Delaf (dessinateur canadien des Nombrils), a donc pu distiller ses planches dans le journal de Spirou pour finalement proposer ce 22e recueil de gaffes en tous genres. Une reprise très attendue.


Delaf le sait, lui qui a osé faire dire aux membres de la rédaction :

« - C’est bluffant ! On dirait vraiment du Franquin !

- Au premier coup d’œil, oui. Au second, bof…

- Aaah, Franquin : souvent copié, jamais égalé ! »

Pourtant, côté dessin, rien à redire. La fidélité au trait de Franquin est parfaite. Il manque un peu de fantaisie, mais l’ensemble est très satisfaisant.

La bonne surprise vient du scénario. Seul, Delaf parvient à retrouver cet esprit frondeur et dilettante qui a fait son succès de cette première série avec un non-héros en vedette. Et comme il connaît ce petit monde sur le bout des doigts, les références aux différentes inventions du génial gaffeur permettent au lecteur un peu orphelin depuis quelques décennies, de retrouver un univers comique unique. Alors laissez-vous tenter par ce Gaston, sans a priori, vous ne le regretterez pas et pourrez rire de bon cœur comme dans votre jeunesse pour les plus anciens.

« Gaston Lagaffe » (tome 22), Dupuis, 48 pages, 12,50 €  

vendredi 10 novembre 2023

BD - Tout sur la psychologie


Autre album particulièrement copieux, cette « Incroyable histoire de la psychologie ». 274 pages de BD en couleur écrites par Jean-François Marmion, psychologue, et dessiné par Pascal Magnat qui a déjà raconté l’histoire du Canard Enchaîné en BD.

Beaucoup d’entrées, toutes plus sérieuses les unes que les autres, mais avec une volonté aussi de distraire le lecteur en mal de connaissance. Car parler uniquement de psychologie pourrait rapidement devenir ennuyeux, voire rébarbatif. Mais si on associe toutes les pratiques, découvertes et recherches à des anecdotes souriantes, le tout devient beaucoup mois indigeste. Mais le scénariste ne se moque pas des philosophes (même si d’entrée il rembarre un peu sèchement le pauvre Freud).

Alors plongez-vous dans cette pratique complexe mais si enrichissante et vous pourrez briller en société en expliquant les théories de Richard Bandler et Josh Grinder sur la PNL (programmation neurolinguistique) ou la logothérapie de Viktor Frankl.

« L’incroyable histoire de la psychologie », Les Arènes BD, 172 pages, 24 €

jeudi 9 novembre 2023

BD - Bourdieu et l’Algérie


Si Pierre Bourdieu a longtemps animé la vie intellectuelle française, le grand sociologue a perdu de son aura en ce XXIe siècle de plus en plus violent et religieux. Pourtant on aurait aimé avoir son avis sur les derniers événements actuels, tant en Ukraine qu’au Proche-Orient. Faute d’être du présent, Bourdieu revient sur le devant de la scène grâce à cette grosse BD très documentée sur ses années algériennes.

Jeune étudiant, il est mobilisé à la fin des années 50 pour « maintenir l’ordre » en Algérie. Quel sera son rôle exact au sein de la propagande de l’armée française ? Pas de réponse faute d’archives. Par contre la suite de son engagement est connue et marque le début de ses travaux de recherches en sociologie. Il décide d’aller enseigner à l’université d’Alger, un des rares Occidentaux à ne faire aucune différence entre étudiants pieds-noirs et musulmans. C’est au cours de ces années qu’il tombera amoureux de ce pays et nouera de nombreux liens d’amitié avec des intellectuels locaux, souvent actifs dans le processus de l’indépendance.

Pascal Génot a longuement enquêté sur place, rencontrant des survivants de cette période troublée. Il retrace ces années algériennes mais explique aussi l’origine de la sociologie, et raconte l’Algérie des années noires et d’aujourd’hui. Le tout dessiné par Olivier Thomas alternant images d’archives et vues sublimes de ce pays aux décors lumineux et d’une grande beauté.

Une somme, parfois un peu trop complexe, mais qui éclaire le lecteur sur le fondement de la pensée de Bourdieu et aussi l’histoire, passée et actuelle, de ce pays toujours en devenir qu’est l’Algérie.

« Bourdieu, une enquête algérienne », Steinkis, 256 pages, 24 €

mercredi 8 novembre 2023

BD - Astérix et l’iris blanc


Selon Vicévertus, intellectuel au service de César et personnage principal du 40e Astérix signé Fabcaro et Conrad, « un légionnaire heureux est un légionnaire combatif. Pour cela, rien de tel que la pensée positive et une alimentation saine ». Une entrée en matière claire : le scénariste de Montpellier va se payer les gourous qui inondent de nos jours les télés et réseaux sociaux de maximes qui, sous couvert de développement personnel, passent pour de grandes réflexions philosophiques auprès des humbles.

Vicévertus veut remobiliser les soldats romains et surtout rendre moins agressifs les Gaulois qui résistent toujours à l’envahisseur. « Il parle beaucoup pour ne rien dire », relativise Astérix. Mais force est de constater que le philosophe à la petite semaine a de l’effet sur le village gaulois qui se met au sport, à la gentillesse et à la bouffe de qualité. Au grand désespoir d’Obélix qui regrette de ne plus pouvoir boulotter ses trois sangliers quotidiens. Les gags sont nombreux, les reparties souvent drôles, les personnages pas trop caricaturaux.

Pour une première incursion dans l’univers créé par Goscinny et Uderzo, Fabcaro s’en tire avec les honneurs. Quant à Conrad, au dessin, il est toujours irréprochable.

« Astérix - L’Iris blanc » (tome 40), Editions Albert-René, 48 pages, 10,50 €